La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/11/2013 | FRANCE | N°12/01134

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 27 novembre 2013, 12/01134


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 27 Novembre 2013



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/01134



Décision déférée à la cour : ARRÊT APRES CASSATION : Arrêt du 11 janvier 2012 rendu par la Cour de Cassation à l'encontre d'un arrêt rendu par le pôle 6 chambre 8 de la cour d'Appel de PARIS le 17 septembre 2009 suite au jugement rendu le 26 octobre 2004 par le conseil de Prud'hommes de PARIS - se

ction activités diverses - RG n° 04/04398



APPELANTE

Madame [D] [M]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Roland ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 27 Novembre 2013

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/01134

Décision déférée à la cour : ARRÊT APRES CASSATION : Arrêt du 11 janvier 2012 rendu par la Cour de Cassation à l'encontre d'un arrêt rendu par le pôle 6 chambre 8 de la cour d'Appel de PARIS le 17 septembre 2009 suite au jugement rendu le 26 octobre 2004 par le conseil de Prud'hommes de PARIS - section activités diverses - RG n° 04/04398

APPELANTE

Madame [D] [M]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Roland LIENHARDT, avocat au barreau de PARIS, E0974

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2013/025743 du 20/08/2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

INTIMÉ

Monsieur [C] [N]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Véronica de SOETE, avocate au barreau de PARIS, R193

PARTIE INTERVENANTE

CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCE MALADIE D'ILE DE FRANCE (CRAMIF)

[Adresse 2]

[Localité 1]

régulièrement avisée, non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 octobre 2013, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Christine ROSTAND, présidente

Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller

Monsieur Jacques BOUDY, conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Saisi le 29 mars 2004 d'une demande de requalification de contrats à durée déterminée en un contrat indéterminée dirigée contre M. [C] [N], le conseil de prud'hommes de Paris, par jugement du 26 octobre 2004, a débouté Mme [D] [M] de toutes ses demandes.

Mme [M] a interjeté appel de ce jugement et, par arrêt du 3 janvier 2006, la cour d'appel de Paris, autrement composée, reconnaissant la qualité d'employeur de M. [N] et accueillant la demande de dommages-intérêts de la salariée en réparation du préjudice subi du fait des manquements de l'employeur à ses obligations contractuelles, a partiellement infirmé le jugement.

M. [N] s'est pourvu en cassation et, par arrêt du 3 octobre 2007, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Paris dans toutes ses dispositions.

Saisie par Mme [M], la cour d'appel de renvoi autrement composée, par arrêt du 17 septembre 2009, a reconnu son statut de salariée dans le cadre d'un contrat de travail à temps partiel, requalifié les relations contractuelles en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 novembre 1997, à temps partiel, condamné M. [N] à lui verser des rappels de salaire et indemnités de rupture et l'a déboutée de ses autres demandes.

M. [N] s'est pourvu en cassation et Mme [M] a formé un pourvoi incident. Par arrêt du 11 janvier 2012, la Cour de cassation, rejetant le pourvoi de M. [N], a considéré que la qualité de salariée de Mme [M] ne pouvait plus être discutée mais a partiellement infirmé l'arrêt déféré en ce qu'il a rejeté la demande de rappel de salaire sur la base d'un travail à temps complet, calculé les indemnités dues à la salariée sur la base d'un contrat de travail à temps partiel et débouté celle-ci de sa demande en dommages-intérêts pour défaut de respect de l'obligation de sécurité.

La cour autrement composée, désignée comme cour de renvoi, a été saisie par Mme [M] dans le délai de quatre mois prévu par l'article 1034 du code de procédure civile.

A l'audience du 2 octobre 2013, Mme [M], développant oralement ses conclusions visées par le greffier, demande à la cour de dire irrecevables les conclusions et pièces de M. [N], de dire irrecevable en tout état de cause la demande de qualification de la prise d'acte de rupture en démission formée par M. [N], d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes encore en débat et de condamner M. [C] [N], sur la base d'un contrat de travail à temps plein, à lui verser les sommes suivantes :

- 227 494,20 € à titre de rappels de salaire pour la période du 1er avril 1999 au 25 mars 2004 ainsi qu'à lui remettre les fiches de paie rectificatives correspondantes

- 8 129,60 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 812,96 € de congés payés afférents

- 2 577,08 € à titre d'indemnité légale de licenciement

- 4 064,80 € à titre d'indemnité de requalification

- 330 277,04 € à titre d'indemnité pour licenciement abusif

- 1 000 € pour non délivrance de l'attestation d'emploi pour Pôle Emploi

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2004, date de la saisine du conseil de prud'hommes,

d'assortir les condamnations au titre du rappel de salaire et indemnités, de la remise des bulletins de paie, de l'attestation d'emploi et de l'attestation pour Pôle Emploi à une astreinte de 300 € par jour de retard, commençant à courir 15 jours après le prononcé de l'arrêt à intervenir,

de condamner M. [C] [N] à lui verser la somme de 100 000 € en réparation du préjudice moral résultant du non respect par celui-ci de son obligation de sécurité de résultat ainsi que la somme de 20 000 € au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. [C] [N], reprenant oralement ses conclusions visées par le greffier, demande à la cour de dire que la rupture du contrat de travail doit s'analyser en une démission, de débouter Mme [M] de toutes ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS

Sur la recevabilité des conclusions de M. [N]

Sur le fondement de l'article 59 du code de procédure civile, Mme [M] conclut à l'irrecevabilité des conclusions écrites de M. [N] au motif qu'elles n'indiquent pas son domicile. Elle fait valoir qu'il ne demeure plus à l'adresse indiquée dans la procédure, soit à [Localité 2].

Mme [M] se fonde sur le courrier que lui a adressé un huissier de justice le 5 octobre 2009 pour soutenir que M. [N] n'a plus d'adresse connue. Ce courrier très ancien ne permet pas d'établir que ce dernier dissimule son adresse, alors qu'il est représenté à l'audience et que toutes les conditions d'un débat contradictoire sont réunies.

Les conclusions de M. [N], présentées à la cour dans le cadre de l' oralité des débats, sont donc recevables.

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Il résulte des dispositions de l' article 638 du code de procédure civile que sur renvoi après cassation « l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation ».

La cour de cassation ayant rejeté le pourvoi principal de l'employeur qui faisait grief à l'arrêt du 17 septembre 2009 d'avoir considéré que Mme [M] était salariée et d'avoir requalifié les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, M. [N] ne peut plus soutenir que la rupture du contrat de travail s'analyse en une démission alors que la cour dans son arrêt du 17 septembre 2009, a dit que la rupture résultant de la cessation du travail donné à la salariée à compter du 3 septembre 2003 s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Cette demande est irrecevable.

Sur la demande de requalification en contrat à durée indéterminée à temps plein

Mme [D] [M], artiste chorégraphe, s'est produite dans le cadre des spectacles d'illusions de M. [N], dit [W] ,de septembre 1997 à août 2003

Mme [M] demande que le contrat de travail à durée indéterminée conclu le 3 septembre 1997 soit, dès l'origine, considéré comme ayant été conclu à temps plein. Elle fait valoir que le contrat du 21 novembre 1997 mentionne une rémunération mensuelle pour 22 jours de travail, soit 171,60 h, durée supérieure à la durée légale de travail de 169 h par mois à cette époque, que M. [N] ne justifiant avoir respecté ni les dispositions de l'article L.3123-14 du code du travail (ancien L. 212-4-2) ni celles de l'article L.3123-2 alinéa 3 du code du travail qui imposent d'informer l'inspection du travail en cas de mise en place d'un horaire de travail à temps partiel, le contrat est présumé avoir été conclu à temps complet.

Elle ajoute qu'en faisant alterner les périodes d'emploi et de non emploi, M. [N] a considéré qu'elle était salariée intermittente mais n'a pas respecté les dispositions de l'article L. 3123-31 du code du travail qui subordonnent la validité du contrat intermittent à la conclusion d'un accord collectif de travail étendu, d'un accord d'entreprise ou d'un accord d'établissement ainsi qu'au respect des dispositions de l'article L. 3123-31 du code du travail et qu'en conséquence, le contrat de travail est présumé conclu à temps complet.

M. [N] soutient que le contrat de travail jugé comme existant entre les parties ne peut relever que d'un temps partiel. Il expose que, comme lui-même, Mme [M] avait le statut d' intermittent du spectacle et était engagée par de nombreuses sociétés organisatrices de spectacle, que s'il signait les contrats qui le liait ainsi que les artistes participant à ses tours de magie aux cirques et autres sociétés de spectacle produisant les représentations dans lesquelles ils intervenaient, ces artistes ainsi que lui-même étaient rémunérés par les producteurs et par les Assedic les jours non travaillés.

Il soutient que de 1997 à 2003, Mme [M] a eu plusieurs employeurs successifs et distincts de ceux qui l'ont employé lui-même ; qu'ainsi, de février à septembre 1998, elle n'a pas travaillé avec lui ; que la durée de son travail était fixée et déterminée par la durée des numéros dans lesquels elle acceptait de se produire.

Il produit à l'appui de ses affirmations, la liste qu'il a dressée de toutes les représentations auxquelles Mme [M] a participé à ses côtés, le relevé de la caisse des congés spectacles de cette dernière sur lequel figurent les employeurs successifs de cette dernière ainsi que plusieurs attestations d'artistes du cirque ou producteurs de spectacles qui déclarent que Mme [M] n'a travaillé avec [W] (nom d'artiste de M. [N]) que par intermittence en poursuivant une carrière parallèle de façon autonome.

Constitue un travail à temps partiel le travail dont la durée est inférieure à la durée légale. Aux termes de l'article L.3123-14 du code du travail, le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit qui mentionne notamment la qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois. A défaut d'écrit prévoyant un emploi à temps partiel, le contrat de travail est présumé à temps complet sauf preuve contraire que l'employeur peut rapporter par tous moyens.Il résulte du relevé des activités de Mme [M] fourni par la caisse des congés spectacles, des bulletins de salaire de M. [N] et des bulletins de salaire de Mme [M] que sur la période de 1997 à 2003, Mme [M] a travaillé avec M. [N] aux périodes suivantes :

de novembre 1997 à fin février 1998

du 6 au 23 décembre 1998

le 13 février 1999

le 26 février 1999

le 26 mars 1999

le 24 avril 1999

du 3 mai au 28 mai 1999

du 1 er septembre 1999 au 30 septembre 1999

du 1er octobre 1999 au 30 octobre 1999

du 27 novembre 1999 au 19 décembre 1999

8 jours en septembre 2001

du 27 octobre au 4 novembre 2001 en Chine

10 jours en décembre 2001

du 14 juillet au 3 septembre 2003 à Copenhague

En revanche, le relevé de la caisse des congés spectacles ne mentionne aucun versement au bénéfice de Mme [M] en 2000 et 2002 et les attestations que M. [N] produit aux débats établissent d'une part, que celle-ci est restée travailler pour le cirque Medrano (productions Arena) de février 1998 à la fin de l'année alors que M. [N] en était parti en février et d'autre part, qu'elle ne faisait pas partie de la troupe en 2002.

M. [N] démontre ainsi que Mme [M] n'a pas été employée à temps complet sur la période revendiquée et rapporte la preuve qu'elle n'est pas restée à la disposition de l'employeur quand elle ne participait pas à ses tournées, le relevé de la caisse des congés spectacles révélant qu'elle a travaillé au cours de la même période pour le compte d'autres entreprises de spectacles et lui-même établissant par les attestations produites aux débats qu'il réalisait ses numéros d'illusionniste avec d'autres artistes.

Son emploi n'étant pas permenent, Mme [M] ne remplissait pas non plus les conditions exigées par l'article L3123-31 du travail pour conclure un contrat de travail intermittent.

Elle sera en conséquence déboutée de sa demande de rappel de salaire sur la base d'un travail à temps complet.

Elle justifie cependant par deux documents manuscrits émanant de M. [N] que celui-ci reste lui devoir les sommes suivantes :

- 420 € au titre de trois spectacles les 28,29 et 30 septembre 2001

- 76,20 € au titre d'un spectacle à [Localité 3] le 13 septembre 2001

- 1 295,82 € correspondant au montant qui devait être versé pour le spectacle en Chine à l'automne 2001

- 1 860 € restant dus pour le spectacle de Tivoli

soit la somme totale de 3 652,02 € et l'indemnité de congés payés correspondante, avec intérêt au taux légal à compter du 1er avril 2004.

Le salaire mensuel de base à retenir étant celui versé en dernier lieu pour le spectacle à Tivoli au Danemark, soit la somme de 1527 €, M. [N] doit également payer l'indemnité de requalification égale à un mois de salaire ainsi que les indemnités consécutives à la rupture intervenue le 3 septembre 2003 qui entraîne les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme [M] est ainsi fondée à solliciter une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire, soit 3 054 € et l'indemnité de congés payés correspondante

Elle a droit à l'indemnité légale de licenciement qui, compte tenu de son ancienneté de six années, s'élève à 916,20 €.

Aux termes de l'article L.1235-5 du code du travail ne sont pas applicables au licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés les dispositions relatives à l'absence de cause réelle et sérieuse prévues à l'article L.1235-3 du même code selon lequel il est octroyé au salarié qui n'est pas réintégré une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, et, en cas de licenciement abusif, le salarié peut prétendre à une indemnité correspondant au préjudice subi.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [M], de son âge, de son ancienneté de 6 années, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-5 du code du travail, une somme de 9 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif.

Mme [M] demande des dommages-intérêts pour le préjudice qu'elle a subi du fait que M. [N] ne lui a pas remis l'attestation Assedic comme l'avait ordonné la cour d'appel. Il sera fait droit à sa demande qui est bien fondée, à hauteur de 500 €.

M. [N] devra remettre à Mme [M] un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation pour Pôle Emploi sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document, passé un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt et pendant deux mois.

La demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité

Le 30 août 2003, à Copenhague, au parc de Tivoli, un accident s'est produit lors de la réalisation du numéro pyrotechnique de magie auquel participait Mme [M] pour le compte de M. [N]. Celle-ci se tenait dissimulée dans une table à double fond surmontée d'une pyramide équipée d'un système pyrotechnique qui, embrasé par le magicien, est resté enflammé plus longtemps que prévu. Mme [M] n'a subi aucune brûlure, mais, selon elle, un traumatisme à la base d'un état dépressif ultérieur, nécessitant un arrêt de travail jusqu'au 28 février 2004.

Elle a plus de deux ans après les faits porté plainte contre X avec constitution de partie civile des chefs d'infraction à l'hygiène et à la sécurité, travail dissimulé, usage de faux devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris, lequel a rendu le 30 juillet 2008 une ordonnance de non lieu dont Mme [M] a fait appel. La chambre de l'instruction, par arrêt du 31 octobre 2008, a confirmé cette ordonnance en relevant qu'il n'était pas établi de défaillance technique imputable à un défaut d'entretien, que la documentation technique relative au matériel utilisé ne mentionnait aucune mesure d'entretien particulière et que les investigations entreprises n'ont pu mettre en évidence une quelconque infraction à l'hygiène ou à la sécurité.

Mme [M] soutient que M. [N] qui devait observer les dispositions des articles L.4121-1 et suivants du code du travail, n'a jamais mis en place une quelconque action de prévention, d'information ou de formation sur les risques concernant son emploi, n'a jamais pris aucune précaution pour assurer sa sécurité, n'a pas identifié les risques professionnels liés à ses tours de magie, n'a jamais élaboré le document unique obligatoire en matière de sécurité prévu par le décret du 5 novembre 2001et n'a pas respecté en particulier les dispositions du décret du 28 septembre 1979 sur la protection des travailleurs contre les risques particuliers auxquels ils sont soumis dans les étabissements ou partie d'établissements pyrotechniques.

M. [N] prétend que le matériel utilisé pour réaliser son tour de magie a été conçu par l'un des concepteurs les plus connus de la profession, la société Magic Ventures et ne nécessite aucun entretien particulier, qu'à chaque fois que le tour est réalisé, le mécanisme de mise à feu est renouvelé et la fixation à la bonbonne de gaz propane nécessaire à l'inflamation est effectuée. Il ajoute que le matériel est toujours vérifié par la commission de sécurité locale autorisant au vu de l'inspection réalisée que le numéro de pyrotechnie ait lieu ou non. Il fait remarquer en outre que Mme [M] n' a pas été brûlée et qu'elle a à nouveau participé au numéro les jours suivants l'incident.

Pour appuyer ses affirmations, M. [N] verse notamment aux débats l'attestation de M. [V], artiste qui présentait son numéro après lui à Tivoli, qui confirme que le matériel était sans danger et très sûr et que les assistantes ne couraient aucun risque si elles restaient dans leur compartiment et celle de Mme [J] qui déclare avoir participé en tant qu'assistante de M. [N] à l'illusion de la pyramide enflammée et affirme qu'il n'y a aucun risque pour l'assistante dans la mesure où celle-ci reste à sa place car le feu ne peut l'atteindre à l'intérieur de la table à double fond.

Il s'appuie aussi sur la déclaration faite dans le cadre de la procédure pénale par Mme [U] qui a souvent travaillé avec lui comme assistante et affirme que l'anneau qui était enflammé au dessus du double fond s'éteignait très vite et qu'elle n'avait pas le temps de ressentir la chaleur du feu.

Mme [U] dans cette même déclaration admet cependant avoir été légèrement brûlée lors de l'exécution du numéro de la pyramide, l'anneau étant resté enflammé quelques secondes de plus que d'habitude, une étincelle était tombée sur son sein gauche par le trou aménagé dans la trappe du double fond qui permettait à l'assistante de sortir à la vue du public après l'embrasement de l'anneau. Elle précise que M. [N] ne lui a pas fait part d'éventuels risques liés à l'utilisation du gaz et du feu et ajoute qu'à proximité de la pyramide, il y avait toujours un seau d'eau et une serviette pour parer à un éventuel problème mais qu'elle ne savait pas qui devait intervenir si l'anneau restait embrasé trop longtemps.

Cette déclaration doit être appréciée au regard du courrier manuscrit que Mme [M] verse à son dossier, dans lequel Mme [U] lui écrit « je crois tout ce que tu m'as raconté concernant l'accident du Danemark mais je n'étais pas là » et exprime son souhait de se protéger elle-même dans le litige, position confirmée par l'entourage de l'appelante qui précise que Mme [U] n'excluait pas l'éventualité de retravailler avec M. [N].

Il ressort par ailleurs de l'attestation de Mme [B] [Y] figurant au dossier de Mme [M], que cette artiste qui exécutait en janvier 2001 le numéro de la pyramide en qualité d'assistante de M. [N] a connu une expérience semblable. Elle relate que l'embrasement de l'anneau avait duré plus longtemps que prévu, la batterie permettant de suspendre l'arrivée du gaz et d'éteindre le feu n'ayant pas fonctionné, qu'alors « la panique s'était installée à l'intérieur et l'extérieur de l'illusion »,qu'elle n'avait aucun moyen de sortir à part la trappe en feu et qu'il avait fallu quelques minutes pour que grâce à une intervention de l'exérieur, elle puisse le faire et que par la suite, elle n'avait plus voulu travailler avec l'intimé.

Le récit de l'incident du 30 août 2003 que fait M. [H] qui, assistant au spectacle dans le parc de Tivoli ce soir-là, le décrit ainsi : « Le matériel de magie s'est violemment enflammé.. . Deux spectateurs du premier rang ont bondi sur la scène pour porter secours aux artistes dans la table enflammée. Il y a eu une grande panique », confirme le danger auquel était exposé Mme [M].

L'employeur étant tenu d'une obligation générale de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés dans l'entreprise doit prendre les mesures nécessaires pour en assurer l'effectivité et il appartient à M. [N] de démontrer que la survenance de l' accident est étrangère à tout manquement à cette obligation.

Au regard des éléments retenus ci-dessus, il est établi que le numéro d'illusion pyrotechnique présentait un danger et exposait les assistantes de l'intimé, en particulier Mme [M], à un risque. M. [N], qui ne démontre pas avoir évalué les risques professionnels que présentait son tour de magie pyrotechnique, avoir mis en 'uvre un dispositif pour les prévenir, avoir informé Mme [M] de ces risques et lui avoir dispensé une formation lui permettant d'adapter son comportement en cas d'incident, a manqué à son obligation de sécurité de résultat.

Ces manquements présentent un lien direct avec les faits du 30 août 2003 puisque que Mme [M], si elle n'a pas subi de brûlure, a souffert à la suite de l'accident de troubles psychologiques à caractère post traumatique établis par les nombreux documents médicaux figurant à son dossier qui ont entraîné un trouble avéré et durable affectant sa situation familiale et professionnelle et donc un préjudice moral important.

Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral résultant du manquement de l'employeur à ses obligations. M.[N] sera condamné aux dépens et versera à Me Roland Lienhardt, avocat, la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

REJETTE le moyen d'irrecevabilité tiré des conclusions de l'intimé,

DÉCLARE irrecevable la demande de qualification de la rupture du contrat de travail en une démission,

INFIRME partiellement le jugement,

CONDAMNE M. [C] [N] à verser à Mme [D] [M] les sommes suivantes :

- 3 652,02 € à titre de rappel de salaire

- 365,20 € au titre de l'indemnité de congés payés correspondante,

- 3 054 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 305,40 € au titre de l'indemnité de congés payés correspondante

- 916,20 € à titre d'indemnité légale de licenciement

avec intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2004

- 1527 € à titre d'indemnité de requalification

- 9 000 € à titre d'indemnité pour licenciement abusif

- 500 € au titre de la non remise des documents sociaux

- 30 000 € au titre du préjudice moral résultant du non respect de l'obligation de sécurité de résultat

CONDAMNE M. [C] [N] à remettre à Mme [D] [M] un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document, passé un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt et pendant deux mois,

DÉBOUTE Mme [D] [M] de ses autres demandes,

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [C] [N] à verser à Me Roland Lienhardt, avocat, la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir l'indemnité prévue par l'Etat,

CONDAMNE M. [C] [N] aux entiers dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 12/01134
Date de la décision : 27/11/2013

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°12/01134 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-11-27;12.01134 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award