La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/11/2013 | FRANCE | N°11/00539

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 07 novembre 2013, 11/00539


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2



ARRÊT DU 07 Novembre 2013



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/00539



Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 07 Janvier 2011 par le Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY - RG n° 10/00961





APPELANTE

Madame [Y] [E]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparante en personne et assistée de Me Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS, avo

cat au barreau de PARIS, toque : E1485



INTIMEE

SA SERVAIR

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Eric SEGOND, avocat au barreau de PARIS, toque : P0172



PARTI...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2

ARRÊT DU 07 Novembre 2013

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/00539

Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 07 Janvier 2011 par le Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY - RG n° 10/00961

APPELANTE

Madame [Y] [E]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparante en personne et assistée de Me Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1485

INTIMEE

SA SERVAIR

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Eric SEGOND, avocat au barreau de PARIS, toque : P0172

PARTIE INTERVENANTE

UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE L'AEROPORT DE [1]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1485

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 octobre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Nicolas BONNAL, Président

Madame Martine CANTAT, Conseiller

Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Nicolas BONNAL, Président et par Madame FOULON, Greffier .

Statuant sur l'appel formé par [Y] [E] à l'encontre d'une ordonnance rendue le 7 janvier 2011 par la formation de référé du conseil de prud'hommes de BOBIGNY qui, saisi par celle-ci d'une demande de réintégration sous astreinte au sein de la société SERVAIR et de nullité du licenciement décidé en lien avec l'exercice du droit de grève, ainsi que de différentes demandes indemnitaires découlant de la nullité du licenciement, a dit n'y avoir lieu à référé';

Vu les conclusions transmises à la cour et développées oralement à l'audience du 3 octobre 2013, auxquelles on se référera pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelante et de l'UNION LOCALE CGT DES SYNDICATS CGT DE LA ZONE AÉROPORTUAIRE [1], intervenue volontairement à ses côtés, tant devant le conseil de prud'hommes que devant la cour, qui soutiennent la recevabilité de l'appel et, faisant valoir que le licenciement d'[Y] [E] par la société SERVAIR du 23 août 2010, ainsi que deux sanctions disciplinaires prononcées précédemment contre elle les

6 juillet 2009 et 19 janvier 2010, constituent des discriminations opérées en raison de l'exercice normal du droit de grève, demandent à la cour d'infirmer l'ordonnance déférée et de':

- ordonner la poursuite du contrat de travail d'[Y] [E] et sa réintégration dans son emploi d'employée laverie dans l'établissement SERVAIR'2 sous astreinte de 1'000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société SERVAIR à payer à [Y] [E] une indemnité provisionnelle au titre des salaires interrompus depuis le 23 août 2010 à raison de 1'816 euros par mois jusqu'au jour de sa réintégration,

- ordonner la remise de feuilles de paye conformes depuis le mois de septembre 2010, sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

- condamner la société SERVAIR à payer à [Y] [E] une indemnité provisionnelle de 5'000 euros à valoir sur les dommages et intérêts réparant le préjudice causé par la discrimination subie en raison de son activité syndicale et de l'exercice du droit de grève,

- ordonner la suspension des sanctions prononcées les 6 juillet 2009 et 19 janvier 2010,

- condamner la société SERVAIR au paiement d'une provision à valoir sur la restitution des salaires des deux journées retenues, soit 94,49 euros,

- condamner la société SERVAIR au paiement à l'union locale CGT d'une indemnité provisionnelle de 10'000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession qu'elle représente,

- condamner la société SERVAIR au paiement à chacune des concluantes d'une somme de 1'500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';

Vu les conclusions transmises à la cour et développées oralement à l'audience du 3 octobre 2013, auxquelles on se référera pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de l'intimée, par lesquelles la société SERVAIR, faisant valoir que la déclaration d'appel n'est pas signée et, subsidiairement, soutenant que les demandes excèdent les pouvoirs de la formation des référés, qu'il n'est justifié par l'appelante que de sa participation à des mouvements de grève du mois de mars 2010, que les sanctions disciplinaires et le licenciement étaient justifiés et n'étaient en rien discriminatoires et que l'intervention volontaire de l'union locale CGT est affectée d'une irrégularité de fond, demande à la cour de ':

- déclarer l'appel irrecevable,

subsidiairement, de':

- confirmer l'ordonnance du 7 janvier 2011,

- dire irrecevable l'intervention volontaire de l'union locale CGT et en toute hypothèse rejeter toutes ses demandes,

- condamner [Y] [E] au paiement de la somme de 1'850 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';

SUR CE, LA COUR :

Sur la procédure

Sur la recevabilité de l'appel

Ainsi que le fait exactement observer la société SERVAIR, la déclaration d'appel saisissant la cour, reçue au greffe le 19 janvier 2011, n'est pas signée.

Le défaut de signature d'une déclaration d'appel constitue une nullité pour vice de forme, au sens des articles 112 et suivants du code de procédure civile. Ainsi qu'en dispose l'article 114 de ce code, «'la nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public'».

Au cas présent, la société SERVAIR, qui invoque la nullité, fait valoir qu'elle lui fait grief en ce qu'elle est obligée d'assurer sa défense dans le cadre d'un appel entaché d'irrégularité et en ce qu'elle est dans l'impossibilité de connaître l'auteur de la déclaration d'appel.

Le premier motif, inhérent au défaut de signature et qui peut donc être systématiquement allégué quelles que soient les circonstances de l'espèce, ne peut caractériser un grief au sens de l'article 114 susvisé.

Sur le second grief allégué, il résulte de l'examen de la déclaration que son auteur est précisément identifié, dès lors que son nom, son prénom, son adresse personnelle, sa date et son lieu de naissance, et sa profession, soit son état civil complet, y sont mentionnés, son nom et son prénom étant en outre rappelés au pied de la lettre, à l'endroit où figure normalement la signature. Le seul fait qu'il soit encore indiqué sur la déclaration qu'elle a été établie à [1], qui n'était plus le lieu de travail de l'appelante, et n'est pas davantage la commune de son domicile, ne suffit pas à introduire un doute sur l'identité de l'auteur de cette déclaration.

L'intimée ne pouvait en conséquence avoir aucun doute sur cette identité, de sorte que ce second grief n'est pas caractérisé.

La nullité de la déclaration d'appel ne peut donc être prononcée. L'appel sera déclaré recevable.

Sur la régularité et la recevabilité de l'intervention volontaire de l'UNION LOCALE CGT DES SYNDICATS CGT DE LA ZONE AÉROPORTUAIRE DE [1]

La société SERVAIR soutient que l'intervention volontaire de cette union locale est entachée d'une irrégularité de fond, au sens de l'article 117 du code de procédure civile, en ce sens que [B] [H] qui la représente n'aurait pas régulièrement reçu pouvoir à cette fin.

L'UNION LOCALE CGT DES SYNDICATS CGT DE LA ZONE AÉROPORTUAIRE [1] produit cependant ses statuts, qui stipulent (article 15) que son secrétaire général dispose d'un mandat afin d'agir et de la représenter en justice et qu'il peut déléguer ce mandat à tout autre membre de la commission exécutive.

Il est régulièrement produit aux débats (pièce n° 27 de l'appelante et de l'union locale) une délibération de la commission exécutive, signée de son secrétaire général, qui décide du principe de l'intervention de l'union locale au côté d'[Y] [E], «'dans son action à l'encontre de la société SERVAIR, en demande d'annulation de son licenciement, consécutif à son activité syndicale et de participation à des mouvements de grève à l'appel du syndicat'», et mandate «'[B] [H], membre de la commission exécutive, pour la représenter dans cette instance'».

C'est en vain que la société SERVAIR fait grief à ce document de n'être signé que par le secrétaire général de l'union locale, alors qu'il résulte des statuts que c'est à celui-ci seul qu'appartenait tant la décision d'engager une action que le choix éventuel de la personne qu'il mandatait pour le représenter, étant observé en tant que de besoin qu'aucune irrégularité ne peut naître de ce que la commission exécutive a pris elle-même une décision que le secrétaire général pouvait prendre de son propre chef. C'est en vain également qu'elle soutient que [B] [H] ne serait pas membre de la commission exécutive, sur la seule base d'une délibération de la dite commission du 7 décembre 2007, et d'une attestation de la mairie de [Localité 4] du 17 juillet 2008 qui en accuse réception, délibération qui n'énumère pas les membres de la dite commission, ainsi qu'il est soutenu à tort, mais seulement les cinq membres choisis par celle-ci pour composer son bureau, de sorte qu'il est sans incidence sur la qualité de membre de la commission exécutive de [B] [H] qu'il ne soit pas membre du bureau de celle-ci.

L'UNION LOCALE CGT DES SYNDICATS CGT DE LA ZONE AÉROPORTUAIRE [1] est donc régulièrement représentée devant la cour.

Son intervention volontaire qui, fondée sur les dispositions de l'article L'2132-3 du code du travail, aux côtés d'une salariée qui allègue des faits de discrimination syndicale, se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant, au sens de l'article 325 du code de procédure civile, sera en conséquence déclarée recevable.

Sur le mérite de l'appel

Sur les faits constants

Il résulte des débats et des pièces produites que ne sont pas contestés les faits suivants':

- [Y] [E] (née [J], selon les pièces produites) a été employée par la société SERVAIR, d'abord dans le cadre de contrats à durée déterminée, à partir du 4 septembre 1996, puis d'un contrat à durée indéterminée à compter du 23 septembre 1997, en qualité d'employée laverie au sein de l'établissement dit SERVAIR'2,

- le 6 juillet 2009, [Y] [E] a fait l'objet d'un rappel à l'ordre écrit, par lequel il lui était reproché deux absences injustifiées, le 30 mai 2009, sans avoir justifié de l'excuse alléguée, à savoir la maladie de son enfant, et le 17 juin 2009, en raison d'une panne de voiture, justification non admise par le règlement intérieur,

- le 19 janvier 2010, [Y] [E] a fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire de deux jours, pour avoir, le 21 novembre 2010, manqué à ses «'obligations contractuelles'», en discutant avec ses collègues, et «'aux règles élémentaires de sécurité et de savoir-vivre'», en posant violemment des verres sur un plan de travail,

- le 1er février 2010, la société SERVAIR renonçait à sanctionner [Y] [E] pour des absences du mois de décembre 2009, deux de celles-ci correspondant en réalité à des journées de congés payés, et des justifications, quoique non admissibles pour l'employeur au regard du règlement intérieur, ayant été produites pour les deux autres,

- au mois de mars 2010, [Y] [E] participait à une grève à laquelle appelait le syndicat CGT SERVAIR, et se voyait retenir la journée du 7 mars 2010 à ce titre sur son bulletin de paie du mois,

- le 21 avril 2010, la société informait [Y] [E] qu'elle ne sanctionnerait pas une absence du 2 avril précédent, quoiqu'elle ait déjà «'bénéficié d'une journée garde enfant malade au cours du premier semestre 2010'»,

- le 9 août 2010, [Y] [E] était convoquée à un entretien préalable fixé au 18 août suivant en vue d'une «'éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement'»,

- le 23 août 2010, elle faisait l'objet d'un licenciement pour faute grave, grief lui étant fait dans la lettre d'une absence du 2 juillet précédent, sans autorisation ni information préalables, et son défaut de réponse à une lettre du 16 juillet lui demandant de justifier cette absence avant le 26 suivant, la lettre rappelant également qu'elle avait «'déjà été sanctionnée récemment pour des faits similaires'».

Sur la compétence du juge des référés

Il doit être rappelé que l'article R'1455-6 du code du travail applicable au conseil de prud'hommes dispose que «'la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite'».

Par ailleurs, l'article L'2511-1 du même code dispose que «'l'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié'», que «'son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l'article L'1132-2, notamment en matière de rémunération et d'avantages sociaux'» et que «'tout licenciement prononcé en l'absence de faute lourde est nul de plein droit'».

L'article L'1132-2 du même code dispose par ailleurs qu'«'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure disciplinaire mentionnée à l'article L'1132-1 en raison de l'exercice normal du droit de grève'».

Il en résulte que les sanctions et licenciements discriminatoires en raison de l'exercice normal du droit de grève constituent des troubles manifestement illicites que le juge des référés est compétent pour faire cesser.

Il sera par ailleurs rappelé qu'en application des dispositions de l'article L'1134-1 du code du travail, il appartient au salarié qui s'estime discriminé de présenter «'des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte'», puis à l'employeur, «'au vu de ces éléments, ['] de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination'» et enfin au juge de former «'sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'», le juge des référés ne pouvant toutefois user de cette dernière faculté, dès lors qu'elle est exclusive du caractère manifestement illicite de la discrimination alléguée.

Il appartient en conséquence à la cour, statuant en matière de référé, d'examiner les éléments produits par [Y] [E], puis les preuves apportées par la société SERVAIR, afin de déterminer si le trouble allégué présente ou non un caractère manifestement illicite.

Sur les éléments et preuves produits par les parties

Au soutien de son argumentation selon laquelle elle n'a fait l'objet des sanctions et du licenciement qu'elle estime discriminatoires que parce que, pendant les années 2009 et 2010 (spécialement de mars à juillet), elle a participé régulièrement à des grèves, alors que, précédemment, elle n'avait jamais participé à une grève et n'avait corrélativement jamais rencontré de difficultés avec son employeur, [Y] [E] produit ses bulletins de paie depuis le mois d'août 2008 jusqu'au mois de juillet 2010, ainsi que plusieurs notes du syndicat CGT SERVAIR'2, faisant état, pour celles précisément datées, d'un appel à une assemblée générale pour le samedi 28 février 2009 et de mouvements de grève des 9, 10 et 25 octobre 2009 et 3 au 6 mars 2010.

Certains des bulletins de paie produits font état de retenues sur salaire codées et libellées selon les cas «'ANT Jours n.travaillés'», «'HNT Hres n/travaillées'», «'HNR Hres abs. non rém.'», «'ANR Abs. non rémunérée'» ou «'ASM Absence sans motif'».

La société SERVAIR soutient qu'en application d'un codage interne, seules les retenues codées HNT et ANT sont des retenues pour fait de grève.

L'examen sur cette base des bulletins de paie que cette société a elle-même établis et qu'[Y] [E] produit régulièrement aux débats montre que des retenues de salaire pour grève ont été effectuées au titre des mois d'octobre (5,92 heures non travaillées) et novembre (une journée non travaillée, la date du 26 octobre 2009 étant mentionnée sur le bulletin) 2009, mars (une journée, celle du 7 mars, et 6,08 heures non travaillées), mai (une journée non travaillée, le 19 mai), juin (une journée, le 20 mai) et juillet (une journée, le 24 juin) 2010.

C'est donc à la suite d'une analyse erronée des pièces produites aux débats, qui ne l'a conduite à prendre en compte que les heures non travaillées, à l'exclusion des jours non travaillés dont elle admet pourtant qu'ils correspondent à des journées de grève, que la société SERVAIR a soutenu dans ses conclusions que seule la participation d'[Y] [E] à une grève au mois de mars 2010 était établie, avant de reconnaître dans ses observations orales devant la cour une autre participation au mois d'octobre 2009.

Quoique la société SERVAIR n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations relatives à la codification des retenues sur salaire, il sera considéré qu'il n'est pas établi que les autres retenues sur salaire figurant sur les bulletins de paie, dont se prévaut [Y] [E], correspondent à sa participation à des grèves.

Il doit en effet être retenu à cet égard que':

- [Y] [E] ne produit pas pour les dates où elle se prévaut de retenues codées HNR (aux mois de janvier, avril, juin, août, novembre et décembre 2009, janvier, février, mai et juillet 2010, aucune de ces retenues calculées en heures ne mentionnant de date) d'éléments permettant de déterminer qu'elles correspondent à des jours de grève, à défaut notamment de documents ou tracts du syndicat CGT SERVAIR'2 appelant à la grève pour ces dates,

- la société SERVAIR produit trois bons de sortie pour les 19 mars, 20 mai et 27 novembre 2009 (ses pièces 36, 37 et 39) susceptibles de correspondre à des retenues codées HNR effectuées sur les bulletins de paie des mois d'avril, mai et décembre 2009,

- il résulte des pièces analysées ci-dessus que les dates des 30 mai et 17 juin 2009 (faisant l'objet de retenues codées ASM) ont été considérées par l'employeur comme des absences injustifiées, qui ont été l'objet du rappel à l'ordre du 6 juillet 2009, de même que la journée du 2 avril 2010 (faisant l'objet d'une retenue codée ANR), évoquée dans le courrier susvisé du 21 avril 2010,

- la similitude entre le code ANR, qui n'est utilisé que pour une journée lors de laquelle [Y] [E] ne conteste pas avoir été absente à raison de la maladie de son enfant, et le code HNR, et le parallèle avec les codes ANT et HNT, dont il est admis qu'ils correspondent à des retenues pour grève, conduit également à ne pas attribuer les retenues codées HNR à la participation à une grève,

- le seul fait que les retenues effectuées sous les codes HNT et HNR sont calculées de façon identique selon un taux horaire supérieur aux taux horaire codé B96 (taux horaire 35 heures payé 39), procédé qui a été sanctionné judiciairement comme discriminatoire s'agissant des retenues effectuées pour grève, ne saurait suffire à assimiler ces deux causes de retenue.

Il y a donc lieu, en cet état de référé, d'estimer établies sept participations à des grèves (5,92 heures non datées retenues en octobre 2009, la journée du 26 octobre 2009, celle du 7 mars 2010, et 6,08 heures retenues au titre de ce mois de mars, et les journées des 19, 20 mai et 24 juin 2010) ayant donné lieu à retenues pour un total de cinq journées et douze heures.

Dans ces conditions, il convient de relever que la première sanction disciplinaire infligée à [Y] [E], soit le rappel à l'ordre prononcé contre elle le 6 juillet 2009, l'a été antérieurement à sa participation à des grèves, de sorte que l'appelante manque à produire, relativement à cette sanction, des éléments de nature à laisser supposer qu'elle aurait pu être la conséquence d'une discrimination. Il sera dit n'y avoir lieu à référé sur cette demande.

Le fait que la sanction du 19 janvier 2010 ait fait suite à la participation d'[Y] [E] à deux reprises à un mouvement de grève, le 26 octobre 2009, soit moins de trois mois avant, et à une date non précisée ayant entraîné une retenue horaire au mois de novembre 2009, et la circonstance que quelques jours avant de prononcer la mise à pied litigieuse, l'employeur avait envisagé, par lettre du 4 janvier 2010, de sanctionner cette salariée pour des absences prétendument injustifiées dans le courant du mois de décembre 2009, avant d'y renoncer au vu des explications produites par l'intéressée, qui faisait observer que la date de deux des absences alléguées se situait pendant une période de congés annuels, et qui apportait tous les justificatifs utiles sur les deux autres absences, constituent, en revanche, des éléments qui laissent supposer que cette sanction pourrait présenter un caractère discriminatoire.

Il en est de même s'agissant du licenciement, intervenu le 23 août 2010, sur la base d'une procédure initiée le 16 juillet précédent, mesure qui faisait suite de façon directe aux participations à des mouvements de grève du 7 mars (outre 6,08 heures non travaillées et non datées retenues à ce titre en mars), des 19 et 20 mai et du 24 juin 2010.

Pour prouver que la mise à pied du 19 janvier 2010 était justifiée et étrangère à toute discrimination, la société SERVAIR produit trois courriers électroniques':

- un du 21 novembre 2009 de [C] [L], «'maîtrise service laverie'» qui écrit que Mme [E] n'acceptait pas qu'il l'ait changée de poste, ce qui «'a entraîné une situation de conflit dans l'atelier difficile à maîtriser'» et ajoute que de 11h00 à 11h15, elle n'était pas présente à son poste, quoique tout le personnel ait été prévenu «'que les déplacements sans autorisation'» étaient prohibés,

- un autre du 23 novembre 2009, signé de «'S. [N] REP'» qui relate la même scène, relevant des propos de Mme [E] qui imputait à son chef d'équipe la responsabilité de «'foutre la merde'», et indique que les choses se sont calmées et qu'il n'y a pas eu d'incident le jour suivant, ce courriel étant transmis par son destinataire à un autre salarié de la société, qui est invité à «'regarder ce que nous pouvons faire d'un point de vue disciplinaire'» et à interroger M. [L],

- un dernier du même jour du dernier nommé, faisant état d'un «'comportement impulsif et dangereux'» de Mme [E], décrit comme un «'claquement de verres accueil à son poste de travail «'risque d'accident'»'», relevant que Mme [E] n'arrêtait pas «'de faire des aller-retour entre le dépotage et le débarrassage de la machine'», puis évoquant une altercation entre des personnes tierces.

Il résulte de l'analyse des éléments produits par la salariée et des justifications avancées par l'employeur que ces dernières, très ténues, s'agissant de deux courriels du chef d'équipe de l'intéressée ayant pris la décision qu'elle contestait, et d'un courriel, plus distancié, d'un autre responsable, non seulement ne rendent pas complètement compte des faits relevés dans la lettre de sanction, mais démontrent surtout la volonté de la direction de rassembler des informations pour justifier le choix d'engager des poursuites disciplinaires. La cour, tenant compte du caractère évidemment disproportionné de la sanction prononcée avec les faits allégués, retient que ce choix d'engager une procédure disciplinaire ne s'explique que par la participation de la salariée à un mouvement de grève, moins d'un mois avant les faits servant de support à la sanction. Le caractère discriminatoire de celle-ci est donc établi.

Au soutien de sa décision de licenciement, fondée sur deux motifs énoncés dans la lettre du 23 août 2010, à savoir une absence du 2 juillet 2010, et le défaut de réponse à une demande de justification de la dite absence, griefs auxquels il ajoute le rappel d'une sanction récente pour des faits similaires, l'employeur produit un échange de courriels internes du 13 au 15 juillet sur la dite absence (dont un des auteurs relate qu'[Y] [E] aurait indiqué, pour justifier son absence, qu'elle ne se sentait pas bien) et la lettre recommandée avec demande d'avis de réception qu'il a adressée à [Y] [E] le 16 juillet 2010 par laquelle il lui demande de justifier au plus tard le 26 juillet 2010 des motifs de l'absence du 2 juillet.

Sur le premier grief, [Y] [E], qui reconnaît l'absence du 2 juillet mais conteste l'avoir mise sur le compte de son propre état de santé, soutient qu'elle a dû rester à son domicile pour assurer la garde de ses deux jeunes enfants que son époux, dont la santé s'était brutalement dégradée, ne pouvait pas assumer. Elle produit une copie de son livret de famille, établissant qu'elle est mère de deux enfants nés respectivement les 19 juillet 2001 et 28 août 2005, la justification de ce que le plus jeune est handicapé, la pension d'invalidité dont bénéficie son mari, et les justificatifs des examens et soins que celui-ci a subis dans les jours précédents (et spécialement une échographie du 25 juin 2010 pour une «'douleur inguinale droite chez un patient opéré 7 fois d'une hernie à droite'», qui décèle une «'hernie inguinale gauche'»). Elle affirme sans être contredite par aucune pièce de l'employeur avoir prévenu celui-ci par téléphone le jour-même de son absence.

S'agissant du second grief, elle justifie qu'elle était en congés du 13 au 30 juillet 2010, par la production d'un bulletin de congé visé par son chef de service et par le service du personnel, de sorte que l'employeur ne pouvait ignorer son absence lorsqu'il a exigé d'elle, par une lettre adressée après son départ en vacances, qu'elle n'a cependant reçue que le 28 juillet 2010, qu'elle s'explique dans un délai fixé avant son retour de celles-ci, et soutient, sans être autrement contredite, qu'elle a fourni tous ces justificatifs lors de l'entretien préalable du 18 août, auquel elle avait été convoquée le 9 août précédent.

Enfin, le rappel contenu dans la lettre de licenciement -'sans qu'il soit présenté comme un grief autonome, mais seulement comme une circonstance de nature à rendre «'d'autant plus inacceptables'» les griefs invoqués'- d'une sanction récente pour un fait similaire, ne peut que renvoyer à la seule sanction pour une absence injustifiée, prononcée le 6 juillet 2009 pour des faits de mai et juin 2009, faits qui sont abusivement qualifiés de récents le 23 août 2010.

Au terme de cet examen des éléments ainsi produits par les parties, il revient à la cour de constater qu'une absence ponctuelle, dont l'employeur ne justifie s'être inquiété que plus de dix jours après, absence pour un motif justifié par les pièces produites (peu important à cet égard qu'une pièce médicale ne vienne pas attester d'une aggravation subite de l'état de santé du mari de la salariée précisément le 2 juillet 2010, les éléments datant du 25 juin étant suffisants à cet égard) ne pouvait en elle-même conduire l'employeur à prendre une mesure de licenciement, et que le second grief invoqué l'est dans des conditions déloyales, dès lors que l'employeur ne pouvait ignorer qu'il exigeait des justificatifs dans des délais incompatibles avec les congés qu'il avait accordés à la salariée, de sorte qu'en cet état de référé, il apparaît suffisamment démontré que la participation à plusieurs faits de grève, le dernier datant d'une semaine avant l'absence sanctionnée, a constitué le motif réel du licenciement, lequel encourt en conséquence la nullité.

Sur les demandes

Le caractère discriminatoire à raison de l'exercice du droit de grève du licenciement prononcé le 23 août 2010 résultant de ce qui précède, l'ordonnance déférée sera infirmée.

Il appartient à la cour de faire cesser le trouble manifestement illicite que constituent la sanction disciplinaire et le licenciement dont le caractère discriminatoire a été reconnu, en application des dispositions de l'article R'1455-6 du code du travail susvisé.

S'agissant des demandes en condamnation à paiement, il doit être rappelé qu'en application des dispositions de l'article R'1455-7 du même code relatif au conseil de prud'hommes, «'dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire'».

Il appartient donc à la cour, statuant en référé, de suspendre les effets de la sanction disciplinaire du 19 janvier 2010 et de condamner la société SERVAIR, à titre provisionnel, à payer à [Y] [E] la somme de 94,49 euros correspondant à la retenue au titre de la mise à pied de deux jours prononcée, mise à pied exécutée les 3 et 4 février 2010.

Il convient également de constater la poursuite du contrat de travail d'[Y] [E] et d'ordonner sa réintégration dans son emploi d'employée laverie au sein de l'établissement SERVAIR'2, et ce, dans les quinze jours de la notification du présent arrêt et sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard passé ce délai.

À titre provisionnel, la société SERVAIR sera condamnée à payer à [Y] [E] une indemnité au titre des salaires interrompus depuis le 23 août 2010, sur la base non contestée de 1'816 euros par mois, et ce jusqu'au jour de sa réintégration. La remise de bulletins de paie conformes depuis le mois de septembre 2010 sera ordonnée, sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard, passé un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

La créance en dommages et intérêts dont se prévaut Mme [E] du fait de la discrimination ainsi subie ne se heurte, ainsi qu'il résulte de ce qui précède, à aucune contestation sérieuse. Il y sera fait droit à titre provisionnel à hauteur de la somme de 1'000 euros.

L'UNION LOCALE CGT DES SYNDICATS CGT DE LA ZONE AÉROPORTUAIRE [1] fait également justement valoir le préjudice qu'elle subit du fait du licenciement discriminatoire d'un salarié à raison du libre exercice du droit de grève, fait qui porte un préjudice direct à l'intérêt collectif de la profession qu'elle représente. Sa créance n'est pas sérieusement contestable à hauteur de la somme de 2'000 euros, somme au paiement provisionnel de laquelle la société SERVAIR sera condamnée.

La société SERVAIR sera enfin condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer, pour l'ensemble de la procédure, deux sommes de 1'500 euros, une à [Y] [E] et une à l'UNION LOCALE CGT DES SYNDICATS CGT DE LA ZONE AÉROPORTUAIRE [1], le tout sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Dit l'appel recevable';

Rejette l'exception de nullité pour irrégularité de fond de l'intervention volontaire de l'UNION LOCALE CGT DES SYNDICATS CGT DE LA ZONE AÉROPORTUAIRE [1]';

Reçoit l'UNION LOCALE CGT DES SYNDICATS CGT DE LA ZONE AÉROPORTUAIRE [1] en son intervention volontaire';

Infirme l'ordonnance déférée';

Statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes relatives à la sanction disciplinaire prononcée le 6 juillet 2009';

Suspend les effets de la sanction disciplinaire prononcée le 19 janvier 2010 à l'encontre d'[Y] [E]';

Condamne la société SERVAIR à payer à celle-ci la somme provisionnelle de 94,49 euros au titre de la retenue sur salaire effectuée à la suite de la mise à pied';

Ordonne la réintégration d'[Y] [E] à son poste de travail au sein de l'établissement SERVAIR'2, dans les quinze jours de la notification du présent arrêt et sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard passé ce délai';

Condamne la société SERVAIR à payer à titre provisionnel à [Y] [E], sur la base mensuelle de 1'816 euros, une indemnité correspondant au montant des salaires dus entre le 23 août 2010, date de la notification du licenciement, et son retour effectif à son poste de travail';

Ordonne à la société SERVAIR de remettre à [Y] [E] des bulletins de paie conformes au présent arrêt depuis le mois de septembre 2010, dans le mois de la notification de la présente décision et sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard passé ce délai';

Condamne la société SERVAIR à payer à [Y] [E] la somme provisionnelle de 1'000 euros à titre de dommages et intérêts à valoir sur l'indemnisation du préjudice causé par la discrimination subie à raison du libre exercice du droit de grève';

Condamne la société SERVAIR à payer à titre provisionnel à l'UNION LOCALE CGT DES SYNDICATS CGT DE LA ZONE AÉROPORTUAIRE [1] la somme provisionnelle de 2'000 euros à titre de dommages et intérêts à valoir sur la réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession qu'elle représente';

Condamne la société SERVAIR aux dépens de première instance et d'appel et à payer, à [Y] [E] et à l'UNION LOCALE CGT DES SYNDICATS CGT DE LA ZONE AÉROPORTUAIRE [1], à chacune, la somme de 1'500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 11/00539
Date de la décision : 07/11/2013

Références :

Cour d'appel de Paris K2, arrêt n°11/00539 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-11-07;11.00539 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award