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04/06/2013 | FRANCE | N°11/08625

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 04 juin 2013, 11/08625


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 04 Juin 2013

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08625



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Juillet 2011 par Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLENEUVE SAINT GEORGES section encadrement RG n° 09/00472





APPELANTE

Madame [N] [G]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparant en personne, assistée de M

e Valérie LANES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2185







INTIMEE

SA OREXAD

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Stéphane BEURTHERET, avocat au barreau de PARIS,...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 04 Juin 2013

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08625

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Juillet 2011 par Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLENEUVE SAINT GEORGES section encadrement RG n° 09/00472

APPELANTE

Madame [N] [G]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparant en personne, assistée de Me Valérie LANES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2185

INTIMEE

SA OREXAD

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Stéphane BEURTHERET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0088

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Avril 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Brigitte BOITAUD, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Brigitte BOITAUD, président

Madame Marie-Aleth TRAPET, conseiller

Madame Catherine COSSON, conseiller

Greffier : Monsieur Polycarpe GARCIA, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par Madame Brigitte BOITAUD, Présidente

- signé par Madame Brigitte BOITAUD, Présidente et par Madame Caroline CHAKELIAN, Greffière présente lors du prononcé.

Madame [N] [G], engagée par la société OREXAD à compter du 11 avril 2003 en qualité de responsable des ventes internes, statut cadre, a été licenciée pour faute grave par lettre du 18 mai 2009 au motif énoncé suivant:

(...) Le vendredi 24 avril 2009, aux alentours de midi, deux laveurs de vitres d'origine africaine de la société prestataire de nettoyage " La Brenne" étaient présents sur le plateau "Grands Comptes" où vous travaillez.

Alors que l'un d'entre eux se trouvait derrière votre fauteuil, et non à l'extérieur du bâtiment, comme vous l'avez prétendu au cours de notre entretien, afin d'effectuer sa prestation de travail , l'une de vos collègues, Madame [A] [X], qui se trouvait à environ 5 mètres de vous dans l'un des bureaux adjacents à l'open-space, vous interpella en ces termes:

"Tu as vu, tu as un singe derrière toi".

Vous avez immédiatement renchéri en lui répondant:

"Oui, j'en ai un derrière moi et c'est pas Brad Pitt".

Puis vous lui avez demandé de venir vérifier derrière vous. Elle vous répondit qu'elle ne souhaitait pas se déplacer car elle n'aimait pas les "singes".

Vous avez ensuite continué toutes les deux à tenir des propos injurieux à l'égard de ces 2 prestataires en indiquant notamment être gênées par l' "odeur" et qu'il faudrait leur "balancer des bananes", et ce pendant plus d'un quart d'heure.

Vous vous exprimiez toutes les deux à haute voix afin que les laveurs de vitres ainsi que les autres collaborateurs de l'entreprise présents vous entendent. Ces derniers ont été fortement choqués par les propos et la scène dont ils avaient été témoins, ce dont certains attestent.

Nous avons d'ailleurs été immédiatement avertis de cet événement déplorable.

Ces agissements sont intolérables. Outre qu'ils constituent une atteinte grave à la dignité de la personne humaine, ils sont en totale contradiction avec les valeurs que promeut OREXAD et nuisent à son image.

Cette attitude est inacceptable de la part d'un Responsable des Ventes Internes qui a de surcroît des fonctions d'encadrement et doit "montrer l'exemple".

(...) Au cours de notre entretien du 13 mai dernier, bien que, dans l'ensemble, vous ayez confirmé les propos qui ont été échangés, vous avez tenté de les justifier en précisant qu'il s'agissait d'une simple erreur d'interprétation car vous poursuiviez avec Madame [X] une conversation commencée en aparté à propos d'un film cinématographique.

Cette justification particulièrement fantaisiste ne nous a pas permis de modifier notre appréciation sur les faits reprochés. Elle le pouvait d'autant moins que lors de notre entretien, vous avez admis que Madame [E] [C], une des collaboratrices de l'entreprise présente lors des faits, s'était manifestée auprès de Madame [X] pour que vous cessiez de tenir ces propos racistes. Or, comme je vous l'ai fait remarquer à cette occasion, pourquoi, afin de lever toute ambiguïté, ni vous, ni Madame [X] ne lui avez expliqué ainsi qu'aux autres salariés présents qu'il s'agissait d'une méprise (...)."

Par jugement du 4 juillet 2011, le conseil de prud'hommes de Villeneuve St Georges a retenu la faute grave et a débouté Mme [G] de ses demandes d'indemnisation.

Mme [G] a relevé appel de cette décision.

Pour les prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions visées par le greffier et reprises oralement par les parties à l'audience des débats.

* *

*

Considérant que pour établir la réalité du grief d'insultes à caractère racial proférées à l'encontre de laveurs de vitres, la société OREXAD produit:

- le mail adressé le vendredi 24 avril 2009 à 12h29 par une salariée exerçant les fonctions d'ATE, Mme [C], à la directrice des ressources humaines aux termes duquel: " je me trouvais dans mon bureau, lorsque des laveurs de vitres sont arrivés sur le plateau Grands Comptes, ces deux messieurs sont de couleur, et nous avons entendu la voix de [A] [X] et celle de [N] [G], je cite leurs propos:

Tu as vu, il y a des singes dans le bureau en train de nettoyer les vitres, un collègue [O] [R], très choqué par ces propos racistes , m'a dit qu'un jour, elles auraient des problèmes car elles s'autorisaient des propos inadmissibles ( je fais l'impasse sur les allusions racistes et critiques qu'elles font au quotidien)

J'en ai parlé à [A], qui se plaignait auprès de [N] [G], du fait que j'ai osé lui dire, que ce genre de propos était choquant, que ces personnes n'étaient pas des animaux. Elle m'a répondu qu'elle n'en avait rien à f....., qu'elle faisait ce qu'elle voulait. En gros tu es nouvelle ici, donc, tu n'as rien à dire, soit tu te tais, soit on te prends en grippe.

Voilà, si elles avaient eu des réactions différentes, à savoir, faire leur mea-culpa et réaliser que leurs propos tenus sur le lieu de travail n'étaient pas admissibles, je ne vous en aurais pas parlé, mais, là, ces dames étaient là, depuis pas mal d'années, elles se sentent "intouchables", et gare à ceux ou celles qui ne vont pas dans leur sens!

J'aimerai en parler avec vous (...) Je compte sur votre discrétion par rapport à ce mail, je ne voudrais pas m'attirer les foudres de ces dames à la langue particulièrement acérée, mais en même temps trop de choses se passent, sans que personne n'ose rien dire.

P.S: je tiens à préciser, que d'autres personnes pensent la même chose que moi, mais n'osent pas l'exprimer (...).

- une attestation de Mme [C], exerçant les fonctions d'ATE, rédigée le 28 avril 2009 apportant des précisions à la teneur de son mail:

- un laveur de vitres se trouvait dans son bureau et le second se trouvait derrière le fauteuil de Mme [G]

- Mme [X], depuis le bureau d'[B] [H], a interpellé Mme [G] " Tu as vu, il y a un singe derrière toi", et celle-ci a répondu " j'en ai un derrière moi, et c'est pas Brad Pitt"

- que Mme [X] et Mme [G] parlaient de leur "balancer des bananes"

- que Mme [C] s'est rendue dans le bureau d'[B] pour dire à [A] que ses propos étaient immondes

- une attestation d'[B] [H], assistante Ressources humaines, rédigée le 28 avril 2009, qui confirme que Mme [X] est venue le vendredi 24 avril dans son bureau en fin de matinée et a répondu à Mme [G] qui lui demandait de venir voir derrière elle, qu'elle ne voulait pas, qu'elle n'aimait pas les singes, en parlant des laveurs de vitres dans les locaux et qui précise qu'étaient présents: [O] [R], [E] [C], [V] [T], [Y] [L], [S] [D].

- une attestation de [V] [T]en date du 28 avril 2009 qui confirme que le vendredi 14 avril 2009 alors qu'il était au téléphone avec un client et qu'il essayait de se concentrer sur son appel, des propos à caractère racistes concernant les deux laveurs de carreaux ont été échangés entre Mme [X] et Mme [G] , que la tension dans le service était bien présente, que ces propos ont choqué son collègue M. [R], qu'il a revu les laveurs de carreaux avec lesquels il a échangé des propos cordiaux parce qu'il ne voulait pas qu'ils pensent que nous étions tous pareils.

Considérant que les trois attestations, contemporaines des faits, rapportent que des propos à caractère racial ont été prononcés à haute voix par Mme [X] et Mme [G] le vendredi 24 avril au sujet de deux laveurs de vitres d'origine africaine qui se trouvaient à l'étage; que pour deux d'entre elles, les auteurs des attestations précisent que les salariés ont parlé de singes au sujet des laveurs de vitres; qu'elles sont convergentes sur ces termes; qu'aucune pièce ne permet d'établir que Mme [C] entretenait de mauvaises relations avec Mme [G]; que Mme [C] a spontanément et immédiatement adressé un mail à la directrice des ressources humaines dans des termes qui ont été en partie confirmés par deux autres collègues témoins directs;

Considérant que le salarié assistant les intéressées lors de leur entretien préalable rapporte les explications que celles-ci ont alors fournies; que notamment, après une conversation devant la photocopieuse, Mme [X] et Mme [G] se sont séparées et Mme [G] a dit à Mme [X] "viens voir derrière moi", ce à quoi Mme [X] a répondu " je ne vais pas venir voir un singe tu sais bien que je n'aime pas les singes" ; que les deux salariés parlaient de la photo de Brad Pitt située derrière le bureau de Mme [G];

Considérant qu'il ressort de ces éléments que Mme [X] et Mme [G] ont bien échangé entre elles à haute voix des propos à caractère raciste, les explications données par les intéressées qui, lors de l'entretien préalable ont indiqué que Mme [X], s'adressant à Mme [G] qui regagnait son bureau, parlait de Brad Pitt " je ne vais pas venir voir un singe..." dont la photo est située derrière le bureau de Mme [G], n'étant nullement convaincantes et les attestations des laveurs de vitres tardivement rédigées n'étant pas de nature à exclure la réalité des propos; que tant Mme [X] que Mme [G] ne fournissent un quelconque élément de nature à expliquer des témoignages à charge des trois collègues de travail ou leur volonté de nuisance; que ce comportement fautif méritait une sanction; que toutefois, en présence de cet écart de langage, aussi détestable soit-il, l'employeur a pris une mesure précipitée en décidant de la sanction majeure de la perte de l'emploi, se dispensant de confronter contradictoirement les intéressées et les témoins pour clarifier la position des uns et des autres, obtenir des excuses et permettre une poursuite des relations de travail exempte de tout propos raciste ; que le comportement habituellement raciste de Mme [G] n'est pas établi par les mails produits; qu'il en ressort seulement que Mme [G] avait des relations tendues avec M. [U], sans que l'on puisse retenir que ces difficultés avaient pour origine une posture raciale de la part de cette dernière; que s'agissant d'une salariée d'une grande ancienneté, du caractère isolé des faits reprochés, la sanction majeure de la perte de l'emploi apparaît disproportionnée; qu'elle ouvre droit à réparation;

Considérant qu'en application de l'article L1235-3 du code du travail qu'à la date du licenciement Mme [G] percevait une rémunération mensuelle brute moyenne de 3240,83 € , était âgée de 55 ans et bénéficiait d'une ancienneté de 6 années au sein de l'entreprise; qu'elle a retrouvé un emploi moins bien rémunéré; qu'il convient d'évaluer à la somme de 19 500 € , le montant des dommages et intérêts alloués au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Considérant que les montants réclamés au titre de la mise à pied, de l'indemnité de préavis et de licenciement ne sont pas subsidiairement discutés; qu'il est fait droit aux demandes de ces chefs;

Considérant que les décisions prises par le présent arrêt ne nécessitent pas en l'état le prononcé d'une astreinte;

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement,

CONDAMNE la société OREXAD à payer à Mme [G]:

- 1949,58 € au titre de la mise à pied

- 194,95 € à titre de congés payés afférents

- 9722,49 € au titre de l'indemnité de préavis

- 972,24 € à titre de congés payés afférents

- 6238,59 € à titre d'indemnité de licenciement

- 19 500 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,

DIT que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil du code civil,

DIT que la société OREXAD doit remettre à Mme [G] les documents conformes à la présente décision,

MET les dépens à la charge de la société OREXAD.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 11/08625
Date de la décision : 04/06/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-06-04;11.08625 ?
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