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26/02/2013 | FRANCE | N°11/03444

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 26 février 2013, 11/03444


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 26 Février 2013

(n° 15 , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/03444



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Mars 2011 par le conseil de prud'hommes de EVRY section activités diverses RG n° 09/00641





APPELANT

Monsieur [W] [R]

[Adresse 2]

[Localité 7]

représenté par Me Sanja VASIC, avocat au barreau d'ESSONNE

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INTIMES

Monsieur [L] [B]

[Adresse 4]

[Localité 8]

comparant en personne



SAS BODYGUARD

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentée par M. Eddir LOUNGAR (Président)



SAS LM ET ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 26 Février 2013

(n° 15 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/03444

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Mars 2011 par le conseil de prud'hommes de EVRY section activités diverses RG n° 09/00641

APPELANT

Monsieur [W] [R]

[Adresse 2]

[Localité 7]

représenté par Me Sanja VASIC, avocat au barreau d'ESSONNE

INTIMES

Monsieur [L] [B]

[Adresse 4]

[Localité 8]

comparant en personne

SAS BODYGUARD

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentée par M. Eddir LOUNGAR (Président)

SAS LM ET FILS

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par M. Eddir LOUNGAR (Président)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Décembre 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Aleth TRAPET, Conseiller, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Brigitte BOITAUD, président

Madame Marie-Aleth TRAPET, conseiller

Madame Catherine COSSON, conseiller

Greffier : Monsieur Polycarpe GARCIA, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par Madame Brigitte BOITAUD, Présidente

- signé par Madame Brigitte BOITAUD, Présidente et par Monsieur Polycarpe GARCIA, greffier présent lors du prononcé.

FAITS ET PROCÉDURE

Un contrat de prestations de services a été conclu le 17 octobre 2005 entre l'entreprise CASTEL LIMOUSINES, représentée par Monsieur [W] [R], et la société LM ET FILS, représentée par Monsieur [L] [B].

Ce contrat, passé pour une durée d'une année renouvelable par tacite reconduction, moyennant un forfait mensuel de 2 500 €, prévoyait une mise à disposition par la société CASTEL LIMOUSINES, dont l'activité principale était celle de transport de voyageurs par taxi, d'un véhicule avec chauffeur 24h/24, et 7j/7, ainsi qu'une mission de déposes de plis.

Par lettre recommandée du 23 juillet 2008, la société LM ET FILS a résilié ce contrat de prestations, en respectant les dispositions du contrat fixant un préavis de trois mois.

C'est dans ces conditions que Monsieur [R] a saisi, le 3 juin 2009, le conseil de prud'hommes d'Évry d'une demande de requalification de son contrat de prestation en contrat de travail de droit commun avec toutes les conséquences qui s'y rattachent, formant sa demande à l'encontre de la société LM & FILS, de Monsieur [L] [B], son dirigeant, et de la SA BODYGUARD également dirigée par Monsieur [B] et dont il estime qu'elle avait été son co-employeur.

Par jugement du 7 mars 2011, le conseil de prud'hommes d'Évry, en sa section Activités diverses, a débouté Monsieur [R] de toutes ses demandes, estimant que la preuve de l'existence d'un contrat de travail n'était pas rapportée par Monsieur [R] et qu'au surplus, il avait signé, le 17 octobre 2008, avec les deux sociétés appelées en cause, un protocole d'accord - prévoyant le versement d'une somme de 5 396,24 € au titre des soldes de créances à son bénéfice - qu'il n'avait pas dénoncé alors que cet accord comportait un engagement des parties à se désister de leur instance et de leur action présente et future.

Cette décision a été frappée d'appel par Monsieur [R] qui demande à la cour :

- de requalifier le contrat de prestation de services conclu avec la S.A.S LM & FILS en un contrat de travail,

- de juger que Monsieur [L] [B], à titre personnel, la S.A.S BODYGUARD et la S.A.S LM & FILS étaient de fait ses coemployeurs,

- de juger sans cause réelle et sérieuse la rupture de ce contrat,

- de condamner en conséquence solidairement ses coemployeurs à lui payer, avec intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2009 :

- 68 127,76 € à titre d'heures supplémentaires réalisées entre octobre 2005 et octobre 2008,

- 6 812,77 € au titre des congés payés afférents,

- 16 792,21 € à titre d'indemnité compensatrice de repos compensateur,

- 1 679,22 € au titre des congés payés afférents,

- 8 770,35 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

- 18 781,98 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- 6 260,66 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 626,06 € au titre des congés payés afférents,

- 1 983,32 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 37 563,96 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Il réclame encore 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société LM & FILS, Monsieur [L] [B] et la SA BODYGUARD concluent à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et sollicitent 1 500 € au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l'audience des débats.

SUR QUOI, LA COUR,

Sur la portée du « protocole d'accord » du 17 octobre 2008

La société LM & FILS, Monsieur [L] [B] et la SA BODYGUARD invoquent, pour contester la possibilité pour Monsieur [R] de saisir la juridiction prud'homale, un « protocole d'accord » signé le 17 octobre 2008 contenant - par mention manuscrite des parties sous leur signature - un engagement à un « désistement d'instance et d'action présente et future », en contrepartie du versement d'une somme de 5 396,24 € au titre du solde de créances au bénéfice de la société CASTEL LIMOUSINES.

Monsieur [R] soutient que le conseil de prud'hommes a fait une mauvaise analyse du document, dès lors que le « protocole d'accord » n'était rien d'autre qu'un reçu pour solde de tout compte, réglant au demeurant un litige commercial et non un litige prud'homal, de sorte qu'il n'avait pas à le dénoncer. Il fait valoir qu'il y avait trois parties au protocole, que ce n'étaient pas les sociétés BODYGUARD et LM ET FILS qui détenaient des créances sur la société CASTEL LIMOUSINES mais bien l'inverse, et qu'il ne s'agissait que d'un reçu pour solde de tout compte entre les parties relativement aux deux dernières factures émises par CASTEL MIMOUSINES et restées impayées.

Considérant qu'il est constant qu'en l'espèce, à la date du 17 octobre 2008, aucun litige de nature prud'homale n'était né entre les parties ;

Considérant que l'examen des factures n° CL-2008-09 et CL-2008-10 des 15 et 17 octobre 2008, pour des montants respectifs de 3 574,30 € et de 1 821,94 €, ont été réglées par chèque n° 0605566 tiré sur la BICS le 17 jour même de la signature du protocole d'accord ; que le chèque visé dans ce document correspond au centime près au montant des deux factures impayées dont était redevable la SA BODYGUARD à l'égard de la société CASTEL LIMOUSINES ; qu'il résulte ainsi des pièces que le protocole d'accord ne permettait que de mettre un terme à un litige commercial éventuel, sans que la moindre concession réciproque soit envisagée qui aurait permis de l'analyser en une transaction au sens de l'article 2044 du code civil, seule susceptible de faire obstacle - dans certaines conditions - à une action prud'homale ;

Considérant que Monsieur [R] était ainsi recevable à saisir le conseil de prud'hommes pour solliciter la requalification du contrat de prestation de services en contrat de travail ;

Sur la demande de requalification du contrat de prestation de services en contrat de travail

Monsieur [R] expose qu'il a toujours été privé, dans ses relations avec la société LM & FILS, de l'indépendance et de la liberté qui caractérisent un prestataire de services. Il souligne qu'au lieu d'avoir été invité à établir un devis dans lequel il aurait mentionné ses tarifs pour la mise à disposition d'un véhicule avec chauffeur, un contrat a été établi sur papier à en-tête du donneur d'ordre, en l'occurrence la société LM & FILS qui a fixé le tarif et les modalités d'exécution de la prestation qui lui était demandée.

Monsieur [R] ajoute que le tarif ainsi fixé par la société LM & FILS était dérisoire en comparaison des tarifs habituellement pratiqués par les prestataires de services réellement indépendants, puisque sa rémunération ressortait à 2 500 € HT par mois, soit environ 82 € HT par jour sans limitation kilométrique ni de durée, s'agissant d'un « forfait illimité » que les concurrents proposent pour des sommes quasiment dix fois supérieures. Les conditions contractuelles auraient été établies dans l'intérêt exclusif de la société LM & FILS, ce qui permettrait de douter de son indépendance.

Par ailleurs, la société LM & FILS se serait réservé de contrôler à tout moment l'exécution et la qualité de la prestation commandée, ce qui reviendrait à instaurer un rapport de subordination juridique entre le prestataire et le donneur d'ordre.

Enfin, alors que son travail devait consister seulement à mettre « à la disposition de la société LM &. FILS un véhicule avec chauffeur 24h/24 et ce 7j/7 », Monsieur [R] aurait accepté d'exécuter toutes les tâches qui lui avaient été confiées par Monsieur [B], lesquelles se sont diversifiées et étendues bien au-delà des limites fixées contractuellement.

La société LM & FILS, Monsieur [L] [B] et la SA BODYGUARD contestent tout lien de subordination avec Monsieur [R] et indiquent que le contrat de prestation du 17 octobre 2005 était le fruit d'une négociation entre la société LM ET FILS et l'entreprise de Monsieur [R] à l'enseigne CASTEL LIMOUSINE. Par application des articles 1134 et 1109 du code civil, l'échange des consentements serait intervenu valablement et le contrat de prestation de services tiendrait lieu de loi à ceux qui l'ont signé, alors qu'au surplus, aucune demande de renégociation des prix n'avait été formulée en cours de contrat par ce professionnel, le contrat s'étant trouvé tacitement renouvelé.

Ce serait uniquement « par souci pratique », et pour pallier l'absence de proposition par le prestataire de services d'un contrat type, que la Société LM ET FILS aurait rédigé le contrat de prestation sur son papier à en-tête, ce « détail pratique » ne pouvant permettre de démontrer l'existence d'un lien de subordination.

Enfin, les attestations délivrées par trois anciens salariés de BODYGUARD, licenciés pour faute grave, et, pour deux d'entre eux, étant en litige avec l'employeur, aurait une portée dont l'objectivité serait très contestable.

Le seul fait que quelques prestations de transport effectuées par Monsieur [R] jusqu'au domicile de Monsieur [B] soient inscrites sur les mains courantes de la société BODYGUARD ne permettrait pas de déduire l'existence d'un lien de subordination, dès lors que l'on ne saurait reprocher à l'agent de sécurité de la société BODYGUARD d'avoir respecté l'instruction qui lui avait été donnée d'inscrire les passages des différents véhicules sur le site dont il avait la garde.

Les sociétés intimées font enfin valoir qu'elles fournissent des extraits des comptes de tiers pour la société BODYGUARD du 7 février 2007 au 17 octobre 2008 et pour la société LM et Fils pour la période du 15 mai 2007 au 3 juin 2007, résumant le paiement de toutes les factures émises par l'entreprise [R] à l'enseigne CASTEL LIMOUSINES. Les factures de Monsieur [R] auraient d'ailleurs été émises à l'entête de sa société «CASTEL LIMOUSINES». Elles auraient été intégralement réglées et représenteraient un total de plus de 100 000 €, intégralement réglé à Monsieur [R].

Considérant que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ;

Considérant que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements à son subordonné ;

Considérant que le « contrat de prestations », a été établi sur papier à en-tête de la société LM & FILS - alors que les pièces du dossier permettent de vérifier que la société CASTEL LIMOUSINES disposait de son propre papier à entêtes qu'elle a utilisé pour établir les factures de ses prestations ;

Considérant que le contrat contient un article relatif au « LIEN CONTRACTUEL » ainsi rédigé :

« Il est entendu que le lien contractuel existant est établi entre l'entreprise Castel Limousines d'une part et la SAS LM & FILS d'autre part.

- Cette dernière est d'accord pour s'interdire expressément toute communication, de quelque nature que ce soit, avec les clients de la SAS LM & FILS.

- De même, elle s'engage à ne pas répondre aux instructions ou commandes que lui transmettraient directement les clients de la société SAS LM & FILS.

- Au cas où ces instructions auraient été outrepassées, la SAS LM & FILS décline à l'avance toute responsabilité et refuserait le paiement des factures correspondantes, sans préjudice d'une éventuelle cessation de contrat aux torts de l'entreprise Castel Limousines.

- La SAS LM & FILS se réserve le droit de contrôler à tout moment l'exécution et la qualité des prestations qu'elle aura commandées, et ce sous son entière responsabilité. »

Considérant qu'il résulte des termes mêmes du contrat que le donneur d'ordres s'était réservé le pouvoir de contrôler à tout moment l'exécution et la qualité l'exécution du travail ;

Considérant qu'il résulte par ailleurs d'attestations rédigées de manière précise par Madame [M] [E], Messieurs [N] [K] et [V] [G], que Monsieur [R] était appelé à effectuer des travaux d'une autre nature que la mise à disposition d'un véhicule ; qu'il a ainsi dû assurer l'entretien du jardin de la résidence personnelle de Monsieur [B], la surveillance du domicile de Monsieur [B] et les soins apportés au chien du dirigeant durant ses congés et ses absences, entretenir les véhicules personnels de Monsieur [B] et ceux de la SA BODYGUARD, assurer la garde des enfants de Monsieur [B] entre la sortie de l'école et le retour de leur mère, le transport de matériel vers l'agence BODYGUARD située à [Adresse 9] et vers la brasserie de Monsieur [B] installée à [Localité 10], le remplacement du personnel de gardiennage de nuit en cas d'insuffisance des effectifs, le contrôle des agents de sécurité de la société BODYGUARD sur les sites surveillés, effectuer encore des tâches administratives diverses ainsi que le rangement du hangar etc. ;

Considérant que si deux des salariés ayant attesté ont connu un litige avec leur employeur, leurs déclarations n'en sont pas moins crédibles, Monsieur [L] [B] ne les contestant pas utilement et les rapports établis par la SA BODYGUARD elle-même confirmant la présence de Monsieur [R] à plusieurs occasions sur le site de la société, pour des activités étrangères à la mise à disposition du véhicule de la société CASTEL LIMOUSINES ;

Considérant que la preuve de l'existence d'un lien de subordination entre Monsieur [R] et les intimés est rapportée par le salarié ; qu'il y a lieu, réformant le jugement entrepris, de requalifier en contrat de travail le contrat de prestation de services signé entre Monsieur [R] et la société LM & FILS ;

Sur la détermination de l'employeur de Monsieur [R]

Monsieur [R] soutient que la société LM & FILS, Monsieur [L] [B] et la SA BODYGUARD doivent être qualifiés de « coemployeurs ». Il souligne la confusion d'intérêts, d'activité et de direction entre ses différents donneurs d'ordres, la société LM & FILS étant une holding dont l'unique activité consiste à détenir des titres d'autres sociétés, le contrat de prestation de service conclu entre elle et Monsieur [R] ayant au demeurant pour objet de mettre un chauffeur à la disposition de Monsieur [B], son dirigeant, lequel dirige plusieurs sociétés dans le secteur de la sécurité et du gardiennage, au nombre desquelles se trouve la société BODYGUARD (qui emploie elle-même plus de sept cents salariés).

Considérant que Monsieur [R] a réalisé, à la demande de Monsieur [B], de nombreuses prestations pour le compte de la société BODYGUARD, d'abord payées par la société LM & FILS, puis directement par la société BODYGUARD qui a rémunéré Monsieur [R] de février 2007 à octobre 2008, alors qu'aucun contrat spécifique n'avait jamais été signé avec cette société, et que des prestations avaient été réalisées dans l'intérêt de la société LM & FILS ; que la société LM & FILS avait, pour sa part, réglé le « forfait » mensuel de Monsieur [R] d'octobre 2005 à février 2007, alors que des prestations avaient été réalisées sur cette période déjà dans l'intérêt de la société BODYGUARD ;

Considérant que les éléments du dossier et des débats permettent d'établir l'existence d'une confusion d'intérêts, d'activités et de direction entre la société LM & FILS, la SA BODYGUARD et Monsieur [L] [B], permettant d'en déduire leur qualité de coemployeurs de Monsieur [R] ;

Sur la demande en paiement d'heures supplémentaires

Considérant que la durée légale du travail effectif prévue à l'article L.3121-10 du code du travail constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré dans les conditions de l'article 3121-22 du même code ;

Considérant qu'aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; que le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ;

Considérant que, si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ;

Considérant qu'en l'espèce, Monsieur [R] expose qu'il a effectué plus de 2 900 heures sur ses trois années de travail ; que parmi ces heures, 595,50 heures ont été travaillées de nuit et 267 heures les dimanches et jours fériés ; que l'ensemble de ces heures supplémentaires aurait dû ouvrir droit à son profit à plus de 1 000 heures de repos compensateur ;

Considérant que, pour étayer ses dires, Monsieur [R] produit quelques attestations et documents émanant de la SA BODYGUARD faisant état de travaux effectués de nuit en urgence ; qu'il verse aux débats ses relevés d'heures, établis jour par jour, en précisant pour chacun des jours travaillés l'heure de début et l'heure de fin de service ;

Considérant qu'il s'ensuit que le salarié produit ainsi des éléments préalables qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à étayer sa demande ;

Considérant que l'employeur reproche à Monsieur [R], en l'absence de contrat de travail, d'avoir facturé les heures effectuées, « peu important qu'il les considère normales ou supplémentaires », n'imaginant pas qu'il puisse encore exister des heures supplémentaires avec un « contrat commercial 24/24h et 7j/7 » ; qu'il ajoute que les décomptes des heures de travail ne sont qu'une preuve que Monsieur [R] se fournit à lui-même et qui ne représenterait aucune valeur juridique probante, à défaut d'être corroborés par un élément matériel concret, de sorte qu'en l'absence de contrat de travail et de preuve, Monsieur [R] ne pourrait qu'être débouté de sa demande de rappel d'heures supplémentaires ;

Considérant cependant que, le salarié ayant étayé sa demande de manière précise, il appartient à l'employeur de fournir à la juridiction des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par Monsieur [R], et ce d'autant qu'il dispose en l'espèce de moyens logistiques considérables pour vérifier les horaires de ceux qui travaillent à son service, dans une activité de prestations de services en matière de gardiennage et de surveillance ;

Considérant que la société LM & FILS, Monsieur [L] [B] et la SA BODYGUARD ne versent cependant aux débats aucun document susceptible de contester les éléments produits par Monsieur [R] ;

Considérant qu'il en résulte que, au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que Monsieur [R] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées ; que cependant, Monsieur [R] ne justifie pas que l'ensemble des heures qu'il a décomptées - de l'heure de prise de fonction à l'heure de fin de service - ont constitué des heures de travail effectif ; que notamment, le temps des repas n'est jamais déduit de ses décomptes ;

Considérant que Monsieur [R] a opéré ses calculs sur la base de 16,48 € de l'heure, en prenant en considération le forfait mensuel prévu au contrat de prestation de services à hauteur de 2 500 € ( : 151,67 heures), alors qu'il a perçu une rémunération qui, dès le mois de novembre 2005, était passée à une somme variant - en dépit du caractère forfaitaire annoncé - de 2 896,14 € à 3 387,96 € hors taxes ;

Considérant que la cour dispose des éléments suffisants pour fixer à la somme de 45 500 € le montant des heures supplémentaires effectuées et non réglées pour la période du 17 octobre 2005 au 17 octobre 2008, outre celle de 4 550 € pour congés payés afférents ;

Considérant que la demande présentée à titre d'indemnité compensatrice de repos compensateur est accueillie en son intégralité, pour une somme de 16 792,21 €, augmentée des congés payés afférents ;

Sur la demande de paiement d'une indemnité de congés payés

Monsieur [R] indique qu'il n'a pris que quelques semaines de congés au cours des années 2006 et 2007 et qu'il en a été totalement privé en 2008.

Dès lors qu'il n'a pas été payé durant ces périodes en 2006 et 2007, il réclame :

- 2 975,92 € au titre de l'année 2006,

- 2 892,73 € au titre de l'année 2007,

- 2 901,07 € au titre de l'année 2008, représentant 10 % du montant de sa rémunération pour cette période ;

Considérant que l'article L.3141-22 du code du travail édicte que le congé annuel prévu par l'article L.3141-3 du même code ouvre droit à une indemnité égale au dixième de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence, cette indemnité ne pouvant être inférieure au montant de la rémunération qui aurait été perçue pendant la période de congé si le salarié avait continué à travailler ;

Considérant que la demande ainsi présentée est justifiée par les pièces produites ; qu'il y est fait droit, le jugement étant encore infirmé sur ce point ;

Sur la demande d'indemnité de travail dissimulé

Considérant que l'article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L. 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L. 8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire ;

Considérant que la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle ; que le caractère intentionnel du travail dissimulé ne peut se déduire du seul recours à un contrat inapproprié ;

Considérant qu'ainsi que le souligne Monsieur [R], du fait de son expérience de dirigeant de multiples sociétés, Monsieur [L] [B] n'a pu qu'intentionnellement recourir à un contrat de prestation de services, pour contourner la législation du travail et ne pas rémunérer son salarié en fonction du travail effectivement accompli ; que la signature d'un contrat de prestation de services lui a permis de ne pas payer de charges sociales, de contourner la législation du travail relative aux heures supplémentaires et au repos compensateur et de rompre le contrat sans motifs spécifique et sans indemnité ;

Considérant que le caractère intentionnel du travail dissimulé résulte de l'utilisation des services de Monsieur [R] dans un cadre inadapté aux exigences à l'égard du salarié d'un employeur à la tête d'une holding ;

Considérant qu'il est fait droit à la demande de Monsieur [R] dont le montant n'est pas subsidiairement contesté par l'employeur ;

Sur la rupture des relations contractuelles

Considérant que les relations contractuelles étant requalifiées en contrat de travail à durée indéterminée, la rupture doit être considérée comme imputable à l'employeur qui n'a pas engagé une procédure de licenciement ; que la rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ouvre droit au paiement des indemnités de rupture et à des dommages-intérêts pour rupture abusive ;

Considérant que l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ne se cumule cependant pas avec l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 8223-1 du code du travail, la plus élevée des deux devant être allouée à un salarié ; que l'indemnité pour travail dissimulé s'élevant à 18 781,98 €, son montant est plus élevé que l'indemnité légale de licenciement arrêtée à la somme de 1 983,32 € ; que dans ces conditions, il n'est pas fait droit à la demande de paiement de l'indemnité de licenciement ; qu'en revanche, une indemnité de préavis de deux mois est allouée à Monsieur [R] ;

Considérant que compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération moyenne mensuelle versée à Monsieur [R] (3 130,33 €), de son âge (trente-trois ans), de son ancienneté (trois années), de ses difficultés à retrouver un emploi (trois ans), et des conséquences de la rupture des relations contractuelles à son égard, telles qu'elles résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-5 du code du travail - sur lequel Monsieur [R] fonde sa demande en tenant compte du nombre de salariés employés par la seule société LM & FILS -, une somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive ;

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions :

STATUANT À NOUVEAU ET AJOUTANT,

CONDAMNE solidairement la société LM & FILS, Monsieur [L] [B] et la SA BODYGUARD à payer à Monsieur [R], avec intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2009 :

- 45 500 € à titre d'heures supplémentaires réalisées entre octobre 2005 et octobre 2008,

- 4 550 € au titre des congés payés afférents,

- 16 792,21 € à titre d'indemnité compensatrice de repos compensateur,

- 1 679,22 € au titre des congés payés afférents,

- 8 770,35 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

CONDAMNE solidairement la société LM & FILS, Monsieur [L] [B] et la SA BODYGUARD à payer à Monsieur [R], avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision :

- 18 781,98 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- 6 260,66 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 626,06 € au titre des congés payés afférents,

- 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE solidairement la société LM & FILS, Monsieur [L] [B] et la SA BODYGUARD à payer à Monsieur [R] une somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE solidairement société LM & FILS, Monsieur [L] [B] et la SA BODYGUARD aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 11/03444
Date de la décision : 26/02/2013

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°11/03444 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-02-26;11.03444 ?
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