RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 27 Juin 2013
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08221
11/08761
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Mai 2011 par Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS Section Encadrement RG n° 09/16828
APPELANTE ET INTIMEE
SA HPC
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Pierre CHICHA, avocat au barreau de PARIS, toque : E 98O
INTIME ET APPELANT
Monsieur [W] [U]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne
assisté de Me Florence LAUSSUCQ-CASTON, avocat au barreau de PARIS, toque : E2034
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Mars 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Rémy LE DONGE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Marc DAUGE, Président
Monsieur Bruno BLANC, Conseiller
Monsieur Rémy LE DONGE, Conseiller
Greffier : Madame Laëtitia CAPARROS, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Bruno BLANC, Conseiller ayant participé au délibéré, par suite d'un empêchement du Président et par Melle Laëtitia CAPARROS, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [W] [U] a été engagé par la Société HPC OTCEXGROUP dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à effet du1er février 2000, en qualité d'Opérateur SWAPS.
La société HPC OTCEXGROUP, qui comptait plus de 10 salariés au moment du licenciement de M. [U], est une entreprise d'investissement intervenant sur les marchés interbancaires.
Le contrat de travail de Monsieur [U] a fait l'objet de nombreux avenants avant que ce dernier ne soit nommé le 1er janvier 2003 aux fonctions de Responsable du desk "Devises".
Pour faire suite à cette nomination, un avenant en date du 3 décembre 2003 prévoyait le montant de la part variable de sa rémunération qui serait rétroactivement calculée à compter du 1er janvier 2003 pour une durée d'un an renouvelable, sur la base du chiffre d'affaires réalisé par l'ensemble de l'équipe avec une part garantie versée sous forme d'avances mensuelles.
Le 31 octobre 2005 un nouvel avenant modifiait la part variable de sa rémunération en la scindant en deux parties, l'une calculée sur son chiffre d'affaires individuel et l'autre sur le chiffre d'affaires de son équipe.
A compter d' août 2007, l'équipe du desk de M. [U] a été progressivement démantelée, d'abord par le redéploiement de quatre de ses membres, compensé dans un premier temps par le recrutement d'un nouveau collaborateur et la signature d'un nouvel avenant..
Ce nouveau collaborateur ainsi qu'une autre salariée ont fait l'objet de mesures de licenciement en septembre 2008 sans que M. [U], dont l'équipe n'était plus composée que d'une collaboratrice employée au 2/5ème d'un temps complet, n'en ait été avisé préalablement .
Le 3 juillet 2009, le Directeur Général délégué de la société notifiait à Monsieur [U] un avertissement motivé par la baisse de ses résultats de 2008, aggravée en 2009.
En réponse au courrier du 30 juillet 2009 par lequel Monsieur [U] contestait cet avertissement, son employeur tout en écartant les arguments de M. [U], lui annonçait qu'un point sur les résultats serait réalisé en septembre 2009.
A cette échéance M. [U] rappelait à son employeur, les facteurs ayant conduit à la baisse de ses résultats.
Le 30 septembre 2009 par courrier remis en main propre, M. [U] était convoqué à un entretien préalable fixé au 9 octobre 2009.
Le 2 octobre afin de se voir exposer les motifs du licenciement envisagé, M. [U] a été invité à rejoindre son employeur en présence de son Président Directeur Général et d'un représentant du personnel qui a réalisé un compte-rendu faisant état des contestations de M. [U].
Le 9 octobre à 11 heures, M. [U] assisté du représentant du personnel refusait de participer à un second entretien préalable, rappelant au directeur général délégué que l'entretien préalable avait déjà eu lieu le 20 octobre, tout nouvel entretien étant inutile et irrégulier.
Par courrier recommandé avec avis de réception en date du 28 octobre 2009, la société HPC OTCEXGROUP a notifié à M. [U] son licenciement pour insuffisance de résultats
Le 7 décembre 2009 M. [U] a contesté les griefs retenus et saisi le Conseil de Prud'hommes de PARIS le 29 décembre 2009 aux fins de faire juger que le licenciement intervenu le 28 octobre 2009 était dénué de cause réelle et sérieuse et faire condamner la société HPC à lui payer
- 164 226,20 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 9 125 € à titre d'indemnité pour non respect de la procédure
- 54 755 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral
- 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
Outre l'exécution provisoire, M. [U] demandait au Conseil de prud'hommes d'assortir les condamnations de l'intérêt légal et de faire application de l'article 1154 du Code civil.
La Cour est saisie d'un appel formé par la société HPC contre la décision du Conseil de prud'hommes de PARIS en date du 30 mai 2011 qui l'a condamnée à payer à M. [U] :
- 91 250 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêt légal à compter du jugement
-500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La Cour est également saisie d'un appel incident de M. [U] contre cette décision, limité au quantum des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse et au versement de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Les deux procédures font l'objet d'une jonction
Vu les conclusions du 29 mars 2013 au soutien de ses observations orales au terme desquelles, la société HPC demande à la Cour de débouter Monsieur .[U] de l'ensemble de ses demandes, de le condamner à lui verser 2000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre 2000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu les conclusions du 29 mars 2013 au soutien des observations orales par lesquelles Monsieur .[U] conclut à la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a constaté l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement intervenu et condamné la société HPC à lui verser 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour le surplus Monsieur [U] conclut à l'infirmation de la décision et sollicite la condamnation de la société HPC à lui verser:
- 164 266,20 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 54 755,40 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire
- 9 125,90 € à titre d'indemnité pour non respect de la procédure
- 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
En outre Monsieur .[U] sollicite la remise de l'attestation pôle emploi, le bénéfice des dispositions de l'article 1154 du Code civil et le rejet des prétentions de la société HPC.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues l'audience ;
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le bien fondé du licenciement
L'insuffisance des résultats ne peut constituer en soi une cause de licenciement ; le fait de ne pas avoir atteint les objectifs doit résulter soit d'une insuffisance professionnelle, soit d'une faute imputable au salarié.
L'insuffisance professionnelle peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement lorsqu'elle repose sur des éléments précis, objectifs et imputables au salarié; que le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.
Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, M. [U] qui supervisait depuis le 1er janvier 2003 le Desk "Devises" comportant neuf membres permanents, dont la part variable de la rémunération après avoir été, au terme de l'avenant du 3 décembre 2003, calculée sur la base du chiffre d'affaires réalisé par l'ensemble de l'équipe, a été scindée par un avenant du 31 octobre 2005 entre une part calculée sur son chiffre d'affaires individuel et une autre sur celui de son équipe, n'a pu que constater l'engagement d'un processus de démantèlement progressif de cette dernière sans modification de son mode de rémunération ni des objectifs à atteindre.
Etant relevé comme le soutient M. [U] que le Desk "Devises" a été intégralement supprimé, de sorte que le vrai motif de son licenciement réside dans la volonté de l'entreprise d'opérer des économies, il est constant que l'étiolement de cette structure par la seule volonté de l'employeur, a eu pour effet de la priver progressivement des synergies, en particulier au travers des échanges d'informations entre ses opérateurs, qui lui permettaient d'atteindre le niveau de performances attendu.
Dans ces conditions et contrairement à ce que soutient la société HPC, le fait pour M. [U] de ne pas atteindre les objectifs attendus ne résulte pas d'un comportement fautif de sa part et encore moins d'une insuffisance professionnelle mais d'une attitude délibérée adoptée par l'employeur pour s'affranchir des contraintes de toute autre procédure pour se séparer de son salarié.
La décision des premiers juges constatant que le licenciement de M. [U] est dépourvu de caractère réel et sérieux ne pourra qu'être confirmé.
Compte tenu de ses niveaux de responsabilité et de rémunération, son âge, de son ancienneté (10 ans) au moment du licenciement, de ses charges de famille (2 enfants) et de ses difficultés avérées, compte tenu du contexte économique, à retrouver un emploi équivalent, le préjudice indemnisable peut être évalué à la somme de 127762 €.
Sur la régularité de la procédure
Les parties s'accordent pour retenir que M. [U] après s'être vu remettre en mains propres le 30 septembre 2009, une convocation à un entretien préalable prévu le 9 octobre 2009, s'est vu enjoindre d'assister à un entretien en présence du Président Directeur Général de la société le 2 octobre 2009, auquel il s'est rendu assisté d'un délégué du personnel.
Il est également constant qu'invité à donner suite à la convocation pour l'entretien du 9 octobre, M. [U] toujours assisté, a fait connaître son refus motivé par la préexistence de la réunion du 2 octobre qu'il estime par ailleurs irrégulière.
En dépit de son qualificatif d'informel, l'entretien du 2 octobre 2009 qui ne portait que sur la "situation du salarié" et partant sur son avenir dans la société alors que le licenciement était officiellement envisagé au moins depuis le 30 septembre 2009, date de la remise de la convocation à l'entretien préalable, avait toutes les caractéristiques d'un entretien préalable, M. [U] étant d'ailleurs assisté d'un représentant de son choix.
Dans ces conditions, l'entretien du 9 octobre 2009 auquel était initialement convoqué l'intéressé ne revêtait plus qu'un caractère purement formel et celui du 2 octobre 2009 un caractère irrégulier pour être intervenu avant l'expiration du délai de cinq jours francs.
Le préjudice nécessairement subi par le salarié qui a dû s'expliquer, dans le cadre d'un entretien préalable intervenu dans un tel délai, doit être indemnisé dans les termes du dispositif et le jugement entrepris réformé sur ce point.
Sur la réparation du préjudice moral
Contrairement à ce que soutient la société appelante, la procédure de licenciement de son salarié engagée et poursuivie pour un motif retenu mettant en cause son potentiel professionnel alors qu'il ressort de manière patente des pièces produites, des débats et des développements ci-dessus, que la baisse de résultats invoquée à son encontre, résultait d'actes délibérés de son employeur, apparaît nécessairement dévalorisant et vexatoire.
Le préjudice qui en résulte pour l'intéressé doit être évalué à la somme de 45000 €, la décision des premiers juges étant réformée dans cette limite.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
Pour fonder les prétentions formulées à ce titre, la société HPC se prévaut de la légèreté avec laquelle son salarié aurait engagé cette procédure, sans démontrer en quoi le recours légalement engagé par ce dernier pour contester la mesure prise à son encontre devant la juridiction compétente pour en connaître, serait emprunt d'une légèreté blâmable et revêtirait ainsi un caractère abusif.
La société HPC sera par conséquent déboutée.
Sur la capitalisation des intérêts
En application de l'article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts est de droit dès lors qu'elle est régulièrement demandée ; elle ne peut être ordonnée qu'à compter de la demande qui en est faite et ne peut rétroagir avant cette demande ; elle peut être demandée pour les intérêts antérieurs dès lors qu'une année entière s'est déjà écoulée depuis la demande, à venir dès lors qu'une année entière se sera écoulée ; il doit être fait droit à cette demande ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité et la situation des parties commande d'allouer 2000 € à M. [U] sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur le remboursement des indemnités ASSEDICS
En vertu de l'article L 1235-4 du code du travail dont les conditions sont réunies en l'espèce, le remboursement des indemnités de chômage par la société HPC, employeur fautif, est de droit ; que ce remboursement sera ordonné.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Déclare recevable l'appel principal formé par la SA HPC,
Déclare recevable l'appel incident formé par M. [U]
ORDONNE la jonction des procédures 11/08221 et 11/08761
CONFIRME, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris en ce qu'il a :
Dit que le licenciement de M. [U] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamné la SA HPC à verser à M. [U] la somme de 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code procédure civile
Le RÉFORME pour le surplus
Et statuant à nouveau
CONDAMNE la SA HPC à payer à M. [U]
- 127 762 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 45 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire
- 9 125,90 € à titre d'indemnité pour non respect de la procédure
DIT que les condamnations de nature salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2009, date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres condamnations portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, application faite pour chacune des dispositions de l'article 1154 du code civil.
ORDONNE à la SA HPC à remettre à M. [U] une attestation destinée à Pôle Emploi conforme ;
CONDAMNE la SA HPC à payer à M. [U] 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SA HPC de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE M. [U] du surplus de ses demandes,
ORDONNE, dans les limites de l'article L 1235-4 du code du travail, le remboursement par la SA HPC à l'organisme social concerné des indemnités de chômage payées à M. [U]
CONDAMNE la SA HPC aux entiers dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ