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21/02/2013 | FRANCE | N°10/10172

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 21 février 2013, 10/10172


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 21 Février 2013

(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/10172



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Octobre 2010 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY section Encadrement RG n° 09/02425







APPELANT

Monsieur [U] [S]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

comparant en personne

assist

é de Me Marjana PRETNAR, avocat au barreau de PARIS, toque : E0922







INTIMEE

SA AIR FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRÊT DU 21 Février 2013

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/10172

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Octobre 2010 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY section Encadrement RG n° 09/02425

APPELANT

Monsieur [U] [S]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

comparant en personne

assisté de Me Marjana PRETNAR, avocat au barreau de PARIS, toque : E0922

INTIMEE

SA AIR FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 25 Octobre 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jean-Marc DAUGE, Président

Monsieur Bruno BLANC, Conseiller

Monsieur Rémy LE DONGE, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Laëtitia CAPARROS, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Jean-Marc DAUGE, Président, et par Melle Laëtitia CAPARROS, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

M. [S], né le [Date naissance 1] 1948, a été embauché par la SA Air France le 31 mai 1988, en qualité de stagiaire pilote de ligne, puis comme officier pilote de ligne, le 22 décembre 1988, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.

A compter du 14 mars 1994, LA SA Air France l'a mis à disposition de son ancien employeur, la compagnie Air Littoral, en tant que commandant de bord et chargé de mission PNT «coordination» auprès du Président de cette compagnie, jusqu'au 4 avril 1996.

Sa mission était de coordonner les 6 directions suivantes : DPNT

(Direction du Personnel Navigant Technique) DE (Direction Exploitation), DPQ (Direction Produit et Qualité), la Direction technique, la Direction du programme et de la planification et la Direction commerciale.

Le 23 octobre 1995, M. [S] était agréé Instructeur Pilote de Ligne (IPL) par la DGAC.

Il a été successivement commandant de bord sur CRJ en 1994, puis sur Airbus 319/320/321 et en dernier sur Boeing 747 200/300 .

Par courrier en date du 8 février 2008, la SA Air France a informé M. [U] [S] en application des dispositions de l'article L. 421-9 du code de l'aviation civile, qu'il serait appelé à cesser son activité de pilote dans le transport aérien public le 30 novembre 2008 en raison de la limite d'âge fixée à 60 ans pour l'exercice des fonctions de personnel navigant technique.

M. [U] [S] a été convoqué par courrier du 27 juin 2008 un entretien préalable à une éventuelle rupture de son contrat de travail, fixé au 8 juillet 2008.

M. [U] [S] ne s'est pas présentée à cet entretien.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 18 juillet 2008, la SA Air France a notifié à M. [U] [S] la rupture de son contrat de travail a effet du 23 novembre 2008 en application de l'article L. 421-9 du code de l'aviation civile.

Au terme du contrat de travail, l'employeur a versé à M. [U] [S] la somme de 118'482,20 € au titre de l'indemnité spécifique de rupture prévue par l'article du chapitre 7 de la convention d'entreprise du personnel naviguant technique.

Contestant la rupture du contrat de travail, M. [S] a fait citer son employeur, la société Air France , devant le Conseil de prud'hommes de Bobigny, le 10 juillet 2009.

Ses demandes devant le Conseil étaient les suivantes :

* indemnité de licenciement : 169 068 euros,

* indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse:

600 000 euros,

* dommages et intérêts spéciaux pour privation du droit à préavis : 52 957 euros,

* dommages et intérêts pour privation du droit au DIF : 10 865 euros,

* 4 186 euros, par application de l'article 700 du CPC, ainsi que la condamnation d'Air France aux entiers dépens

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [U] [S] du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bobigny le 28 octobre 2010 qui l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.

Vu les conclusions en date du 25 octobre 2012, au soutien de ses observations orales, par lesquelles M. [U] [S] demande à la cour':

- d'infirmer le jugement dont appel, et juger que la rupture de son contrat de travail de s'analyse en un licenciement nul ou, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- de condamner Air France à lui payer les sommes suivantes :

* 169 068 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* 600 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul ou, à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse,

*10 000 euros au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

*10 865 euros au titre de dommages et intérêts pour privation du droit au DIF,

*52 155 euros au titre de dommages et intérêts spéciaux pour rupture fautive prématurée,

*4 186 euros, par application de l'article 700 du CPC, ainsi que la condamnation d'Air France aux entiers dépens.

Vu les conclusions en date du 25 octobre 2012, au soutien de ses observations orales, par lesquelles la SA Air France demande à la cour':

- de juger qu'elle a régulièrement appliqué les dispositions du code de l'aviation civile,

- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- de condamner M. [U] [S] à lui payer une indemnité de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE':

Sur la rupture du contrat de travail':

Considérant que, pour infirmation, à titre principal, M. [S] demande à la Cour d'écarter d'application l'article L.421-9 du CAC parce que contraire au droit de l'Union interdisant la discrimination du fait de l'âge, en particulier, sur le fondement de l'article 2 de la Directive communautaire n°2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, et de juger en conséquence que la rupture de son contrat de travail, fondée sur l'article L. 421-9 du CAC, est un licenciement nul';

Qu'a titre subsidiaire, il soutient que son licenciement est nul ou, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse, d'une part, pour défaut d'exécution loyale et de bonne foi du contrat de travail principe posé par l'article L.1222-1 du code du travail, en ce qu'Air France n'a pas recherché à le reclasser en tant que pilote dans une compagnie du groupe et/ou d'autre part, pour défaut de l'obligation de reclassement visée à l'article L. 421-9 du CAC, ce qui, dans les deux cas a pour conséquence un licenciement du seul fait de l'âge';

Considérant que, pour confirmation, la SA Air France soutient que l'article L 421-9 du code de l'aviation civile n'instaure pas de discrimination prohibée en ce qu'il interdit l'exercice de fonctions de navigants techniques après 60 ans'; qu'il s'agit d'une interdiction administrative pénalement sanctionnée'; que les textes internationaux invoqués par l'appelant sont inopérants'; que l' article 421-9 du code de l'aviation civile n'est pas contraire au droit communautaire puisque les différences de traitement en fonction de l'âge sont licites dès lors qu'elles poursuivent un objectif légitime et sont appropriés à l'atteinte à cet objectif'; que la cour de justice de l'Union européenne reconnaît la possibilité pour les autorités compétentes au niveau national de bénéficier de la possibilité de modifier les moyens mis en 'uvre au service d'un objectif légitime d'intérêt général'; que l'article L 421-9 du code de l'aviation civile institue une différence de traitement qui est raisonnable et objectivement justifiée au sens de la directive et des dispositions de droit interne qui la transpose'; qu'ainsi tous les états fixent une limite d'âge pour l'exercice des fonctions de pilote';

Que, par ailleurs, la limite d'âge imposée par l'article L 421-9 du code de l'aviation civile ne constitue pas en elle-même une cause de rupture du contrat de travail et ne porte pas atteint aux droits des personnelles navigants techniques de bénéficier d'un reclassement au sol'; qu'en l'espèce, la société Air France soutient avoir respecté son obligation de reclassement, obligation de moyens ainsi que le rappellent les dispositions de la convention collective d'entreprise du personnel navigant technique'; qu'ainsi, elle a mis en 'uvre des recherches effectives et concrètes de reclassement de M.[S] au sein du groupe Air France'; que cette recherche s'est révélée infructueuse et que les quatre postes cités par le salarié étaient pourvus';

Considérant que l'article L. 421-9 du code de l'aviation civile dispose':

« - Le personnel navigant de l'aéronautique civile de la section A du registre prévu à l'article L. 421-3 ne peut exercer aucune activité en qualité de pilote ou de copilote dans le transport aérien public au-delà de l'âge de soixante ans. Toutefois, le contrat de travail du navigant n'est pas rompu du seul fait que cette limite d'âge est atteinte sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un reclassement dans un emploi au sol ou refus par l'intéressé d'accepter l'emploi qui lui est offert».

Considérant que le juge national a l'obligation d'écarter l'application d'une norme interne contraire à une règle communautaire, au profit de cette dernière';

Considérant que les parties ne contestent pas, dans leurs écritures, l'applicabilité au litige de la directive 2000/78/CE du conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail'ayant pour objet':' «'d'établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, l'handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle, en ce qui concerne l'emploi et le travail, en vue de mettre en 'uvre , dans les États membres, le principe de l'égalité de traitement ».

Que l'article six de cette directive dispose': '

« 1. Nonobstant l'article 2, paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent prévoir qu'une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l'un des motifs visés à l'article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée(') »';

Que l'article 6 dispose également que :

« Nonobstant l'article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique

de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires' »';

Considérant que l'article L 421-9 du code de l'aviation civile, qui prescrit l'interdiction de pilotage pour les pilotes de ligne, au-delà de l'âge de 60 ans, établi une mesure discriminatoire du fait de l'âge, peu important par ailleurs que la rupture du contrat de travail provienne non seulement de cet âge atteint mais aussi de l'impossibilité de procéder au reclassement du salarié';

Considérant que la législation internationale applicable en France n'impose pas une interdiction absolue de piloter aux pilotes âgés de 60 à 65 ans; qu' en effet les préconisations de l' organisation aéronautique civile internationale ainsi que le règlement européen JAR-FCL 1060 publié au journal officiel du 2 avril 2005, permettent aux pilotes d'exercer leur activité sur un avion de transport commercial à condition que l'équipage comporte plusieurs pilotes et que l'un d'eux ait moins de 60 ans';

Qu'il est également établi que les pilotes de transport public sont très strictement contrôlés et vérifiés'; qu'ils doivent passer une visite médicale une ou deux fois par an devant un organisme médical national indépendant, le centre d'expertise médicale du personnel navigant, contrôlé par le ministère des armées, dont la responsabilité et de déterminer si le pilote est apte ou non';

Qu'il n'est pas contesté que les pilotes reçoivent chaque année un entraînement obligatoire auquel s'ajoutent deux contrôles hors ligne, un contrôle en ligne et plusieurs jours de formation et de révision sur les connaissances théoriques sanctionnés chacun par des tests éliminatoires écrits et archivés';

Qu'ainsi, la SA Air France pouvait, chaque année, vérifier que les conditions d'aptitude du pilote étaient remplies';

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'une règle interne qui fixe de manière absolue, et sans exception possible, à 60 ans l'âge limite à compter duquel les pilotes ne peuvent plus exercer leur activité professionnelle alors que les réglementations communautaires et internationales, fixent cet âge à 65 ans, n'institue pas une mesure nécessaire à la sécurité publique et à la protection de la santé au sens de l'article 2 §5 de la directive précitée, pas plus qu'elle n'instaure une restriction légitime, en raison de la nature de l'activité professionnelle en cause ou des conditions de son exercice, cette limite d'âge à 60 ans n'en constituant pas une exigence professionnelle essentielle et déterminante, au sens de l'article 4§1 de la même directive';

Considérant, en conséquence, que s'agissant de la rupture du contrat de travail de M. [U] [S], l'article L 421-9 du code de l'aviation civile instaure à son égard une discrimination fondée sur l'âge, non-conforme à l'article 6§1 de la directive précitée, qui constitue une discrimination illicite'; que dès lors, son licenciement est affecté de nullité sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'argumentation relative à son reclassement';

Considérant, en conséquence, qu'il convient d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions';

Sur les demandes d'indemnisation présentées par M. [S]':

Considérant que si M. [S] a été privé de la chance d'exercer ses fonctions de pilote pendant cinq années',le salarié a cependant bénéficié pendant trois ans du versement cumulé de sa pension de retraite complémentaire et d'une indemnité différentielle versée par l'ASSEDIC'; Que, contrairement à ce que soutient la SA Air France, M. [S] a été empêché de cotiser pour sa retraite en raison du licenciement, que cependant son préjudice, compte tenu de l'aléa lié à l'aptitude, ne peut être appréhendé que sous la qualification d'une perte de chance de cotiser ou de recevoir l'intégralité de son salaire'; que la cour dispose donc des éléments pour réparer le préjudice subi à hauteur de 400'000 €';

Considérant par ailleurs que le salarié ne justifie pas d'un préjudice moral spécifique ni d'un préjudice lié à une absence de reclassement, le licenciement ayant été déclaré nul'; qu'il convient donc de débouter M. [S] de ces chefs de demandes';

Considérant, contrairement à ce que soutient la société Air France, que la rupture du contrat de travail constitue un licenciement nul'; que dès lors le salarié qui sollicite le versement d'une indemnité résultant de la perte de chance consécutive à la non utilisation de son droit individuel à la formation, lequel s'élevait à 95 heures, est fondé à obtenir l'indemnisation de sa perte de chance de bénéficier d'une formation du fait de la carence de l'employeur'; que la cour dispose dans la cause des éléments nécessaires pour fixer le montant du préjudice à la somme de 5000€';

Sur les autres demandes':

Considérant que l'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif';

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE l'appel recevable,

INFIRME le jugement entrepris,

Et statuant à nouveau':

JUGE que la rupture du contrat de travail par la SA Air France le 18 juillet 2008 s'analyse en un licenciement nul,

CONDAMNE la SA Air France à payer à M. [U] [S] la somme de 400'000 € à titre de dommages-intérêts, ainsi que la somme de 5000 € au titre de la perte de chance de bénéficier du droit individuel à la formation avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt';

CONDAMNE La SA Air France à payer à M. [U] [S] 4000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE la SA Air France aux entiers dépens de première instance et d'appel,

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 10/10172
Date de la décision : 21/02/2013

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°10/10172 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-02-21;10.10172 ?
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