Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRÊT DU 10 SEPTEMBRE 2013
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/19801
Décision déférée à la Cour : Recours en annulation d'une sentence rendue à Paris le 25 juillet 2011 par le tribunal arbitral composé de MM. LEVY, DERAINS arbitres et Monsieur HANOTIAU, président
DEMANDERESSES AU RECOURS EN ANNULATION :
SOCIÉTÉ SEMAPA INVESTIMENTO E GESTAO SGPS S,A, société de droit portugeais
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
PORTUGAL
représentée par Me François TEYTAUD, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : J125
assistée de Me KLEIMAN, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : J 007
SOCIETE CIMENTOSPAR-PARTICIPACOES SOCIAIS, SGPS LDA, société de droit portugeais
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
PORTUGAL
représentée par Me François TEYTAUD, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : J125
assistée de Me KLEIMAN, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : J 007
DÉFENDERESSES AU RECOURS EN ANNULATION :
SOCIETE CRH PLC société de droit irlandais
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Localité 3]
IRLANDE
représentée par la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, Me Luca DE MARIA, avocats postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
assistée de Me RAOUL DUVAL et Me MUNOZ, avocats plaidants du barreau de PARIS, toque : T 03
S.A. BETON CATALAN société de droit espagnol
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 3]
[Localité 1]
ESPAGNE
représentée par la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, Me Luca DE MARIA, avocats postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
assistée de Me RAOUL DUVAL et Me MUNOZ, avocats plaidants du barreau de PARIS, toque : T 03
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 juin 2013, en audience publique, le rapport entendu, devant la Cour composée de :
Monsieur ACQUAVIVA, Président
Madame GUIHAL, Conseillère
Madame DALLERY, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame PATE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur ACQUAVIVA, président et par Madame PATE, greffier présent lors du prononcé.
La Société SEMAPA INVESTIMENTO E GESTÃO, société holding d'investissement de droit portugais, appartenant au groupe Queiroz Pereira, devenue actionnaire unique de la Société SECIL, cimentier portugais, au travers de la Société de droit portugais CIMENTOSPAR- PARTICIPACÕES SOCIAIS dont elle détient la totalité du capital, a cédé en 2004, 45,15% des actions et 49% des droits de vote au sein de SECIL. à la Société de droit irlandais CRH PLC (CRH), elle-même détentrice de la totalité du capital de la société de droit espagnol BETON CATALAN.
Le 2 juin 2004, CRH et SEMAPA ont signé un pacte d'actionnaires soumis au droit portugais réglant notamment leurs relations en cas de manquements contractuels et déterminant le mode de réparation de ces violations si la mise en demeure d'y remédier demeurait sans suite, celui-ci différant selon que les manquements allégués devaient être qualifiés de 'substantiels' ou de non 'substantiels', les manquements dits 'substantiels' étant limitativement énumérés par les parties dans l'annexe 2 du Pacte.
Des difficultés étant apparues entre les parties, SEMAPA faisant grief à CRH de manquer à ses obligations contractuelles, celle-ci a, par lettre du 20 mai 2009, mis en demeure CRH d'y remédier et le délai de trente jours prévu à l'article 16.2 du Pacte étant expiré et les discussions entre les parties étant restées infructueuses, a notifié par lettre du 15 octobre 2009 sa décision de mettre en oeuvre la procédure d'évaluation des actions préalable à l'exercice par la partie non défaillante, de l'option d'achat, réservée à son profit par le pacte.
L'évaluation effectuée distinctement par la banque d'investissement désignée par chacune des parties faisant apparaître une différence supérieure à 10%, une troisième banque d'investissement a été désignée en qualité de tiers arbitre selon les modalités prévues par le Pacte à l'effet de déterminer la valeur finale des actions.
Dans l'intervalle, CRH, à son tour, a mis en demeure, par lettre du 10 novembre 2009, SEMAPA de remédier à certains manquements et par lettre du 18 novembre 2009, engagé une procédure d'arbitrage devant la Chambre de Commerce Internationale de Paris, conformément aux dispositions de l'article 22.2 du pacte.
Par une sentence rendue à Paris le 25 juillet 2011, le tribunal arbitral composé de MM. [F], [R] arbitres et Monsieur [W], président, a déclaré l'option d'achat par SEMAPA valable, en supprimant toutefois la réduction de 10% du prix d'achat contractuellement prévu, l'évaluant ainsi à hauteur de 574.280.000 €, compte tenu de l'existence de manquements substantiels mutuels par les deux actionnaires, et a par ailleurs condamné CRH à supporter 60% des coûts de l'arbitrage ainsi qu'à rembourser aux défenderesses 50% des honoraires engagés par celle-ci dans l'arbitrage.
Par déclaration du 7 novembre 2011, la société SEMAPA et la société CIMENTOSPAR ont formé un recours en annulation contre ladite sentence arbitrale.
Vu les conclusions signifiées par SEMAPA et CIMENTOSPAR le 30 janvier 2013 tendant à l'annulation de la sentence rendue le 25 juillet 2011, ainsi qu'au paiement par CRH d'une somme de 100.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions signifiées le 10 août 2012 par CRH et BETON CATALAN, solidairement responsable avec CRH de toutes les obligations supportées par cette dernière au titre du pacte, aux termes desquelles il est demandé à la cour de confirmer la sentence, et condamner SEMAPA au paiement d'une somme de 100.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI,
- Sur le moyen d'annulation tiré de ce que le tribunal
arbitral aurait statué sans se conformer à la mission qui lui a été confiée (1520 3° Code de procédure civile).
Les recourantes font valoir que le tribunal arbitral a statué ultra petita en modifiant le prix de l'option d'achat tel que fixé par le tiers arbitre, prix qu'il aurait dû valider et en infligeant à SEMAPA, par la suppression de l'abattement de 10% prévue par le Pacte en cas d'exercice de cette option, une sanction qui n'a été demandée par aucune des parties.
Considérant que la mission des arbitres est essentiellement délimitée par l'objet du litige tel qu'il est déterminé par les prétentions respectives des parties;
Considérant que le pacte d'actionnaires liant CRH et SEMAPA réserve à chacune des parties la faculté d'exercer une option soit d'achat des actions détenues par l'autre lorsque celle-ci s'est rendue coupable de manquements substantiels soit de vente à la partie adverse des actions détenues par elle-même si les manquements commis par cette dernière ne peuvent être qualifiés de substantiels au sens de l'annexe 2 du dit pacte qui énumère limitativement quatorze cas d'ouverture ;
Considérant que c'est parce qu'elle considérait que SEMAPA s'était rendue coupable de manquements substantiels qui l'autorisaient à exercer l'option d'achat et qu'elle contestait motif pris de l'absence de tout manquement susceptible de lui être imputé, la possibilité pour SEMAPA de mettre en oeuvre la procédure d'évaluation des actions préalable à l'exercice de l'option de vente, que CRH a saisi le tribunal en vertu de la clause d'arbitrage stipulée par le pacte d'actionnaires;
que saisi de prétentions antagonistes, chacune des parties imputant à l'autre des manquements contractuels qui s'ils étaient également caractérisés, pouvaient conduire à les reconnaître toutes deux défaillantes alors que les options d'achat et de vente étaient réservées aux termes du pacte d'actionnaires à la seule partie 'non défaillante', le tribunal arbitral s'est vu expressément confier aux termes de l'acte de mission signé le 11 mars 2010, le soin dans une telle hypothèse de 'définir les critères propres à résoudre le conflit de droits à réparation dont disposent les Parties en vertu du Pacte' ;
Considérant que dans les mémoires qu'elles ont déposés devant le tribunal arbitral, les parties se sont expliquées sur ce conflit et sur le moyen de le résoudre si son existence était avérée ;
que c'est ainsi que CRH a sollicité qu'il soit fait application dans ce cas de l'article 335 du code civil portugais qui autorise le juge en cas de manquements contractuels réciproques à ajuster la réparation au regard de leur gravité et de leur nombre et que SEMAPA a contesté pour sa part l'existence d'un tel conflit de droits qualifié de création artificielle et considéré en tout état de cause que le droit portugais excluait l'application des dispositions légales revendiquées par CRH lorsque 'les droits à réparation en conflit sont simplement apparents (plutôt que réels)' ou encore lorsque 'l'une des parties a délibérément causé une situation de conflit';
que dans ces conditions, le tribunal arbitral en relevant des manquements mutuels des parties à leurs obligations et en en tirant la conséquence sur le droit à réparation, conformément au droit portugais auquel le pacte d'actionnaires était soumis a statué dans les limites de la mission qui lui avait été confiée en sorte que le moyen doit être écarté ;
- Sur le moyen d'annulation tiré de ce que le principe de la contradiction n'aurait pas été respecté (1520 4° du code de procédure civile).
Les recourantes soutiennent que la sentence a été rendue en méconnaissance du principe de la contradiction en ce que le tribunal arbitral n'a pas invité les parties à débattre de la sanction infligée à SEMAPA, ce que conteste CRH qui affirme que le tribunal a spécifiquement demandé aux parties de présenter leurs observations.
Considérant qu'il résulte de la transcription des débats devant le tribunal arbitral (pièces n° 14 et 15) que celui-ci a spécialement interpellé les parties en les invitant à s'expliquer sur les conséquences pouvant découler de manquements contractuels caractérisés commis par chacune d'elles, qu'ils soient qualifiés de substantiels ou de non substantiels et à envisager 'tous les scénarios possibles' ;
que c'est ainsi que pour répondre à la demande du tribunal arbitral, les parties défenderesses ont adressé une note évoquant le cas de manquements réciproques à laquelle était joint un tableau synoptique énumérant pour chacune des hypothèses susceptibles d'être retenues les conséquences pouvant résulter de l'application de l'article 335 du code civil portugais, cette note évoquant notamment 'l'ajustement éventuel de la réduction de 10% au vu de la gravité relative, du nombre et de l'importance des manquements des deux parties' ;
que par suite, le tribunal arbitral qui pour tenir compte des manquements réciproques commis par les deux parties a modulé le montant du droit à réparation de la partie autorisée à exercer l'option d'achat, après avoir recueilli préalablement les observations des parties, n'a pas méconnu le principe de la contradiction ;
que le moyen qui tend sous couvert de la violation du principe de la contradiction à obtenir la révision au fond de la sentence laquelle est interdite au juge de l'annulation, doit être, en conséquence, rejeté.
- Sur le moyen d'annulation tiré de ce que la reconnaissance et l'exécution de la sentence seraient contraire à l'ordre public procédural international (1520 5° du Code de procédure civile).
Les recourantes invoquent une violation du principe d'égalité des armes en ce que le tribunal arbitral se serait fondé sur une argumentation développée par CRH selon un procédé déloyal, son conseil, le cabinet PLMJ qui avait été l'avocat de M. [P] [X], président du conseil d'administration de SEMEPA dans une procédure distincte, ayant utilisé en violation de ses obligations déontologiques et du secret professionnel, des connaissances personnelles pour avoir eu accès à cette occasion à des informations confidentielles.
Considérant que les recourantes qui ne précisent pas les informations confidentielles auxquelles le conseil de CRH aurait pu avoir accès, se bornant à faire grief à celui-ci d'avoir présenté de manière négative tant la personnalité que les méthodes de gestion du dirigeant de SEMAPA, ne démontrent pas en tout état de cause, à supposer même que l'avocat des parties défenderesses ait manqué comme prétendu, à ses obligations déontologiques, en quoi de telles informations ont été de nature à exercer une influence sur la décision du tribunal arbitral ou encore en quoi les droits de la défense auraient été atteints ;
que le moyen et le recours doivent être en conséquence rejetés.
Considérant que SEMAPA et CIMENTOSPAR qui succombent ne peuvent prétendre à une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile et doivent être condamnées sur ce même fondement au paiement à la Société de droit irlandais CRH PLC et à la société de droit espagnol BETON CATALAN ensemble, d'une somme de 50.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Rejette le recours en annulation formée par la Société de droit portugais SEMAPA et la Société de droit portugais CIMENTOSPAR à l'encontre de la sentence arbitrale rendue à [Localité 4] le 25 juillet 2011, dans l'instance les opposant à la Société de droit irlandais CRH PLC (CRH), et à la société de droit espagnol BETON CATALAN.
Condamne la Société de droit portugais SEMAPA et la Société de droit portugais CIMENTOSPAR aux dépens qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et au paiement d'une somme de 50.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT