REPUBLIQUE FRANCAISE
Au nom du Peuple français
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 7
ARRET DU 19 Décembre 2013
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/11327 M.T.
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Avril 2010 par le tribunal de grande instance de CRETEIL RG n° 08/71
APPELANTE
SOCIETE TOTAL RAFFINAGE MARKETING, anciennement dénommée SOCIETE TOTAL FRANCE, domiciliée au cabinet de Maître SIZAIRE, avocat
Représentée par Me Christophe SIZAIRE, substitué par Me Cédric JOBELOT avocats au barreau de PARIS, toque : P0154
INTIMES
L'ETAT, représenté par la Direction Générale de l'équipement d'Ile de France domicilié en cette qualité [Adresse 2]
Représentée par Me Stéphane DESFORGES de la SELARL LE SOURD DESFORGES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0131
DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DU VAL DE MARNE - [Adresse 1]
Représenté par M. [B] [F] (Commissaire du Gouvernement) en vertu d'un pouvoir spécial
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 24 Octobre 2013, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Michèle TIMBERT, Conseillère, faisant fonction de Président, désignée, par Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de PARIS,
Madame Maryse LESAULT, Conseillère, désignée par Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de PARIS
Madame Claudine CLERISSE-RATTIER, Juge de l'Expropriation au Tribunal de Grande Instance de PARIS désignée conformément aux dispositions de l'article L. 13-1 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique
Greffier : Madame Chaadia GUICHARD, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
- signé par Madame Maryse LESAULT, Conseillère, et par Madame Chaadia GUICHARD, Greffier.
La société Total Raffinage Marketing dite société Total est propriétaire de parcelles situées, lieudit [Adresse 3], dans la commune de [Localité 3], dans le Val de Marne.
Par décret du 16 avril 1999, prorogé par décret en conseil d'Etat du 14 mars 2006, ont été déclarés d'utilité publique les travaux d'aménagement de la déviation de la RN 19 entre la RN 406 à [Localité 1] sur Marne et l'extrémité sud du diffuseur avec la RD 94 E à [Localité 6], comprenant la déviation du centre ancien de Boissy Saint Léger entre la RD 94 E à [Localité 6] et Boissy Saint Léger, ainsi que l'aménagement d'un transport en commun en site propre entre la RD 94 E à [Localité 6] et Boissy Saint Léger.
Les biens de la société Total étant concernés par une expropriation, l'Etat représenté par la Direction Régionale de l'Equipement d'Ile de France a saisi le juge de l'expropriation de Créteil qui, par jugement du 1avril 2010, a fixé les indemnités dues aux sommes de :
-388 815€ d'indemnité principale,
-39 882€ de remploi,
-2250€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-donné acte à la société Total qu'elle prenait à sa charge les mesures de remise en état des lieux en qualité de dernier exploitant selon l'article 512-17 du code de l'environnement,
-a débouté les parties des autres demandes,
-a laissé les dépens à la charge de l'Etat.
La société Total Raffinage Marketing a formé un appel enregistré au greffe de la cour le 14 juin 2010. Par mémoire enregistré le 3 août 2010 et notifié le 17 août2010 à l'Etat et au commissaire du gouvernement, elle demande :
-l'infirmation du jugement,
-de fixer le montant des indemnités aux sommes de :
.573 500€ d'indemnité principale,
. 58350€ de remploi,
. 855 000€ d'indemnités d'éviction commerciale,
.84 350€ de remploi,
subsidiairement,
-d'inviter la partie la plus diligente à saisir le tribunal administratif de Melun d'une question préjudicielle en appréciation de la légalité du refus de permission de voirie opposée à la demande de la société Total en date du 9 août 2007,
-de surseoir à statuer sur la fixation du montant des indemnités d'éviction commerciale dans l'attente de la décision du tribunal administratif de Melun saisi de la question préjudicielle,
en tout état de cause :
-5000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de laisser les dépens à l'intimé.
L' Etat représenté par la Direction Régionale de l'Equipement de l'Ile de France par conclusions postées le 16 septembre 2010, demande :
-l'infirmation partielle du jugement en fixant l'indemnité principale à la somme de 232 000€ sur la base de 40€ le m², pour le terrain et 500€ le m² pour les constructions, avec un abattement d'encombrement de 5%,
-de fixer le remploi à 24200 €,
-pour le surplus de confirmer le jugement et donc de débouter l'appelant,
-subsidiairement,
-si une indemnité de préjudice commercial est envisagée de prévoir un abattement de 40% sur la valeur foncière,
-pour le surplus et s'il existe une contestation sérieuse de statuer sous forme alternative.
Le commissaire du gouvernement n'a pas déposé de conclusions.
MOTIFS de la DECISION
Sur la recevabilité
Conformément à l'article R13-49 du code de l'expropriation, l'appelant doit à peine de déchéance déposer ou adresser son mémoire et les documents qu'il entend produire au greffe de la chambre dans le délai de deux mois à dater de l'appel.
L'appel a été enregistré le 14 juin 2010, le mémoire récapitulatif de la société total Raffinage Marketing posté le 3 mai 2011, et enregistré le 5 mai 2011, soit plus de deux mois après l'acte d'appel, contenant au surplus des nouvelles pièces 21 à 27 et des nouvelles demandes est irrecevable.
Sur la description
Il s'agit d'une parcelle goudronnée de 3277 m², en périphérie de la commune de [Localité 3] et près de Boissy Saint Léger. Le terrain est à usage de station service avec une piste d'accès et de sortie sur la route nationale 19.
La société Total est propriétaire du terrain et a donné le fonds de commerce de la station service en location gérance.
Il existe une construction comprenant la boutique, une arrière boutique, un bureau, deux réserves, ces dernières étant en état moyen. Sur le devant, il existe les postes de distribution avec les cuves d'entrées et le site dispose d'une station de lavage avec deux postes d'aspiration et enfin, un poste de distribution GPL.
Sur l'urbanisme
Le terrain est situé en zone NDI du Pos du 29 juin 2001, avec une réserve pour l'aménagement de la RN 19. C'est une zone protégée de l'urbanisation mais les biens et activités implantés antérieurement peuvent être maintenus, sous des réserves ainsi que tout ce qui concerne l'implantation des réseaux de distribution. Ce terrain n'est pas à bâtir.
Sur la date de l'évaluation
Conformément à l'article L 13-15 alinéa 1 du code de l'expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance et ne peuvent de ce fait prendre en considération des références et éléments postérieurs.
Le rapport [C] daté de juillet 2010 déposé par l'appelant doit être écarté car il porte sur des estimations faites en juillet 2010, soit postérieurement au jugement, daté d'avril 2010.
Sur la valeur de terrain
Le juge a fixé le prix à 100€ le m², l'expropriée demande 140€ le m² et l'expropriant 40€ le m². En première instance, selon le jugement le commissaire du gouvernement avait proposé 40€ le m².
Il avait été constaté en première instance dans le jugement, la difficulté d'obtenir des mutations récentes sur le secteur pour des surfaces semblables et en même zone. Les références versées portent sur des biens ayant un potentiel de constructibilité supérieur.
Pour l'expropriée, le jugement avait fait mention du rapport de M. [K], son expert, versé au dossier. Il avait justement retenu une valeur d'une vente de mai 2005 à [Localité 4], le long de La RN 19 pour 132€ le m² et rejeté un terme trop éloigné mentionné dans un jugement de [Localité 2] de février 2003 à [Localité 5] le long de la RN 34 pour 370€, noté les références visant des terrains constructibles dans la même commune pour une moyenne de 186€ selon l'expert, et écarté les jugements visant des communes dans le Val de Marne, mais hors la ville de [Localité 3].
L'expropriant ne donne pas de références. Le premier juge avait écarté les termes de comparaison de l'expropriant trop anciens et imprécis. Il avait fait mention d'une donation partage se basant sur 104€ le m² avec toutes les réserves, cet acte n'étant que déclaratif et une transaction de 2004, d'un bien à usage de station service à 83,70€ le m².
Le commissaire du gouvernement selon le jugement avait produit trois ventes de terrain de 2008, d'environ 600 m², proches sur la base de 250 et 235€ le m².Ces termes étant en zone UC avec une possibilité de construire supérieure à celle du terrain, objet du litige.
Cependant, le terrain étant inconstructible et en l'absence d'autres éléments, la cour ne peut que confirmer le jugement sur ce point en ce qu'il a retenu la somme de 100€ le m².
Les parties s'accordent sur un abattement pour occupation de 5%.
Sur les constructions
Le juge a fixé la valeur des constructions à 500€ le m². Le commissaire du gouvernement avait proposé 500€ le m² et l'expropriant demande la confirmation sur ce point. La société Total demande 77500€ pour les constructions, 60 000€ pour les aménagements, soit 137 500 €.
Pour la boutique et les annexes, il a été retenu par le jugement 155 m² du surface dont la décision ne comporte pas la mention de discussion sur ce point.
Le jugement peut être confirmé en ce qui concerne le prix au m² de 500€ pour la station, soit 77500€ pour l'ensemble des constructions, cette somme n'étant pas contestée.
Il est demandé également 30 000€ pour le goudron de la piste, 20 000€ pour l'auvent et la piste bétonnée et 10 000€ pour la station de lavage. La société Total fait état pour l'auvent métallique et la piste bétonnée d'un coût à neuf estimé à 50 000 € et d'un coût actuel à 10 000€ pour l'aire de lavage de 2005. Elle ne verse pas de devis.
Le document, pièce 20, intitulé 'existants d'immobilisation', ayant une date d'analyse de décembre 2009, permet de constater que la piste de lavage a fait l'objet de travaux non amortis et qu'il y a eu des frais d'entretien du parking.
Les autres postes demandés, bien qu'amortis ont cependant une certaine valeur. La cour a les éléments pour allouer la somme forfaitaire de 40 000€.
Eviction commerciale
La société Total demande la somme de 855 000 €, conteste le jugement ayant rejeté les demandes au motif qu'au jour de l'ordonnance d'expropriation du 6 décembre 2007, si elle bénéficiait d'une tolérance, elle n'avait plus d'autorisation de voirie accordée par le préfet.
Elle soutient que la décision du préfet est illégale, non motivée, non fondée en droit, ne s'explique que par l'expropriation au profit de l'Etat et afin de la priver de toute indemnisation et porte atteinte au droit juridiquement protégé de sa qualité d'expropriée.
L'Etat soutient que les demandes doivent être rejetées, la permission de voirie étant expirée lors de l'ordonnance d'expropriation.
Le juge de l'expropriation ne peut se prononcer ni sur la légalité, ni sur l'opportunité des actes administratifs sur lesquels il doit statuer.
La décision du préfet du 20 mars 1997 (avant l'expropriation) d'autorisation de voirie était précaire, révocable et ne conférait aucun droit réel. Les autorisations ont été renouvelées en 2005 et 2006 pour une durée d'un an, elles ne l'ont plus été par la suite du fait de l'imminence de la réalisation des travaux.
Il appartient à l'expropriée de caractériser le dol. L'autorisation donnée était initialement précaire et révocable et le fait de prendre la décision de non poursuite de l'autorisation donnée ne constitue pas en soi une manoeuvre dolosive, elle ne présente pas un caractère anormal par rapport à la procédure d'expropriation, elle était envisagée depuis 1997.
En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que le dol allégué n'était pas suffisamment caractérisé.
Le juge de l'expropriation qui n'a pas à inviter les parties à saisir le tribunal administratif, ni à surseoir à statuer, peut conformément à l'article L 13- 8 du code de l'expropriation éventuellement, statuer par alternative. Cependant, lors du dépôt du mémoire, en août 2010, la société Total n'avait pas saisi le tribunal administratif de la décision de non reconduction de l'autorisation de voirie et ne l'avait pas fait lors de l'audience devant la cour d'appel.
La société Total a formé un recours devant la juridiction administrative contre l'arrêté de cessibilité mais cet acte n'a pas d'effet sur le montant de l'indemnisation et il n'y a pas lieu de surseoir à statuer.
Le 6 décembre 2007 au jour de l'ordonnance d'expropriation, la société Total ne bénéficiait que d'une tolérance. En conséquence le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que la société qui ne pouvait se prévaloir d'une autorisation de voirie ne justifiait pas d'un droit juridiquement protégé au jour de l'expropriation causé directement par celle ci et cela sans qu'il y ait lieu d'inviter les parties à saisir le tribunal administratif.
Indemnités
terrain
3277 m² x 100 € x 0,95 = 311 315€
Constructions = 77500 €
Annexes = 40 000€
soit 428 815€
Remploi
20% sur 5000€ 1000€
15% entre 5000 et 15000€ 1500€
10% sur le surplus 41381€
43 881€
soit une somme de : 472 696€
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il y a lieu de fixer l'indemnité supplémentaire due à la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement,
Déclare irrecevables le mémoire de la société Total Raffinage Marketing du 5 mai 2011 et les pièces jointes 21 à 27,
Confirme le jugement sauf en ce qui concerne le montant des indemnités dues,
Statuant à nouveau sur ces points,
Fixe l'indemnité totale due par l'Etat-Direction régionale de l'Equipement d'Ile de France à la société Total Raffinage Marketing aux sommes de :
.428 815 € d'indemnité de dépossession,
.43 881 € de remploi,
Y ajoutant,
Fixe l'indemnité supplémentaire due par l'Etat-Direction régionale de l'Equipement d'Ile de France à la société Total Raffinage Marketing à la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les autres demandes,
Laisse à l'Etat-Direction Régionale de l'Equipement d'Ile de France la charge des dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT