RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRÊT DU 13 Juin 2013
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/08087
Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 12 Juillet 2012 par le Conseil de prud'hommes de PARIS - RG n° 12/00925
APPELANTE
Madame [Q] [F]
Chez Monsieur [V] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 2]
comparante en personne, assistée de Me Rachel SPIRE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2081
INTIMEE
ASSOCIATION ACTISCE
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Nathalie RAPPAPORT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0383
PARTIE INTERVENANTE
UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS
[Adresse 3]
[Localité 3]
représentée par Monsieur [S] [Z] (délégué syndical)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 25 avril 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Irène LEBÉ, Président
Madame Catherine BÉZIO, Conseiller
Madame Martine CANTAT, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par Madame Irène LEBÉ, Président
- signé par Madame Irène LEBÉ, Président et par Madame FOULON, Greffier présent lors du prononcé.
**********
Statuant sur l'appel formé par Madame [Q] [F] à l'encontre d'une ordonnance de départage rendue le 12 juillet 2012 par le conseil de prud'hommes de Paris, en sa formation de référé, qui a':
-dit n'y avoir lieu à référé dans l'affaire qui l'oppose à l'association ACTISCE,
-reçu l'UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS en son intervention volontaire,
-débouté l'UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS de l'intégralité de ses demandes,
-rejeté la demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné Madame [Q] [F] aux dépens';
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre, en date du 25 avril 2013, de Madame [Q] [F] qui demande à la Cour de':
-infirmer l'ordonnance,
-constater l'existence d'un trouble manifestement illicite constitué par la sanction qui lui a été infligée en rétorsion de l'exercice non abusif de sa liberté d'expression,
-dire nul l'avertissement du 3 avril 2012,
-ordonner l'annulation immédiate de cet avertissement,
-condamner l'association ACTISCE au paiement des sommes suivantes':
-6.436,32 euros à valoir sur le préjudice subi,
-3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre, en date du 25 avril 2013, de l'association ACTISCE qui demande à la Cour de':
-confirmer l'ordonnance,
-débouter Madame [Q] [F] de ses demandes,
-dire l'action de l'UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS irrecevable,
-à titre subsidiaire, débouter l'UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS de ses demandes,
-condamner l'UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS au paiement de la somme de 3.000 euros pour procédure abusive,
-condamner chacun des appelants au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre, en date du 25 avril 2013, de l'UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS qui demande à la Cour de':
-dire son intervention fondée,
-condamner l'association ACTISCE à lui payer les sommes suivantes':
-5.000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.2132-3 du code du travail,
-1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
Vu les notes en délibéré des deux parties autorisées par la cour ;
SUR CE, LA COUR :
FAITS ET PROCÉDURE
Considérant que Madame [Q] [F], salariée des MJC D'ILE DE FRANCE sous contrat à durée indéterminée, exerçait les fonctions d'employée administrative permanente au sein du centre d'animation La Jonquière, situé dans le 17ème arrondissement de Paris, lorsque l'activité de ce centre a été confiée par la Ville de Paris à l'association ACTISCE; que son contrat de travail a été transféré à cette association le 1er septembre 2010 avec une reprise de son ancienneté';
Qu'elle a fait l'objet d'un avertissement, le 3 avril 2012, après avoir envoyé avec plusieurs autres salariés un courrier collectif à trois membres de la direction générale de l'association ACTISCE, afin de solliciter des négociations sur les salaires ;
Qu'elle a saisi, le 30 avril 2012, le conseil de prud'hommes de Paris en référé, afin d'obtenir l'annulation de son avertissement et le paiement de dommages et intérêts';
Que le conseil de prud'hommes a dit n'y avoir lieu à référé';
Qu'elle a interjeté appel de la décision rendue.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'action de l'UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS
Considérant que l'association ACTISCE soutient que l'action de l'UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS est irrecevable';
Que l'UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS, intervenante volontaire, répond, en invoquant l'article L.2132-3 du code du travail, qu'un syndicat est bien fondé à agir en justice dès lors que l'intérêt collectif de la profession est atteint dont, notamment, les libertés d'expression et syndicales';
Considérant que l'article 31 du code de procédure civile prévoit que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès d'une prétention';
Que l'article L.2132-3 du code du travail prévoit que les syndicats ont le droit d'agir en justice et qu'ils peuvent exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ;
Qu'en l'espèce, plusieurs salariés ont été sanctionnés pour avoir abusé de leur liberté d'expression dans le cadre de demandes relatives à des négociations sur les salaires';
Considérant que l'article L.1121-1 du code du travail prévoit que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché';
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'action de l'UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS est recevable';
Qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance sur ce point';
Sur l'illicéité de l'avertissement
-pour discrimination syndicale
Considérant que Madame [Q] [F] soutient que l'avertissement dont elle a fait l'objet est illicite car il a été prononcé en raison de son activité syndicale, en violation de l'article L.1132-1 du code du travail';
Que l'association ACTISCE conteste toute discrimination syndicale';
Considérant que l'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale directe ou indirecte';
Que Madame [Q] [F] n'était, au moment du prononcé de la sanction, investie d'aucun mandat représentatif';
Qu'elle n'apporte par ailleurs aux débats aucun élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale directe ou indirecte';
Qu'ainsi, rien ne fait apparaître que la sanction dont elle a fait l'objet aurait, d'une manière quelconque, été prononcée en raison de son appartenance syndicale';
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que rien ne justifie l'existence d'un trouble manifestement illicite';
-pour violation de la protection du droit d'expression
Considérant que Madame [Q] [F] soutient, également, que son avertissement est illicite, car il aurait été prononcé en violation de la protection de son droit d'expression prévue par l'article L.2281-1 du code du travail';
Que l'association ACTISCE répond que dans la lettre que les salariés lui ont envoyée ceux-ci ont usé de termes à la fois injurieux, diffamatoires et excessifs, abusant ainsi de leur liberté d'expression dans le cadre de relations de travail normales';
Considérant que la lettre litigieuse, datée du 21 mars 2012 et envoyée par courriel du 23 février 2012, depuis la messagerie professionnelle d'un autre salarié, [E] [K], est ainsi rédigée':
«'Bonjour [B], [L] et [I],
Nous avons dès la rentrée scolaire 2011 évoqué les faits qui nous semblaient justifier des augmentations de salaires sur des postes spécifiques à la Jonquière. Deux réunions ont eu lieu' qui n'ont débouché sur rien à part une vague promesse d'ouvrir des négociations dans un futur incertain. Puis, devant l'expression de notre impatience, vous vous êtes orientés vers d'autres procédés': la diffamation et la diversion.
- la diffamation': vous vous êtes permis en CE de proférer et faire publier des contre-vérités sur notre démarche et sur nous-mêmes, nous accusant même de manière transparente de mettre en péril l'association. Jusqu'à présent, nous nous étions efforcés de garder nos différents entre nous, par souci de confidentialité, souci que vous ne partagez visiblement pas. Nous en tiendrons désormais compte.
- la diversion': le seul argument avancé pour ne pas répondre à nos demandes de discussion est que la NAO en cours s'y opposerait. Curieuse interprétation des textes':
1)nous avons présenté nos demandes avant le démarrage des la Nao
2)il s'agit de revendications particulières et non pas collectives.
Voici donc notre dernière proposition': nous vous attendons le lundi 5 mars 2012 à la [Localité 4] à l'heure qui vous convient pour démarrer immédiatement les négociations sur nos demandes. Ces négociations auront lieu sous forme d'entretiens individuels ET collectifs ce même jour. Votre absence serait très dommageable, car à notre déception, s'ajoute maintenant celle des animateurs qui ne reçoivent pas de réponses aux questions légitimes qu'ils posent.
Cordialement et dans l'ordre alphabétique.
[L] [K] / [M] [R] / [Q] [F] / [P] [H] / [Q] [F]'»';
Considérant que, dans ce courrier collectif envoyé à trois membres de la direction générale, le directeur des ressources humaines, le directeur général adjoint et le directeur général, les signataires dénoncent l'absence de négociations en matière d'augmentations de salaires, accusent la direction de l'association de diffamation à leur encontre et exigent sa venue à un rendez-vous qu'ils ont unilatéralement fixé pour démarrer immédiatement des négociations sur ce thème, sous la menace de la déception des animateurs et du caractère très dommageable de son absence';
Que Madame [Q] [F] a fait l'objet d'un avertissement, au motif que cette lettre était irrespectueuse envers les trois membres de la direction générale, les accusait d'user de procédés tels que la diffamation ou la diversion pour prétendument ne pas prendre en compte les préoccupations des salariés,'leur adressait un ultimatum d'obéir à un ordre de démarrer immédiatement des négociations et de répondre à leur convocation, en adoptant un ton menaçant ;
Que rien ne fait apparaître qu'une atteinte injustifiée et abusive aurait été apportée à la liberté d'expression de la salariée mentionnée à l'article L.1121-1 du code du travail précité';
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que rien ne justifie l'existence d'un trouble manifestement illicite';
Considérant que l'article R.1455-6 du code du travail prévoit que la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite';
Qu'ainsi, le juge des référés, conformément à ces dispositions, n'est pas compétent pour ordonner les mesures sollicitées par la salariée ;
Qu'il y a, en conséquence, lieu de débouter Madame [Q] [F] de ses demandes d'annulation immédiate de l'avertissement et de condamnation de l'association ACTISCE à lui payer des dommages et intérêts à valoir sur le préjudice subi';
Qu'il y a également lieu de débouter l'UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS de sa demande tendant à la condamnation de l'association ACTISCE au paiement de dommages et intérêts';
Qu'il y a enfin lieu de confirmer intégralement l'ordonnance';
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
Considérant que l'association ACTISCE demande la condamnation de l'UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS au paiement de dommages et intérêts pour intervention et procédure abusives';
Considérant que l'association ACTISCE n'apporte aux débats aucun élément démontrant un abus de droit de la part de l'UNION DES SYNDICATS CGT DE PARIS';
Qu'il y a lieu de la débouter de sa demande de dommages et intérêts';
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens qu'elles ont dû exposer pour la procédure de première instance et d'appel'; que les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile doivent, en conséquence, être rejetées';
Considérant qu'il y a lieu de condamner Madame [Q] [F] aux dépens de première instance et d'appel';
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance en toutes ses dispositions,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toutes les autres demandes,
Condamne Madame [Q] [F] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT