RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRÊT DU 04 Juin 2013
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08714
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Mai 2011 par Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire- de LONGJUMEAU section commerce RG n° 09/01388
APPELANTE
SAS GRENELLE SERVICE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Pauline BLANDIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0586
INTIME
Monsieur [E] [Q]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représenté par Me Philippe ASSOR, avocat au barreau de PARIS, toque : C2043
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Avril 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne-Marie DEKINDER, Conseillère, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Charlotte DINTILHAC, Présidente
Madame Anne-Marie DEKINDER, Conseillère
Madame Dominique LEFEBVRE LIGNEUL, Conseillère
Greffier : Mademoiselle Sandrine CAYRE, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Madame Charlotte DINTILHAC, Présidente et par Mlle Sandrine CAYRE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour est saisie de l'appel interjeté par la SAS GRENELLE SERVICE du jugement du Conseil des Prud'hommes de LONGJUMEAU, section Commerce, rendu le 18 Mai 2011 qui a fixé la moyenne des trois derniers salaires de Monsieur [Q] à la somme de 1972.30 € et l'a condamnée à payer au salarié avec intérêts légaux à compter du jugement les sommes de :
39500 € à titre de dommages intérêts pour rupture abusive
10733.48 € à titre d'indemnité spéciale pour inaptitude
a ordonné le dépôt de ces sommes sur un compte séquestre pendant le mois suivant la notification du jugement, a ordonné la délivrance d' un certificat de travail et d' une attestation Pôle emploi sou astreinte avec réserve de la liquidation et a alloué la somme de 1000 € au titre des frais irrépétibles au salarié
FAITS ET DEMANDES DES PARTIES
Monsieur [E] [Q] né au mois de janvier 1944 a été engagé par la SAS GRENELLE SERVICE suivant contrat à durée indéterminée en date du 3 Septembre 1987 en qualité de chauffeur-livreur ; dans le cadre de ses fonctions il devait porter des charges lourdes, pousser des chariots de levage de linge, charger et décharger des camions ; dans le dernier état de ses fonctions il avait la qualification de chauffeur- livreur PL coefficient 165 D, son salaire était de 1972.30 € par mois ;
La convention collective applicable est celle de la blanchisserie, laverie, location de linge, nettoyage à sec, pressing ; l' entreprise emploie environ 200 salariés ;
Le 14 Mai 2007, Monsieur [E] [Q] a été victime d' un accident du travail, il a été en arrêt de travail du 15 Mai 2007 au 19 Mai 2007 pour une douleur à l' épaule et impotence fonctionnelle, il a repris le travail le 21 Mai 2007 avec soins jusqu' au 15 Août suivant ;
Le 12 Juillet 2007, le médecin du travail, le docteur [L] [K], attachée à la SAS GRENELLE SERVICE a adressé Monsieur [E] [Q] à un rhumatologue ; dans la lettre à sa consoeur elle indique que Monsieur [Q] souffre beaucoup en continuant à travailler à son poste et qu' elle ne pense pas qu' un reclassement dans l' usine soit une solution, qu' il a également mal à l' épaule gauche sur laquelle il force, qu' elle pense qu' il doit se remettre en arrêt et que l'on se dirige vers une inaptitude « surtout qu' il aura 64 ans en fin d' année et qu' il pourrait bénéficier de sa retraite pour inaptitude » ;
Le 19 Juillet 2007, le rhumatologue a écrit au médecin traitant de Monsieur [Q] que ce dernier présente une rupture de la coiffe des rotateurs à droite et lui demande de lui faire un arrêt de travail en AT de 21 jours, il indique que compte tenu de l' âge du patient qui n' est pas très loin de la retraite « une demande de retraite anticipée pour inaptitude me semble très avantageuse, il va se renseigner.
Le 26 Juillet 2007, le médecin du travail a écrit au rhumatologue et mentionne notamment dans sa lettre en parlant de Monsieur [Q] « il a intérêt à se prolonger le + possible en AT et je lui mettrai une inaptitude à la reprise et il bénéficiera de sa retraite » ;
Monsieur [E] [Q] a été en arrêt de travail à compter du 20 Juillet 2007 ;
Le 29 Octobre 2007 Monsieur [E] [Q] a signé une lettre dactylographiée remise à Madame [V], chef du personnel dans laquelle il indique « Par la présente, je vous informe de mon intention de faire valoir mes droits à la retraite à partir du 1er janvier 2008, en raison de mon inaptitude. Mon préavis de 2 mois commencera donc le 01 novembre 2007 pour se terminer le 31 décembre 2007. Dans l'attente de votre réponse (...) » ( suit la formule de politesse) ;
Par courrier remis en main propre au salarié le 31 Octobre 2007, l' employeur a pris acte de la décision du salarié ; lors de son départ Monsieur [E] [Q] a touché une indemnité compensatrice de préavis de 3378.06 € plus 3729.92 € à titre d' indemnité de départ à la retraite ;
Le 9 Juin 2008, Monsieur [E] [Q] a adressé un courrier à la SAS GRENELLE SERVICE dans lequel il réclame différentes indemnités en indiquant ;
- avoir eu au mois de janvier 2008 (sic) un entretien avec Madame [C] [V] qui lui a imposé de signer une lettre de démission car sinon , selon ses dires, il ne pourrait pas partir à la retraite suite à son inaptitude , qu' elle a abusé de sa confiance en lui faisant croire que c' était la meilleure solution, qu' aucune copie de ce courrier ne lui a été donnée
- qu' après s' être renseigné auprès de l' inspection du travail et des syndicats, il a été informé de ses droits à savoir qu' on ne devait pas le faire démissionner mais le licencier et l' indemniser pour ses 20 ans de travail au sein de l' entreprise ;
L'employeur a répondu le 17 Juin suivant en contestant les termes de la lettre de Monsieur [Q] et en indiquant qu' il n' y donnera pas suite ;
Le contrat de travail de Monsieur [E] [Q] a pris fin le 1er janvier 2008 ;
Le 22 janvier 2008 le médecin Conseil de la Caisse primaire d'Assurance maladie a dans un rapport d' évaluation du taux d' incapacité en AT indiqué que suite à son accident de travail du 14 Mai 2007 Monsieur [E] [Q] conservait les séquelles d' un traumatisme de l' épaule droite consistant en douleur et raideur sur état antérieur et lui a reconnu un taux d' IPP définitive de 9% ; cette lettre précise que depuis le 22 février 2008 les soins qui lui ont été dispensés dans le cadre du protocole établi par le médecin traitant et le médecin de la caisse lui seront remboursés au titre de la législation relative aux risques professionnels ;
Monsieur [E] [Q] a saisi le Conseil des Prud'hommes le 30 Décembre 2009 ;
La SAS GRENELLE SERVICE demande à la Cour l' infirmation du jugement et le rejet des demandes de Monsieur [E] [Q].
Monsieur [E] [Q] demande à la Cour de confirmer le jugement et en conséquence de dire équivoque et nulle la lettre de démission qu' il a signée, que la SAS GRENELLE SERVICE est seule à l' origine de la rupture du contrat de travail , de constater qu' il a fait l' objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse sans tentative de reclassement et de condamner la SAS GRENELLE SERVICE à lui payer avec intérêts légaux à compter de la saisine du 24 Décembre 2009 les sommes de :
47335.20 € à titre de dommages intérêts pour rupture abusive
10733.48 € à titre d'indemnité spéciale pour inaptitude
3000 € en application de l'article 700 du Code de procédure Civile pour les frais irrépétibles d' appel et 1000 € pour ceux de première instance
SUR CE
Il est expressément fait référence aux explications et conclusions des parties visées à l'audience et soutenues oralement à la barre.
Monsieur [E] [Q] fait valoir que dès le 26 Juillet 2007 le médecin du travail avait clairement prévu de le placer sous le régime de l' inaptitude, ce que selon lui l' employeur ne pouvait ignorer, que le médecin du travail indique dans son attestation versée aux débats par la SAS GRENELLE SERVICE qu' au mois d' Août 2007, elle avait rempli un formulaire de demande de retraite au titre de l' inaptitude remis à Monsieur [Q] afin qu' il le transmette à la CNAV ; il soutient qu' à partir de cette date il a été convoqué plusieurs fois par son employeur pour envisager sa situation et que les assistante sociale de l' entreprise, chef du personnel et médecin du travail lui ont affirmé que s' il en faisait la demande il pourrait bénéficier du fait de son inaptitude d' une retraite à taux plein bien qu' il ne totalise pas, faute de cotisations suffisantes, l' intégralité des trimestres nécessaires pour pouvoir y prétendre ;
Il considère avoir été poussé à signer une lettre de démission dans le but d'éluder les dispositions légales relatives à la procédure de reclassement et de licenciement pour inaptitude dans le seul intérêt de l' employeur et soutient que « sachant à peine lire et pas du tout écrire, ignorant toute la législation française, en particulier la procédure de reclassement et de licenciement dont il aurait dû obligatoirement faire l' objet » il a fait confiance, qu' il a été trompé en lui faisant croire que c' était la procédure spécifique du départ volontaire à la retraite qui conditionnait l' obtention d' une retraite à taux plein, ce qui est faux ; il invoque notamment un courrier de la CNAV en date du 15 Juin 2010 versé aux débats dont il résulte qu' il aurait pu prétendre à sa retraite au titre de l'inaptitude même suite à un licenciement et qu' il aurait été de son intérêt de faire valoir ses droits auprès des ASSEDIC plutôt que de demander sa retraite car cela lui aurait permis de bénéficier de trimestre supplémentaires jusqu' à l' âge de 65 ans sous réserve de l' accord de Pôle emploi ; il considère que seules les manoeuvres de la SAS GRENELLE SERVICE sont à l' origine de la rupture de son contrat de travail et que sa démission est nulle avec les conséquences d' un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
L' employeur relève tout d' abord qu' il n' y a jamais eu d' avis d' inaptitude régulier de sorte qu'il n' avait ni obligation de reclassement ni obligation de licenciement faute de reclassement, il conteste avoir été à l' origine du départ volontaire de Monsieur [E] [Q] et soutient au contraire en versant de nombreuses attestations en ce sens que c'est Monsieur [Q] qui avait clairement affiché sa volonté de partir en retraite ;
L' inaptitude d' un salarié ne peut être constatée, aux termes de l' article R 4624-31 du Code du Travail qu' après avoir réalisé une étude de poste, une étude des conditions de travail dans l' entreprise et deux examens médicaux de l' intéressé espacés de deux semaines ou en cas de danger immédiat un seul examen ; l' article R 4624- 33 dispose que les motifs de l' avis du médecin du travail sont consignés dans le dossier médical en santé au travail du salarié ; l' article R 4624-47 stipule qu' à l' issue de chacun des examens médicaux le médecin établit une fiche médicale d' aptitude en double exemplaire, qu' il en remet une au salarié et adresse l' autre à l' employeur qui le conserve avec remise du formulaire spécial sécurité sociale s' il constate que l' inaptitude est susceptible d' être en lien avec un accident ou une maladie professionnelle ;
L' article L 1226-10 du code du travail dispose que lorsqu' à l' issue d' un accident de travail le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l' emploi qu' il occupait précédemment, l' employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités et que l' employeur prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail ;
En l' espèce, le salarié ne produit aucun avis d' inaptitude qui aurait été émis par le médecin du travail dans le cadre des dispositions précitées ; les lettres échangées entre le Docteur [K] et son confrère rhumatologue les 12 et 26 Juillet 2007, outre le fait qu' il n' est pas établi que l' employeur en ait eu connaissance ou ait été mis en copie, ne valent pas avis d' inaptitude au sens des textes précités ;
Le simple fait que le Docteur [K] ait été le médecin du travail attaché à la SAS GRENELLE SERVICE ne démontre pas que l' employeur avait connaissance en dehors de tout avis d' inaptitude rendu régulièrement conformément à l' article R 4624-47 du Code du Travail de l' inaptitude de Monsieur [E] [Q] à reprendre son poste ;
L' obligation de l'employeur de reclasser le salarié, de lui rechercher un poste et de lui proposer un autre poste adapté à ses capacités prend naissance à compter de l'avis d' inaptitude et de l' avis écrit du médecin du travail, avis écrit qui en l' espèce n' existe pas ;
L' existence d' une complicité entre le médecin du travail et l' employeur tendant à retarder l' émission d' un avis régulier d' inaptitude jusqu' à la prise de retraite du salarié n' est pas établie ;
Au moment de l' accident du travail dont il a été victime au mois de Mai 2007, Monsieur [E] [Q] avait passé 63 ans, plusieurs témoins attestent dans la forme régulière (Monsieur [S] [A], Madame [O] [T], [U] [Z]) que Monsieur [E] [Q] parlait souvent de prendre sa retraite, qu' il avait hâte de pouvoir la prendre et qu' il attendait de pouvoir la toucher à taux plein ;
Dans sa lettre du 19 Juillet 2007, le Docteur [G], rhumatologue, adressée au médecin traitant de Monsieur [E] [Q], le Docteur [M] [P], indique que Monsieur [E] [Q] n' étant pas très loin de la retraite une demande de retraite anticipée pour inaptitude lui semble très avantageuse et que Monsieur [Q] va se renseigner ;
La Cour considère qu'il se déduit de ces faits qu'il était bien dans la volonté de Monsieur [E] [Q] de saisir l' opportunité de pouvoir partir avant 65 ans et que c' est cette volonté qu' il a manifestée le 29 Octobre 2007 puisque dès le mois d' Août 2007, le Docteur [K] lui avait rempli le formulaire sécurité sociale à adresser à la CNAV, ce qu' elle n' aurait pas fait si Monsieur [Q] ne lui avait pas exprimé un souhait en ce sens ;
Le fait que Monsieur [E] [Q] ait seulement signé la lettre du 29 Octobre 2007 ne démontre pas l' existence de manoeuvres dolosives de la part de l'employeur pour le contraindre à prendre sa retraite, il n' a d'ailleurs pas réagi à la lettre de son employeur en date du 31 Octobre 2007 prenant acte de sa décision de départ volontaire à la retraite alors même qu' il a écrit au pied de la lettre que celle-ci lui a été remise en main propre et qu' elle vaut dispense d' envoi recommandé ;
Il s' ensuit que la demande de départ volontaire en retraite de Monsieur [E] [Q] est valable et non équivoque et que la rupture du contrat est le fait du salarié et non de l' employeur qui lui a régulièrement versé l' indemnité de départ en retraite ; le seul fait que l' employeur lui ait également versé une indemnité compensatrice de préavis n' ait pas constitutif d' une quelconque reconnaissance de ce qu' il aurait dû licencier le salarié ;
En conséquence, Monsieur [E] [Q] doit être débouté de sa demande de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
La demande d' indemnité spéciale de licenciement doit être rejetée puisqu' elle n' est due en application de l'article L 1226-14 du Code du Travail que si le reclassement du salarié déclaré inapte s' est révélé impossible ou en cas de refus non abusif par le salarié inapte de l' emploi proposé, ce qui n' est pas le cas en l' espèce ;
Monsieur [E] [Q] conservera à sa charge l' intégralité de ses frais irrépétibles de première instance et d' appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement en toutes ses dispositions
Rejette toutes autres demandes des parties.
Condamne Monsieur [E] [Q] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT