Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 16 OCTOBRE 2013
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/12163
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Avril 2011 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 06/00361
APPELANTE
La SA LE CARDINAL, prise en la personne de ses représentants légaux,
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Laurence TAZE BERNARD de la SCP IFL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0042, avocat postulant
assistée de Me Denis THEILLAC, avocat au barreau de PARIS, toque : A0550, avocat plaidant
INTIMÉES
La SA ALLIANZ VIE venant aux droits de la SA ASSURANCES GENERALES DE FRANCE VIE, prise en la personne de ses représentants légaux,
[Adresse 5]
[Localité 1]
La SAS PASSAGE DES PRINCES, venant aux droits de la SA ALLIANZ VIE, prise en la personne de ses représentants légaux,
Intervenante volontaire
[Adresse 5]
[Localité 1]
représentées par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, à la Cour, toque : K0111, avocat postulant
assistées de Me Arnaud CLAUDE de la SELAS CLAUDE & SARKOZY, avocat au barreau de PARIS, toque : R175, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Septembre 2013, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle REGHI, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a été préalablement entendue en son rapport.
Madame Isabelle REGHI a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Chantal BARTHOLIN, Présidente
Madame Odile BLUM, Conseillère
Madame Isabelle REGHI, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Alexia LUBRANO.
ARRÊT :
- contradictoire.
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Chantal BARTHOLIN, Présidente et par Mme Alexia LUBRANO, Greffière.
* * * * * * *
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant renouvellement de bail du 25 février 1997, la société AGF, aux droits de laquelle est venue la société Allianz vie, a donné en location à la société Le Cardinal, des locaux à usage de restaurant, café, limonadier, liquoriste, situés [Adresse 2] -[Adresse 1], pour un loyer annuel en principal de 117 020 €.
Par acte du 26 décembre 2002, la bailleresse a notifié un congé avec refus de renouvellement sans offre d'une indemnité d'éviction. Au cours de la procédure, elle a exercé son droit de repentir le 24 décembre 2004.
Suivant mémoire du 9 novembre 2005, la bailleresse a demandé le déplafonnement du loyer et sa fixation à la somme de 350 000 € à compter du 24 décembre 2004.
Dans sa réponse la société locataire a demandé la fixation du loyer selon les règles du plafonnement, soit la somme de 145 930 €.
Par jugement avant dire-droit du 28 juin 2006, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a désigné un expert, qui a déposé son rapport le 27 octobre 2009.
Par jugement du 28 avril 2011, le juge a :
- fixé le loyer des locaux commerciaux à compter du 24 décembre 2004 à la somme annuelle de 199 395€,
- dit que les éventuels compléments de loyer produiront intérêts au taux légal depuis le 24 décembre 2004 et à compter de chaque échéance nouvelle et avec capitalisation,
- rejeté toutes demandes autres,
- condamné chacune des parties par moitié aux dépens.
Par déclaration du 29 juin 2011, la société Le Cardinal a fait appel du jugement.
Par conclusions du 30 octobre 2012, la société Passage des princes, venant aux droits de la société Allianz vie, est intervenue volontairement à l'instance.
Dans ses dernières conclusions, du 23 novembre 2012, la société Le Cardinal demande :
- l'infirmation du jugement,
- de fixer le loyer du bail renouvelé à la somme annuelle de 145 930 €,
subsidiairement :
- sa fixation à la somme de 155 000 € par an,
- de dire que les intérêts au taux légal sur les compléments de loyer courront à compter de l'arrêt,
- le débouté des demandes de la société Passage des princes,
- sa condamnation au paiement de la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction.
Dans ses dernières conclusions, du 31 mai 2013, la société Passage des princes demande :
- la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il a fixé le loyer renouvelé à la somme de 199 395 €,
- de fixer le loyer du bail renouvelé à la somme annuelle de 349 000 €,
- le débouté des demandes de la société Le Cardinal,
- sa condamnation au paiement de la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction.
CELA EXPOSE,
Considérant que la société Le Cardinal rappelle qu'elle a fait réaliser d'importants travaux en 1999 et 2000, ayant consisté à créer un escalier intérieur reliant le rez-de-chaussée et le 1er étage, à installer un ascenseur handicapé et un monte-plats et à refaire la décoration de l'ensemble de l'établissement ; que l'expert a conclu que ces travaux constituaient une modification notable des conditions d'accès ainsi qu'une amélioration des conditions d'exploitation de l'établissement, sans se prononcer sur la qualification juridique de ces travaux ; qu'il s'agit, pour les travaux les plus importants et les plus coûteux, de mise en conformité par la réfection des installations d'électricité et de plomberie, la pose de portes coupe-feu et d'un local poubelles réglementaire, l'installation d'un ascenseur et de toilettes pour handicapés ; que, pour le reste, il s'agit de travaux d'aménagement ou de décoration ; que ces travaux n'ont ni modifié l'assiette du bail ni augmenté la surface de réception de la clientèle ;
Considérant que la société Passage des princes fait valoir que les travaux réalisés par la société Le Cardinal au cours du bail expiré constituent, ainsi que l'a estimé le premier juge, une modification notable des caractéristiques des lieux dans la mesure où, par la création d'un escalier intérieur, ils ont permis la réunion du rez-de-chaussée et du 1er étage et, quand bien même ils n'auraient pas entraîné de modification de la surface exploitable, ont facilité l'accès de la clientèle à la salle du 1er étage qui, auparavant, se faisait par un escalier extérieur et entraîné ainsi une modification notable des conditions d'exploitation ; qu'en effet, la création de cet escalier intérieur permet l'exploitation d'une seule unité commerciale, nécessairement plus attractive pour la clientèle ; que sur l'enveloppe des travaux réalisés pour 635 908,76 €, seule une somme de 28 467,56 €, consacrée à la mise en place d'un ascenseur pour handicapés, peut relever des travaux de mise en conformité ;
Considérant que, dans les travaux financés par la société Le Cardinal au cours du bail expiré, seule est discutée la qualification de ceux ayant consisté en la création d'un escalier intérieur au sein des lieux loués ; que cette création, qui n'a pas eu pour effet d'augmenter la surface de réception de la clientèle, a apporté une amélioration aux conditions d'exploitation, dans la mesure où l'accès à la salle du 1er étage qui, auparavant se faisait par un escalier extérieur, se fait désormais directement par la salle du rez-de-chaussée, facilitant ainsi la communication entre les deux niveaux de restauration ; que cette amélioration n'a pas entraîné de modification notable des caractéristiques des lieux, et ne peut, en conséquence, constituer, en application de l'article R145-8 du code de commerce, un facteur de déplafonnement ;
Considérant que la société Passage des princes invoque alors, comme facteur de déplafonnement, la modification des facteurs locaux de commercialité ; qu'elle fait valoir que l'implantation de bureaux pour un volume important et de commerces à proximité des lieux loués et l'augmentation de 40 % du nombre d'enseignes implantées [Adresse 1], en majorité liées à la restauration, ont entraîné un flux de chalands important, attirés par les locaux loués, en particulier la large terrasse exploitée par la société Le Cardinal, proposant, à côté d'une restauration traditionnelle, une restauration rapide adaptée à une clientèle de bureaux et de surcroît immédiatement situés à la sortie de l'un des accès de la station de métro Richelieu Drouot ; que la société Le Cardinal n'est pas fondée à se prévaloir d'une stagnation de la fréquentation de cette station alors que le métro aurait connu une hausse globale de fréquentation d'environ 20 %, le secteur étant connu de longue date pour ses difficultés de circulation et la clientèle locale étant accoutumée à utiliser les transports parisiens ;
Considérant que la société Le Cardinal rappelle qu'il existe trois secteurs dans le [Adresse 1] et que les lieux sont situés entre deux pôles d'attraction commerciale, dans le secteur le moins fréquenté et soutient que l'expert n'a pas relevé une évolution notable des facteurs de commercialité ayant eu une incidence favorable sur l'activité traditionnelle de bar-brasserie qu'elle exerce ; qu'il ne s'est installé, [Adresse 1], que 8 enseignes supplémentaires, le reste n'étant que des substitutions d'enseignes, par ailleurs essentiellement situées dans le 1er tronçon du boulevard ; que les secteurs de l'Opéra et des Grands boulevards ont toujours été très commerçants et animés, comportant depuis de longues années de nombreux commerces de restauration ; qu'il a été constaté non une augmentation de la commercialité mais l'adaptation de l'activité commerciale à la nouvelle demande d'une clientèle moins argentée et désireuse de se restaurer rapidement à moindre frais ; que l'expert a retenu une implantation de bureaux à plus de 300 m, voire 450 m des locaux et une hausse de fréquentation du musée [1], alors qu'il reconnaît la forte densité de commerces de cafés-restaurants aux alentours de cet établissement ; que la fréquentation de la station de métro a stagné ;
Considérant qu'il résulte de l'expertise et des éléments produits par les parties que l'évolution du secteur est certes contrastée ; que si huit enseignes supplémentaires se sont installées, en majorité liées à la restauration rapide, elles sont surtout situées dans le secteur proche de l'Opéra ; qu'il n'est pas contesté que le secteur dans lequel se situent les lieux loués est le moins commerçant de l'ensemble qui va de l'Opéra au [Adresse 6] ; qu'il est, en outre, relevé une baisse de 17 % de la fréquentation des cinémas proches de l'Opéra et une stagnation de la fréquentation de la station de métro située en face des lieux loués ; que, pour partie, les surfaces de bureaux et commerciales détaillées par l'expert proviennent d'une réorganisation d'un ensemble préexistant ;
Considérant, cependant, que l'expert, au-delà des transformations de l'existant, a constaté l'édification, au cours du bail à renouveler, d'un important volume de bureaux, soit 165 105 m2, de commerces, soit 9 792 m2 et de logements, soit 761 ; que le rayon de 400 à 450 m qu'il a retenu pour ses constatations est usuel en la matière ; qu'il a également relevé l'augmentation de la fréquentation du musée [1], qui, contrairement à ce que soutient la société Le Cardinal, n'est situé qu'à environ 150 m des lieux, de l'ordre de 37 % ; que ces éléments induisent une augmentation conséquente de clients potentiels, favorable à une activité traditionnelle de brasserie, qui demeure recherchée aussi bien par des touristes que par le personnel des bureaux, pour les prestations qu'elle offre, différentes de celle de restauration rapide, dans un cadre en bon état d'entretien et disposant d'une terrasse ; qu'ainsi, au regard de l'ensemble des éléments ci-dessus rappelés, même si le secteur dans lequel sont situés les lieux loués est de moindre attractivité, la modification notable des facteurs locaux de commercialité, caractérisés par la forte implantation de bureaux et l'affluence renouvelée du musée [1] proche, de nature à avoir une influence positive sur l'activité de brasserie exercée, justifie le déplafonnement du loyer ;
Considérant que les parties ne discutent pas la valeur pondérée des lieux proposée par l'expert à 316,50 m2 ;
Considérant que la société Le Cardinal fait valoir que les éléments de comparaison retenus par l'expert concernent majoritairement des nouvelles locations à prix de marché situées dans le meilleur secteur du [Adresse 1] et consenties à des enseignes appartenant à des grands groupes, notamment de restauration rapide, ayant des charges et des coûts d'exploitation moins élevés, leur permettant de supporter des loyers plus élevés ; qu'une décote importante devrait être appliquée, s'agissant du renouvellement judiciaire d'un commerce de restauration traditionnelle ; qu'elle produit une référence particulièrement probante pour un établissement de même activité, situé à l'angle du [Adresse 3] et du [Adresse 4], dont le loyer a été conclu à 457 € le m2 au 1er janvier 2005 ; que, lors de la fixation de l'indemnité d'occupation, la cour d'appel a retenu un prix unitaire de 473,93 € le m2 ; qu'ainsi, un prix unitaire supérieur à 550 € le m2 ne saurait être retenu ;
Considérant que la société Passage des princes soutient de son coté que la rentabilité d'un commerce n'a aucune incidence sur la valeur locative des lieux et que l'argument selon lequel la rentabilité d'une activité de bar-brasserie serait moindre que celle de restauration rapide est inopérant ; qu'en prenant en considération non seulement les renouvellements judiciaires et amiables, auxquels l'expert s'est limité, mais également les nouvelles locations dont, notamment, les activités de restauration exercées sur le [Adresse 1], pour lesquelles les prix s'échelonnent de 821 € à 1 857 €, la valeur locative correspondante pour les lieux loués doit être fixée à la somme de 1 050 € le m2 ;
Considérant que les éléments de comparaison du rapport d'expertise judiciaire, qui comprennent des références de nouvelles locations, contrairement à ce qu'indique la bailleresse, et qui s'inscrivent dans une fourchette large, établissent des prix s'échelonnant, pour les loyers conventionnels, de 735 € à 2 167 € le m², pour les renouvellements amiables ou judiciaires, de 720 € à 1 541 € le m2, et plus particulièrement, pour l'activité de restauration, un prix de 720 € en renouvellement et des prix de 821 € et 1 857 € en nouvelles locations ; que pour les références produites par la bailleresse, le prix des nouvelles locations s'échelonne entre 695 € et 1 362 €, celui des renouvellements amiables déplafonnés entre 786 et 840 € ; que la référence produite par la locataire indique un prix en renouvellement de 457 € le m2 ;
Considérant qu'au vu de ces références, eu égard à l'emplacement des locaux dans un secteur touristique, au carrefour des trois grands boulevards des Italiens, Montmartre et Haussmann, disposant d'une bonne visibilité par un important linéaire de façade et d'une terrasse à la fois [Adresse 1] et [Adresse 2] et en bon état d'entretien, mais en tenant compte également, d'une part, que le début du [Adresse 1] est moins animé que la partie proche de l'Opéra, d'autre part qu'une grande partie des références concerne des activités de restauration rapide implantées à la fin du [Adresse 1], dont la comparaison avec l'activité de restauration traditionnelle exercée par la société Le Cardinal est moins probante, c'est par une appréciation exacte que le premier juge a retenu un prix unitaire de 700 € le m² ; que le premier juge a, à juste titre, rappelé que la comparaison avec le montant d' une indemnité d'occupation pour des locaux voisins, fixée par la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 19 décembre 2007, n'est pas pertinente ;
Considérant qu'en outre, la société Le Cardinal tire un avantage particulier, pour son activité, de la terrasse couverte d'environ 71 places assises ; qu'une majoration de 5 % est donc justifiée ; que, le premier juge a, à juste titre, retenu que la clause du bail selon laquelle les travaux de mise en conformité imposés par l'administration sont supportés par le preneur, constitue une charge exorbitante, justifiant un abattement de 15 %, ces travaux étant, en principe, à la charge du bailleur, contrairement à ce que soutient la société Passage des princes ;
Considérant, en conséquence, que le jugement qui a fixé le loyer annuel à la somme de 199 395 € doit être confirmé ;
Considérant que les intérêts moratoires attachés aux loyers courent, en l'absence de convention contraire, du jour de la demande en fixation du nouveau loyer par le seul effet de la loi ; que la capitalisation demandée doit être accordée ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu à paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que, chacune des parties succombant dans ses prétentions, les dépens de l'appel doivent être partagés entre elles par moitié.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement, sauf en ce qui concerne le point de départ des intérêts sur les compléments de loyer,
Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant :
Dit que les intérêts au taux légal courront sur les compléments de loyers du jour de la demande en fixation du nouveau loyer, avec capitalisation,
Dit n'y avoir lieu à paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Partage par moitié entre les parties les dépens de l'appel, avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE