RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 6
ARRÊT DU 27 Mars 2013
(n° 3 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/06803-CR
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Juin 2011 par Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS section encadrement RG n° 10/07696
APPELANT
Monsieur [N] [V]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne, assisté de Me François RABION, avocat au barreau de PARIS, toque : D1644
INTIMÉE
SASU OPEN venant aux droits de la SAS SYLIS FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Patricia VIANE CAUVAIN, avocat au barreau de LILLE substituée par Me Hayette ET TOUMI, avocat au barreau d'ORLEANS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Février 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Claudine ROYER, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Pierre DE LIÈGE, Présidente
Madame Claudine ROYER, Conseillère
Madame Isabelle CHESNOT, Conseillère
Greffier : Mme Evelyne MUDRY, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Pierre DE LIÈGE, Présidente et par Madame Evelyne MUDRY, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Par jugement de départage du 15 juin 2011 auquel la Cour se réfère pour l'exposé des faits, de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté Monsieur [N] [V] de sa demande et l'a condamné aux dépens.
Monsieur [N] [V] a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 23 juin 2011.
Vu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile et les conclusions des parties régulièrement communiquées, oralement soutenues et visées par le greffe à l'audience du 18 février 2013, conclusions auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé de leurs demandes, moyens et arguments ;
* * *
Il résulte des pièces et des écritures des parties les faits constants suivants :
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 10 avril 1998, La société SELEFRANCE a engagé Monsieur [N] [V] à compter du 10 août 1998 en qualité d'ingénieur de production - statut cadre, ses attributions consistant en « travaux informatiques liés au développement, à la maintenance ou au suivi de projets informatiques ». Ce contrat a été repris en janvier 2005 par la SAS SYLIS, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la SAS OPEN.
Monsieur [V] a été élu en mai 2005 membre titulaire du comité d'entreprise et délégué du personnel suppléant, puis a été désigné le 17 septembre 2007 par le syndicat CGT-FO en qualité de délégué syndical, avant de devenir le 10 octobre 2007 délégué du personnel titulaire pour une durée de 3 ans jusqu'au 12 octobre 2010.
Arguant d'une exécution fautive de son contrat de travail, d'une entrave à ses mandats d'élu et de délégué syndical, de discrimination syndicale, de harcèlement moral et de marchandage à son encontre, Monsieur [N] [V] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 7 décembre 2007 et a saisi le 9 janvier 2008 le conseil de prud'hommes de PARIS afin de voir juger que cette prise d'acte s'analysait en un licenciement nul pour violation du statut protecteur, et obtenir diverses sommes au titre de la rupture de son contrat de travail .
C'est dans ces circonstances qu'est intervenu le jugement déféré, à l'issue d'une procédure de départage.
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MOTIFS
Sur la prise d'acte de rupture
Lorsqu'un salarié titulaire d'un mandat électif ou de représentation prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission.
En l'espèce, Monsieur [V] a adressé au Président de la Société SYLIS France une lettre de prise d'acte de rupture datée du 7 décembre 2007 ainsi libellée :
« Monsieur le président,
Je prends acte de la rupture immédiate du contrat de travail en raison de l'ensemble des agissements de la société SYLIS envers moi :
Exécution fautive du contrat de travail.
Entrave à mes mandats d'élu et de délégué syndical.
Discrimination syndicale.
Harcèlement moral.
Marchandage.
En conséquence, je considère que cette rupture vous est imputable et qu'elle intervient à vos torts exclusifs.
Veuillez croire, monsieur le président, à mes sentiments respectueux. »
Le 12 décembre 2007, répondant à cette lettre, la société SYLIS faisait part au salarié de la surprise que lui avait causé cette lettre qui n'avait été précédée d'aucune mise en garde ou mise en demeure. Elle précisait que la société ne se reconnaissait aucune responsabilité dans cette rupture qu'elle analysait en une démission et rappelait au salarié qu'il devait respecter son préavis s'achevant le 8 mars 2008. Elle déplorait le préjudice que lui causait son absence, en lui indiquant que la société avait besoin de ses compétences en qualité de certifié de l'ITIL pour la certification de sa plate forme.
Le 14 décembre 2007, Monsieur [V] a demandé ses documents de fin de contrat, s'étonnant de la demande de respect d'un préavis, sa prise d'acte de rupture étant à effet immédiat. Sur le préjudice allégué par l'employeur, il rappelait qu'il était en inter-contrat depuis le 1er novembre 2007sans que personne n'ait cherché à le rencontrer pour un bilan de fin de contrat, ou un entretien annuel auquel il n'avait eu droit qu'à la moitié d'un en 9 ans et 4 mois, ou encore pour lui fournir un travail ; qu'en outre la certification ITIL était un certificat d'individu et non d'entreprise ou de plate-forme.
Le 7 janvier 2008, la société SYLIS, notant que le salarié refusait d'effectuer son préavis, lui précisait que ses documents de fin de contrat lui seraient adressés à la date d'expiration du contrat de travail, soit le 8 mars 2008.
Sur le plan des principes, l'article L.1132-1 du code du travail, prohibe les mesures discriminatoires directe ou indirectes notamment en matière de mutation ou de renouvellement de contrat en raison des activités syndicales d'un salarié. L'article L.2141-5 du code du travail interdit précisément à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.
De la même manière, le harcèlement moral est interdit par le code du travail, harcèlement caractérisé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits du salarié, à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Selon l'article L.1152-2 du code du travail, un salarié ne peut être sanctionné pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
En matière de preuve, il résulte des articles L.1134-1 et L.1154-1 du code du travail que le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, ou d'établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement . Au vu de ces éléments de fait, il appartient à l'employeur soit de prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, soit de prouver que ces agissements n'étaient pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Pour étayer ses affirmations Monsieur [V] a invoqué divers faits de nature à établir qu'il faisait l'objet soit de mesures discriminatoires à raison de ses activités syndicales, soit de mesures vexatoires, de pressions, de brimades ou de tracasseries de la part de la société SYLIS France (aujourd'hui SAS OPEN).
Il dénonce notamment :
- une politique sociale très dure à l'égard des personnels se manifestant notamment par des inter-contrats très longs, des réclamations trop appuyées sur le remboursement de frais ou d'heures supplémentaires, des pertes de clients à l'origine de nombreux licenciements disciplinaires ou insuffisances de résultats au sein de l'entreprise,
- une hostilité particulière à l'égard des élus ou des organisations syndicales, constitutive selon le salarié d'entrave .
En ce qui le concerne particulièrement, Monsieur [V] fait état en 2006 d'une période d'inter-contrat de 11 mois et de missions de plus en plus brèves à tel point que les médecins du travail en ont fait état à la réunion du CHSCT du 21 février 2007. Il prétend avoir été cantonné depuis février 2007 à des tâches répétitives et sans intérêt, de pas avoir eu de bilans annuels réguliers, avoir eu peu de jours de formation, aucune augmentation de salaire ni d'évolution professionnelle. Il indique qu'après sa prise d'acte, la société SYLIS a envoyé un huissier chez son nouvel employeur pour se faire remettre une copie de son contrat de travail. Il produit une attestation sur des propos tenus pas son employeur à son sujet pour dire qu'il était une personne peu fréquentable ou malhonnête.
Le salarié considère comme humiliant le fait de devoir se présenter une à deux fois par semaine pendant les inter-contrats pour émarger, de se voir interdire d'arriver à 7 heures du matin alors qu'il s'agissait pour lui d'éviter les embouteillages. Il fait état de badge désactivé lui interdisant l'accès aux locaux, d'un bureau occupé par d'autres personnes, d'affaires personnelles retrouvées sur un rebord de fenêtre, de demande de restitution de clés ou de badge, d'interdiction de parler aux commerciaux, de tracasseries inutiles au sujet de la justification de ses heures d'absence. Il fait état de la dégradation de son état de santé et l'inaptitude temporaire dont il a fait l'objet en septembre 2006.
S'agissant de son activité syndicale, Monsieur [V] dénonce l'entrave à ses fonctions de délégué syndical ou de représentant du personnel et les multiples difficultés rencontrées pour prendre ses heures de délégation.
Enfin, il soutient que l'employeur s'est livré à un prêt de main d'oeuvre illicite en le faisant travailler pour d'autres sociétés de service informatiques, elles-mêmes titulaires de marchés avec un client. Il soutient qu'il s'agit d'une faute manifeste dans l'exécution du contrat de travail.
La société OPEN conteste totalement ces allégations et demande à la cour de considérer que la prise d'acte constituait une démission. Elle soutient que le salarié avait en réalité trouvé un autre emploi et voulait se dispenser d'effectuer son préavis.
Rappelant le contexte particulier dans lequel évolue l'entreprise, la société OPEN précise qu'il s'agit d'un secteur très concurrentiel avec une évolution rapide des technologies supposant une adaptation constante des salariés aux besoins des clients ; que ceux-ci quittent l'entreprise dès qu'ils ont des offres plus attrayantes des sociétés concurrentes ; que l'inter-contrat, période entre deux missions, dépend de l'expérience des salariés et de leur connaissance des nouvelles technologies ; que pendant ces périodes, les informaticiens suivent généralement des formations permettant une meilleure adaptation à l'évolution de leur emploi.
Elle prétend que les licenciements disciplinaires ne sont pas plus élevés qu'ailleurs, ces licenciements concernant surtout les salariés refusant les déplacements inhérents à leurs fonctions ; que la région parisienne présente des difficultés particulières ; que le stress est inhérent à l'activité ; que le salarié ne peut tirer de conséquences de la situation d'un salarié pour dénoncer un comportement discriminatoire à l'encontre des représentants élus ou des délégués syndicaux ; que l'accomplissement de tâches répétitives et sans intérêt est faux ; que si des émargements ont été imposés à l'agence, c'est en raison de dérives constatées, certains salariés étant injoignables quand l'entreprise comptait leur proposer des missions nouvelles ; que le salarié a été défrayé de tous ses frais de trajet ; qu'il est faux de dire que la réponse relative aux congés payés de 2006 a été tardive, celle-ci ayant eu lieu un mois et demi avant la période de congés.
En ce qui concerne les badges, la société OPEN indique avoir effectivement reprogrammé les badges selon les heures d'ouverture de la société, pour des raisons de sécurité exigées par le bailleur ; qu'en ce qui concerne ses activités syndicales, Monsieur [V] n'a fait l'objet d'aucune discrimination et n'a pas bénéficié d'une traitement différent des autres salariés dans l'entreprise ; qu'en ce qui concernait les heures de délégation, il apparaissait souhaitable que le salarié en informe lui-même le client pour des raisons de courtoisie et pour le maintien des bonnes relations commerciales ; que jamais le salarié n'a été empêché de prendre ses heures de délégation.
La société OPEN conteste les allégations relatives à l'absence de bureau et dément que le fait que l'inaptitude de 2006 avait une origine professionnelle.
Enfin s'agissant du prêt de main d''uvre, la société OPEN le conteste totalement rappelant le caractère légal des interventions du salarié.
En dépit des nombreuses pièces versées aux débats par le salarié (échanges de courriels, lettres, comptes rendus de réunion du CE, fiches de mission, notes de service, décisions judiciaires), le salarié n'apporte en cause d'appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause la décision du juge départiteur, lequel a fait une juste appréciation des circonstances de la cause tant en droit qu'en fait par des motifs pertinents que la cour fait siens, étant observé :
- que si le salarié a effectivement subi en 2006 une longue période d'inter-contrat, aucun élément ne permet de dire que cette situation avait pour origine une volonté de discrimination ou de mise à l'écart ; que si le compte-rendu du CHSCT du 21 février 2007 révèle que cette situation, dénoncée par les médecins du travail, était difficile à vivre pour les salariés, Monsieur [V] n'était pas seul concerné, ces périodes d'inter-contrat étant fréquentes dans les sociétés d'ingénierie informatique ; que des propositions ont été faites ultérieurement pour que ces périodes soient mises à profit pour faire effectuer aux salariés des périodes de formation, ce dont le salarié a profité avec la formation ITIL; qu'après la longue période de 2006, les périodes d'inter-contrat ont été limitées ultérieurement dans les temps d'attente habituels de une à six semaines ;
- que les contrôles ou pointages opérés par l'employeur ne peuvent être considérés en l'espèce comme des éléments de harcèlement, de discrimination ou d'entrave aux fonctions syndicales ou électives, mais relevaient normalement du pouvoir de contrôle et de direction de l'employeur , celui-ci n'ayant pas excédé ses pouvoirs en demandant au salarié de se conformer à un certain nombre de règles (horaires de pointage, justification des absences, des heures de délégation, des frais engagés, allées et venues dans l'entreprise, autorisation de congés) ;
- que la production de plusieurs décisions judiciaires concernant plusieurs salariés dans l'entreprise, dont Monsieur [V] a eu connaissance grâce à ses mandats ne permet nullement de stigmatiser un mode de management agressif ou discriminatoire s'étant exercé personnellement à son encontre ;
- que le prêt de main d'oeuvre illicite n'est pas davantage établi ainsi que l'avait relevé le juge départiteur.
En l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'une discrimination ou d'un harcèlement moral n'est pas démontrée. L'entrave aux fonctions syndicales n'est pas davantage démontrée ni les fautes de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail.
Il y a lieu dans ces circonstances de confirmer en toutes ces dispositions le jugement déféré et de débouter Monsieur [V] de l'intégralité de ses demandes.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la SAS OPEN les frais irrépétibles exposés à l'occasion de cette instance.
Monsieur [N] [V] qui succombe supportera les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
Condamne Monsieur [N] [V] aux entiers dépens.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,