Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRÊT DU 16 MAI 2013
(n° 199, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/16978.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Août 2011 - Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY, Chambre7 Section 1 - RG n° 10/03844.
APPELANTE :
Madame [H] [U] épouse [S]
demeurant [Adresse 2],
Représentée par la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT en la personne de Maître Frédéric LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480,
Assistée de Maître Corinne CHENE HAVAS, avocat au barreau de PARIS, toque : G0842.
INTIMÉE :
Société CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE PARIS ET D'ILE DE FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 1],
Représentée par la SCP GRAPPOTTE-BENETREAU-JUMEL en la personne de Maître Anne GRAPPOTTE-BENETREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111,
Assistée de Maître Béryl BROWN substituant Maître Jean-François JOSSERAND, avocat au barreau de PARIS, toque : A0944.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 7 mars 2013, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Caroline FEVRE, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée
de :
Madame Marie-Paule MORACCHINI, Présidente
Madame Caroline FEVRE, Conseillère
Madame Muriel GONAND, Conseillère
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de Procédure Civile.
Greffier, lors des débats : M. TL NGUYEN
ARRÊT :
- Contradictoire,
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Paule MORACCHINI, Présidente et par Mlle Edwige COLLIN, greffier présent lors du prononcé.
****************
Par acte sous seing privé de vente contenant acte de prêt du 19 février 2004, Monsieur et Madame [G] ont vendu à Monsieur et Madame [S] un fonds de commerce de café, bar et restaurant, situé [Adresse 3]), au prix de 110.000 euros, financé à concurrence de 15.000€ par les acquéreurs sur leurs deniers personnels et de 95.000 euros par un prêt de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile de France, remboursable en 7 ans avec intérêts au taux fixe de 4,50 % l'an .
Par jugement en date du 26 septembre 2005, le tribunal de commerce de Bobigny a ouvert le redressement judiciaire de Monsieur [S], fixé la date de cessation des paiements au 30 juin 2005 et nommé un administrateur judiciaire pour assister le débiteur dans les actes de gestion.
Par jugement en date du 26 juin 2006, le même tribunal a arrêté le plan de continuation de Monsieur [S] pour une durée de 9 années.
Par jugement en date du 27 juillet 2007, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé la résolution du plan et a placé Monsieur [S] en liquidation judiciaire. La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile de France a déclaré sa créance au titre du prêt, à titre nanti, pour la somme de 85.605,83 euros avec intérêts postérieurs au taux de 4,50 %, majoré de 5 points au titre du retard à partir du 27 juillet 2007. Cette créance non contestée a été admise pour la somme déclarée, outre intérêts.
Par acte d'huissier de justice en date du 25 mars 2010, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile de France (ci-après Crédit Agricole) a fait assigner Madame [H] [U] épouse [S] en paiement.
Par jugement en date du 25 août 2011, le tribunal de grande instance de Bobigny a condamné Madame [H] [U] à payer au Crédit Agricole la somme de 85.605,83 euros avec intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2009, ordonné la capitalisation des intérêts, débouté Madame [H] [U] de son action en responsabilité, condamné Madame [H] [U] à payer au Crédit Agricole la somme de 600,00 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
La déclaration d'appel de Madame [H] [U] épouse [S] a été remise au greffe de la cour le 20 septembre 2011.
Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du code de procédure civile, signifiées le 26 mars 2012, Madame [H] [U] épouse [S] demande l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de son action en responsabilité contre le Crédit Agricole et à la cour, statuant à nouveau, de :
- dire que le Crédit Agricole a commis une faute en ne s'acquittant pas de son devoir de mise en garde à son égard,
- dire que le Crédit Agricole a commis une faute dans l'octroi du crédit qui dépassait sa capacité d'endettement,
- condamner le Crédit Agricole à lui verser des dommages-intérêts, qui viendront se compenser avec la créance réclamée, à hauteur de 85.605,83 euros avec intérêts au taux légal,
- ordonner la compensation avec la créance réclamée par le Crédit Agricole,
- débouter le Crédit Agricole de l'ensemble de ses demandes,
- condamner le Crédit Agricole à lui payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.
Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du code de procédure civile, signifiées le 25 janvier 2012, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de [Localité 2] et d'Ile de France demande de débouter Madame [S] de ses demandes, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a estimé qu'elle n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard de Madame [S] et en ce qu'il est entré en voie de condamnation à hauteur de 85.605,83 euros, statuant sur son appel incident de condamner Madame [S] à lui payer la somme de 85.605,83 euros avec intérêts au taux de 9,50 % l'an à compter du 27 juillet 2007, subsidiairement de condamner Madame [S] à lui payer la somme de 85.605,83 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 21 septembre 2009, et, dans tous les cas, la condamner à lui payer la somme de 3.500,00 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 février 2013.
CELA ETANT EXPOSE,
LA COUR
Considérant que Madame [H] [S] fait grief aux premiers juges d'avoir rejeté sa demande en dommages-intérêts en se fondant sur l'économie globale de l'opération d'achat financé par le prêt, alors qu'il aurait dû retenir ses seuls revenus salariaux, de 12.000 euros par an, incompatibles avec l'endettement résultant du crédit, imposant des échéances de 1.320,52 euros par mois ; qu'elle soutient qu'elle n'est pas exploitante du fonds acquis avec son mari en raison de leur régime matrimonial de communauté réduite aux acquêts et a conservé son emploi antérieur ; qu'elle estime être une emprunteuse non avertie et que la banque avait un devoir de mise en garde à son égard, compte tenu du caractère excessif du crédit ; que, si elle savait qu'un prêt doit être remboursé, elle ne savait pas qu'elle serait seule à le rembourser ; que, même en retenant l'économie générale de l'opération, au motif qu'ils devaient exploiter ensemble le fonds, la banque ne l'a pas mise en garde sur la solidarité et l'indivisibilité du paiement malgré des chiffres d'affaires prévisionnels déraisonnablement optimistes, ce qui est démontré par la défaillance rapide de Monsieur [S] dans le paiement des échéances en 2005 ; qu'elle prétend que le défaut de mise en garde de la banque l'oblige à réparer le préjudice qu'elle a subi qui est égal au montant de la créance réclamée par le Crédit Agricole ;
Considérant que le Crédit Agricole fait valoir qu'il a consenti un prêt aux époux [S] qui devaient exploiter ensemble le fonds de commerce de café, bar, restaurant sur la base d'une étude réalisée par un professionnel, qui a assisté les époux [S] dans leur projet, présentant un chiffre d'affaires prévisionnel réaliste, compte tenu de la réduction des charges salariales grâce à la participation de Madame [S], trois jours par semaine à l'exploitation du fonds, et au développement de l'activité du fonds grâce une amplitude d'ouverture plus importante ; que le risque d'endettement excessif n'est pas caractérisé et que le crédit consenti était adapté à l'opération envisagée pour un projet viable ; que Madame [S], impliquée dans l'exploitation du fonds et assistée par son époux, qui est un professionnel de la restauration, ainsi que par un cabinet professionnel dans l'élaboration du projet familial, ne démontre pas être un emprunteur non averti ; qu'il ajoute que la sanction du défaut de mise en garde est la perte d'une chance de ne pas contracter et qu'il n'est pas démontré que Madame [S] aurait pris une autre décision, ni qu'elle a subi un préjudice ;
Considérant que le banquier prêteur a un devoir de mise en garde à l'égard de l'emprunteur non averti en cas de crédit excessif lui faisant courir un risque d'endettement au-delà de ses capacités financières ;
Considérant qu'il n'est pas contestable que Madame [S], qui est agent de service dans un service d'autodialyse de la société Aura à [Localité 1] depuis le 22 mars 2002, est un emprunteur non averti ;
Considérant qu'il résulte des pièce produites que Monsieur et Madame [S] ont fait établir une étude sur leur projet d'acquisition d'un fonds de commerce de café, bar, restaurant à [Localité 1] qu'ils ont présentée au Crédit Agricole pour obtenir le prêt nécessaire au financement de l'opération ; qu'il en ressort que Monsieur [S], âgé de 34 ans, travaille depuis 18 ans dans la restauration dans un café et que Madame [S], âgée de 30 ans, travaille trois jours par semaine en qualité d'agent de service dans un service d'autodialyse à [Localité 1] ; que le fonds de commerce en vente est exploité depuis 10 ans par les vendeurs qui repartent au Portugal ; que le projet est de réduire les charges salariales, par la participation de Madame [S] à l'exploitation du fonds, les mardi, jeudi et samedi, de 33.192 euros à 15.180 euros, d'augmenter l'amplitude d'ouverture du café de 20 heures à 23 heures et de travailler 285 jours au lieu de 280 jours par an, de développer une prestation de vente de pizza à emporter dégageant une recette supplémentaire; qu'il permet de réduire les charges du foyer familial qui logera dans l'appartement au premier étage du café ; que le chiffre d'affaires prévisionnel est estimé à 137.253 euros ;
Considérant qu'au regard des résultats comptables du fonds indiqués dans l'acte de vente du 19 février 2004 qui fait mention des chiffres suivants :
- année 2001 : chiffres d'affaires de 105.193 euros HT
- année 2002 : chiffres d'affaires de 112.938 euros HT
- année 2003 : chiffres d'affaires de 92.972 euros HT
- année 2000 : bénéfices de 10.359 euros
- année 2001 : bénéfices de 3.118 euros
- année 2003 : bénéfices de 10.331 euros
le chiffre d'affaires prévisionnel est réaliste et n'est pas déraisonnable comme le prétend Madame [S] ; que l'exploitation du fonds pendant dix ans avant son acquisition par les époux [S] démontre qu'il était et reste viable, compte tenu du projet des époux [S] et de la réduction des charges prévues ;
Considérant que le bilan simplifié produit pour les exercices 2004 et 2005 démontre qu'entre 2004 et 2005, les rémunérations de personnel et les charges salariales ont doublé générant une augmentation importante des charges d'exploitation sans commune mesure avec le prévisionnel établi ; que l'état des créances ratifié par le juge commissaire le 8 avril 2009 démontre que les dettes de Monsieur [S] sont principalement salariales en dehors du prêt en cause ; qu'ainsi la cause des difficultés de l'exploitation du fonds ne tient pas à la charge financière du prêt, mais aux charges salariales qui n'ont pas été réduites comme prévues grâce à la participation non salariée de Madame [S] les jours libres de son temps partiel à la société Aura, mais augmentées ;
Considérant que c'est à juste titre que le premier juge n'a pas tenu compte des seuls revenus de Madame [S] dans le prêt en cause qui porte sur un projet conjoint aux deux époux co-propriétaires d'un fonds de commerce acquis en commun, bien qu'exploité seul par l'époux, mais avec la participation de son épouse qui devait y venir aider trois jours par semaine pour économiser le coût d'un salarié, assurant le logement familial sans coût supplémentaire et devant procurer des bénéfices destinés à permettre le paiement des échéances du prêt par les époux [S] co-emprunteurs solidaires ;
Considérant qu'il se déduit de ces éléments que l'octroi du prêt ne créait pas un risque d'endettement excessif et qu'il n'y a pas de devoir de mise en garde du Crédit Agricole vis à l'égard de Madame [S] ;
Considérant qu'en l'absence de faute de la banque, Madame [S] est mal fondée en sa demande en dommages-intérêts ; que le jugement déféré sera confirmé de ce chef ;
Considérant que le Crédit Agricole a fait appel incident sur le rejet des intérêts contractuels de 4,50 % majoré de cinq points par le premier juge ; qu'il prétend que sa créance a été admise dans les termes de sa déclaration de créance qui n'a pas été contestée ; qu'elle comprend les intérêts dont le taux est précisé et qui continuent à courir en application de l'article L.622-28 du code de commerce ; qu'elle estime que le juge commissaire n'avait pas à en préciser le montant ;
Considérant que Madame [S] demande la confirmation du jugement de ce chef et soutient que la créance admise ne comporte pas d'intérêts ; que l'admission du juge commissaire pour la somme de 85.605,83 euros, 'outre intérêts', ne vaut pas admission pour les intérêts dont le taux et l'assiette ne sont pas précisés ; que le Crédit Agricole n'a pas contesté cette décision dont elle peut se prévaloir contre le créancier ;
Considérant que, s'il est exact que le Crédit Agricole a déclaré sa créance au titre du prêt n° 60111273775 d'un montant de 95.000 euros à concurrence de la somme de 77.823,48 euros échue, outre intérêts postérieurs au taux contractuel de 4,50 majoré de 5 points au titre du retard à partir du 27 juillet 2007 jusqu'à règlement complet et définitif et de la somme de 7.782,35 euros au titre de l'indemnité contractuelle de 10 % sur les sommes dues à titre nanti, le juge commissaire a ratifié, le 8 avril 2009, l'état de créances portant admission de la créance du Crédit Agricole dans les termes suivants : 'admission privilégiée : 85.605,83 euros, observations : nantissement de fonds de commerce et privilégié de prêteur de deniers, outre intérêts'; que cette admission a été notifiée au créancier qui ne l'a pas contestée ;
Considérant que c'est l'admission de la créance dans les termes fixés par le juge commissaire qui vaut décision ; que la déclaration de créance ne peut pas y suppléer ; que la mention 'outre intérêts' sans précision du taux des intérêts et de l'assiette de leur calcul ne vaut admission des intérêts ; que le Crédit Agricole est mal fondé en son appel incident de ce chef et sera débouté de sa demande ;
Considérant que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions ;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant que chaque partie supportera ses dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré,
Rejette toutes autres demandes,
Dit que chaque partie supportera ses dépens d'appel avec distraction au profit de l'avocat concerné dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT