RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 16 Mai 2013
(n° 2 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/02859
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Mars 2010 par Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS - Section encadrement - RG n° 08/03130
APPELANT
Monsieur [X] [T]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par M. [P] [L] (Délégué syndical ouvrier) en vertu d'un pouvoir spécial en date du 13 mars 2013
INTIMÉES
CAISSE NATIONALE DES INDUSTRIES ELECTRIQUES ET GAZIERES - CNIEG
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
non représentée
GRT GAZ
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Jean-sébastien CAPISANO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0107 substitué par Me Julie BEOT-RABIOT, avocat au barreau de PARIS, toque : P107
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 mars 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Renaud BLANQUART, Président
Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère
Madame Anne MÉNARD, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats
ARRÊT :
- RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Monsieur Renaud BLANQUART, Président et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [X] [T], agent de la société GRT GAZ depuis le 1er juin 1988, a demandé par lettre du 12 mars 2008 à son employeur sa mise en inactivité anticipée avec jouissance immédiate de ses droits à pension, en application de l'article 3 annexe III du statut national du personnel des industries électriques et gazières, dans ses dispositions alors en vigueur. Il a saisi la juridiction prud'homale, le 18 mars suivant, aux mêmes fins.
Par jugement du 15 mars 2010, le Conseil de prud'hommes de Paris, statuant en formation de départage, a ordonné la mise en inactivité de M. [T] et déclaré le jugement opposable à la Caisse Nationale des Industries Electriques et Gazières (CNIEG), en rejetant toutes les demandes indemnitaires du salarié.
M. [T] a interjeté appel de cette décision le 2 avril 2010.
Réprésenté par son Conseil, M. [T] a, à l'audience du 14 mars 2013 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, il demande à la Cour de :
- dire que le décret du 27 juin 2008, en ce qu'il ne rémunère les hommes qui s'arrêtent de travailler pendant deux mois à l'occasion de la naissance de leur enfant qu'à hauteur de 18 % de la rémunération des femmes, est contraire à l'article 19 du traité CEE qui s'oppose à ce que le rétablissement d'une situation de stricte égalité soit obtenu autrement que par l'application aux travailleurs défavorisés du même régime que celui dont bénéficient les travailleurs favorisés,
- condamner la société GRT GAZ à lui payer la somme de 4489,16 € en le reclassant dans le coefficient NR180 qu'il aurait dû obtenir s'il n'avait subi une rétorsion à la suite de son action dénonçant une discrimination liée au sexe,
- condamner l'employeur à lui payer la somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts pour non-remise de la fiche Assedic
- dire que ses droits à pension en application de l'article 3 de l'annexe III du statut des Industries électriques et gazières sont acquis à la date de sa demande du 12 mars 2008, et que le taux de liquidation est de 68,40 % avec majorations pour cinq enfants,
- condamner l'employeur et la CNIEG à lui payer une indemnité de 79417 € en réparation du préjudice résultant de la perte des mois de pension qu'il aurait dû percevoir depuis sa demande de mise en inactivité et une indemnité de 44268,12 € pour travail obligatoire,
- à titre subsidiaire condamner GRT GAZ à lui payer des dommages-intérêts pour perte de chance sur le montant de la pension et sur le retrait des placements sur le PEE à hauteur de 2371 € et 219660,48 € soit 222031,48 €,
- condamner l'employeur et la CNIEG à lui payer une indemnité pour harcèlement de gestion de 45000 €, pour préjudice moral et d'anxiété de 2000 €, et pour défaut de conseil et d'information conformément à la directive 2003/41/CE de 2000 €,
- les condamner à lui payer 2000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
A titre subsidiaire, il demande à la Cour de poser la question préjudicielle suivante à la CJUE :
'En prenant en compte que la Cour européenne des droits de l'homme a déjà statué sur la sauvegarde du droit acquis à pension, l'infraction à la libre circulation du salarié qui a demandé à partir en inactivité anticipée et le refus de l'employeur s'apparentent-ils à un travail obligatoire imposé au salarié pour qu'il conserve son droit acquis à pension. Le traitement différencié entre les cadres dirigeants et les autres salariés sur ce sujet est-il une discrimination ''
Il expose que le Conseil d'Etat, dans un arrêt [Localité 4] du 18 décembre 2002, a déclaré les dispositions de l'article 3 de l'annexe III du statut des Industries électriques et gazières, restreignant la mise en inactivité anticipée aux seuls agents féminins incompatibles avec l'article 141 du Traité instituant les Communautés européennes, et que la Cour de cassation a fait, à son tour, bénéficier les pères de famille de la bonification de retraite statutaire en jugeant, dans un arrêt du 23 octobre 2007, que toute décision d'illégalité d'un texte réglementaire par le juge administratif, même décidée à l'occasion d'une autre instance, s'impose au juge civil. Il estime donc qu'il appartenait à l'employeur de prendre l'initiative de bonifier ses droits au lieu de s'opposer à sa demande et de l'obliger à saisir la justice pour voir reconnaître ses droits. Il estime donc que le comportement de l'employeur s'apparentait à une véritable discrimination en raison du sexe.
Réprésentée par son Conseil, la société GRT GAZ a, à l'audience du 14 mars 2013 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, elle demande à la Cour de se déclarer incompétente pour connaître des demandes relatives aux paramètres de calcul de la pension au profit du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de [Localité 1], de déclarer irrecevable la demande relative au décret du 27 juin 2008 pour défaut d'intérêt à agir de M. [T], de le débouter de ses autres demandes et de le condamner à lui verser la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle expose qu'en application des articles L.1411-3 et -4 du Code du travail et L.142-1 et R.711-20 du Code de la sécurité sociale, la juridiction prud'homale n'est pas compétente pour connaître de ce qui touche à l'application des régimes vieillesse qui ne concerne au demeurant que la CNIEG, caisse autonome créée le 1er janvier 2005 et dotée de la personnalité morale. Elle indique, par ailleurs, que les dispositions du décret du 27 juin 2008 n'ont jamais été appliquées à M. [T], qui a précisément saisi la juridiction prud'homale antérieurement à leur entrée en application pour pouvoir bénéficier des anciennes dispositions de l'article 3 de l'annexe III du statut des industries électriques et gazières, lesquelles lui ont été appliquées en exécution du jugement prud'homal par sa mise en inactivité anticipée à compter du 1er juin 2010 avec versement d'une pension, si bien que sa demande pour voir statuer sur leur conventionnalité est irrecevable faute d'intérêt à agir. Elle demande, enfin, à la Cour de rejeter les demandes indemnitaires du salarié tant pour défaut de remise d'une attestation Pôle emploi, alors qu'il n'a pas été privé involontairement d'emploi, que pour absence de versement de sa pension depuis la date de sa demande, alors qu'il ne saurait cumuler paiement de la rémunération et pension, pour 'travail forcé', dont les conditions définies par la convention de l'Organisation internationale du travail ne sont pas réunies, ou autres 'harcèlement de gestion', préjudice moral, procédure abusive ou défaut de conseil non justifiés. Enfin, elle estime que sa demande de reclassement au niveau de rémunération (NR) 180 alors qu'il était à la date de sa mise en inactivité au NR160, ne saurait prospérer puisqu'il n'existe pas d'avancement automatique et que la personne avec laquelle M. [T] se compare ne faisait pas partie de l'entreprise.
La Caisse Nationale des Industries Electriques et Gazières (CNIEG), bien que régulièrement touchée par sa convocation ayant signé l'accusé de réception le 20 mars 2012, ne s'est pas fait représenter à l'audience.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
1) Sur la demande nouvelle relative au caractère discriminatoire du décret du 27 juin 2008
Considérant que l'appelant demande à la Cour de déclarer le décret du 27 juin 2008, qui est venu modifier les conditions d'attribution de la bonification des points de retraite par enfant, contraire au droit communautaire, en ce qu'il maintient une discrimination entre hommes et femmes ; que cependant, l'intéressé ne s'est pas vu appliquer ce texte, ayant été mis en inactivité en application de l'article 3 de l'annexe III du statut du personnel des industries électriques et gazières (IEG) par le jugement du 15 mars 2010 déféré, non critiqué sur ce point et exécuté depuis, et encore moins les dispositions critiquées relatives à la rémunération maintenue au père pendant le congé de paternité; que sa demande est donc irrecevable faute d'intérêt à agir sur ce point ;
2) Sur la demande nouvelle relative au reclassement dans le niveau de rémunération ('NR') 180
Considérant que l'appelant soutient qu'il n'a pas eu, à compter de l'introduction de la procédure, l'évolution de carrière à laquelle il pouvait prétendre en application d'une note CERH A 10-024, qui attribuerait en moyenne un niveau de rémunération par an aux cadres, soit donc 3"NR' sur trois ans ; que toutefois il ne produit pas cette note interne, la seule produite concernant les salariés ayant des mandats représentatifs au sein d'EDF, et ne fournit aucun élément permettant d'établir la discrimination dont il fait état, alors qu'au contraire, il a reçu une 'rémunération de la performance individuelle des cadres' (RPIC) pour 2009 et 2010 pour rétribuer 'la qualité du travail accompli et le niveau d'implication et d'engagement montré' qui démontre qu'il n'a été tenu nul compte de part et d'autre, dans l'exécution des relations contractuelles, de la procédure pendante ; que la demande n'est donc pas justifiée, pas plus que celle liée à une perte de chance de percevoir une pension plus élevée ou de solder plus totalité son PEE ;
3) Sur la demande nouvelle de dommages-intérêts pour non-remise d'une attestation pour l'Assedic
Considérant que l'article R.1234-9 du Code du travail, qui fait obligation à l'employeur de délivrer au salarié au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail une attestation d'assurance-chômage, figure, au Titre troisième du Code du travail, dans un chapitre IV relatif aux 'conséquences du licenciement' ; que ne trouvant donc pas à s'appliquer au départ à la retraite, la demande n'est pas fondée en l'absence de manquement de l'employeur ;
4) sur les demandes nouvelles afférentes à la liquidation de la pension de retraite
Considérant que les demandes relatives à la date et au taux de liquidation de la pension de retraite versées à M. [T] ne relèvent pas de la compétence de la juridiction prud'homale en application des articles L.1411-3 et -4 du Code du travail et L.142-1 et R.711-20 du Code de la sécurité sociale mais de celle du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, qui a d'ailleurs déjà été saisi des mêmes demandes et a statué par jugement du 27 avril 2012 ;
5) Sur la demande d'indemnité en réparation de la perte de mois de pension
Considérant que l'appelant demande des dommages-intérêts à son employeur et à la CNIEG en estimant que sa mise en inactivité aurait dû intervenir à compter de sa demande et qu'il a donc perdu le bénéfice de mois de pension ; que cependant il convient de relever que l'intéressé a perçu pendant cette période son entier salaire et qu'il n'a donc subi aucune perte financière ; que la demande n'est donc pas justifiée ;
6) Sur la demande de dommages-intérêts pour défaut de l'information définie par la directive européenne 2003/41/CE
Considérant que l'appelant invoque également le défaut d'information sur ses droits dont il a été victime au regard des dispositions de la directive 2003/41/CE, selon laquelle 'les travailleurs qui exercent ou envisagent d'exercer leur droit à la libre circulation devraient être convenablement informés par les responsables de la gestion des régimes complémentaires de pension, notamment des conséquences d'une cessation d'emploi sur leurs droits à pension complémentaire' ; que toutefois cette obligation ne concerne que l'organisme prestataire des retraites et non l'employeur, si bien que cette demande ne saurait relever de la compétence de la juridiction prud'homale mais de celle du TASS, sur laquelle celui-ci a d'ailleurs statué ;
7) Sur la demande de dommages-intérêts pour travail obligatoire
Considérant que l'appelant invoque également la notion de travail 'obligatoire' ou 'forcé' à l'appui de sa demande de dommages-intérêts pour avoir dû continuer à travailler jusqu'à la date de liquidation de sa pension intervenue en exécution du jugement prud'homal ; que cependant sa situation, dans l'attente de la décision prud'homale que l'employeur a exécutée immédiatement sans interjeter appel, ne correspond pas à la notion définie par la convention de l'OIT relative aux formes modernes d'esclavage pas plus qu'à l'incrimination de l'article 225-14 du Code pénal et que sa demande n'est pas justifiée sur ces fondements ;
8) Sur la demande de dommages-intérêts pour 'harcèlement de gestion'
Considérant que l'appelant entend dénoncer sous cette appellation la collusion de l'employeur et de la Caisse, refusant de lui reconnaître son droit à un départ anticipé; que cependant, il ne s'agit pas là d'un comportement caractérisant des agissements de harcèlement au sens de l'article L.1152-1 du Code du travail, la demande à ce titre n'étant pas fondée ;
9) Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral et d'anxiété
Considérant que l'appelant ne produit aucune explication ni aucun document à l'appui de cette demande qui n'est donc pas justifiée ;
10) Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive
Considérant en revanche que contrairement à ce qu'a jugé le Conseil de prud'hommes, à la date du 12 mars 2008 à laquelle M. [T] a formé sa demande de départ anticipé à la retraite, la jurisprudence en la matière était fixée de façon constante tant devant les juridictions tant administratives que judiciaires, le Conseil d'Etat, dans un arrêt Plouhinec du 18 décembre 2002, ayant déclaré les dispositions de l'article 3 de l'annexe III du statut des Industries électriques et gazières, restreignant la mise en inactivité anticipée aux seuls agents féminins, incompatibles avec l'article 141 du Traité instituant les Communautés européennes, et la Cour de cassation ayant tiré les conséquences de cette décision dans un arrêt du 23 octobre 2007 relatif au même texte ; qu'en obligeant M. [T] a saisir la juridiction prud'homale en lui refusant le 19 mars 2008 le bénéfice des dispositions qu'il invoquait à son profit, l'employeur a commis une résistance abusive qui sera indemnisée par l'allocation d'une somme de 3000 € ; que cette condamnation ne peut être prise à l'encontre de la CNIEG, le litige étant pendant devant la cour d'appel de Rennes en ce qui la concerne ;
Considérant enfin qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [T] les frais de procédure qu'il a pu engager pour cette procédure et qu'une somme de 800 € lui sera allouée à ce titre ;
PAR CES MOTIFS
Constate que la décision de mise en inactivité de M. [T] en application de l'article 3 de l'annexe III du statut du personnel des IEG n'est pas contestée,
Infirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
Statuant de nouveau sur ce point,
Condamne la société GRT GAZ à payer à M. [X] [T] la somme de 3000 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
Le confirme pour le surplus,
Y ajoutant,
Rejette les demandes nouvelles ;
Condamne la société GRT GAZ à payer à M. [T] la somme de 800 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la société GRT GAZ aux dépens d'appel .
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT