RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 11 Septembre 2013
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/10306
Décision déférée à la cour : RENVOI APRES CASSATION - Arrêt du 26 septembre 2012 rendu par la cour de Cassation à l'encontre d'un arrêt rendu par le pôle 6 chambre 6 de la cour d'appel de PARIS en date du 04 mai 2011 suite au jugement rendu le 18 Juin 2009 par le conseil de prud'hommes de CRETEIL - section commerce - RG n° 07/01265
APPELANTS
Madame [W] [O]
[Adresse 2]
[Localité 4]
comparante en personne, assistée de Me Pierre TONOUKOUIN, avocat au barreau de PARIS, J133
Madame [N] [V] épouse [Y]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Pierre TONOUKOUIN, avocat au barreau de PARIS, J133
Monsieur [B] [C]
[Adresse 3]
[Localité 2]
comparant en personne, assisté de Me Pierre TONOUKOUIN, avocat au barreau de PARIS, J133
INTIMÉE
S.A.S. CARTE ET SERVICES
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Sandrine ROUBIN DEVRIENDT, avocate au barreau de PARIS, C1206
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 Juin 2013, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Christine ROSTAND, présidente
Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller
Monsieur Jacques BOUDY, conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Par jugement en formation de départage du 18 juin 2009, le conseil de prud'hommes de Créteil a débouté Mmes [O], [Y] ainsi que M. [C] de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnés aux dépens.
Mmes [O], [Y] et M. [C] ont relevé appel de ce jugement suivant une déclaration reçue au greffe le 24 juillet 2009.
Par arrêt du 4 mai 2011, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement déféré et les a condamnés chacun à payer à la SAS CARTE ET SERVICES la somme de 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt du 26 septembre 2012, la cour de cassation a censuré en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 mai 2011 et renvoyé la cause et les parties devant la même cour autrement composée.
Aux termes d'une déclaration reçue au greffe le 15 octobre 2012, Mmes [O], [Y] et M. [C] ont saisi la cour d'appel de Paris en tant que cour de renvoi, dans le respect du délai de 4 mois de l'article 1034 du code de procédure civile.
Dans leurs écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 12 juin 2013 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de leurs moyens, après infirmation du jugement entrepris, Mmes [O], [Y] et M. [C] sollicitent de la cour :
- la condamnation de la SAS CARTE ET SERVICES à leur régler les sommes suivantes :
Mme [O] :
1 324,30 € de rappel de salaire (mise à pied conservatoire) et 134,23 € d'incidence congés payés
3 221,14 € d'indemnité compensatrice de préavis et 322,11 € de congés payés afférents
2 806,12 € d'indemnité conventionnelle de licenciement
44 897,33 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
M. [C] :
1 920 € de rappel de salaire et 192 € d'incidence congés payés
4 006,40 € d'indemnité compensatrice de préavis et 400,64 € de congés payés afférents
5 914,04 € d'indemnité conventionnelle de licenciement
80 341,56 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
Mme [Y] :
1 166,88 € de rappel de salaire et 116,68 € d'incidence congés payés
2 802,80 € d'indemnité compensatrice de préavis et 280,28 € de congés payés afférents
1 814,58 € d'indemnité conventionnelle de licenciement
40 217,33 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
- la fixation d'intérêts au taux légal sur les sommes leur étant allouées à compter du 19 juin 2007 avec capitalisation
- la rectification du bulletin de paie du mois de juin ainsi que de l'attestation ASSEDIC sous astreinte de 100 € par jour de retard.
Dans ses écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 12 juin 2013 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de ses moyens, la SAS CARTE ET SERVICES demande à la cour de confirmer le jugement critiqué et de condamner chacun des appelants à lui payer la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
La SAS CARTE ET SERVICES a recruté :
- Mme [O] en contrat de travail à durée déterminée ayant pris effet le 6 décembre 1999, suivi d'un contrat à durée indéterminée à temps plein conclu le 10 mars 2000, en qualité d'assistante administrative rémunérée 1 610,57 € bruts mensuels, la moyenne de sa rémunération dans le dernier état de la relation contractuelle étant de 1 651,30 € bruts mensuels (emploi de gestionnaire-catégorie employé-coefficient 225-niveau III-échelon 2-position NI2) ;
- M. [C] en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein du 18 mai 1994 en qualité de comptable rémunéré 8 500 francs bruts mensuels sur 13 mois, la moyenne de sa rémunération dans le dernier état de la relation contractuelle étant de 2 231,71 € bruts mensuels (emploi de gestionnaire-catégorie employé-coefficient 270-niveau IV-échelon 2) ;
- Mme [Y] en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein du 26 mars 2002 comme assistante de gestion rémunérée 1 685 € bruts mensuels, la moyenne de sa rémunération dans le dernier état de la relation contractuelle étant restée inchangée (emploi d'assistante de gestion spécialisée-catégorie employé-coefficient 225-niveau III-échelon 2-position NI2).
La convention collective applicable dans l'entreprise est celle des industries métallurgiques OETAM de la région parisienne.
La SAS CARTE ET SERVICES a adressé à chacun de ces salariés un courrier daté du 13 février 2007 leur faisant part d'un projet de restructuration avec pour effet le transfert de leur lieu de travail de [Localité 6] (Val de Marne) à [Localité 5] (8ème arrondissement), transfert programmé le 19 mars 2007.
Aux termes de ce même courrier, l'intimée explique sa décision ainsi : «Ce regroupement est motivé par : la proximité des centres de décision et de gestion des clients Grands Comptes. Ils sont très fréquemment situés à [Localité 5] (et) la synergie d'équipes au profit de la gestion des clients».
Les appelants ont fait savoir à la SAS CARTE ET SERVICES qu'ils refusaient leur changement de lieu de travail par lettres (Mme [Y], le 21 février 2007 /sa pièce 3 - M. [C], le 10 mars 2007 / sa pièce 10) ou courriel (Mme [O], le 1er mars 2007/ sa pièce 7).
Sur les licenciements
Par lettres du 10 mai 2007, la SAS CARTE ET SERVICES les a convoqués à un entretien préalable prévu le 21 mai avec mise à pied conservatoire, à l'issue duquel il leur a été notifié le 1er juin 2007 leur licenciement pour faute grave ainsi motivée : «Par lettre du 13 février 2007, nous vous avons informé du transfert de votre poste de travail à notre établissement ' dans le 8ème arrondissement de [Localité 5] ' A plusieurs reprises, vous nous avez indiqué que vous vous opposiez à ce transfert. Effectivement, vous n'avez pas pris votre poste ce 09 mai 2007, vous présentant volontairement à [Localité 6] ' Ce comportement d'opposition est d'autant plus choquant que l'article 5 prévoit expressément une clause de mobilité ' En tout état de cause ' cette mutation s'opère dans un même secteur géographique et relève en conséquence de notre pouvoir de direction. Ce comportement d'opposition à nos directives et à vos obligations nous contraint à mettre un terme immédiat à votre collaboration».
Au soutien de leur contestation, les appelants invoquent le principe général de faveur tiré de l'article L.2254-1 du code du travail -rapport norme conventionnelle / norme contractuelle -, relèvent que l'article 3 de la convention collective applicable au présent litige confère au lieu de travail un «caractère substantiel» propre à leur contrat de travail, considèrent que cette disposition conventionnelle se place «sur le terrain de la modification du contrat de travail dont le refus par le salarié ne peut être fautif», indiquent que l'arrêt de la cour de cassation doit se comprendre en ce que «la rupture constitue nécessairement un licenciement, et que c'est dans le cadre de ce licenciement que s'apprécie l'expression : du fait de l'employeur, c'est-à-dire que le refus du salarié ne peut être considéré comme fautif, donc ne peut donner lieu à un licenciement disciplinaire», et concluent en conséquence pour ce qui les concerne à un licenciement «nécessairement sans cause réelle et sérieuse» dès lors que la norme conventionnelle précitée «retient que le licenciement consécutif au refus du salarié doit être considéré comme imputable à l'employeur».
En réponse, la SAS CARTE ET SERVICES indique, comme la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 4 mai 2011, que l'article 3 de la convention collective susvisée ne confère pas de manière automatique au lieu de travail un caractère contractuel en se prononçant par avance sur le bien fondé d'un licenciement consécutif à un refus du salarié, que les contrats de travail des appelants contenaient une clause de mobilité géographique sur la région parisienne, que l'interprétation de ce même article par la cour de cassation s'avère «sclérosante» dès lors qu'elle empêche toute restructuration passant par un changement même minime du lieu de travail qui serait subordonné en toute hypothèse à l'accord préalable des salariés concernés, que leur refus en l'espèce a conduit à ce qu'elle prenne l'initiative d'une procédure de licenciement - rupture du contrat de travail du fait de l'employeur et «réglée comme telle» -, que ledit article n'accorde pas au salarié un droit absolu au refus mais précise seulement «le cadre juridique des conséquences qui doivent être tirées d'un tel refus», et que leur changement de lieu de travail au sein du même secteur géographique - région parisienne - n'affectait pas leur contrat de travail, de sorte qu'il ne s'agissait que d'un simple changement s'inscrivant dans l'exercice de son pouvoir de direction.
La convention collective des industries métallurgiques OETAM de la région parisienne est complétée par un accord du 21 janvier 1976 valant avenant pour la catégorie «mensuels» (ouvriers, administratifs, techniciens, agents de maîtrise) avec un article 3 ainsi rédigé : «Tout engagement sera confirmé, au plus tard au terme de la période d'essai, par une lettre stipulant : ' l'établissement dans lequel cet emploi doit être exercé. Toute modification de caractère individuel apportée à un des éléments ci-dessus fera préalablement l'objet d'une nouvelle notification écrite. Dans le cas où cette modification ne serait pas acceptée par l'intéressé, elle sera considérée comme une rupture de contrat de travail du fait de l'employeur et réglée comme telle».
L'article 1156 du code civil dispose que l'«on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes», si tant est qu'il soit nécessaire de procéder à une interprétation de la clause concernée en ce qu'il n'est pas permis au juge, en présence d'une convention dont les termes sont clairs et précis, de dénaturer les obligations qui en résultent et de modifier les stipulations qu'elle renferme.
La norme conventionnelle précitée s'interprète en qu'elle fait obligation à l'employeur, au plus tard à l'expiration de la période d'essai convenue, de confirmer au salarié son engagement au sein de l'entreprise par une «lettre» précisant, entre autres éléments, le lieu de travail, avec le rappel d'une possibilité de «modification» au moyen d'une «notification écrite» faite par l'employeur au salarié qui est libre de ne pas l'accepter, ce qui conduira dans cette hypothèse à se placer sur le terrain d'«une rupture de contrat de travail du fait de l'employeur et réglée comme telle».
Il s'en déduit :
- d'une part, que le lieu de travail peut être contractualisé par les parties si telle est leur commune intention clairement exprimée en ce sens ;
- d'autre part, que si la modification envisagée du lieu de travail - préalablement contractualisé - par l'employeur n'est pas acceptée par le salarié, cette divergence maintenue entre les parties ne pourra que se conclure par «une rupture de contrat de travail du fait de l'employeur et réglée comme telle», ce qui signifie seulement que dans pareille hypothèse, l'employeur doit prendre l'initiative de la rupture du contrat de travail en engageant une procédure de licenciement, sans qu'il soit permis à ce stade de lui imputer par un effet automatique la responsabilité de cette même rupture en considérant a priori injustifié le licenciement qu'il viendrait à notifier au salarié suite à son refus de changer d'affectation géographique.
Or, il sera relevé qu'en l'espèce les contrats de travail des salariés contenaient tous une clause de mobilité géographique dans les limites de la région parisienne, clause mise en 'uvre par la SAS CARTE ET SERVICES dans le cadre d'un projet de restructuration interne visant courant 2007 à transférer pour une meilleure efficacité commerciale certains de ses services de [Localité 6] (Val de Marne) à [Localité 5] (18ème arrondissement), étant rappelé que la bonne foi contractuelle se présume, de sorte qu'il n'y a pas lieu de rechercher si la décision de l'intimée de faire application de cette clause de mobilité contractuelle est conforme à l'intérêt de l'entreprise, en ce qu'il appartient aux appelants de démontrer que leur changement d'affectation à [Localité 5] a été décidé pour des raisons étrangères à cet intérêt ou qu'il a été mis en 'uvre par l'employeur dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle, ce dont ils s'abstiennent manifestement.
La SAS CARTE ET SERVICES a au surplus respecté un délai de prévenance suffisant pour permettre aux salariés de s'organiser, lesquels ont persisté dans une attitude d'obstruction consistant jusqu'en mai 2007 à se présenter de manière systématique sur leur ancien lieu de travail de [Localité 6], nonobstant les tentatives de l'employeur pour leur faire entendre raison durant toute cette période. Cette attitude ne pouvait conduire l'intimée qu'à prendre l'initiative de la rupture en les convoquant courant mai 2007 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, ce dont il ne peut se déduire que la rupture lui serait «imputable» avec dans ce cas les effets indemnitaires d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Contrairement à ce que prétendent les appelants au nom du principe général de faveur tiré de l'article L.2254-1 du code du travail, il ne ressort pas de l'article 3 précité la consécration d'«un caractère substantiel du lieu de travail» qui rendrait «nécessairement» sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour motif disciplinaire suite à leur refus ou, autrement exprimé, que le licenciement notifié dans pareil contexte doit être considéré comme «imputable» à l'intimée (leurs écritures, page 15).
Ce refus constant et dans la durée est constitutif d'un manquement fautif à leurs obligations contractuelles, manquement susceptible de recevoir la qualification de faute grave ayant rendu impossible la poursuite de leur relation contractuelle de travail et nécessité leur départ immédiat de l'entreprise sans indemnités.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté les appelants de l'ensemble de leurs demandes contre la SAS CARTE ET SERVICES.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Aucune circonstance d'équité ne commande qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et chacun des appelants sera condamné à supporter le tiers des dépens en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
CONFIRME le jugement déféré ;
Y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [O], Mme [Y] et M. [C], chacun, à un tiers des dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE