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19/12/2013 | FRANCE | N°13/23969

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 19 décembre 2013, 13/23969


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 19 DECEMBRE 2013



(n° 723, 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 13/23969



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 12 Décembre 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/59428





APPELANTE



SARL EDITIONS JACOB-DUVERNET

agissant en la personne de ses représentants légau

x domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Assistée de Me Léa FORESTIER, avocat...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 19 DECEMBRE 2013

(n° 723, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 13/23969

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 12 Décembre 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/59428

APPELANTE

SARL EDITIONS JACOB-DUVERNET

agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Assistée de Me Léa FORESTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R143 et de Me Wiliam BOURDON

INTIMES

Monsieur [G] [M]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Monsieur [R] [S]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentés par Me Véronique DE LA TAILLE de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148

Assistés de Me Wallerand DE SAINT-JUST, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : PN315

Monsieur [P] [Y]

Chez la SARLU éditions Jacob-Duvernet

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Non représenté

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 18 Décembre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Frédéric CHARLON, Président de chambre

Mme Evelyne LOUYS, Présidente de chambre

Madame Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Sonia DAIRAIN

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Frédéric CHARLON, président et par Mme Sonia DAIRAIN, greffier.

ELEMENTS DU LITIGE':

La société Editions Jacob-Duvernet devait faire paraître le 12 décembre 2013 sous le titre "Le Front National des villes et le Front National des champs" un ouvrage dont le chapitre X relate que M. [G] [M], secrétaire général du Front National et M. [R] [S], membre du conseil régional du [Localité 2] sont homosexuels et qu'ils vivent en couple.

M. [M] et M. [S] ont assigné la société Jacob-Duvernet devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris pour obtenir l'interdiction de la diffusion de cet ouvrage et sa saisie sous le contrôle d'un huissier de justice.

Par ordonnance du 12 décembre 2013 le juge des référés a':

- dit que la publication de l'ouvrage "Le Front National des villes et le Front National des champs" constituait une atteinte à la vie privée de M. [M] et de M. [S],

- dit que la société Editions Jacob-Duvernet ne pourra publier l'ouvrage "Le Front National des villes et le Front National des champs" qu'à la condition que soient supprimés les passages':

- page 119 «'mais la réponse jusqu'à [Localité 1]'»

- pages 120 à 124 «'Car, le Front National d'[Localité 1] jusqu'à caractère de leur liaison'»

- page 124' «'Cependant jusqu'à Front National'»

- page 125 «'Et c'est justement du fait de cette proximité jusqu'à [S]'»,

- dit qu'à défaut la société Editions Jacob-Duvernet encourra une astreinte de 10.000 euros par exemplaire publié, le juge des référés se réservant la liquidation de l'astreinte,

- condamné la société Editions Jacob-Duvernet aux dépens et au paiement de la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Jacob-Duvernet a interjeté appel de cette décision le 13 décembre 2013 et, sur ordonnance rendue en application des articles 917 et 918 du code de procédure civile, elle a assigné M. [M] et M. [S] devant la cour pour l'audience du mercredi 18 décembre 2013 à 16 heures.

Par assignation du 17 décembre 2013 la société Jacob-Duvernet demande':

- de lui donner acte de ce qu'elle se désiste de son appel uniquement à l'encontre M. [Y],

- d'infirmer l'ordonnance de référé rendue le 12 décembre 2013,

- de débouter M. [M] et M. [S] de l'ensemble de leurs demandes,

- de les condamner solidairement à payer la somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Au soutien de son appel, la société Jacob-Duvernet fait valoir en premier lieu que les faits révélés dans "Le Front National des villes et le Front National des champs" quant à l'orientation sexuelle de M. [M] et M. [S] ne portent pas atteinte à leur vie privée dès lors que ces faits avaient déjà été rendus publics notamment sur deux sites internet, qu'en deuxième lieu, l'atteinte à la vie privée de ces deux personnes, à la supposer établie, est pleinement justifiée par la liberté d'expression et par le droit d'information du public et qu'enfin la mesure ordonnée est disproportionnée par rapport à l'atteinte à l'intimité de la vie privée puisque la suppression des passages effectuée par le juge des référés vide de son sens le chapitre X du livre "Le Front National des villes et le Front National des champs"'; enfin l'appelant prétend que la reprise par la presse de la décision du 12 décembre 2013 a donné à l'homosexualité de M. [M] et de M. [S] une publicité importante non imputable à l'ouvrage édité par la société Jacob-Duvernet, ce qui rendrait inutile l'interdiction de la diffusion du livre.

Par conclusions du 18 décembre 2013 M. [M] et M. [S] demandent à titre principal l'interdiction de la diffusion du livre "Le Front National des villes et le Front National des champs" et d'en prononcer la saisie, subsidiairement ils sollicitent la confirmation de la décision du juge des référés, enfin ils réclament l'allocation de la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils exposent que l'auteur du livre a voulu révéler une information qu'il présentait comme confidentielle, ce qui montrerait que les faits publiés sur des sites internet très marqués politiquement n'étaient pas notoires et ne sauraient constituer des révélations préalables à celle faite par "Le Front National des villes et le Front National des champs".

M. [M] et M. [S] ajoutent que la violation de l'intimité de leur vie privée n'est en rien légitime dès lors que les révélations du livre sont discriminantes, péjoratives et dévalorisantes à leur égard et qu'en outre les faits litigieux sont sans aucun lien avec la politique du Front national vis-à-vis des homosexuels.

Au début de l'audience, MM. [S] et [M] ont demandé que les débats se déroulent en chambre du conseil. Cette demande a été rejetée par la cour et mentionnée au dossier.

SUR QUOI LA COUR';

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 9 du code civil que toute personne a droit au respect de l'intimité sa vie privée et peut légitimement attendre que des informations personnelles sur son compte ne soient pas publiées sans son consentement'; que la victime de tels agissements est fondée à obtenir en justice toute mesure conservatoire strictement nécessaire pour empêcher la révélation publique des faits litigieux';

Considérant que le livre "Le Front National des villes et le Front National des champs", que souhaite publier la société Editions Jacob-Duvernet, comporte des passages dont le sujet est l'homosexualité de M. [M] et de M. [S] et leur vie commune au même domicile';

Que ces faits n'ont jamais été portés à la connaissance du public par ces deux personnes dont la discrétion est d'ailleurs soulignée dans le livre'; que l'homosexualité de M. [M] avait certes été évoquée dans un site internet «'la-flamme.fr'» en novembre 2011'; que néanmoins aucun élément n'est produit quant à la réelle audience dans le public de ce site radical qui dénonçait pêle-mêle «'les homos, les francs-maçons et les sionistes'» qui peupleraient l'entourage de Mme [W] [B], présidente du Front national';

Qu'un autre site «'toutsaufsarkosy.com'» avait publié un article en 2011 sur « l'union de messieurs et mesdemoiselles [R] [S] et [G] [M]'» qu'aurait célébré un prétendu rabbin newyorkais avant que la noce ne se rende «'en Israël, pour une grande cérémonie de repentance'»'; que cependant ce texte développe des propos si outranciers qu'il est impossible que ses lecteurs aient pu sérieusement en croire véridiques les imputations ;

Considérant que l'auteur du livre "Le Front National des villes et le Front National des champs" souligne lui-même que l'homosexualité de M. [M] et de M. [S] n'est connue que de la «'sphère politico-médiatique d'[Localité 1]'» et la vie de couple de ces deux personnes reste ignorée de la population'; que l'auteur ajoute que de «'rares sites Internet d'ultra-droite (') s'amusent à se moquer de leur proximité, sans toutefois révéler explicitement l'existence du couple qu'ils forment'» et que de nombreux articles de presse font certes allusion à la proximité entre M. [M] et M. [S], mais «'sans jamais divulguer clairement le caractère de leur liaison'» ;

Considérant dès lors qu'en traitant de l'orientation sexuelle et de la vie de couple de M. [M] et M. [S], faits que ceux-ci n'avaient pas divulgués publiquement l'ouvrage édité par la société Jacob-Duvernet porte gravement atteinte à des aspects les plus intimes de leur vie privée';

Mais considérant que le droit au respect de l'intimité de la vie privée peut se heurter aux droits d'information du public et de la liberté d'expression garantis par l'article 10 de convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et que dans un tel cas il revient au juge de dégager un équilibre entre ces droits antagonistes qui ne sont ni absolus, ni hiérarchisés entre eux, étant d'égale valeur dans une société démocratique ;

Considérant que M. [M] est une personnalité politique de premier plan puisqu'il est secrétaire général du Front national et que, comme le rappelle le livre "Le Front National des villes et le Front National des champs", il sera le candidat de ce parti lors de prochaines élections dans une commune dont le livre rappelle l'importance dans la stratégie de conquête électorale menée par le Front national';

Que l'évocation de l'homosexualité de M. [M] et de la supposée influence de cette orientation sexuelle sur la politique du Front national est de nature à apporter une contribution à un débat d'intérêt général puisque, dans un contexte de fort clivage entre la gauche et la droite parlementaire à l'occasion de l'adoption de la loi relative au mariage des personnes de même sexe, le Front national a montré des signes d'ouverture à l'égard des homosexuels, ce qui a donné lieu à des questionnements publics sur les relations entre la droite nationaliste et les homosexuels, comme le montrent des pièces produites aux débats et relatives par exemple à la sortie en 2012 du livre «'Pourquoi les gays sont passés à droite'» ou des enquêtes dans des organes de presse aussi divers que le quotidien Le Monde en juin 2012 sous le titre «'Le nouveau nationalisme est-il gay'''» que l'hebdomadaire «'Minute'» en janvier 2013 sous le titre «'Question taboue': existe-t-il un lobby gay au FN'''»';

Qu'en conséquence le droit du public à être informé de l'homosexualité de M. [M] prime sur le droit au respect de ce pan de sa vie privée';

Considérant qu'en revanche M. [S] n'est aujourd'hui que conseiller régional [Localité 2] et que sa notoriété ne dépasse pas ce cadre régional'; qu'il ne ressort pas des débats qu'il aurait quelque influence sur la ligne politique du Front national'et que la révélation de son orientation sexuelle serait tellement utile au débat dans une société démocratique qu'elle justifierait que l'intérêt personnel de M. [S] doive s'effacer derrière l'intérêt des lecteurs, fussent-ils aussi des électeurs';

Que de la même manière l'information selon laquelle que M. [M] et M. [S] vivent en couple sous le même toit ne présente pas le moindre intérêt pour le public et qu'ils peuvent légitimement attendre que cette information personnelle ne soit pas divulguée dans le livre avec une précision suffisante pour que le lecteur soit en mesure de localiser leur domicile';

Considérant que les articles consacrés ces derniers jours par les médias à la présente action en justice ne rendent pas inutile une mesure conservatoire dès lors que la publication du livre en l'état aurait un retentissement sans commune mesure avec ces comptes-rendus';

Considérant qu'en définitive, il ressort de l'évaluation du poids respectifs des libertés fondamentales protégées par la convention européenne des droits de l'homme que seule l'évocation de l'homosexualité de M. [M] apparaît justifiée'; qu'en revanche l'homosexualité de M. [S] et la vie de couple de ces deux personnes ne saurait être maintenue dans le livre "Le Front National des villes et le Front National des champs" et qu'il y a lieu d'appliquer la mesure strictement proportionnée à ces atteintes à la vie privée, en ordonnant la suppression de textes faisant expressément état à ces faits, soit un nombre de lignes équivalant à environ deux pages et demi d'un ouvrage qui en comporte 185, et ce sans vider celui-ci de son sens puisque sont conservés tous les développements afférents à ce que l'appelant estime être un «'repositionnement du FN à l'égard de la question homosexuelle'»';

Considérant que l'ordonnance du 12 décembre 2013 sera donc infirmée quand à la détermination des passages du livre devant être supprimés'; que les autres dispositions de la décision du premier juge seront confirmées et que par voie de conséquence M. [M] et M. [S] seront déboutés de leur demande d'interdiction de diffusion et de saisie du livre "Le Front National des villes et le Front National des champs"';

PAR CES MOTIFS

DONNE ACTE à la société Editions Jacob-Duvernet de ce qu'elle se désiste de son appel à l'encontre M. [P] [Y]';

INFIRME les dispositions de l'ordonnance rendue le 12 décembre 2013 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris' qui définissent les passages du livre "Le Front National des villes et le Front National des champs" devant être supprimés';

Statuant à nouveau sur ces points, dit que la société Editions Jacob-Duvernet ne pourra publier l'ouvrage "Le Front National des villes et le Front National des champs" qu'à conditions d'y supprimer les passages suivants, selon la pagination de l'édition imprimée en novembre 2013':

- page 120': de «'Celui qui aspire'» à «'sans que cela se sache véritablement.'»

- page 121': de «'Surtout, savoir que [G] [M]'» à «'en sa faveur dans l'urne'»

- page 121'et 122': de «'Que [G] [M] se rassure'!'» à «'l'existence du couple [M]/[S].'»

- page 122, 123 et 124 : de «'Le couple'[M]/[S] n'est pas seulement là'» à «'clairement le caractère de leur liaison.»

- page 124': «'Cependant, [G] [M]'» à «'au sein de Front national'»

- page 125 ligne 7': «'qu'incarnent'»

- page 125 ligne 8': «'et [R] [S]'»';

CONFIRME les autres dispositions de l'ordonnance de référé';

DÉBOUTE M. [M] et M. [S] de leur demande d'interdiction de diffusion et de saisie du livre "Le Front National des villes et le Front National des champs"';

Y ajoutant, vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile':

CONDAMNE la société Editions Jacob-Duvernet aux dépens';

LAISSE à sa charge ses frais irrépétibles';

LA CONDAMNE à payer à M. [M] et M. [S] la somme de 5.000 euros en remboursement des frais par eux exposés et non compris dans les dépens';

LE GREFFIER,

LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 13/23969
Date de la décision : 19/12/2013

Références :

Cour d'appel de Paris A2, arrêt n°13/23969 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-12-19;13.23969 ?
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