RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 03 Avril 2013
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/07191
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 20 Avril 2011 par Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY - section encadrement - RG n° 10/00762
APPELANT
Monsieur [C] [S]
[Adresse 1]
[Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me Bouziane BEHILLIL, avocat au barreau de PARIS, P0074
INTIMÉE
S.A.S. ASCENSEURS DRIEUX-COMBALUZIER
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Pascale CALVETTI, avocate au barreau de PARIS, E1367
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Février 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Christine ROSTAND, présidente, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Christine ROSTAND, présidente
Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller
Monsieur Jacques BOUDY, conseiller
GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [C] [S] a été embauché par la SA Ascenseurs Jean Combaluzier, en qualité de contremaître, à compter du 12 juin 1995, moyennant une rémunération mensuelle brute de 15 400 francs (soit 2 347,71 €).
Par lettre du 23 décembre 1997, la SA Ascenseurs Jean Combaluzier a été absorbée par la SAS Ascenseurs Drieux-Combaluzier et le contrat de travail de M. [S] a été transféré à cette dernière à compter du 1er janvier 1998.
Par avenant du 22 décembre 2005, M. [S] a été promu au poste d'attaché de direction commerciale, coefficient cadre 114, moyennant une rémunération mensuelle brute mensuelle de 3 900 € .
La rémunération mensuelle moyenne était en dernier lieu de 5 141,80 € .
La relation de travail est régie par les dispositions de la convention collective des cadres de la métallurgie. L'entreprise compte au moins 11 salariés.
M. [S] a saisi le 23 février 2010 le conseil de prud'hommes de Bobigny d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de demandes d'indemnités.
Par courrier remis en mains propres en date du 26 mars 2010, M. [S] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 02 avril 2010 après avoir été mis à pied à titre conservatoire, puis a été licencié pour faute grave par lettre RAR en date du 09 avril 2010.
Par jugement conseil de prud'hommes de Bobigny en date du 20 avril 2011, notifié le 25 juin 2011, M. [S] a été débouté de la totalité de ses demandes et condamné aux entiers dépens.
M. [S] a relevé appel de cette décision par lettre RAR en date du 27 juin 2011.
À l'audience du 19 février2013, il a développé oralement ses conclusions visées par le greffier le 19 février 2013 aux termes desquelles il sollicite l'infirmation du jugement rendu le 20 avril 2011 par le conseil de prud'hommes de Bobigny et demande à la cour de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et de condamner la SAS Ascenseurs Drieux-Combaluzier à lui payer les sommes de :
- 185 104,80 € nets au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 30 850,80 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- 3 085,08 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents
- 42 779,77 € nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement
avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes
- 51 418 € nets au titre du préjudice moral
- 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
avec intérêts au taux légal à compter de la notification de la décision à intervenir.
La SAS Ascenseurs Drieux-Combaluzier a repris oralement ses conclusions visées par le greffier le 19 février 2013 aux termes desquelles elle sollicite la confirmation du jugement rendu le 20 avril 2011 par le conseil de prud'hommes de Bobigny et demande à la cour de condamner M. [S] à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.
Aux termes de l'avenant au contrat de travail du 22 décembre 2005, M. [S] a été promu au poste d'attaché de direction commerciale et ses missions ont été étendues à la responsabilité de la gestion de l'outil de chiffrage modernisation, au tutorat des nouveaux entrants aux postes de commercial modernisation, à la responsabilité de la diffusion de l'image de la société.
M. [S] fait valoir qu'à partir du 1er avril 2006, date de la nomination de M. [Y] aux fonctions de directeur des travaux, il a vu progressivement son contrat de travail se vider de sa substance ; que bien qu'il ait alerté sa hiérarchie le 23 juin 2008 sur la modification de sa qualification, l'employeur lui a retiré les responsabilités qui lui avaient été confiées par l'avenant au contrat de travail du 22 décembre 2005 ; que courant février 2009, M. [Y] lui a proposé un poste de VRP ; qu'il a alors par courrier du 16 mars 2009 demandé à l'employeur une rupture négociée de son contrat de travail ; que ses démarches auprès de l'employeur étant restées vaines, il a alerté l'inspection du travail par courrier du 29 septembre 2009 ; qu'enfin la dégradation de ses conditions de travail a affecté son état de santé et entraîné des arrêts maladie du 20 janvier au 14 février 2010, puis du 6 au 27 avril 2010.
Pour démontrer les manquements qu'il reproche à l'employeur, l'appelant verse au dossier un courrier du 23 juin 2008 dans lequel il proteste sur la qualification d'ingénieur des ventes figurant sur les courriers accompagnant les devis qu'il adresse aux clients et rappelle que selon l'avenant au contrat de travail, sa qualification est celle d'attaché de direction commerciale, ainsi qu'un courrier du 16 mars 2009 dans lequel il se plaint du retrait des nouvelles missions qui lui ont été confiées à compter du 1er janvier 2006 dans l'avenant et de n'apparaître sur aucun des organigrammes de la société.
L'employeur dans sa réponse à ce dernier courrier datée du 6 avril 2009 refuse la proposition de rupture conventionnelle, confirme les missions précisées à l'avenant tout en admettant que la responsabilité de la gestion de l'outil de chiffrage a été transférée au directeur des achats.
M. [S] justifie en outre du courrier adressé à l'inspection du travail le 25 septembre 2009 et des correspondances échangées avec l' employeur entre le 25 septembre et le 30 novembre 2009.
Aux termes du courrier daté du 25 septembre adressé à ce dernier, le salarié proteste contre la modification de son contrat de travail en constatant que le 5 avril 2009 la responsabilité de la gestion de l'outil de chiffrage lui a été enlevée, que son activité de tutorat a été vidée de son sens par l'organisation adoptée unilatéralement d'un système de binômes en juin 2009 et qu'il ne lui est plus confié aucune action de publicité ou de participation à des salons depuis la fin de l'année 2008. Il ajoute que le statut de VRP qui lui avait été proposé début 2009 et qu'il avait refusé lui est imposé par la modification progressive de l'organisation de l'entreprise et de ses fonctions.
L'employeur dans sa réponse datée du 5 octobre soutient que le salarié conserve la possibilité de faire des propositions au directeur des achats à qui incombe la responsabilité de « finaliser » la gestion de l'outil de chiffrage et lui reproche de ne plus s'impliquer dans les deux autres missions en concluant que s'il devait de son propre chef décider de se dégager de ces missions, un nouvel avenant serait régularisé. Il reconnaissait par ailleurs que sa position dans l'organigramme n'était pas claire.
Aux termes de son courrier du 30 novembre 2009, M. [S] prenait acte de cette reconnaissance et réfutait les autres assertions en soulignant la récente mise en place d'un outil de communication spécifique à laquelle il n'avait pas été associé ainsi que la décision qui avait été prise de recourir à un prestataire alors qu'il était lui-même chargé de la communication de l'image de la société.
A l'audience et dans ses écritures, la société Drieux-Combaluzier fait remarquer que la qualification du salarié n'est pas mentionnée sur les courriers destinés aux clients et fait valoir que les organigrammes produits aux débats sont ceux du comité de direction dont M. [S] ne faisait pas partie.
Elle reproche au salarié de n'avoir pris aucune initiative depuis la fin de l'année 2008 dans le domaine de la diffusion de l'image de la société alors qu'il n'a pas été exclu de ce domaine comme en témoigne sa participation au lancement du plan marketing en janvier 2010 et soutient qu'il ne démontre pas avoir été écarté de ses fonctions alors qu'il avait une zone commerciale plus réduite que celle des autres ingénieurs des ventes compte tenu des attributions qui lui avaient été dévolues.
Elle fait valoir que l'outil de chiffrage n'a plus nécessité que des mises à jour ponctuelles à compter de l'année 2009 et que M. [S] ne démontre pas que ses propositions n'ont pas été prises en compte ; qu'en 2009, l'équipe des salariés commerciaux a été renouvelée mais que les ingénieurs commerciaux étant expérimentés, ils n'avaient pas besoin de tutorat et que le système des binômes a été mis en place pour le cas où l'un d'eux serait en congé ou absent. Elle établit par ailleurs que M. [S] assistait en 2008 et 2009 aux réunions mensuelles du service modernisation.
En dépit de cette argumentation, il résulte des pièces produites aux débats que le salarié a été déchargé de la responsabilité de la gestion de l'outil de chiffrage en début d'année 2009 ; que sa mission de tutorat aurait dû trouver pleinement à s'exercer à l'égard d'au moins cinq des jeunes salariés nouvellement embauchés courant 2008 et début 2009, qui contrairement à ce que soutient l'employeur, étaient loin compte tenu de leur âge d'avoir l'expérience de l'appelant ; qu'enfin, dans son courrier du 5 octobre 2009, l'employeur se contente de reprocher à M. [S] de ne pas s'impliquer dans ses missions complémentaires alors que le 4 mai de la même année, dans sa fiche d'évaluation, il notait que son implication, son sens de l'innovation et son respect des objectifs étaient excellents ; qu'enfin, sur les organigrammes de la société, le salarié sur la page de la direction commerciale apparaît dans la colonne « commercial renov » sans qu'il soit fait mention de sa qualité d'attaché de direction ; que les courriers datés de l'année 2009 co-signés par le directeur commercial et M. [S] produits au dossier mentionnent la fonction d'ingénieur commercial pour ce dernier et non celle d'attaché de direction commerciale.
Il est ainsi établi que l'employeur a procédé unilatéralement à la modification du contrat de travail tel qu'il résultait de l'avenant du 22 décembre 2005.
En imposant au salarié cette modification, la société Drieux-Combaluzier a gravement manqué à ses obligations contractuelles et M. [S] était fondé à saisir le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire du contrat.
Lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.
La résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la SAS Ascenseurs Drieux-Combaluzier a donc pris effet le 9 avril 2010.
La résiliation judiciaire du contrat prononcée aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il sera fait droit aux demandes d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés incidents ainsi qu'à la demande d'indemnité conventionnelle de licenciement dont les montants et mode de calcul ne sont pas discutés.
Aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [S], de son âge (55 ans à la date de la rupture), de son ancienneté de quinze années, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, et notamment du fait qu'il n'a pas retrouvé d'emploi ,il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, une somme de 98 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Au regard des pièces produites au dossier, M. [S] ne justifie pas avoir subi un préjudice moral distinct de celui qui est réparé par l'indemnité ainsi allouée et il sera débouté de la demande formée à ce titre.
La SAS Ascenseurs Drieux-Combaluzier sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et versera à M. [C] [S] la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions :
Statuant à nouveau et ajoutant,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail avec effet au 9 avril 2010 ;
CONDAMNE la SAS Ascenseurs Drieux-Combaluzier à verser à M. [C] [S] les sommes suivantes :
- 30 850,80 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- 3 085,08 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents
- 42 779,77 € bruts au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du 26 février 2010
- 98 000 € bruts
avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision
DÉBOUTE M. [C] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
CONDAMNE la SAS Ascenseurs Drieux-Combaluzier à verser à M. [C] [S] la somme de 3 500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SAS Ascenseurs Drieux-Combaluzier aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE