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26/09/2013 | FRANCE | N°05/03264

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 26 septembre 2013, 05/03264


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 26 Septembre 2013 après prorogation

(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 05/03264

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Novembre 2004 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - RG n° 03/16666





APPELANTE

Madame [E] [S]-[K]

[Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Audrey KALIFA, avocat au barreau de PARIS,

toque : C0942





INTIMEE

FRANCE TELECOM

[Adresse 1]

représentée par Me Hélène SAID, avocat au barreau de PARIS, toque : B0989





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 26 Septembre 2013 après prorogation

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 05/03264

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Novembre 2004 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - RG n° 03/16666

APPELANTE

Madame [E] [S]-[K]

[Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Audrey KALIFA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0942

INTIMEE

FRANCE TELECOM

[Adresse 1]

représentée par Me Hélène SAID, avocat au barreau de PARIS, toque : B0989

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Juin 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président

Madame Evelyne GIL, Conseillère

Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Melle Flora CAIA, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président et par Mademoiselle Flora CAIA, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu l'appel régulièrement interjeté par Mme [S] [K] à l'encontre d'un jugement prononcé le 10 novembre 2004 par le conseil de prud'hommes de Paris ayant statué sur le litige qui l'oppose à la société FRANCE TELECOM sur ses demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.

Vu le jugement déféré qui a débouté Mme [S] [K] de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Vu les arrêts de cette cour du 30 novembre 2006, 27 mai 2010 et 16 décembre 2010 qui ont sursis à statuer dans l'attente de décisions à intervenir dans le cadre de la procédure pénale engagée par la société FRANCE TELECOM contre Mme [S] [K] des chefs d'escroquerie et de faux en écriture et usage de faux.

Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles :

Mme [S] [K], appelante, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la cour

- à titre principal :

- de juger son licenciement nul et d'ordonner sa réintégration au poste qu'elle occupait au sein de la société FRANCE TELECOM à la date de son licenciement ou à un poste équivalent,

- de condamner la société FRANCE TELECOM à lui payer les sommes suivantes :

- 236 093,96 € à titre de rappel de salaires pour la période du 1er septembre 2003 et sa date de réintégration effective, sous déduction des sommes perçues pendant cette période,

- 50 000 € à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice distinct,

- à titre subsidiaire :

- de juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- de proposer sa réintégration au poste qu'elle occupait au sein de la société FRANCE TELECOM à la date de son licenciement ou à un poste équivalent ou, dans l'hypothèse d'un refus de la société FRANCE TELECOM, de condamner cette dernière à lui payer les sommes suivantes :

- 103 995,08 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 4 869,79 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 4 509,21 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 13 527,21 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 11 723,58 € au titre du salaire des jours de mise à pied conservatoire, outre les congés payés afférents,

- 50 000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct,

- d'ordonner la remise sous astreinte d'une attestation POLE EMPLOI, d'un certificat de travail et des bulletins de paie conformes à la décision,

- à titre infiniment subsidiaire :

- de juger que son licenciement ne repose pas sur une faute grave,

- de condamner la société FRANCE TELECOM à lui payer les sommes suivantes :

- 4 869,79 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 4 509,21 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 13 527,21 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 11 723,58 € au titre du salaire des jours de mise à pied conservatoire, outre les congés payés afférents,

- 50 000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct,

- d'ordonner la remise sous astreinte d'une attestation POLE EMPLOI, d'un certificat de travail et des bulletins de paie conformes à la décision,

- en tout état de cause :

- d'assortir les condamnations des intérêts légaux à compter du 22 décembre 2003, date de la saisine du conseil de prud'hommes,

- d'ordonner la capitalisation des intérêts,

- de condamner la société FRANCE TELECOM à lui payer 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société FRANCE TELECOM, intimée, conclut à la confirmation du jugement, au débouté de Mme [S] [K] de l'ensemble de ses demandes et à sa condamnation à lui payer la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

CELA ÉTANT EXPOSÉ

Par contrat écrit à durée indéterminée en date du 19 octobre 2000, à effet du 23 octobre 2000, Mme [S] [K] a été engagée par la société FRANCE TELECOM en qualité de responsable artistique du studio créatif (cadre supérieur).

Le studio créatif de FRANCE TELECOM est un laboratoire destiné à valoriser les produits innovant de la société.

Le 29 août 2003, la société FRANCE TELECOM convoquait Mme [S] [K] pour le 15 septembre 2003 à un entretien préalable à un éventuel licenciement et lui notifiait sa mise à pied à titre conservatoire.

Le 2 septembre 2003, la société FRANCE TELECOM déposait plainte à l'encontre de Mme [S] [K] pour faux et usage de faux en écriture privée et escroquerie.

Le 3 octobre 2003, Mme [S] [K] était convoquée devant la commission consultative paritaire interne à l'entreprise pour une audience fixée au 21 octobre 2003 afin d'être entendue sur la mesure de licenciement pour faute grave envisagée.

L'audience de la commission consultative paritaire a été reportée au 5 novembre 2003.

Le licenciement était prononcé par lettre du 17 novembre 2003 pour faute grave. Il était reproché à la salariée d'avoir dissimulé à l'employeur des informations primordiales sur les liens l'unissant à une société CHASKA PRODUCTIONS, à la direction de laquelle elle participait activement, et d'avoir profité de ses fonctions pour négocier des contrats avec cette structure qu'elle avait ainsi favorisée en situation de "conflit d'intérêts évident", les faits étant qualifiés de manquement à l'obligation d'exclusivité et à l'obligation de loyauté.

Le 19 décembre 2003, Mme [S] [K] saisissait le conseil de prud'hommes qui a rendu le jugement déféré.

Par jugement du 25 septembre 2009, le tribunal correctionnel de Nanterre reconnaissait Mme [S] [K] coupable d'abus de confiance, d'abus de biens sociaux, de faux et usage de faux.

Par arrêt du 16 septembre 2010, la cour d'appel de Versailles relaxait Mme [S] [K] de l'ensemble des faits de la poursuite.

Par arrêt du 29 juin 2011, le pourvoi formé par la société FRANCE TELECOM contre cette décision était rejeté par la Cour de cassation.

SUR CE

Sur le licenciement

Sur la validité du licenciement

Mme [S] [K] soutient que son licenciement est entaché de nullité dans la mesure où les principes fondamentaux de l'égalité des armes et des droits de la défense ont été méconnus au cours de la procédure. Elle expose qu'"un véritable commando" composé de deux salariés de FRANCE TELECOM et d'un commissaire de police détaché auprès de la société, agissant sur ordre de la société a entrepris, à l'été 2003, de trouver les fondements qui permettraient à l'employeur de se séparer d'elle à moindre frais ;

Que sur le fondement de rumeurs, ce "commando" s'est livré à son insu à des investigations douteuses et intimidantes, notamment auprès du personnel de la société CHASKA, afin de constituer un dossier à charge permettant de la licencier et de se dispenser du règlement de factures dues à la société CHASKA PRODUCTIONS ; que dès le courrier de convocation à l'entretien préalable et sa mise à pied conservatoire, elle s'est vu interdire tout accès à son lieu de travail, à son ordinateur et à ses affaires personnelles alors même qu'elle rentrait de vacances ; que l'employeur a refusé d'accéder à sa demande d'accès à son ordinateur qui lui aurait permis de présenter sa défense devant la commission consultative paritaire ; qu'il a procédé à une analyse graphologique dont les conclusions lui ont été transmises le jour même de l'audience devant la commission ; que la commission ayant reporté son examen, elle a pu, au prix de nombreuses difficultés, avoir accès à l'intégralité des données contenues dans son ordinateur ; que ce n'est que deux mois après de début des investigations non contradictoires initiées par FRANCE TELECOM qu'elle a pris connaissance, lors de l'entretien préalable, des faits reprochés ; que le licenciement prononcé en violation de ses libertés fondamentales est nul, entraînant sa réintégration de droit au sein de l'entreprise.

La société FRANCE TELECOM conteste toute violation des droits fondamentaux de Mme [S] [K], faisant valoir qu'au cours du mois de juillet 2003, des bruits ont circulé relatifs à d'éventuels liens et intérêts patrimoniaux que Mme [S] [K] aurait dans la société CHASKA PRODUCTIONS ; qu'elle a régulièrement obtenu l'autorisation d'accéder à l'ensemble des documents contractuels et comptables concernant ces liens ; que les éléments accablants en sa possession l'ont conduite à engager la procédure de licenciement ; que Mme [S] [K] a eu accès aux éléments qu'elle réclamait afin d'organiser sa défense devant la commission consultative paritaire.

Les critiques exposées par Mme [S] [K], à les supposer fondées, ne sauraient entraîner la nullité de son licenciement, faute de texte le prévoyant expressément, mais pourraient seulement, le cas échéant, priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Ceci étant rappelé, Mme [S] [K] ne saurait faire reproche à l'employeur, auquel incombe la preuve de l'existence de la faute grave, d'avoir, avec les moyens dont il disposait, diligenté une enquête sans la tenir informée, afin de vérifier le fondement de rumeurs la concernant circulant dans l'entreprise. Elle n'établit pas que les conditions dans lesquelles ces vérifications se sont déroulées ont constitué une violation de ses droits fondamentaux dès lors que c'est autorisée par ordonnance du président du TGI de Bordeaux que la société FRANCE TELECOM a eu accès aux locaux de la société CHASKA PRODUCTIONS et aux documents comptables et contractuels de cette dernière. Par ailleurs, Mme [S] [K] ne démontre pas que la procédure de licenciement est intervenue en méconnaissance de ses droits en ce qui concerne l'accès aux données contenues dans son ordinateur professionnel dès lors i) qu'il n'est nullement établi que l'employeur lui a refusé l'accès à ces données, étant versée au dossier une lettre de FRANCE TELECOM du 17 octobre 2003 indiquant qu'après que Mme [S] [K] ait demandé à avoir accès à son ordinateur professionnel, il lui a été proposé de dresser la liste des documents qu'elle souhaitait obtenir et que la salariée n'a pas donné suite à cette proposition si ce n'est par un courrier du 13 octobre 2003 auquel il a été répondu que la proposition était renouvelée, ii) que la commission consultative paritaire a accepté le 21 octobre 2003, à la demande de Mme [S] [K], de reporter sa séance au 5 novembre 2003 afin de permettre à la salariée d'accéder à l'ensemble des données contenues sur l'ordinateur et iii) qu'il est établi (cf. attestation cosignée par Mme [S] [K] le 28 octobre 2003), et d'ailleurs non contesté, que Mme [S] [K] a eu accès à l'ensemble des éléments contenus dans son ordinateur le 28 octobre 2003. Il sera encore observé que Mmes [L] et [Y] de la société CHASKA PRODUCTIONS, interrogées par FRANCE TELECOM dans le cadre de ses vérifications, n'ont jamais prétendu avoir subi des pressions et ont confirmé, dans le cadre de la procédure pénale, certains des propos tenus à l'employeur concernant la nature des liens entre Mme [S] [K] et CHASKA PRODUCTIONS.

Dans ces conditions, il n'est pas démontré que la procédure de licenciement a été conduite en méconnaissance des droits de Mme [S] [K] et ses demandes tendant à la nullité du licenciement, à sa réintégration et au versement d'une indemnité afférente seront rejetées.

Sur la qualification du licenciement

Mme [S] [K] argue que la rupture est dépourvue de cause réelle et sérieuse, faisant valoir qu'elle a donné entière satisfaction à FRANCE TELECOM pendant toute la durée de son contrat ; que les faits dont elle a été relaxée sont les mêmes que ceux énoncés dans la lettre de licenciement ; qu'elle n'a manqué ni à son obligation d'exclusivité ni à son obligation de loyauté ; qu'elle n'a jamais caché ses liens avec la société CHASKA PRODUCTIONS dont elle détenait des parts sociales comme ses soeurs ; que c'est en considération de ces liens qu'elle a été embauchée ; qu'elle a démissionné de ses fonctions de gérante de la société CHASKA PRODUCTIONS le lendemain de la signature de son contrat de travail ; que ces fonctions ont été ensuite occupées par Mme [Y] ; qu'elle n'a jamais perçu le moindre dividende de cette société ; que la gérance non salariée, de même que la détention de parts sociales d'une société, ne peut être considérée comme une activité au sens de la clause d'exclusivité figurant au contrat de travail ; qu'elle n'a pas participé activement à la direction de la société CHASKA PRODUCTIONS en assurant la gérance de fait ; qu'en sa qualité d'ancienne gérante et seule associé vivant en France, elle était légitime à se faire adresser le courrier de la société ou à communiquer son numéro de téléphone pour d'éventuels contacts alors que la taille de la société justifiait qu'elle ne dispose que d'une simple boîte aux lettres ; que les déclarations des sous-traitants rencontrés par FRANCE TELECOM et celles de Mme [Y] sont peu probantes eu égard aux conditions déloyales dans lesquelles l'employeur les a obtenues ; que si elle a facilité les relations entre CHASKA PRODUCTIONS et FRANCE TELECOM, c'est uniquement en sa qualité d'ancienne gérante, sans jamais avoir été décisionnaire dans l'attribution des marchés à cette société et dans le but de faciliter l'accomplissement des tâches pour lesquelles elle avait été embauchée ; qu'en effet, le fonctionnement du studio était chaotique et les brefs délais qui lui étaient imposés pour réaliser les projets la contraignaient systématiquement à rechercher une solution en urgence auprès d'un producteur exécutif intermédiaire (CHASKA PRODUCTIONS) dans la mesure où des prestataires externes ne souhaitaient pas contracter directement avec FRANCE TELECOM en raison des délais trop importants de règlement ; que seule sa hiérarchie validait les commandes et qu'elle n'ignorait pas que le recours à la société CHASKA PRODUCTIONS était indispensable pour réaliser les objectifs dans les contraintes temporelles et financières fixées ; qu'elle a toujours fait intervenir CHASKA PRODUCTIONS dans l'unique intérêt de FRANCE TELECOM dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail et pour pallier les carences de FRANCE TELECOM ; que pendant toute la durée de la relation de travail, elle n'a pas retiré d'avantages financiers de CHASKA PRODUCTIONS, les seules sommes qu'elle a encaissées correspondant à des remboursements de frais prélevés sur le compte courant d'associés créditeur qu'elle détenait régulièrement.

La société FRANCE TELECOM répond que Mme [S] [K] intervenait activement dans la gestion de la société CHASKA PRODUCTIONS dont elle était la gérante de fait ; que dès son embauche, et en violation de ses obligations contractuelles, elle a dissimulé les intérêts qu'elle avait encore au sein de la société tout en vantant immédiatement les mérites de celle-ci ; que CHASKA PRODUCTIONS, qui signait sur incitation de Mme [S] [K] des contrats de prestation de service avec FRANCE TELECOM, s'est avérée être une coquille vide ; que la plupart des prestations prétendument réalisées par la société CHASKA PRODUCTIONS au terme de contrats de prestation de service conclus avec FRANCE TELECOM étaient en réalité sous-traités à des prestataires extérieurs et surfacturés ; qu'outre les bénéfices substantiels générés pour la société qu'elle dirigeait, Mme [S] [K] a pu alimenter son compte courant d'associé et recouvrer sa créance auprès de la société CHASKA PRODUCTIONS.

Comme l'observe à juste raison la société FRANCE TELECOM, la lettre de licenciement ne vise pas de délit pénal mais des fautes professionnelles constitutives d'une violation des obligations contractuelles d'exclusivité et de loyauté. Dès lors, la relaxe de Mme [S] [K] au pénal n'empêche nullement le juge prud'homal de vérifier que les faits visés dans la lettre de licenciement sont établis et justifient le congédiement. Il sera relevé que pour relaxer Mme [S] [K] des fins de la poursuite, l'arrêt définitif de la cour d'appel retient que les faits qualifiés d'abus de confiance, d'escroquerie et de faux et usage de faux ne sont pas caractérisés tout en relevant que les commandes et contrats de la société FRANCE TELECOM à la société CHASKA PRODUCTIONS ont été passés à une époque où Mme [S] [K] détenait encore 10 % du capital de cette dernière, que les montants facturés à FRANCE TELECOM sont trois fois supérieurs aux coûts engagés par la société CHASKA PRODUCTIONS et que la marge réalisée est élevée (environ le double du prix de revient), que Mme [S] [K] ne disposait pas du pouvoir d'engager FRANCE TELECOM mais avait une faculté de proposition dans le choix des prestataires, que Mme [S] [K] a dissimulé sa gérance de droit puis de fait de la société CHASKA PRODUCTIONS à FRANCE TELECOM et que des conflits d'intérêts 'paraissent évidents'.

Aux termes de son contrat de travail, Mme [S] [K] s'est déclarée libre de tout engagement à l'égard de toute activité libérale ou salariée et s'est engagée "à n'exercer aucune autre activité sans l'accord préalable écrit de son responsable de service". Elle était en outre tenue pendant la durée du contrat de travail à une obligation générale de bonne foi et de loyauté à l'égard de son employeur en application de l'article L. 1222-1 du code du travail. S'il peut être admis que Mme [S] [K] a été recrutée par FRANCE TELECOM en considération de l'emploi précédemment occupé au sein de CHASKA, le contrat de travail qu'elle a signé ne lui faisait pas moins obligation de ne pas y exercer une activité sans l'accord de son employeur.

Or, il résulte des pièces versées par la société FRANCE TELECOM qu'au cours de la période août 2000/juillet 2001, Mme [S] [K] était gérante de la société CHASKA PRODUCTIONS, détenant 50 % des parts de la société CHASKA PRODUCTIONS, le reste appartenant à l'une de ses soeurs (40 %) et à M. [U] (10 %). En outre, si à compter de juillet 2001, Mme [Y] est la gérante officielle de la société CHASKA PRODUCTIONS, Mme [S] [K] ne détenant plus que 10 % des parts et ses deux soeurs 80 %, c'est cette dernière qui assure la gérance de fait. Cette situation et sa dissimulation à la société CHASKA PRODUCTIONS, reconnues par la cour d'appel de Versailles, résultent amplement des déclarations faites, dans le cadre de la procédure pénale, tant par Mme [Y] (" Durant l'été 2001, [O] Mme [S] [K] m'a demandé de 'prêter' mon nom pour la gérance de la société CHASKA PRODUCTIONS durant 4 à 6 mois. Elle a précisé qu'elle ne pouvait plus assurer la gérance de la société CHASKA PRODUCTIONS tout en étant salariée de France Télécom (...) [O] m'a rétorqué qu'il n'y avait aucun travail à fournir, que je devenais gérante sur le papier uniquement et que la société était en attente pour le moment (...) A plusieurs reprises j'ai reçu des appels de France Télécom qui me demandait des renseignements sur des devis net des factures ; je prétextais être en voyage pour raccrocher. Je rappelais aussitôt [O] pour avoir des explications"), que par Mme [T] qui a succédé à Mme [Y] à partir de mars 2003 et par Mme [L], secrétaire en contrat de qualification chez la société CHASKA PRODUCTIONS de septembre 2001 à septembre 2002. D'autres pièces du dossier confirment encore le rôle joué par Mme [S] [K] dans la direction de la société CHASKA PRODUCTIONS et sa dissimulation à FRANCE TELECOM (témoignages de Mme [N] et [C], respectivement contrôleur de gestion et juriste chez FRANCE TELECOM, et celle de M. [M], fonctionnaire de police en détachement chez FRANCE TELECOM, qui ont rencontré Mme [L] et Mme [Y], lesquelles leur ont confirmé que Mme [S] [K] assurait la gérance de fait de la société, attestation de Mme [Y], courriel envoyé par Mme [Y] au cabinet comptable de CHASKA ("Par rapport à vos questions, je les transmets à Mme [S] [K] car je ne connais pas la nature des faits ni j'ai pas les factures.

Elle est la seule personne à pouvoir vous répondre"), rapport graphologique produit par la société FRANCE TELECOM montrant que de nombreuses signatures attribuées à Mme [Y] sont en réalité de la main de Mme [S] [K], ce que du reste celle-ci a reconnu lors d'une audition par le juge d'instruction le 14 décembre 2005). Mme [S] [K] prétend vainement qu'elle n'a pas caché à son employeur ses liens avec la société CHASKA PRODUCTIONS eu égard notamment à la teneur de son C.V. et de son dossier de candidature, dès que le premier document mentionne seulement une expérience professionnelle au titre du dernier emploi occupé de "directeur de création et des projets multimédias" au sein de cette société et que le second fait état des fonctions exercées au sein de cette entreprise à "ce jour". Les échanges de courriels qu'elle produit (pièces 10 à 12, 17 à 20) montrent seulement que FRANCE TELECOM a donné son accord pour recourir à une 'cellule de consulting' comme demandé par Mme [S] [K] pour faire face à la charge de travail, mais n'établissent pas que l'employeur était informé du recours à la société CHASKA PRODUCTIONS et des liens qui unissaient cette structure à sa salariée.

Par ailleurs, la procédure pénale a montré que la société CHASKA PRODUCTIONS, qui ne possédait pas de locaux et qui n' employait qu'une seule salariée - Mme [L], secrétaire, puis Mme [Z], assistante de directrice artistique -, faisait réaliser la plupart des prestations prévues dans les contrats conclus avec la société FRANCE TELECOM par des prestataires extérieurs et que ces prestations étaient refacturées à la société FRANCE TELECOM, ce qui entraînait pour cette dernière un surcoût parfois important (ainsi, une prestation rémunérée 8 362 € à M. [F] a été refacturée à FRANCE TELECOM pour un montant de 25 869 €). La cour d'appel de Versailles a d'ailleurs constaté que les montants facturés à FRANCE TELECOM "sont trois fois supérieurs aux coûts engagés par la société CHASKA PRODUCTIONS et que la marge réalisée est élevée (environ le double du prix de revient)". FRANCE TELECOM justifie que le montant total de la facturation de la société CHASKA PRODUCTIONS à FRANCE TELECOM pour des prestations commandées s'est élevé à 309 369 € alors que le montant des charges comptabilisées chez la société CHASKA PRODUCTIONS pour leur exécution s'élève à seulement 92 007 € et que le chiffre d'affaires de la société CHASKA PRODUCTIONS a été multiplié par 73 au cours de l'exercice 2001/2002 après l'obtention des marchés de la société FRANCE TELECOM qui était son principal client (cf. expertise réalisée dans le cadre de l'information pénale). La procédure pénale (cf. arrêt de la chambre du 27 juin 2008) a montré également que Mme [S] [K] a facturé des journées de consultant 12 000 FF par jour, sans commune mesure avec le salaire journalier de 58 € versé à Mme [L]. Il sera encore observé que compte tenu de sa taille, CHASKA PRODUCTIONS n'était pas en capacité d'offrir à FRANCE TELECOM "la mise en place d'une équipe pluridisciplinaire ayant pour objectif de fournir un conseil de prud'hommes concernant la scénographie, la direction d'acteurs et la direction de la photo" comme prévu aux termes d'un contrat conclu avec FRANCE TELECOM le 24 janvier 2002.

Enfin, comme l'ont relevé les premiers juges, s'il est acquis que Mme [S] [K] n'a perçu aucun salaire ni aucun dividende de la société CHASKA PRODUCTIONS pendant la relation de travail, elle a perçu en revanche des avantages en nature de cette dernière correspondant à des factures à son nom pour un total de 6 327 €, notamment pour des achats de musique, location de véhicules, billets d'avion pour les Etats Unis, achat de vêtements et restaurant en Floride, achat duty free, certaines de ces prestations ayant déjà fait l'objet d'un remboursement par FRANCE TELECOM.

En définitive, il apparaît que Mme [S] [K] a dissimulé à son employeur ses liens avec la société CHASKA PRODUCTIONS et, en amenant la société FRANCE TELECOM à contracter avec cette entité, elle s'est placée dans une situation de conflit d'intérêt qui s'est traduit par un préjudice financier pour FRANCE TELECOM et un bénéfice pour la société qu'elle dirigeait de fait. Si ces faits n'ont pu revêtir une qualification pénale, ils n'en constituent pas moins une violation par Mme [S] [K] de ses obligations d'exclusivité et de loyauté à l'égard de son employeur.

La nature des faits et les fonctions de responsabilité occupées par la salariée confèrent aux manquements un caractère de gravité qui justifient le licenciement prononcé. Le jugement de première instance sera confirmé de ce chef et Mme [S] [K] déboutée de se demandes contraires.

Sur la remise des documents sociaux

Les demandes de Mme [S] [K] étant rejetées, il n'y a lieu à remise des documents sociaux demandés.

Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Succombant en son recours, Mme [S] [K] sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

Il y a lieu, en équité, de laisser à la société FRANCE TELECOM la charge de ses frais non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [S] [K] aux dépens d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société FRANCE TELECOM.

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 05/03264
Date de la décision : 26/09/2013

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°05/03264 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-09-26;05.03264 ?
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