RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 24 Octobre 2013
(n°5, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/11441
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Septembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY - RG n° 09/03927
APPELANT
Monsieur [Y] [T]
[Adresse 2]
comparant en personne, assisté de Me Bruno MARCUS, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 3
INTIMEE
ARCELOR MITTAL FRANCE
[Adresse 1]
représentée par Me Xavier PIGNAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : G0739 substitué par Me Pascale BARON, avocat au barreau de PARIS, toque : G0739
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 Septembre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président
Madame Evelyne GIL, Conseillère
Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Melle Flora CAIA, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président et par Mademoiselle Flora CAIA, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu l'appel régulièrement interjeté par Monsieur [Y] [T] à l'encontre d'un jugement prononcé le 22 septembre 2011 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY ayant statué dans le litige qui l'oppose à la S.A. ARCELORMITTAL FRANCE sur ses demandes relatives au paiement d'une retraite supplémentaire.
Vu le jugement déféré qui a débouté Monsieur [Y] [T] de toutes ses demandes.
Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles :
Monsieur [Y] [T], appelant, poursuit l'infirmation du jugement déféré et sollicite :
- à titre principal : la condamnation de la S.A. ARCELORMITTAL FRANCE sous astreinte à constituer auprès de l'organisme assureur le capital lui permettant de recevoir la pension à laquelle il peut prétendre aux termes de l'accord du 22 décembre 2005 ;
- à titre subsidiaire, la condamnation de la S.A. ARCELORMITTAL FRANCE à lui payer la somme de 913 006 € correspondant à la valeur de ce capital au 31 décembre 2009 ;
- plus subsidiairement, la condamnation de la S.A. ARCELORMITTAL FRANCE à lui payer la somme de 913 006 € à titre de dommages-intérêts ;
- en tout état de cause, la publication de la décision à intervenir dans les locaux de la société et sur son site Web, la communication de cette décision, par le greffe, au directeur départemental de l'emploi de la Seine-Saint-Denis et la condamnation de la S.A. ARCELORMITTAL FRANCE au paiement de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
La S.A. ARCELORMITTAL FRANCE, intimée, demande la confirmation du jugement
et la condamnation de Monsieur [Y] [T] à lui payer la somme de 7 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, subsidiairement la limitation à 740 089 € de la somme qui pourrait être mise à sa charge et le rejet des demandes de publicité.
CELA ÉTANT EXPOSÉ
Par contrat écrit à durée déterminée ayant pris effet le 3 janvier 1977, Monsieur [Y] [T] a été engagé par la société CREUSOT-LOIRE METAL SERVICE en qualité de cadre stagiaire. La relation de travail s'est poursuivie le 6 avril 1977 pour une durée indéterminée et Monsieur [Y] [T] a exercé divers emplois au sein de différentes sociétés du groupe sidérurgique et en dernier lieu auprès de la S.A. ARCELORMITTAL FRANCE.
Il a quitté cette société le 31 décembre 2009 en faisant valoir ses droits à la retraite.
Le 9 octobre 2009, il avait saisi le conseil de prud'hommes en raison du refus de la S.A. ARCELORMITTAL FRANCE de le faire bénéficier d'une retraite supplémentaire ouverte à certains salariés du groupe.
SUR CE
Sur le quasi-contrat.
En 1989, le groupe USINOR SACILOR - aujourd'hui la S.A. ARCELORMITTAL FRANCE - a entrepris d'harmoniser les dispositifs de retraite supplémentaire que certaines de ses filiales avaient mis en oeuvre et a créé à cette fin l'institution de retraite Usinor Sacilor (IRUS) regroupant les sociétés disposant précédemment d'un tel dispositif et celles qui décidaient d'adhérer au régime ainsi mis en place.
Le protocole relatif à cette institution prévoit que celle-ci "fonctionnera en 'groupe fermé' sur la base des effectifs intéressés arrêtés au 31 décembre 1989". La première condition d'admission d'un salarié au bénéfice de ce dispositif est donc de s'être trouvé à la date de référence à l'effectif d'une des sociétés du groupe adhérente à l'IRUS.
Il est constant qu'au 31 décembre 1989, Monsieur [Y] [T] était salarié de la société SPRINT METAL, laquelle ne disposait pas antérieurement d'un régime de retraite supplémentaire et n'a pas exercé sa faculté d'adhésion lors de l'instauration de l'IRUS.
Par ailleurs la S.A. ARCELORMITTAL FRANCE a fourni toutes les explications utiles levant l'ambiguïté apparente de la situation de la société UGITECH au titre de laquelle, dans la mesure où cette société a intégré l'IRUS et par ailleurs s'est vu transférer l'universalité du patrimoine de SPRINT METL, Monsieur [Y] [T] faisait valoir ses droits de salarié à la date de référence d'une société adhérente.
Monsieur [Y] [T] ne conteste plus sérieusement qu'il ne remplit pas cette condition d'appartenance à l'effectif d'une société adhérente à l'IRUS et fonde sa demande sur l'existence d'un quasi-contrat.
Il invoque pour cela divers documents qui lui ont été remis par l'employeur, propres à forger sa conviction qu'il était effectivement bénéficiaire du dispositif IRUS, et les atermoiements de ses interlocuteurs des services compétents du groupe interrogés sur ce point depuis 2006, une décision nette de refus ne lui étant donnée qu'à la veille de sa retraite.
Toutefois les documents et les pièces produits aux débats ne permettent pas de constater l'existence du quasi-contrat allégué.
Monsieur [Y] [T] dit avoir été destinataire en 1992 d'une notice explicative sur l'IRUS. Toutefois rien ne démontre que ce document n'a été remis qu'aux salariés éligibles au dispositif ni qu'il a été adressé personnellement à Monsieur [Y] [T]. Au demeurant le texte, présentant "dans leur généralité les garanties offertes par l'IRUS", ne pouvait aucunement convaincre Monsieur [Y] [T] qu'il était nécessairement bénéficiaire de ces garanties puisqu'il est mentionné que "le régime s'applique en 'groupe fermé' aux cadres, ETAM et ouvriers relevant des anciennes institutions IPU, IRPIC, IPICS, IRPETAM et des sociétés qui ont adhéré à l'IRUS sur la base des effectifs au 31 décembre 1989". Ces mentions font clairement apparaître à un lecteur moyennement attentif que le bénéfice du dispositif est soumis à conditions, Monsieur [Y] [T] ayant d'ailleurs tout loisir dès cette époque de vérifier s'il les remplissait ou non. Il n'ignorait d'ailleurs certainement pas que SPRINT METAL, pour le compte de laquelle il avait été contrôleur de gestion puis directeur finances-gestion, ne relevait d'aucune des anciennes institutions visées, ce qui rendait d'emblée hypothétique sa vocation à bénéficier du nouveau dispositif.
Monsieur [Y] [T] produit également un "bilan social individuel 1998", qui est cette fois plus personnel puisque le nom de l'intéressé figure notamment sur la page de garde. Il est établi par la société SOLLAC, dont relevait alors le salarié.
Il y est mentionné l'existence du régime IRUS, sans qu'il soit en rien indiqué ou suggéré que ce dispositif s'applique à lui. Bien au contraire, dès le titre relatif à cette institution, il est précisé "(Personnel présent au 31/12/89)", puis au troisième paragraphe, que l'IRUS concerne "tout le personnel de Sollac qui appartenait à une société du Groupe adhérente à ce régime" sans que le rappel de cette condition, faite en termes généraux, soit suivi d'une mention s'appliquant personnellement à lui, telle que "ce qui est votre cas". Ce document n'affirme en rien que le salarié a vocation à bénéficier de l'IRUS et ne contient aucun engagement apparemment inconditionnel de l'employeur.
Le 20 décembre 1999, aux termes d'une convention de mutation concertée prenant effet le 1er janvier 2000, Monsieur [Y] [T] est passé de SOLLAC à USINOR Holding et s'est vu remettre une "comparaison des statuts" entre les deux entités.
Il est indiqué, au paragraphe "régime de retraite" que la 'Retraite chapeau IRUS' se retrouve à l'identique dans l'une et l'autre. Il s'agit là encore d'une donnée générale ne pouvant en rien donner à penser à Monsieur [Y] [T] qu'elle est créatrice de droit pour lui. D'ailleurs ce tableau comparatif porte également sur d'autres données qui ne concernent en rien Monsieur [Y] [T], telles que la convention collective applicable aux ETAM ou les jours de congés pour la mère d'un enfant malade.
Monsieur [Y] [T] se fonde encore sur une "attestation de présence" établie à son profit le 20 décembre 2004, laquelle indique : "M. [T] pourra éventuellement bénéficier du régime garanti de retraite Usinor (Irus) au moment de son départ en retraite lorsqu'il aura constitué son dossier (CRAM + complémentaire)". Toutefois il n'ignore pas que ce document a été dressé à sa requête dans le cadre d'une recherche de prêt pour un achat immobilier personnel - document dans ce contexte qu'un employeur, sans tomber dans la complaisance ou la contrevérité, peut s'attacher à rédiger au mieux des intérêts de son salarié- et qu'il émane d'un service du groupe, le centre de service des ressources humaines, qui n'a pas vocation à se prononcer sur l'égibilité d'un salarié à tel ou tel régime de retraite. Ce document, en dehors de l'objet pour lequel il a été spécifiquement dressé, est donc dépourvu de toute portée. A fortiori, Monsieur [Y] [T] ne saurait, en mettant en lien l'adverbe "éventuellement" avec la mention sur la constitution de son dossier de retraite, procéder à une exégèse hasardeuse du texte dont il se déduirait, par un raisonnement a contrario, que le document vaudrait reconnaissance de ce qu'il remplit les autres conditions pour bénéficier du régime IRUS et prétendre ainsi à l'existence d'un quasi-contrat.
C'est de manière moins sérieuse encore que Monsieur [Y] [T] soutient avoir été placé et entretenu par son employeur dans l'illusion qu'il était bénéficiaire de l'IRUS par la circonstance qu'en 2002 c'est Monsieur [B] [O], qu'il présente comme le gestionnaire de ce régime, qui s'est occupé de son dossier de retraite. Les pièces versées aux débats font apparaître que Monsieur [O] est "Responsable des Retraites", et non pas chargé spécifiquement du régime IRUS ; par ailleurs il est alors intervenu sur une problématique de validation de trimestres par la CNAV et nullement à propos du régime litigieux.
De même la simple existence du cas particulier de la société UGITECH ne peut être analysée comme une affirmation faite par l'employeur à Monsieur [Y] [T] qu'il bénéficierait de l'IRUS.
Il s'avère ainsi que le quasi-contrat allégué est inexistant, la S.A. ARCELORMITTAL FRANCE n'ayant à aucun moment fait accroire à Monsieur [Y] [T], d'une manière ou d'une autre, que celui-ci était bénéficiaire du régime IRUS, les documents et circonstances invoqués ne pouvant de bonne foi faire naître cette conviction dans l'esprit d'un salarié normalement attentif aux circonstances de l'exécution de son contrat de travail comme de la vie de son entreprise et a fortiori dans l'esprit de Monsieur [Y] [T], au regard de son niveau de compétence et des fonctions de responsabilité exercées dans plusieurs sociétés du groupe.
Monsieur [Y] [T] doit donc être débouté de ses demandes en ce qu'elles sont fondées sur l'existence d'un quasi-contrat.
Sur les manquements de l'employeur.
Monsieur [Y] [T] soutient que la S.A. ARCELORMITTAL FRANCE a manqué à son devoir d'information et de conseil. Toutefois non seulement l'employeur n'a jamais créé ou entretenu dans l'esprit de Monsieur [Y] [T] l'idée fausse qu'il était bénéficiaire du régime IRUS; comme il a été dit ci-dessus, mais encore le salarié a pu à tout moment de sa carrière s'adresser à des interlocuteurs aptes à le renseigner sur ses droits, de manière plus ou moins formelle, la communication à ce propos ne s'étant manifestement pas limitée aux quelques courriers plus officiels échangés par les parties.
C'est ainsi notamment qu'il est avéré que le 23 novembre 2004, une collègue de Monsieur [Y] [T], Madame [E] [M], qui avait un parcours comparable au sien dans le groupe, lui avait, à l'occasion d'une rencontre sur la question de ses droits à la retraite, oté tout doute, à supposer qu'il en ait eu, sur sa situation au regard du régime IRUS, ce dont l'intéressée atteste de façon parfaitement convaincante.
Monsieur [Y] [T] s'étant inquiété auprès de sa hiérarchie du fait que contrairement à certains de ses collègues il n'avait pas reçu fin 2006 une information détaillée sur le régime IRUS, il lui a été à nouveau indiqué qu'il n'était pas bénéficiaire de ce régime (attestations de Monsieur [R] [J] et [B] [O]), ce qui lui a été ensuite confirmé par écrit avec les explications appropriées.
Le manquement au devoir d'information n'est donc pas établi.
Monsieur [Y] [T] fait par ailleurs état d'une discrimination à son encontre et d'une inégalité de traitement, certains salariés qui ne pouvaient prétendre au régime IRUS en ayant tout de même bénéficié.
Concernant le premier point, il ne précise pas, parmi la liste limitative de l'article L. 1132-1 du code du travail, quelle cause de discrimination s'appliquerait à lui et son argumentation de ce chef n'est donc pas recevable.
Concernant l'égalité de traitement, Monsieur [Y] [T] se compare de manière inappropriée à des salariés se trouvant dans une situation différente de la sienne puisqu'ils n'étaient pas affectés à la société SPRINT METAL en 1989. Le principe d'égalité doit s'apprécier au sein d'une entreprise et non par comparaison entre salariés de diverses entreprises du même groupe. Monsieur [Y] [T] fait valoir que le régime IRUS concerne l'ensemble du groupe, argument qui ne peut être retenu puisque précisément le critère majeur d'éligibilité au régime IRUS est l'appartenance à l'une ou l'autre des sociétés du groupe au 31 décembre 1989, chacune ayant à cet égard son parcours et ses spécificités propres.
Il convient donc de débouter Monsieur [Y] [T] de ses demandes également en ce qu'elle sont fondées sur un manquement de l'employeur.
Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens.
Succombant en son recours, Monsieur [Y] [T] sera condamné aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'il a exposés, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de Monsieur [Y] [T] au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la S.A. ARCELORMITTAL FRANCE peut être équitablement fixée à 1 000 €.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [Y] [T] aux dépens d'appel et à payer à la S.A. ARCELORMITTAL FRANCE la somme de 1 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier,Le Président,