RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 6
ARRÊT DU 11 Septembre 2013
(n° 6 , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/09587-CB
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Avril 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section commerce RG n° 09/05820
APPELANTE
Madame [Z] [O]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Philippe LAMOTTE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0162
INTIMÉE
SARL KHUN AKORN
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Christophe ROSSI, avocat au barreau de PARIS, toque : L0030
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Juin 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine BRUNET, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Pierre DE LIÈGE, Présidente
Madame Claudine ROYER, Conseillère
Madame Catherine BRUNET, Conseillère
Greffier : Madame Evelyne MUDRY, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Pierre DE LIÈGE, Présidente et par Madame Evelyne MUDRY, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Madame [Z] [O] a été engagée à compter du 9 août 1994 par la société KHUN AKORN en qualité de serveuse.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des Hôtels, Cafés, restaurants.
Par courrier en date du 2 février 2009, la société a convoqué madame [O] a un entretien dans le cadre d'une rupture conventionnelle, fixé au 9 février 2009. Lors de cet entretien, un projet de convention de rupture du contrat de travail lui a été proposé.
Par lettre en date du 10 février 2009, madame [O] a refusé les termes de cette convention en demandant que son salaire de directrice soit conforme à celui fixé par la convention collective applicable, que la majoration des heures supplémentaires soit de 25% du taux horaire, que 3 mois de congés payés soient indemnisés et que l'indemnité conventionnelle soit supérieure.
Par courrier en date du 20 février, la société a affirmé qu'elle n'avait pas la qualité de directrice, que les heures supplémentaires étaient majorées au taux de 10% et qu'aucune indemnité de congés payés ne lui était due pour la période antérieure. Elle a mentionné que son souhait de partir était à l'origine de cette tentative de rupture conventionnelle.
Par lettre en date du 10 mars 2009, la salariée a constaté qu'il n'avait pas été fait droit à ses demandes salariales et a reproché à son employeur d'exercer à son encontre «une pression morale insoutenable à la limite du harcèlement». Elle a ajouté que ce comportement «sembl(ait) confirmer (ses) doutes , de (son) désir de (la) voir quitter l'entreprise à moindre frais pour ( lui).»
En réponse, par courrier en date du 26 mars, la société a maintenu sa position sur les éléments salariaux et a nié tout comportement de harcèlement.
Madame [O] a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 24 mars 2009, arrêt prolongé hormis une courte période de reprise, jusqu'à une visite de pré-reprise du 5 août 2009.
Par avis en date du 12 août 2008, le médecin du travail a déclaré la salariée « inapte à tous les postes de l'entreprise en procédure de danger immédiat ( Art . R4624-31 du code du travail) (...) ».
Madame [O] a saisi le conseil de prud'hommes de PARIS d'une demande de convocation en date du 6 mai 2009 aux fins de voir condamner la société à lui payer un rappel de salaire afférent à la qualification de directrice qu'elle revendiquait.
Madame [Z] [O] a été convoquée par lettre en date du 26 août 2009 à un entretien préalable fixé au 7 septembre 2009.
Par lettre reçue le 7 septembre par le conseil de prud'hommes, elle a ajouté à sa demande initiale une demande en résolution judiciaire de son contrat de travail et en paiement de dommages et intérêts.
Par lettre en date du 9 septembre 2009, elle a été licenciée au motif de son inaptitude au poste qu'elle occupait dans la société et de l'impossibilité de la reclasser à un autre poste.
Par jugement en date du 29 avril 2011 auquel la Cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de PARIS a :
- débouté Madame [Z] [O] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société KHUN AKORN de sa demande reconventionnelle.
Madame [Z] [O] a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 14 septembre 2011.
Madame [Z] [O] sollicite l'infirmation du jugement entrepris et le prononcé de la résolution judiciaire du contrat de travail. Elle demande la condamnation de la société à lui payer les sommes de :
- 6 458,20 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 6 054,57 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 36 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 25 115,14 euros au titre des heures supplémentaires,
- 30 761,50 euros à titre de rappels de salaires,
- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
avec exécution provisoire.
A l'appui de ses prétentions, Madame [Z] [O] fait valoir que la procédure de rupture conventionnelle a été engagée à la demande de l'employeur, qu'elle a été déclassée du poste de directrice à celui de serveuse à la suite de son refus de la convention de rupture puis qu'elle a subi des brimades qui ont conduit à la dégradation de son état de santé; que ces comportements fautifs de l'employeur justifient le prononcé de la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de la société. A titre subsidiaire, elle considère que son licenciement est nul, l'avis du médecin du travail ne comportant pas certaines mentions et qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse en l'absence de recherche d'un reclassement au sein des autres restaurants de la société. Elle affirme avoir réalisé de nombreuses heures supplémentaires.
En réponse, la société KHUN AKORN sollicite la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de madame [O] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Elle soutient qu'elle n'a commis aucun manquement de nature à entraîner la résolution judiciaire du contrat de travail; que la rupture conventionnelle a été engagée à la demande de la salariée, qu'elle n'a jamais exercé les fonctions de directrice, qu'aucune heure supplémentaire ne lui est due et qu'elle n'a pas été victime de faits de harcèlement.
MOTIFS
Sur la résolution judiciaire du contrat de travail
Il résulte de l'article 1184 du code civil que la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté a le choix, ou de forcer l'autre à l'exécution du contrat de travail lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.
Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.
Dans le cadre de l'instance, madame [O] soutient que l'employeur n'a pas exécuté de bonne foi le contrat de travail en souhaitant se débarrasser d'elle en :
- lui proposant une rupture conventionnelle,
- la déclassant d'office du poste de directrice au poste de serveuse,
- lui offrant des conditions de travail qui l'ont rendue inapte à tous postes.
Il convient d'examiner ces griefs.
Sur l'initiative de la rupture conventionnelle
Aucun élément produit par les parties ne permet de déterminer qui a pris l'initiative de cette rupture conventionnelle.
Sur le déclassement des fonctions de directrice à celles de serveuse
Madame [O] ne produit aucun élément de nature à démontrer qu'elle exerçait réellement les fonctions de directrice. Ainsi s'il pouvait lui être difficile de produire des attestations de salariés en fonction au sein du restaurant, elle aurait pu produire des attestations de clients ou d'anciens salariés. Elle ne décrit pas non plus les attributions qui auraient été les siennes pendant sa période d'emploi ni aucun document qu'elle aurait été amenée à établir dans le cadre de cet exercice.
Elle n'a jamais réclamé avant le projet de rupture conventionnelle, un rappel de salaire au titre de ses fonctions alors qu'elle était rémunérée en qualité de serveuse.
Elle se prévaut simplement de la mention figurant sur ses bulletins de salaire. Mais cet élément à lui seul n'est pas de nature à permettre de démontrer que l'employeur a entendu lui reconnaître la qualité de directrice, qu'il conteste formellement.
Il y a donc lieu de retenir que madame [O] n'exerçait pas les fonctions de directrice et que, dès lors, la société ne l'a pas déclassée après son refus de la rupture conventionnelle.
Sur les conditions de travail l'ayant rendu inapte à tous poste de travail
D'une part, Madame [O] invoque des brimades et produit à ce titre des certificats médicaux et des écrits qu'elle a rédigés (lettres des 10 mars, 23 avril, 29 avril, 18 mai 2009, notes manuscrites du 5 août 2009). Ces écrits n'ont aucune force probante car ils ne sont corroborés par aucun élément. D'autre part, par certificat en date du 3 août 2008, le docteur [K] [S] a affirmé que madame [O] souffrait depuis le 11 mars 2009 d'une dépression nerveuse puis dans un courrier adressé le 6 août 2008 au docteur [R], médecin du travail, il a indiqué «je vous confirme que l'état de santé de madame [O] [Z] s'est dégradé du fait de son travail et donc de son maintien dans son lieu de travail qui met sa santé en danger.». Le médecin du travail l'a déclarée en situation de danger immédiat. Cependant, ces éléments ne suffisent pas à établir que l'employeur a eu à l'égard de la salariée un comportement fautif, la relation entre l'état dépressif et les conditions de travail n'étant pas autrement démontrée.
Les griefs invoqués par madame [O] à l'encontre de son employeur et à l'appui de sa demande en résiliation de son contrat de travail n'étant pas établi la décision des premiers juges sera confirmée en ce qu'elle l'a déboutée de cette demande.
Sur le licenciement
A titre principal, madame [O] invoque la nullité de son licenciement puis à titre subsidiaire son caractère dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La lettre de licenciement est ainsi rédigée: « (...)Vous avez été en arrêt de travail pour cause de maladie du 24 mars au 6 avril 2009 puis à compter du 22 avril 2009. Après plusieurs renouvellements, cet arrêt de travail devait en principe prendre fin le 11 août 2009. Toutefois, dans le cadre de la visite de reprise que vous avez effectuée le 12 août 2009, le Docteur [U] [R], médecin du travail, a déclaré votre inaptitude à tous les postes de l'entreprise, en procédure de danger immédiat (article R.4624-31 du Code du travail). Cette dernière a également indiqué qu'elle ne voyait pas de reclassement possible au sein de l'entreprise. Dès lors, nous avons tenté d'identifier toutes les possibilités de reclassement qui pourraient exister au sein de notre société. Néanmoins, comme vous le savez, nos capacités de reclassement sont limitées à des fonctions similaires à celles que vous exercez en principe, exclusivement au sein de notre restaurant. N'ayant identifié aucune possibilité de reclassement au sein de notre entreprise, nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement en raison de l'inaptitude au poste que vous occupez au sein de notre société, telle que déclarée par le Docteur [R], et de l'impossibilité de reclassement professionnel à un autre poste.(...) »
Sur la nullité du licenciement
Madame [O] fait valoir que son licenciement est nul car le médecin du travail n'a pas mentionné qu'une seule visite a été effectuée et n'a pas précisé en quoi son maintien à son poste de travail entraînait un danger pour sa santé, sa sécurité ou celle de tiers.
L'article R4624-31 du code du travail dispose en son alinéa 2: «Lorsque le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celle des tiers ou lorsqu'un examen de préreprise a eu lieu dans un délai de trente jours au plus, l'avis d'inaptitude médicale peut être délivré en un seul examen.»
L'avis du médecin du travail est ainsi rédigé : «J'ai vu ce jour en visite de reprise, madame [O] [Z], votre salariée depuis le 09 août 1994 et l'ai déclarée : Inapte à tous les postes de l'entreprise en procédure de danger immédiat ( Art . R4624-31 du code du travail) (...) », suite à un arrêt de travail prolongé du 22 avril au 11 août 2009. Compte tenu de la dégradation de son état de santé, je ne vois pas de reclassement possible pour elle dans votre entreprise. (...)»
Cet avis vise donc expressément la situation de danger immédiat et fait expressément référence à l'article du code du travail appliqué. Il n'est pas requis qu'il mentionne qu'une seule visite de reprise a été effectuée, cet élément résultant d'une part de l'énonciation d'une seule visite le 12 août et du recours à la procédure de danger immédiat. Enfin, le médecin du travail n'a pas l'obligation de motiver son avis en exposant les motifs du danger immédiat relevé.
Dès lors, le licenciement de madame [O] n'est pas nul.
Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement
Madame [O] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse car l'employeur n'a pas recherché de solutions de reclassement. A l'audience, elle a invoqué le fait que la société comprenait plusieurs établissements.
Il résulte des dispositions de l'article L1226-2 du code du travail que, lorsqu'un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur doit lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités et aussi comparable que possible à son poste antérieur.
D'une part, si le papier à en-tête de la société figurant sur son courrier en date du 26 mars 2009 fait apparaître plusieurs établissements, il résulte du KBIS produit aux débats qu'elle ne comprend en réalité que l'établissement dans lequel travaillait madame [O].
D'autre part, la société affirme qu'elle ne disposait que de postes de service et de postes de cuisine occupés par des salariés ce que madame [O] ne conteste pas.
Enfin, cette impossibilité de reclassement est corroborée par l'avis du médecin du travail qui a indiqué ne pas voir de possibilité de reclassement dans l'entreprise.
Il convient donc de constater qu'aucune mesure de reclassement n'était possible et madame [O] sera déboutée de sa demande à ce titre.
La décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande.
Sur le rappel de salaire afférent à la qualité de directrice
Compte tenu des développements précédents, madame [O] sera déboutée de sa demande à ce titre.
La décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande.
Sur les heures supplémentaires
La preuve des heures supplémentaires n'incombe spécialement à aucune des parties.
Madame [O] produit un décompte des heures supplémentaires qu'elle allègue avoir effectuées. L'employeur ne produit aucun élément. Or il lui appartient conformément aux dispositions des articles L 3171-2 et L 3171-3 du code du travail de tenir un décompte des heures de travail effectuées par chaque salarié et de le tenir à disposition. Enfin, la production d'un décompte précis, calculé mois par mois par le salarié et permettant à l'employeur de répondre constitue un élément de fait suffisamment précis.
La société fait valoir que ce décompte est inexact dans la mesure où y figurent des heures supplémentaires à une période de vacances de la salariée du 17 au 26 juillet 2007. Elle ne conteste pas l'amplitude horaire mentionnée par madame [O].
Mais sur le décompte produit par madame [O], la période de vacances signalée par l'employeur est indiquée et aucune heure supplémentaire n'est sollicitée à ce titre. Cette erreur initiale ne conduit pas à invalider le décompte portant sur deux années.
Il convient donc de retenir que madame [O] a effectué au cours des années 2007 et 2008, de nombreuses heures supplémentaires dont 2 161 heures ne lui ont pas été réglées.
Elle sollicite leur paiement avec une majoration de 10%.
Il lui est donc dû à ce titre la somme de 25 115,14 euros au paiement de laquelle la société sera condamnée.
Il y a lieu d'infirmer sur ce chef de demande la décision des premiers juges.
Sur l'exécution provisoire
La décision sera assortie de l'exécution provisoire.
Sur les frais irrépétibles
La société KHUN AKORN sera condamnée à payer à madame [Z] [O] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur les dépens
La société KHUN AKORN sera condamnée au paiement des dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement mais seulement en ce qu'il a débouté Madame [Z] [O] de sa demande au titre des heures supplémentaires;
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :
Condamne la société KHUN AKORN à payer à Madame [Z] [O] la somme de:
- 25 115,14 euros au titre des heures supplémentaires,
avec exécution provisoire.
Confirme le jugement déféré pour le surplus;
Ajoutant,
Condamne la société KHUN AKORN à payer à Madame [Z] [O] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
Condamne la société KHUN AKORN au paiement des dépens.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,