La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2013 | FRANCE | N°12/08645

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 27 juin 2013, 12/08645


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 27 Juin 2013

(n° 14 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/08645



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Avril 2009 par Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS - Section encadrement - RG n° 07/08726







APPELANTE

Madame [T] [U] épouse [D]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparante en personne, as

sistée de Me Saskia HENNINGER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0487, Me Jessica MARTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0487





INTIMÉE

SARL LES EDITIONS JALOU

[Adresse 2]
...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 27 Juin 2013

(n° 14 , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/08645

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Avril 2009 par Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS - Section encadrement - RG n° 07/08726

APPELANTE

Madame [T] [U] épouse [D]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Saskia HENNINGER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0487, Me Jessica MARTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0487

INTIMÉE

SARL LES EDITIONS JALOU

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Michel BIET, avocat au barreau de PARIS, toque : R012

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 mai 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Renaud BLANQUART, président, et Anne MÉNARD, Conseillère , chargés d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Renaud BLANQUART, Président

Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Madame Anne MÉNARD, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Renaud BLANQUART, Président et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [D] a été engagée en qualité de rédactrice stagiaire, le 26 mai 1986, par la société PUBLI BALZAC, et son contrat de travail a été transféré, avec reprise d'ancienneté au sein de la société l' Officiel de la Couture et de la Mode Paris.

Elle a progressé au sein de l'entreprise, pour occuper, en 1997, le poste de Rédactrice spécialisée, coefficient 105 de la convention collective des journalistes. Son travail consistait à réaliser des photos de mode : elle coordonnait l'intervention des photographes et des mannequins, choisissait les vêtements, le thème des photographies, leur décor etc...

A partir du 1er mars 2003, elle n'a plus travaillé qu'à temps partiel dans l'entreprise.

Elle a bénéficié de trois congés de maternité, de juillet 1997 à août 1998, puis de septembre 2001 à février 2003, et enfin de mars à septembre 2005.

Elle a été en arrêt maladie pour des troubles anxio-dépressifs à partir du mois d'octobre 2006.

Le 25 juillet 2007, elle a saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris le 25 juillet 2007 afin de solliciter la résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Le Conseil de Prud'hommes l'a déboutée de ses demandes par jugement en date du 30 avril 2009, en estimant qu'elle n'établissait ni la modification de ses fonctions, ni la perte de salaire invoquée, ni les humiliations quasi-quotidienne dont elle soutenait être l'objet de la part de son employeur. Il a, également, condamné Madame [D] aux dépens.

Madame [D] a interjeté appel de cette décision le 29 mai 2009.

A l'issue de son arrêt pour maladie, une visite unique de reprise a été organisée le 12 octobre 2009, à l'issue de laquelle elle a été déclarée inapte à tout poste, un danger immédiat ayant été visé.

Par courrier en date du 10 novembre 2009, l'employeur a proposé à la salariée trois offres de reclassement, auxquelles cette dernière n'a pas donné suite.

Elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement par courrier du 18 novembre 2009, et licenciée pour faute grave le 3 décembre 2009, l'employeur lui reprochant de ne pas s'être associée au processus tendant à la recherche d'un reclassement.

Présente et assistée de son Conseil, Madame [D] a, à l'audience du 30 mai 2013 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, elle demande à la Cour de :

- fixer la moyenne des salaires à 4.471,23 euros.

- dire que le licenciement est entaché de nullité.

- requalifier le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein.

- condamner la société EDITIONS JALOU à lui payer les sommes suivantes :

99.025,37 euros à titre de rappel de salaires sur la période non prescrite au titre de la requalification à temps plein.

26.827,38 euros nets de toutes charges sociales à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé.

107.309,52 euros, ou subsidiairement 77.974,08 euros, nets de toutes charges sociales, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

67.068,45 euros, ou subsidiairement 48.733,80 euros, nets de toutes charges sociales, à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.

8.942,46 euros, ou subsidiairement 6.497,84 euros, bruts de charges sociales, outre 894,24 euros ou subsidiairement 649,78 euros au titre des congés payés afférents, au titre de l'indemnité de préavis.

50.000 euros nets de toutes charges sociales, à titre de dommages et intérêts pour discrimination liée à l'état de maternité.

50.000 euros nets de toutes charges sociales, à titre de dommages et intérêts pour discrimination professionnelle.

50.000 euros nets de toutes charges sociales, à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

25.000 euros nets de toutes charges sociales, à titre de dommages et intérêts pour licenciement intervenu dans des conditions brutales et vexatoires.

15.000 euros nets de toutes charges sociales, à titre de dommages et intérêts pour violation de son droit d'auteur.

7.000 euros HT sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'audience, elle a modifié ses demandes, et indiqué qu'elle ne demandait pas à la Cour de prononcer la nullité de son licenciement, mais de dire qu'il était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle a confirmé qu'elle ne demandait pas qu'il soit statué sur le bien fondé de la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail qu'elle avait formée initialement.

Elle expose qu'au retour de chacun de ses congés de maternité, elle a constaté une modification des tâches qui lui étaient confiées ; qu'en particulier en septembre 2001, elle a été remplacée par la fille de Madame [K], laquelle avait précédemment un poste à [Localité 1] qu'elle avait quitté, compte tenu des événements survenus au même moment, et qu'elle n'a jamais plus retrouvé le même niveau de responsabilité ; que le temps partiel n'a jamais été normalement formalisé par un contrat écrit, et qu'il n'a pas été respecté ; que les agissements de son employeur l'ont amenée à souffrir d'une dépression, ayant conduit à l'impossibilité de reprendre son poste ; que l'employeur, au lieu de tirer les conséquence de l'avis d'inaptitude donné par le médecin du travail, a tenté de lui imposer de reprendre un poste dans la société, et l'a licenciée au motif qu'elle refusait cette proposition de reclassement, qui pourtant ne s'imposait pas à elle.

Réprésentée par son Conseil, la SARL LES EDITIONS JALOU a, à l'audience du 30 mai 2013 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, elle demande à la Cour de :

- dire et juger que la commission arbitrale des journalistes reste saisie, ainsi qu'elle en a jugé, stipulant qu'elle se considère comme saisie, le sursis à statuer qu'elle a ordonné ne portant que sur la question de savoir quel est le salaire mensuel de référence qu'elle doit prendre en compte pour statuer conformément à la loi.

- dire et juger que la compétence de la commission arbitrale dans le domaine qui lui est dévolu entraîne corrélativement l'incompétence de la juridiction prud'homale, la commission arbitrale qui ne pouvait pas ne pas prendre en compte ce qu'avance la journaliste, pour dire ce qu'il en est de 'l'existence et de l'incidence des fautes alléguées'.

- dire et juger que statuer sur l'existence de la faute grave, en l'état actuel de la procédure, serait empiéter sur le domaine dévolu à la commission arbitrale de l'article L7112-4 du Code du travail.

- se dire incompétent pour statuer sur tout ce qui relève de l'appréciation de l'existence et de l'incidence des fautes alléguées.

- dire et juger que statuer sur le préavis, ce qui reviendrait à dire qu'il n'y a pas de faute grave, reviendrait à empiéter sur le pouvoir d'appréciation conféré par la loi à un organisme arbitral paritaire, pour des raisons qui doivent tenir à sa connaissance des conditions d'exercice de la profession et des règles à respecter dans cet exercice.

Subsidiairement,

- dire que le montant de 1.711,47 euros doit être reconnu comme le salaire mensuel de référence, pour les besoins des délibérations de la commission arbitrale des journalistes, pour la fixation du quantum de l'indemnité de licenciement, et ce qui peut découler de l'appréciation de l'existence et de l'incidence des fautes alléguées.

- renvoyer le contentieux à l'examen de la commission arbitrale des journalistes.

- dire qu'en tout état de cause la demande de rappel de salaire est prescrite au delà du 19 juillet 2007 et que Madame [D] ne saurait faire valoir cette demande que pour la période du 19 juillet 2007 au 3 décembre 2009.

- dire et juger que Madame [D] ne rapporte pas la preuve d'un harcèlement moral de son employeur et du non-respect par ce dernier de ses obligations contractuelles à son égard, passait par une prétendue discrimination qui reste sans preuve.

- dire que Madame [D] ne rapporte la preuve d'aucun préjudice, se gardant au contraire d'indiquer ce qu'ont été ses revenus réels et ce qu'ils sont encore aujourd'hui.

- dire qu'on ne saurait, au prétexte du respect du secret médical par l'employeur, autoriser le salarié à avancer ce qu'il veut, dans le ressort des informations médicales, en le dispensant de preuve et de démonstration rationnelle.

- dire que l'organisation, la coordination et la mise en oeuvre d'un processus réunissant les médecins traitants, praticiens conseils de la sécurité sociale et médecins du travail pour appliquer avec esprit de système une analyse formaliste d'une jurisprudence qui ne laisserait aucune issue aux employeurs de bonne foi et ne réservant aucune sanction aux refus de reclassement de mauvaise foi n'est qu'un procédé de mauvaise foi et en tout cas démarche sans fondement légal.

- dire qu'on ne saurait dicter à un employeur qu'il ne peut faire aucune proposition de reclassement, l'avis d'inaptitude ayant été habilement libellé et précisé ultérieurement comme suit : 'la patiente doit être exclue de l'unité géographique et relationnelle ; que l'exclusion d'une unité géographique et relationnelle n'a aucun sens en droit du travail et dans la pratique de l'entreprise (...)

- dire que le fait de refuser trois postes de chef de rubrique de mode, proposés au même salaire, avec le même statut et les mêmes horaires, sans mention de la moindre réduction de quoi que ce soit, revient en réalité à dire, de mauvaise foi, qu'on s'estime en droit de refuser d'être ainsi maintenu dans l'emploi sans perdre pour autant la qualité de salarié involontairement privé d'emploi, susceptible d'être pris en charge par Pôle Emploi, ce qui s'analyse en une faute grave et une fraude.

- dire que la mauvaise foi est privative de l'indemnité de l'article L7112.3 du Code du travail, et supprimer en conséquence cette indemnité, pour autant que cela soit possible ce qui reste la compétence de la Commission arbitrale des journalistes.

- dire que Madame [D] ne saurait se réclamer d'un droit d'auteur alors qu'elle n'offre même pas de rapporter la preuve d'une oeuvre de l'esprit dont elle serait la créatrice et, à fortiori de la reproduction, dans des parutions étrangères, d'une oeuvre qu'elle aurait créée.

-condamner Madame [D] au paiement de la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère aux dernières écritures des parties, visées par le greffier, et réitérées oralement à l'audience.

DISCUSSION

- Sur la compétence de la commission arbitrale

L'article L7112-3 du Code du travail institue une indemnité de rupture pour les journalistes, lorsque celle-ci est à l'initiative de l'employeur, qui ne peut être inférieure à un mois par année d'ancienneté, dans la limite de quinze années.

L'article L7112-4 du même Code stipule que lorsque l'ancienneté excède quinze années, une commission arbitrale est saisie pour déterminer l'indemnité due ; qu'en cas de faute grave ou de fautes répétées, l'indemnité peut être réduite dans une proportion qui est arbitrée par la commission, ou même supprimée.

Il résulte de ses dispositions que la compétences de la commission arbitrale est limitée à la fixation de l'indemnité de licenciement, le Conseil de Prud'hommes et la Cour d'appel gardant la plénitude de la compétence pour tout autre chef de demande. Ces juridictions ne peuvent être tenues, pour l'appréciation de la gravité de la faute en ce qui concerne l'allocation d'une indemnité de préavis, par la décision de la commission arbitrale.

Dans ces conditions, il convient pour la Cour de se déclarer incompétente pour statuer sur la demande d'indemnité de licenciement, et de statuer, dès maintenant, sur le surplus des demandes de Madame [D].

- Sur la demande de rappel de salaires au titre de la requalification en temps de travail à temps plein

Aucune demande de salaire n'avait été formée devant le Conseil de Prud'hommes, de sorte que la prescription n'a été interrompue que par les conclusions du 30 mai 2013 visées à l'audience, l'employeur indiquant toutefois avoir été destinataire de conclusions 19 juillet 2012 devant la Cour d'Appel, dont il considère qu'elles étaient interruptives de prescription.

Dès lors qu'aucune demande de salaire n'est formulée pour la période postérieure au 19 juillet 2007, date à laquelle Madame [D] était en arrêt maladie, il convient de dire que ce chef de demande est prescrit.

- Sur le montant du salaire moyen

Les parties sont en désaccord sur le montant du salaire à retenir, en raison d'une part de la demande de requalification du contrat de travail à temps plein, et d'autre part de la prise en compte dans le salaire de base des sommes versées au titre des piges, et du montant même de ce salaire de base.

En ce qui concerne la requalification du contrat de travail, le fait que la demande de rappel de salaires soit prescrite n'interdit pas à la salariée de demander à la Cour de dire qu'elle occupait en réalité un poste de travail à temps plein, de sorte que cette question doit être examinée.

Il est constant qu'en l'absence d'écrit, le contrat est supposé s'être poursuivi à temps complet. Il s'agit toutefois d'une présomption simple.

Il ressort des pièces versées aux débats et notamment d'un courrier du 22 janvier 2003 que Madame [D] a demandé à travailler à temps partiel à compter de son retour de congé maternité le 3 mars 2003, et que l'employeur a établi une attestation dont il résulte qu'il a été fait droit à cette demande. L'employeur précise que cette attestation était destinée à lui permettre d'obtenir une aide de la CAF liée à ce temps partiel.

Par ailleurs, Madame [D] ne peut soutenir s'être tenue en permanence à la disposition de son employeur, alors que dans son courrier du 22 janvier 2003, elle indiquait : 'En effet, je reprends mon poste à l'exception du mercredi (= à un 77%)'. Elle était donc parfaitement informée de ses jours de travail, qu'elle avait elle-même déterminés, et n'était nullement obligée de se tenir à la disposition de son employeur.

Surabondamment, il convient de rappeler que Madame [D] a le statut de journaliste, et que par application de l'article 29 de la convention collective les nécessités inhérentes à la profession ne permettent pas de déterminer la répartition des heures de travail. Madame [D] ne peut donc se prévaloir de l'absence de définition de ses horaires dans un avenant contractuel pour soutenir s'être tenue en permanence à la disposition de son employeur, étant encore rappelé qu'elle n'a jamais émis la moindre contestation sur ses horaires de travail avant le mois de juillet 2012.

Les parties sont également en désaccord sur le montant du salaire de base et des piges à prendre en compte.

Madame [D] fonde son calcul sur une attestation du directeur administratif et financier de la société, établie le 17 octobre 2005, qui indique qu'elle perçoit une rémunération annuelle brute de 28.247 euros plus primes piges de 10.740 euros, et qu'elle bénéficie en tant que journaliste d'une allocation pour frais d'emploi de 7.650 euros exonérée d'impôts. L'employeur indique que cette attestation a été établie pour lui permettre d'obtenir un prêt, et que par complaisance, il n'a pas été tenu compte de son temps partiel, et que le montant des piges retenu est manifestement erroné.

Compte tenu de l'imprécision de cette attestation, qui ne dit pas à quelle période elle se réfère, il convient de prendre en compte pour déterminer le salaire moyen de Madame [D] les rémunérations apparaissant sur ces fiches de paie, y compris les piges perçues dont rien ne justifie qu'elles soient exclues.

Au cours des 12 derniers mois précédent son arrêt de travail (calcul le plus favorable), Madame [D] a perçu un salaire de base de 1.637,54 euros sur 13 mois, outre 3.200 euros de piges pour l'année 2005, soit au total 24.488,02 euros.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la Cour fixe à la somme de 2.040,66 euros la moyenne des salaires de Madame [D].

Compte tenu de l'absence de requalification en contrat de travail à temps plein, la demande au titre du travail dissimulé sera rejetée.

- Sur la discrimination

Madame [D] fait valoir qu'à ses retours de congé de maternité, et plus particulièrement en 2003 et 2005, elle n'a jamais retrouvé son activité dans les conditions qui étaient les siennes à son départ, et qu'ainsi sa fonction rédactionnelle a progressivement diminué, jusqu'à disparaître presque totalement ; que la suppression des ces fonctions rédactionnelles a, de surcroît, eu d'importantes répercussions sur son image au sein de la profession, sur son moral, et sur son état de santé.

Elle explique qu'à l'issue de son premier congé de maternité, elle avait déjà constaté une diminution du nombre de pages rédactionnelles qui lui étaient confiées ; qu'en 2001, à l'occasion de son second congé de maternité, elle a été remplacée dans ses fonctions par Madame [M], fille de la dirigeante de la société ; qu'à son retour, l'employeur n'a pas organisé l'entretien prévu par l'article L 1225-27 du Code du travail, et que Madame [M] a été maintenue à son poste ; qu'elle apparaît à ses côté sur l'Ours du magazine, mais qu'en réalité ce doublon était artificiel et qu'elle a été totalement évincée ; qu'à son troisième retour de congé de maternité, la situation s'est encore dégradée, qu'elle ne s'est plus vu confier aucun publi-rédactionnel, que les défilés et présentations presse étaient réservés à Madame [M], et qu'elle a cessé d'apparaître en tant que Directrice Mode sur la liste de la chambre syndicale et de la couture.

Elle verse, en effet, aux débats un tableau reprenant le nombre de pages réalisées mois par mois, depuis le début de son contrat de travail, dont la teneur n'est pas sérieusement contestée par son employeur. Ce document permet de constater que de toute évidence, chacun de ses congés de maternité a été l'occasion d'une diminution très sensible de ses activités rédactionnelles. Elle justifie également de ce qu'elle a plusieurs fois interrogé son employeur sur cette situation, sans obtenir de réponse satisfaisante. L'inspection du travail, qu'elle a saisi en 2009, a confirmé s'être rendu dans l'entreprise et avoir constaté qu'elle ne signait plus d'articles de mode rédactionnels depuis 2002 et de publi-rédactionnels depuis 2005.

Elle verse également aux débats de nombreuses attestations de salariés ou de professionnels de la mode, qui confirment que peu à peu Madame [D] s'est vu retirer la plus grande partie de ses fonctions, ainsi que le fait qu'elle n'était plus conviée aux réunions de rédaction. Les témoins indiquent combien cette situation a été difficile à vivre pour elle.

Elle produit donc des éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1 er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008.

Dans ces conditions, il incombe à l'employeur de démontrer l'existence d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Ce dernier conteste le fait que Madame [D] ait été remplacée dans ses fonctions par Madame [M], invoquant un renforcement des effectifs pour justifier le maintien en binôme des deux salariées au retour de Madame [D]. Toutefois, ce qui est en cause n'est pas que l'employeur ait entendu maintenir les deux salariées à leur poste, mais la teneur même de l'activité de Madame [D]. Or aucune explication n'est fournie sur la diminution du nombre de pages rédactionnelles, si ce n'est une explication, non étayée par une quelconque pièce, et concernant uniquement les publi-rédactionnels, suivant laquelle les clients choisiraient eux mêmes leur rédacteur pour les opérations publicitaires confiées au magazine.

L'employeur expose également que Madame [D] a refusé de nouvelles missions qui lui étaient proposées, alors que les tâches qui lui étaient confiées n'étaient nullement intangibles. Toutefois, à son retour de congé de maternité ou de congé parental, la salariée devait retrouver ses fonctions, ou des fonctions similaires, et l'employeur ne pouvait conserver une autre salariée pour exercer les fonctions qu'elle exerçait auparavant et lui en confier d'autres.

Ainsi, la discrimination en raison de l'état de grossesse subie par Madame [D] est justifié par les pièces produites. Il en est résulté pour elle un préjudice moral certain, dès lors qu'elle a eu le sentiment justifié d'être 'mise au placard', et également un préjudice financier, en raison de la perte d'une partie des rémunérations qu'elle aurait pu percevoir sous forme de piges.

Il lui sera alloué 20.000 euros de dommages et intérêts de ce chef.

Le préjudice qu'elle invoque au titre de la discrimination professionnelle, fondé sur le fait que cette discrimination s'est faite au profit de Madame [M], fille de Madame [K], est le même que celui précédemment indemnisé, de sorte qu'il ne sera pas fait droit à la demande de dommages et intérêts formée distinctement de ce chef.

- Sur le harcèlement moral

Au soutient de sa demande d'indemnisation d'un harcèlement moral qu'elle invoque, Madame [D] fait principalement valoir que la mise au placard dont elle a été l'objet à son retour de congé de maternité, et sur laquelle elle a alerté l'employeur a plusieurs reprises, lui a causé un préjudice particulièrement important en raison des répercussions qu'elle a eu sur son état de santé.

Toutefois, force est de constater que les griefs invoqués sont exactement les mêmes que ceux qui ont permis à la Cour de retenir l'existence d'une discrimination, et que le préjudice est également identique, dès lors que les dommages et intérêts d'ores et déjà alloués indemnisent le préjudice moral important qui a effectivement été subi.

Pour le surplus, Madame [D] fait état du retard de l'employeur à lui remettre différents documents administratifs durant son arrêt maladie, et à lui verser son 13ème mois pour l'année 2006. Toutefois, toutes ces situations ont été régularisées dans des délais acceptables, la salariée ne démontrant pas avoir perdu des droits, notamment à l'égard de la CAF ou de la mutuelle. Ces retards limités ne sont pas de nature à caractériser la situation de harcèlement moral invoquée.

- Sur le licenciement

En vertu des dispositions de l'article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce Code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis ; l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

En vertu des dispositions de l'article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.

En l'espèce, la lettre de licenciement évoque dans un premier temps l'absence de la salariée lors et l'entretien préalable, et son refus, quelques jours plus tard, des postes de reclassement qui lui étaient proposés. L'employeur expose ensuite que le processus de reclassement consécutif au constat d'inaptitude est obligatoire pour le salarié également, les deux parties devant s'impliquer de bonne foi.

Elle se poursuit dans les termes suivants : 'Concrètement, il est fautif de votre part de ne donner aucune suite à des propositions qui ne constituent qu'un simple changement et une adaptation de vos conditions de travail, et non une modification de votre contrat, ce que vous ne pouvez pas soutenir (même salaire, même titre, fonctions pratiquement équivalentes à celles que vous exerciez, mais fonctions appropriées à vos compétence, à votre capacité et à votre état physique et de santé, impliquant un temps de travail réduit et moins astreignant, dont une partie pouvait d'ailleurs à l'évidence être effectué en dehors de l'entreprise, à votre domicile).

Tout ceci s'inscrivait dans le cadre de la prescription formulée par la médecine du travail, que nous avons lue et appliquée comme la loi le prescrit : il n'y a pas d'inaptitude dont la conséquence automatique doit être le licenciement, comme, de fait, vous le prétendez. Vous avez refusé d'examiner quoi que ce soit, sans donner le moindre motif légitime, vous abstenant de nous faire connaître ne serait-ce que ce qui justifiait à vos yeux une ou plusieurs objections.

(...)

Sciemment, vous avez opposé le silence à ce que nous vous proposions, pour faire valoir, tardivement, que changer de magazine... c'est changer de contrat.

(...)

Votre démarche fait penser qu'elle a été conçue et mise en oeuvre pour en arriver à une fin que vous poursuiviez de longue date. En tout état de cause, la façon dont vous avez délibérément choisi de procéder est clairement abusive, outre qu'elle détourne la procédure de reclassement des salariés reconnus inaptes par le médecin du travail.

Pour l'ensemble des raisons qui précèdent, nous vous licencions pour faute grave, privative de vos indemnités'.

Il résulte des termes de cette lettre, qui fixe les limites du litige, que le licenciement est intervenu pour faute, et non pour inaptitude, de sorte que l'ensemble des développements de Madame [D] sur la procédure à suivre en cas de licenciement pour inaptitude sont sans objet.

L'avis d'inaptitude du 12 octobre 2009 était rédigé dans les termes suivants : 'Inapte à tout poste existant dans l'entreprise, article 4624-31, un seul examen médical (danger immédiat pour la santé) l'état du salarié ne permet pas de faire des propositions de mutation ni de reclassement'.

A l'issue l'employeur a proposé trois postes, sur des magazines différents, avec la qualification de 'chef de rubrique mode'. Dans les trois cas, le lieu de travail était au siège de la société, comme précédemment, avec possibilité d'aménager un temps partiel et de travailler en partie à domicile.

Ces possibilités ont été soumises au médecin du travail, qui a indiqué que Madame [D] devait être exclue de l'unité géographique et relationnelle, ce qui excluait un travail au siège de la société à [Localité 2].

Par courrier du 24 novembre 2009, Madame [D] a refusé ces propositions, en indiquant en premier lieu qu'elles constituaient une modification de son contrat de travail, dès lors notamment qu'elle ne travaillait plus sur le même magazine, et en second lieu que ces offres étaient incompatibles avec les préconisations du médecin du travail, lesquelles reposent sur un constat de harcèlement ayant provoqué une grave détérioration de son équilibre psychologique, et rendant impensable son retour dans l'entreprise, quel que soit le poste proposé.

C'est sur ce refus que l'employeur a fondé son licenciement pour faute grave.

L'obligation de reclassement prévue par l'article L1226-2 du Code du travail pèse sur l'employeur, et non ainsi qu'il est soutenu sur les deux parties au contrat. Si le salarié refuse les propositions de reclassement qui lui sont faites, l'employeur doit en tirer les conséquences et le licencier pour inaptitude.

En l'espèce, le refus opposé par la salariée peut d'autant moins être considéré comme abusif qu'elle rejoint l'avis donné par le médecin du travail sur les postes proposés par l'employeur.

Il en résulte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Madame [D] est donc fondée à obtenir le paiement d'une indemnité de préavis de deux mois, soit la somme de 4.081,33 euros, outre 408,13 euros au titre des congés payés afférents.

Madame [D] avait plus de deux années d'ancienneté dans l'entreprise, laquelle comptait plus de 10 salariés, de sorte qu'elle a droit à une indemnité au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse que ne peut pas être inférieure à six mois de salaire.

Compte tenu de son ancienneté de 23 années, de son âge à la date de son licenciement, soit 45 ans, et de son salaire d'environ 2.000 euros, il convient de lui allouer une indemnité de 36.000 euros.

*

Madame [D] sollicite en outre le paiement de 25.000 euros en raison des conditions de son licenciement qu'elle juge brutales et vexatoires.

Toutefois, il convient de relever que le fait qu'elle a été licenciée pour faute alors qu'elle se trouvait en invalidité constitue le fond même du licenciement, lequel a été jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse, et non ses conditions. Les termes du courrier qui lui a été adressé ne sont ni insultants ni humiliants, et la rupture est intervenue alors qu'elle était inévitable (mais sur un autre fondement), dès lors que la salariée avait indiqué qu'elle jugeait tout reclassement impossible.

Il ne sera donc pas fait droit à la demande de ce chef.

- Sur la demande au titre des droits d'auteur

Madame [D] soutient que son travail a été réutilisé dans des journaux parus à l'étranger, sans que la cession de son droit d'auteur est été prévue par le contrat.

Toutefois, le droit d'auteur s'attache à la création d'oeuvres de l'esprit.

En l'espèce, Madame [D] ne rédigeait aucun article, et ne prenait pas de photographies, de sorte qu'il n'apparaît pas que le travail qu'elle réalisait pour la société bénéficie de la protection du Code de la propriété intellectuelle.

En tout état de cause, elle ne justifie pas de la publication dans la presse étrangère des photographies à la réalisation desquelles elle a participé.

Elle sera donc déboutée de ce chef de demande.

*

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame [D] la totalité des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés. Il lui sera alloué 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Constate que la résiliation judiciaire du contrat de travail, qui était l'objet du litige devant le Conseil de Prud'hommes, n'est plus demandée.

Infirme le jugement en ce qu'il a débouté Madame [D] de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail et l'a condamnée aux dépens.

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Se déclare incompétente pour connaître de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Condamne la SARL LES EDITIONS JALOU à payer à Madame [D] les sommes suivantes :

4.081,33 euros à titre d'indemnité de préavis.

408,13 euros au titre des congés payés afférents.

36.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Condamne la SARL LES EDITIONS JALOU aux dépens de première instance.

Ajoutant au jugement, condamne la SARL LES EDITIONS JALOU à payer à Madame [D] les sommes suivantes :

20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination lié à l'état de maternité.

2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Déboute Madame [D] du surplus de ses demandes et la SARL LES EDITIONS JALOU de sa demande reconventionnelle.

Condamne la SARL LES EDITIONS JALOU aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 12/08645
Date de la décision : 27/06/2013

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°12/08645 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-06-27;12.08645 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award