La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/01/2014 | FRANCE | N°11/02795

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 08 janvier 2014, 11/02795


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 08 Janvier 2014



(n° , 8 pages)



Numéros d'inscriptions au répertoire général : S 11/02795 - S 11/03108



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 22 Décembre 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section activités diverses - RG n° 10/03342





APPELANTE (RG n°11/02795)

et

INTIMÉE A TITRE RECONVENTIONNEL (RG n°11/03108)

Madame [Q] [N

]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Isabelle ROY-MAHIEU, avocate au barreau de PARIS, P0527





INTIMÉE (RG n°11/02795)

et

APPELANTE A TITRE RECON...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 08 Janvier 2014

(n° , 8 pages)

Numéros d'inscriptions au répertoire général : S 11/02795 - S 11/03108

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 22 Décembre 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section activités diverses - RG n° 10/03342

APPELANTE (RG n°11/02795)

et

INTIMÉE A TITRE RECONVENTIONNEL (RG n°11/03108)

Madame [Q] [N]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Isabelle ROY-MAHIEU, avocate au barreau de PARIS, P0527

INTIMÉE (RG n°11/02795)

et

APPELANTE A TITRE RECONVENTIONNEL (RG n°11/03108)

S.A.S. GROUPE SEGUR

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Anne-Laure BÉNET, avocate au barreau de PARIS, J095

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 Novembre 2013, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Christine ROSTAND, présidente

Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller

Monsieur Jacques BOUDY, conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [Q] [N] a été engagée par la SA Hoche Promotion en qualité de secrétaire polyvalente par contrat à durée indéterminée à compter du 17 mars 2003. Par avenant du 18 décembre 2003, son contrat de travail a été transféré à la SAS Groupe Ségur à compter du 1er janvier 2004, avec reprise d'ancienneté au 17 mars 2003. Un nouveau contrat de travail signé le 30 juin 2006 a été suivi d'un avenant daté du 31 décembre 2007 organisant le travail à temps partiel de la salariée. Par avenant du 28 novembre 2008, celle-ci a été promue dans les fonctions d'assistante de direction et a repris un horaire à temps plein.

Le salaire mensuel moyen de Mme [N] s'élevait en dernier état à 3 906,40 €.

La convention collective de la promotion construction est applicable dans l'entreprise.

L'entreprise comptait plus de dix salariés à la date de la rupture.

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 6 janvier 2010, Mme [Q] [N] notifiait à son employeur sa volonté de prendre acte de la rupture aux torts exclusifs de celui-ci mais se rétractait par un courrier daté du 8 février 2010.

Mme [Q] [N] a saisi le 10 mars 2010 le conseil de prud'hommes de Paris d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de demandes de rappel de salaire et d'indemnités dirigées contre la SAS Groupe Ségur.

Par jugement du 22 décembre 2010, le conseil de prud'hommes de Paris a condamné la SAS Groupe Ségur à lui verser 1 080 € à titre de dommages et intérêts pour non respect du droit individuel à la formation, l'a déboutée du surplus de ses demandes et a condamné la SAS Groupe Ségur au paiement des dépens.

Successivement, Mme [Q] [N] et la SAS Groupe Ségur ont régulièrement relevé appel de cette décision par courriers recommandés avec accusé de réception.

Le 1er septembre 2011, après 20 mois d'arrêt de travail, Mme [Q] [N] a été déclarée inapte temporaire par le médecin du travail et le 16 septembre, celui-ci a constaté son inaptitude définitive à tout poste dans l'entreprise ou filiales, après une étude de poste effectuée le 6 septembre.

La société Groupe Ségur ayant contesté l' avis d'inaptitude, par décision du 17 novembre 2011, le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a confirmé la déclaration d'inaptitude de Mme [N].

Après avoir été convoquée par la société Groupe Ségur le 26 février 2013 à un entretien préalable à son licenciement fixé au 13 mars suivant, Mme [Q] [N] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 19 mars 2013.

Mme [Q] [N], appelante principale, à l'audience du 6 novembre 2013, développant oralement ses conclusions visées par le greffier, demande à la cour d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 22 décembre 2010, et, statuant à nouveau de :

à titre principal,

.juger que la demande de résiliation judiciaire est fondée et imputable à l'employeur et dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse

à titre subsidiaire,

.dire le licenciement pour inaptitude nul du fait des agissements de harcèlement moral

à titre très subsidiaire,

.dire le licenciement pour inaptitude sans cause réelle ni sérieuse pour violation de l'obligation de reclassement

en tout état de cause,

. condamner la société Groupe Ségur à lui verser les sommes suivantes :

- 6 337,24 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 633,72 € au titre des congés payés y afférents

- 70 315 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse

- 27 063,14 € au titre des heures supplémentaires effectuées et non payées

- 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

- 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Groupe Ségur a repris oralement à l'audience ses écritures visées par le greffier et demande à la cour :

. d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris l'ayant condamnée à verser à Mme [Q] [N] la somme de 1 080 € à titre des dommages et intérêts pour non respect du droit individuel à la formation,

à titre principal,

. de dire et juger que la prise d'acte de la rupture du 6 janvier 2010 s'analyse en une démission

à titre subsidiaire,

. de dire et juger que la demande de résiliation judiciaire du 10 mars 2010 est dépourvue de fondement,

à titre très subsidiaire,

. de dire et juger que le licenciement pour inaptitude repose sur une cause réelle et sérieuse

en tout état de cause,

. de débouter Mme [Q] [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS

Pour une bonne administration de la justice, il y a lieu d'ordonner la jonction de la procédure enregistrée sous le numéro11/03108 à la procédure enregistrée sous le numéro 11/02795.

Sur la demande de rappel d'heures supplémentaires

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

En l'espèce, Mme [N] expose qu'elle travaillait en semaine bien au-delà de l'horaire quotidien et parfois également le week-end.

Pour étayer ses dires, elle produit notamment des attestations rédigées par ses collègues de travail, ses amis et des membres de sa famille dont il ressort qu'elle quittait rarement son emploi avant 20h le soir et que Mme [G], président directeur général de la société, la sollicitait le samedi et le dimanche pour la faire revenir au bureau, ainsi qu' un courriel rédigé par ses soins le samedi 2 mai 2009 sous la signature de Mme [G] et deux autres que celle-ci lui a adressés le dimanche 20 septembre 2009 et le samedi 26 septembre 2009 pour lui faire des remarques sur la saleté des locaux et leur désordre. Elle verse aux débats un décompte hebdomadaire des heures supplémentaires qu'elle a effectuées à compter du 21 janvier 2008, d'abord sur une base de 30 heures par semaine lorsqu'elle travaillait à temps partiel, puis sur une base de 35 heures à compter du 1er décembre 2008.

La société Groupe Ségur objecte que ces éléments sont insuffisants pour étayer la demande de la salariée au motif que les attestations sont rédigées soit par des anciens salariés de la société qui ont fait l'objet d'un licenciement, soit par des membres de son entourage familial, que Mme [N] n'a jamais réclamé le paiement d'heures supplémentaires et que l'accomplissement de telles heures ne lui a jamais été demandé, que par ailleurs, elle ne justifie pas des horaires qu'elle a observés et, subsidiairement, que ses calculs sont faux.

Cependant, le décompte hebdomadaire présenté par la salariée comporte pour certaines semaines des commentaires sur les raisons justifiant le dépassement de l'horaire ou le travail les samedis, dimanches et jours fériés. Par ailleurs, si les dépassements de l'horaire quotidien ne sont pas précisés par la mention des heures d'arrivée et de départ au bureau, il résulte de l'attestation de M. [K] [O] qui a été jusqu'au 5 mai 2011directeur de l'hôtel Miramar au [Localité 3] dépendant du groupe Ségur et travaillait directement sous l'autorité de Mme [G], que celle-ci avait un rythme de travail « effrené », travaillait jusqu'à 21h ou 22 h, samedi compris et aussi le dimanche en fin de journée, et que Mme [N] suivait ce rythme auquel chacun devait s'adapter, qu'au printemps 2009, Mme [G] lui avait demandé d'accueillir Mme [N] et son époux à l'hôtel car celle-ci avait été surmenée après une période de grande activité. En outre, Mme [A], collègue de Mme [N], confirme que cette dernière avait des journées de plus de 12h, et a constaté que « les jours fériés et week-end n'existaient pas », l'ayant eue en ligne ces jours-là pour des motifs professionnels.

Contrairement à ce que soutient l'employeur, Mme [N] produit ainsi des éléments préalables qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à étayer sa demande.

La société Groupe Ségur qui doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par la salariée est dans l'incapacité de produire une preuve quelconque des horaires réellement effectués par Mme [N].

Il en résulte que la cour a la conviction au sens du texte précité que celle-ci a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées, soit 227 heures complémentaires et 247,5 heures supplémentaires en 2008 et 488,5 heures supplémentaires au cours de l'année 2009.

La société Groupe Ségur fait remarquer à juste titre que le taux horaire retenu pour le calcul des heures complémentaires et supplémentaires effectuées au cours de l'année 2008 pendant laquelle Mme [N] était employée à temps partiel s'élève à 18, 38 € selon l'avenant au contrat de travail du 31 décembre 2007 et non à 20,89 €, taux horaire sur la base du temps plein. La somme due sur cette période à titre de rappel d'heures supplémentaires et complémentaires s'élève en conséquence à 10 358,84 €.

Au titre de l'année 2009, c'est la somme de 15 857,93 € qui doit être retenue, soit la somme totale de 26 216,77 € que la société Groupe Ségur sera condamnée à verser à Mme [N] à titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires, le jugement critiqué étant infirmé sur ce point.

Sur la rupture du contrat de travail

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

Il convient en conséquence d'examiner en premier lieu les motifs invoqués par Mme [N] à l'apui de sa demande de résiliation judiciaire.

Mme [N] soutient que la société Groupe Ségur a gravement manqué à ses obligations à compter du mois de septembre 2009 en la rétrogradant dans ses fonctions, en l'isolant et en l'affectant à des tâches humiliantes et subalternes. Elle fait valoir que ces agissements qui caractérisent un harcèlement moral ont affecté sa santé physique et mentale.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [N] expose que durant six années, elle a été le bras droit de Mme [S] [G], président directeur général de la société groupe Ségur, et que brusquement, à la suite d'une demande de congés formulée le 31 août pour la période du 7 décembre 2009 au 11 janvier 2010 hors période légale en raison de la prochaine naissance d'un bébé chez sa fille demeurant à Tahiti, puis d'une journée d'absence début septembre, celle-ci lui a d'abord interdit l'accès à son bureau, puis à l'agenda et ne lui a plus adressé la parole, ne lui donnant quasiment plus de travail en rapport avec ce qu'elle faisait antérieurement, que le 5 novembre 2009, Mme [G] l'a affectée à un poste d'accueil et de standard téléphonique l' obligeant à quitter son bureau et l'a remplacée à compter du 10 novembre 2009 dans ses fonctions d'assistante de direction par Mme [J] [T], recrutée à cet effet, qu'ébranlée par cette rétrogradation abusive et illégitime, elle a alors été arrêtée le 12 novembre 2009 en raison d'un état dépressif réactionnel et n'a pas repris son travail.

Pour étayer ses affirmations, Mme [N] produit notamment plusieurs attestations de ses collègues de travail qui témoignent de son investissement dans le travail accompli à son poste d'assistante de direction auprès de Mme [G], qui l'amenait à remplir un rôle d'interface entre les membres de la direction et la présidence du groupe et la conduisait à remplir des missions à grandes responsabilités, et déclarent n'avoir pas compris qu'elle soit rétrogradée à un poste de standardiste, constatant par ailleurs que ce traitement s'apparentant à une mise au placard affectait l'état moral de leur collègue.

Elle verse encore aux débats le courrier qu'elle a adressé en novembre 2009 à Mme [G] pour demander courtoisement des explications au changement d'attitude de son employeur à son égard, courrier resté sans réponse.

Elle produit encore des courriels que Mme [G] lui a adressés en septembre et octobre 2009 pour se plaindre de l'état de la malpropreté des bureaux, du hall d'accueil et de la cuisine et du dysfonctionnement d'un ascenseur.

Enfin, elle justifie par les nombreux documents médicaux versés aux débats qu'elle a présenté un syndrome anxiodépressif marqué qu'elle décrit en rapport avec la dégradation de ses conditions de travail.

Mme [N] établit ainsi l'existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

La société Groupe Ségur fait valoir qu'elle a accepté les congés que Mme [N] demandait pour convenance personnelle hors période légale, conteste qu'elle ait été surchargée de travail antérieurement au mois de septembre 2009 et verse aux débats plus de 50 échanges de courriels entre le 27 août et le 5 novembre 2009 inclus, relatifs à des demandes d'assistanat divers qui contredisent ses allégations de mise à l'écart et démontrent que jusqu'au 5 novembre 2009, la salariée exerçait réellement des fonctions d'assistante de direction dans le cadre d'un secrétariat polyvalent.

Elle ajoute que Mme [N] travaillait en « open space » depuis toujours et jusqu'à son arrêt maladie le 12 novembre 2009. Elle produit à l'appui de ses affirmations les attestations de trois salariées qui déclarent que leur collègue était affectée au poste d'accueil du groupe Ségur depuis le début de l'année 2009 et avait un autre poste de travail à leur côté. Elles ajoutent que celle-ci avait en charge la gestion des bureaux et qu'elle était en contact avec les prestataires pour leur entretien, ce que confirme Mme [E], gestionnaire des actifs immobiliers, qui explique qu'elle travaillait en binôme avec Mme [N] et assurait comme elle le secrétariat de Mme [G], l'accueil, le standard téléphonique, ainsi que l'interface avec les entreprises en charge du ménage et le gestionnaire de l'immeuble, qu'à ce titre, Mme [G] pouvait leur demander d'intervenir auprès de ces personnes.

La société Groupe Ségur démontre ainsi que Mme [N] n'a pas été mise à l'écart à compter du mois de septembre 2009, qu'elle n'a pas eu à déménager de son bureau et que le suivi de l'entretien et de la maintenance des locaux de l'entreprise faisait partie de la mission qui lui était confiée.

L'employeur fait encore valoir qu'il n'a pas écarté Mme [N] de son poste en recrutant Mme [J] [T], embauchée en qualité d'assistante de direction générale avec le statut de cadre, par contrat à durée indéterminée daté du 10 novembre 2009 pour ses expériences professionnelles et sa maîtrise de l'anglais sur un poste créé afin de répondre à l'extension des activités du groupe, alors que Mme [N] avait le statut employé. Il prétend que les tâches confiées à Mme [T] étaient différentes de celles qu'assumait Mme [N] et produit à son dossier des exemples des travaux réalisés par la première.

Enfin, la société Groupe Ségur justifie que Mme [N] en son absence a été remplacée à l'accueil par des salariées recrutées par contrat à durée déterminée ou par des intérimaires puis, ses arrêts maladie se prolongeant, par Mme [Y], embauchée à compter du 11 octobre 2010 par contrat à durée indéterminée en qualité d'hôtesse d'accueil.

Ces embauches ne peuvent toutefois être considérées comme destinées à pourvoir le poste de Mme [N] qui était assistante de direction et dont les tâches n'étaient pas confinées à l'accueil ainsi que le prouvent le contenu des courriels échangés entre Mme [G] et la salariée au cours des mois de septembre et octobre 2009.

L'employeur, en revanche, se garde de produire aux débats les messages antérieurs au mois de septembre 2009 ainsi que tout autre élément relatif à la définition du poste d'assistante de direction occupé par Mme [N], ce à quoi celle-ci ne peut suppléer, sa connexion à l'intranet de l'entreprise ayant été coupée à compter de son arrêt de travail initial. Or, les tâches qui lui étaient confiées sont décrites dans l'attestation délivrée par M. [D], directeur général du groupe Ségur de mars 2006 à juin 2008, qui précise en outre que pour soulager Mme [N] de sa charge de travail, Mme [E], cadre dans la société, lui a été adjointe pendant quelque temps à compter du mois d'octobre 2007 jusqu'en octobre 2008, ainsi que dans celle de Mme [Z] [A], qui, chargée du management des hôtels Elysée Palace à [Localité 4], [Localité 6] à [Localité 5] et Miramar au [Localité 3], déclare qu'elle était « 80 % du temps en relation avec Mme [N] car aucune information ne passait en direct chez Mme [G] et [Q] était en charge de trier les urgences et de faire un rapport au PDG de façon régulière ».Force est de constater que ces témoignages montrent que le poste d'assistante de direction ne se limitait pas aux tâches d'accueil et de standard auxquelles Mme [N] a été confinée à compter du début du mois de novembre 2009.

Il apparaît ainsi que Mme [T] a été recrutée par l'employeur pour remplacer Mme [N] dès le mois de novembre 2009 de façon définitive et non pas seulement pour la durée de son absence autorisée en congés payés hors période comme l'a cru Mme [V] [I], assistante du président de deux filiales du groupe Ségur, qui travaillait dans le même immeuble que Mme [N] et atteste qu'à la fin de l'année 2009, celle-ci est venue lui présenter la personne qui devait la remplacer momentanément pendant les congés qui lui avaient été accordés, mais qu'elle a découvert en janvier 2010, à l'occasion d'une mission auprès de la directrice des ressources humaines du groupe Ségur, que sa collègue avait été affectée au poste d'assistante à la réception. Mme [N], elle-même, ainsi qu'il résulte de plusieurs attestations fournies par son entourage non professionnel, avait été informée de ce changement de fonction dès le début du mois de novembre 2009.

Peu importe que l'expérience et le profil de Mme [T] aient été différents de ceux de Mme [N] et que l'employeur ait étendu le périmètre d'intervention de cette salariée en tirant profit de ses qualifications. Il ressort à l'évidence des pièces produites aux débats que les responsabilités confiées à Mme [N] ont été diminuées avant son départ en congés et qu'elle n'a pas par la suite été remplacée par une autre salariée que Mme [T] dans les fonctions d'assistante de direction qu'elle occupait jusqu'au début du mois de novembre 2009.

Le fait pour l'employeur de modifier sans aucun motif les fonctions de Mme [N] et de l'affecter à des missions sous qualifiées en comparaison de celles qu'elle occupait caractérise un manquement grave à ses obligations et justifie que la résiliation judiciaire du contrat de travail soit prononcée aux torts de la société Groupe Ségur.

Lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement, soit en l'espèce au 19 mars 2013.

La résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse, il sera fait droit à la demande d'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de deux mois de salaire, soit 6 337,24 € et de congés payés afférents.

Aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [N] , de son âge (57 ans à la date de la rupture), de son ancienneté de 10 années, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, une somme de 45 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement critiqué sera infirmé sur ce point.

Mme [N] ne rapportant pas la preuve d'un préjudice distinct de celui réparé par l'indemnité allouée ci-dessus que lui aurait causé l'exécution déloyale du contrat de travail, sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts formée de ce chef.

Mme [N] ne maintient pas en cause d'appel sa demande formée en première instance à titre de dommages-intérêts pour non respect du droit individuel à la formation, demande qui n'était pas justifiée alors que le contrat de travail n'était pas rompu. Le jugement sera encore infirmé sur ce chef de demande auquel il avait été fait droit.

La société Groupe Ségur sera condamnée aux dépens d'appel et versera à Mme [N] la somme de 3 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

ORDONNE la jonction de la procédure enregistrée sous le numéro11/03108 à la procédure enregistrée sous le numéro 11/02795 ;

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur à effet du 19 mars 2013 ;

CONDAMNE la société Groupe Ségur à verser à Mme [Q] [N] les sommes suivantes :

- 26 216,77 € à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées en 2008 et 2009

- 6 337,24 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 633,72 € au titre des congés payés afférents

- 45 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

DÉBOUTE Mme [N] de ses autres demandes,

CONDAMNE la société Groupe Ségur à verser à Mme [Q] [N] la somme de 3 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Groupe Ségur aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 11/02795
Date de la décision : 08/01/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°11/02795 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-01-08;11.02795 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award