RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 21 Mars 2013
(n° 7 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/05734
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Mai 2011 par Conseil de prud'hommes - Formation de départage de Paris - Section commerce - RG n° 08/12040
APPELANTE
SAS HOTEL DE NOAILLES
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Régis BAUTIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0041 substitué par Me Ariane FUSCO-VIGNÉ, avocat au barreau de PARIS, toque : P0041
INTIMÉE
Madame [L] [J] [F] épouse [M]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne, assistée de Me Marie-sophie VINCENT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1858
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 février 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Renaud BLANQUART, Président
Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère
Madame Anne MÉNARD, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Monsieur Renaud BLANQUART, Président et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme [O] [F], épouse [M], qui avait été engagée le 26 septembre 2005 en qualité de cafetière par la SAS Hôtel de Noailles, a été déclarée définitivement inapte à son poste de travail après avoir été en arrêt pour maladie du 12 octobre 2007 au 30 juin 2008. Elle a été licenciée, pour inaptitude, le 16 août 2008.
Elle a saisi la juridiction prud'homale le 10 octobre 2008 d'une demande en paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 20 mai 2011, le Conseil de prud'hommes de Paris, statuant en formation de départage, a condamné la SAS à payer à Mme [M] la somme de 12688 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse faute de justification d'avoir rempli son obligation de reclassement et celle de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et à rembourser les indemnités de chômage versées à l'intéressée dans la limite de six mois.
La SAS Hôtel de Noailles a interjeté appel de cette décision le 10 juin 2011.
Réprésentée par son Conseil, la SAS HOTEL DE NOAILLES a, à l'audience du 8 février 2013 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, elle demande à la Cour d'infirmer le jugement et de débouter Mme [M] de l'intégralité de ses demandes, en la condamnant à lui payer la somme de 1000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle expose qu'employant 19 personnes à l'époque des faits, elle a consulté le délégué du personnel, par courriel, avant d'engager la procédure de licenciement, lequel a donné son avis sur un éventuel reclassement au service de la réception compte tenu du handicap dont souffrait Mme [M]. Elle indique que l'obligation de reclassement n'impliquant pas celle de créer un poste ni de mettre en oeuvre une formation qualifiante totalement nouvelle, et ne faisant par ailleurs partie d'aucun groupe, elle n'a pu reclasser Mme [M] dans l'hôtel. Elle ajoute qu'elle a bien respecté également la procédure de licenciement, que la salariée ne l'avait jamais informée de son statut de travailleur handicapé et que les dispositions de l'article L.5213-5 du Code du travail, qui ne sont pas applicables aux employeurs employant moins de vingt salariés, ne créent pas une obligation de reclassement renforcée, et qu'enfin et subsidiairement, l'intimée ne justifie pas du préjudice dont elle demande réparation à hauteur de 12 mois de salaire.
Assistée à l'audience de son avocat, Mme [M] demande l'infirmation du jugement entrepris et que soit dit son licenciement nul faute de consultation régulière des délégués du personnel, à titre subsidiaire de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de condamner la société Hôtel de Noailles à lui payer :
- 20.160 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,
- 1.774,90 € de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,
- 2.152,19 € de complément d'indemnité compensatrice de préavis,
- 215,21 € d'indemnité compensatrice de congés payés incidents,
- et 15.000 € à titre de dommages-intérêts pour violation des articles 16 de la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants (HCR), et L.5213-6 et L.1133-3 du Code du travail,
- outre 3000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
avec capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du Code civil,
et d'ordonner la remise des bulletins de paie du préavis d'août à octobre 2008 et une attestation Pôle Emploi conformes à la décision.
Elle soutient que la société n'a pas respecté la procédure applicable en cas de licenciement pour inaptitude, le délégué du personnel n'ayant pas été régulièrement convoqué, ce qui entraîne la nullité de la procédure de licenciement par application de l'article L.1226-13 du Code du travail. En tout état de cause, elle considère que l'obligation de reclassement n'a pas été respectée par l'employeur, ni au sein de l'hôtel, ni au sein des sociétés franchisées 'Golden Tulip', d'autant que cette obligation est renforcée pour les travailleurs handicapés par application des articles L.1226-3 du Code du travail et 16 de la convention collective applicable, tout comme l'indemnité compensatrice de préavis en vertu de l'article L.5213-9 du Code du travail.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Considérant qu'aux termes de l'article L.1226-10 du Code du travail,'lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise...L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.' ;
Considérant qu'il résulte des pièces produites au dossier qu'à la suite de sa maladie professionnelle, et à l'issue de la seconde visite médicale de reprise, Mme [M] a été déclarée, le 15 juillet 2008, inapte définitivement à son poste de cafetière par le médecin du travail, la fiche d'aptitude médicale indiquant 'pas de reclassement' ; que par courriel du lundi 28 juillet 2008, l'employeur a demandé au délégué du personnel, alors en vacances, son avis sur la possibilité d'un reclassement de Mme [M], déclarée inapte à son poste en cafeterie, dans un poste d'un autre service de l'établissement, en lui joignant son CV ; que le délégué, lui-même chef de réception, a répondu par courriel du mardi 5 août à 19h55 qu'il n'y avait aucun poste à proposer à l'intéressée à la réception, les postes de réceptionniste demandant des qualifications qu'elle n'avait pas, ne parlant pas anglais et n'ayant jamais eu d'expérience dans ce domaine ; qu'il a précisé, dans une attestation, que l'employeur lui avait téléphoné le 31 juillet mais qu'il n'avait pu confirmer leur conversation que le 5 août, n'ayant pas d'accès l'internet avant cette date ; que, par lettre du 5 août 2008 postée à 20h, Mme [M] a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement pour inaptitude, avant d'être licenciée le 16 août 2008, pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement, l'employeur lui ayant fait connaître les motifs de celle-ci par lettre postée le 5 août ;
Considérant qu'il résulte de ces éléments que le délégué du personnel a régulièrement donné son avis sur l'éventualité du reclassement de la salariée, ayant été en possession de tous les éléments nécessaires, à savoir les conclusions de l'avis médical et le profil professionnel de Mme [M] dont, malgré la proximité induite par la petite taille de l'établissement, il ne pouvait avoir pleinement connaissance, rien n'imposant à l'employeur de recueillir son avis au cours d'une réunion ; que l'employeur n'a engagé la procédure de licenciement qu'après avoir reçu cet avis ; que la demande de nullité du licenciement fondée sur l'article L.1226-13 du Code du travail n'est donc pas fondée ;
Considérant que l'intimée estime par ailleurs que l'employeur n'a effectué aucune recherche de reclassement sérieuse au regard de ses possibilités ; qu'en réponse à la demande de son employeur, elle lui a en effet indiqué par lettre du 6 août 2008 'qu'après des formations que le CDAPA me propose suite à ma reconnaissance travailleur handicapé, je pourrais vous être utile en tant qu'assistante de direction' ; qu'elle discute les compétences qui lui étaient reconnues par l'employeur et relève l'absence de réponse à la demande de recherche de reclassement de Mme [B], présidente de la société, adressée par courriels du 16 juillet 2008 à sa fille, Mme [I], directeur général, et du 18 juillet à M. [H], assistant de direction ;
Mais considérant que M. [H] a répondu à Mme [B] le 3 août 2008 qu'il ne voyait pas de poste, vu son déficit physique et son niveau de qualification, susceptible de convenir à Mme [M] ; que compte tenu de la petite taille de l'entreprise, aucun poste n'était effectivement disponible au vu du livre d'entrée et de sortie du personnel, mis à part celui d'homme toutes mains qui a été pourvu le 12 juillet 2008 et le sien qui a donné lieu à une embauche le 1er septembre suivant ; qu'il doit être relevé, à cet égard, que le médecin du travail n'a formulé aucune préconisation, contrairement à ses premières conclusions lors de la visite de pré-reprise du 19 juin 2008, permettant d'envisager un reclassement dans le poste de cafetière ou dans un autre emploi dans l'entreprise ; que, par ailleurs, le poste d'assistante de direction qu'elle revendiquait était pourvu par M. [H] et que l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur n'étant qu'une obligation de moyen, elle ne l'oblige pas à mettre un salarié à la porte pour en reclasser un autre, fût-il victime d'une maladie professionnelle et de surcroît travailleur handicapé ; que la discussion relative à la qualification réelle ou supposée de Mme [M] pour occuper le poste revendiqué est, dans ces conditions, vaine ;
Considérant que l'intimée vient également soutenir que les recherches de reclassement auraient dû être effectuées au sein des hôtels franchisés du groupe Golden Tulip dont faisait partie l'Hôtel de Noailles au vu de son papier à lettre ;
Mais considérant qu'il ressort de l'attestation du commissaire aux comptes de la société que l'Hôtel de Noailles est lié à la société Golden Tulip Ltd par un contrat de licence qui offre à ses affiliés une centrale de réservation mondiale, un programme de fidélisation, de la formation, un support commercial et marketing et des campagnes de communication, sans que cela crée le moindre lien capitalistique entre les deux sociétés, la société Hôtel de Noailles étant une structure juridique autonome détenue à 100 % par la famille [B], qui ne détient aucune participation dans d'autres hôtels ; que Mme [M] n'établit pas, dans ces conditions, qu'il existait entre les sociétés licenciées Golden Tulip un lien permettant d'effectuer une permutation du personnel ;
Qu'il en résulte que la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse n'est pas fondée et que le jugement sera infirmé sur ce point ;
Considérant que Mme [M] forme, par ailleurs, pour la première fois, une demande d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement au motif que la lettre de licenciement a été expédiée moins de deux jours ouvrables après l'entretien préalable; que l'entretien préalable ayant été fixé le 14 août 2008 et la lettre de licenciement ayant été notifiée le 16 août, et l'article R.1231-1 du Code du travail excluant de surcroît la prise en compte des jours fériés, le délai de deux jours ouvrables entre les deux dates n'a pas été respecté, peu important que cette irrégularité, ressentie par la salariée comme de la précipitation, ait eu pour cause le délai d'un mois prévu par l'article L.1226-11 du Code du travail pour reclasser ou licencier le salarié inapte ; que le préjudice qui résulte de cette irrégularité est pour autant extrêmement réduit et sera justement indemnisé par l'allocation d'une somme de 100 € ;
Considérant que l'intimée réclame également un complément d'indemnité compensatrice de préavis sur le fondement de l'article L.5213-9 du Code du travail ; que cependant, s'il n'est pas contestable que la salariée a bien avisé son employeur dans sa lettre du 6 août 2008 précitée de sa qualité de travailleur handicapé, il résulte de l'article L.1226-14 du Code du travail que l'employeur est tenu de verser au salarié déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi précédemment occupé et dont le contrat de travail a été rompu une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L.1234-5 du Code du travail ; qu'il s'en déduit que l'article L.5213-9 du Code du travail, qui a pour but de doubler la durée du délai-congé en faveur des salariés handicapés, n'est pas applicable à l'indemnité compensatrice prévue à l'article L.1226 - 14 du même code; que la demande de reliquat d'indemnité compensatrice de préavis n'est donc pas fondée, pas plus que celle de bulletins de paie afférents ;
Considérant que Mme [M] revendique enfin des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait d'une discrimination à raison de son handicap, fondée sur les dispositions des articles L.5213-6 et L.1133-3 du Code du travail, et 16 de la convention collective nationale des HCR qui oblige l'employeur à favoriser l'insertion des travailleurs handicapés ;
Considérant que ces dispositions s'appliquent à l'ensemble des employeurs contrairement à ce que soutient l'appelante, ne faisant pas partie du chapitre II visé par l'article L.5212-1 du Code du travail ; que toutefois, ces textes ne rajoutent rien en l'espèce, à l'obligation de reclassement prévue par l'article L.1226-10 du Code du travail rappelé plus haut, puisque s'ils envisagent l'obligation pour l'employeur de prendre les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs handicapés de conserver un emploi correspondant à leur qualification, ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, ce ne peut être contre l'avis d'inaptitude totale à tout emploi formulé par le médecin du travail, et, en tout cas, que dans le cadre des dispositions relatives à l'obligation de reclassement, sans en faire une obligation de résultat ; qu'ils n'obligent donc pas l'employeur à dispenser une formation nécessaire pour un emploi autre que ceux disponibles dans son entreprise ; que la demande à ce titre n'est donc pas fondée ;
Et considérant qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties ses frais de procédure ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris ;
Statuant de nouveau,
Déboute Mme [M] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Y ajoutant,
Condamne la SAS Hôtel de Noailles à payer à Mme [R] [J] [F] épouse [M] la somme de 100 € à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,
La déboute du surplus de ses demandes,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la société aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT