RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 05 Février 2013
(n° 8 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/04119
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Mars 2011 par le conseil de prud'hommes de LONGJUMEAU section Encadrement RG n° 07/00753
APPELANT
Monsieur [F] [O]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de Me Laure SERFATI, avocat au barreau de PARIS, toque : C2348
INTIMÉE
SARL ADREXO
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 1]
représentée par Me Isabelle D'AUBENTON, avocat au barreau de PARIS, toque : G421
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 Décembre 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Brigitte BOITAUD, Présidente
Mme Marie-Aleth TRAPET, Conseillère
Mme Catherine COSSON, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Véronique LAYEMAR, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par Madame Brigitte BOITAUD, Présidente
- signé par Madame Brigitte BOITAUD, Présidente et par M. GARCIA Polycarpe, greffier présent lors du prononcé.
Monsieur [F] [O] a été engagé le 1er janvier 1993 par la société SDP aux droits de qui vient la SAS Adrexo, en qualité d'adjoint au chef de centre. Il a été nommé chef de centre, catégorie cadre, le 14 février 1994. A compter du 9 février 2004, il a exercé ses fonctions à l'agence de [Localité 8].
Par lettre du 23 février 2005, il a été convoqué à l'entretien préalable au licenciement fixé au 8 mars suivant et il lui a été notifié une mise à pied conservatoire.
Par lettre du 1er avril 2005, il a été licencié pour faute grave pour les motifs suivants :
Vous avez été embauché en date du 1er janvier 1993, en qualité d'adjoint Chef de Centre par la société ADREXO, et vous occupez actuellement les fonctions de Chef de Centre pour notre établissement de [Localité 8].
Si les premières années d'activités se sont déroulées dans des conditions normales, des difficultés sont apparues depuis plusieurs semaines. En effet, ayant pris connaissance de faits graves nous avons été conduits à vous convoquer à un entretien préalable à éventuel licenciement en date du 8 mars 2005.
Suite à cet entretien, nous sommes contraints de vous licencier en considération des faits suivants : nous avons découvert, fin février 05, qu'à l'aide de votre adjoint, vous avez rémunérés et défrayés certains salariés du dépôt de [Localité 8] pour des distributions qui n'ont jamais été réalisées.
- En effet, Monsieur [G] [S], frère de l'adjoint Chef de Centre, a été embauché le 26 août 2004. Celui ci a été rémunéré pour de nombreuses distributions fictives : pour exemple, le 27 août 2004, 2 secteurs de 1395 et 610 boites aux lettres (BAL) avec 13 et 10 documents par poignée, le 3 septembre 04 (1 secteur, 650 BAL, 7 documents), le 5 novembre 04 (1 secteur, 650 BAL, 9 documents), le 22 octobre 04 (3 secteurs, 430, 420 et 670 BAL et 10, 8 et 14 documents par poignée. Il a de même perçu des indemnités kilométriques pour des trajets n'ayant jamais existé.
- De plus, Monsieur [G] [S] a été rémunéré et défrayé pour des dépôt du journal LOGIC IMMO. Ce fut le cas, pour exemple, le 16 septembre 04, le 7 octobre 04, le 27 octobre 04, le 19 novembre 04, le 10 décembre 04 ou encore le 30 décembre 04, cette rémunération ne correspondant à aucune prestation de travail.
- Il en est de même pour des livraisons de documents en magasin, comme le 29 octobre 04, par deux fois, le 5 novembre 05, le 19 novembre 04 par deux fois, le 25 novembre 04, le 9 décembre, ou encore le 23 décembre 04.
- Il s'avère cependant que Monsieur [G] [S] est mineur, qu'il ne possède pas de permis de conduire, et qu'il n'a donc jamais été en mesure de réaliser une seule de toutes les prestations qui lui ont été rémunéré depuis le 26 juillet 04, et a fortiori, il n'a donc pas pu engager des frais pour lesquels il a été défrayé. D'ailleurs, il est à noter que les frais kilométriques pour la même prestation varient alors qu'ils devraient être similaires (livraison du magasin Carrefour [Localité 4]) et en plus ne correspondent pas à la réalité des distances (70 KMS payés pour une distance inférieure à 20 Kms).
- Madame [O], votre épouse a été rémunérée pour des distributions particulières, (quelques exemplaires de «la grande récrée» par exemple) avec des montants de frais conséquents (100 Kms). Ces mêmes distributions ont par ailleurs aussi été rémunérées à Monsieur [G] [S]. Il en va de même pour une livraison du magasin Carrefour [Localité 4] du 29 octobre 04 qui s'ajoute aux deux livraisons rémunérées à Monsieur [G] [S].
L'entretien préalable du 8 mars 05 ne nous permet pas de revenir sur cette appréciation des faits puisque vous n'avez pas voulu le réaliser.
Aussi, nous ne pouvons accepter un tel comportement de la part d'un cadre, qui met en péril les intérêts de l'entreprise. En effet, en rémunérant fictivement des distributions, il apparaît clairement que vous avez volontairement compléter la rémunération de certains distributeurs qui vous sont d'ailleurs très proche. De même, vous faites courir à notre société un risque commercial majeur. Plus grave encore, vous tentez de masquer des dysfonctionnements à votre hiérarchie, ce qui est totalement incompatible avec la nécessité de totale transparence dans laquelle la société ADREXO doit travailler eu égard à sa structure particulièrement décentralisée.
C'est pourquoi, nous sommes amenés à vous licencier pour faute grave, pour les motifs évoqués ci-dessus, qui perturbent gravement le fonctionnement de l'entreprise.
Monsieur [O] ayant contesté son licenciement, par jugement du 10 mars 2011, le conseil de Prud'hommes de Longjumeau a dit que le licenciement était fondé sur une faute grave, que la clause de non concurrence était nulle, de ce chef a condamné la société Adrexo à payer la somme de 6.829 €, a rejeté les autres demandes de Monsieur [O], a débouté la société Adrexo de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et mis les dépens à charge également répartie de Monsieur [O] et de la société Adrexo.
Par lettre du 19 avril 2011, Monsieur [O] a interjeté appel.
Il demande à la cour de condamner la société Adrexo à lui payer :
- 3891 € au titre du salaire de mise à pied du 23 février au 31 mars 2005,
- 389 € au titre des congés payés afférents,
- 10.084 € au titre de l'indemnité de préavis,
- 1.008 € au titre des congés payés afférents,
- 11.889,40 € au titre de l'indemnité de licenciement,
avec intérêts de droit à compter de l'introduction de la demande le 17 juillet 2007,
- 80.670 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
- 29.000 € à titre de dommages et intérêts pour nullité de la clause de non concurrence,
- 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS Adrexo sollicite la confirmation de la décision en ce qu'elle a dit que le licenciement reposait sur une faute grave, le rejet des demandes de Monsieur [O] et subsidiairement la réduction des dommages et intérêts à la somme de 17.077 €. Elle réclame le débouté de l'appelant de sa demande de dommages et intérêts au titre de la clause de non concurrence au motif qu'elle est prescrite et subsidiairement la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a estimé le montant des dommages et intérêts à la somme de 6.829 €. En tout état de cause, elle s'oppose à la demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sollicite du même chef la somme de 2.000 €.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l'audience des débats.
SUR QUOI, LA COUR
Considérant que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis ; que l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve ;
Considérant que l'article L 1332-4 du code du travail dispose qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ;
Considérant que la société Adrexo soutient qu'elle a eu connaissance des faits fautifs fin février 2005 lorsque Monsieur [S] [G] a décidé de quitter l'entreprise avant que son père ne s'y fasse embaucher ; qu'elle ne justifie cependant pas de son affirmation ne produisant aucune pièce susceptible de la conforter ;
Considérant que les poursuites ont été engagées le 23 février 2005 ; que les faits antérieurs au 23 décembre 2004 sont en conséquence prescrits ; que cependant, la lettre de licenciement vise des faits des 23 et 30 décembre 2004 pour lesquels les poursuites disciplinaires ont été régulièrement engagés ;
Considérant que Monsieur [O] expose que les faits ne peuvent lui être personnellement imputés, qu'il n'en est pas le complice et qu'il ne lui a pas été reproché une absence d'encadrement ou de contrôle de son adjoint ; qu'il ajoute que l'employeur ne fournit aucun élément démontrant que les distributions litigieuses n'ont pas été effectuées, que les livraisons de catalogues donnent lieu à plusieurs rotations de distributeurs, que le 'forfait secteur' n'est pas applicable aux dépôts en magasin hors-secteur, qu'il ne correspond pas à un remboursement de frais et que les livraisons nécessitant l'usage du véhicule personnel du salarié sont remboursées au réel, que l'employeur retient un kilométrage inexact, que les rapports de distributions n'ont jamais fait remonter de dysfonctionnements, qu'il n'a pas été livré à la Grande Récré 'un paquet de un'' mais 12000 catalogues, que les quantités de journaux LOGIC-IMMO livrés se comptent en plusieurs centaines d'exemplaires et non à l'unité, qu'en ce qui concerne les distributions en boites à lettres, celles-ci se font par poignées de documents et non par documents séparés ce qui explique le nombre distribué;
Considérant que la société Adrexo a pour activité la distribution de journaux gratuits, d'imprimés publicitaires ou non et de catalogues par distribution dans les boites à lettres ou à une adresse précise, ou par le dépôt dans un magasin client au travers de 250 centres de distribution gérés par un chef de centre et éventuellement un adjoint ; que des commerciaux prennent les commandes des clients, le chef de centre et son adjoint organisant le planning des distributions selon les priorités ; que ces derniers recrutent des distributeurs et ont le droit de recruter des membres de leurs familles ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que Monsieur [G], adjoint de Monsieur [O], a recruté son frère [S] en qualité de distributeur, le 6 octobre 2003 alors qu'il travaillait au centre de [Localité 5] et que ce dernier a été muté au centre de [Localité 8] concomitamment à la prise de fonction de son frère ; qu'il n'est pas davantage contesté que Monsieur [O] a recruté le 7 juin 2004 son épouse [J] ;
Considérant que la société Adrexo qui prétend que Monsieur [O] s'est entendu avec Monsieur [G] pour faire bénéficier les membres de leurs familles de rémunérations et de remboursements de frais indus, ne le démontre pas, procédant par affirmation ; qu'en effet, les attributions des chef de centre et adjoint au chef de centre sont semblables, de sorte qu'il n'est pas établi que l'un ait eu besoin de l'autre pour créer, à supposer ces faits avérés, des distributions inexistantes et des kilomètres censés avoir été parcourus ; qu'aucune mention d'aucune sorte ne permet d'imputer à Monsieur [O] la responsabilité de l'établissement des feuilles de route litigieuses ; qu'il n'est pas davantage fait la preuve qu'il en ait eu connaissance ;
Considérant que les faits concernant Madame [O] datent du 29 octobre 2004 et sont par conséquent prescrits ; qu'il sera en outre ajouté que Monsieur [O] fait valoir sans être démenti, qu'une même commande, fractionnée au regard des quantités à distribuer, peut être confiée à plusieurs distributeurs qui effectuent plusieurs rotations d'où des frais kilométriques élevés ; que la distance entre [Localité 8] et le magasin Carrefour d'[Localité 4] diffère selon les sites interrogés de 13 à 18 km ce qui de surcroît ne prend en compte que le trajet aller et non l'aller et le retour ; que la comparaison effectuée avec les listings produits par l'employeur concernant d'autres distributeurs permet d'indiquer que tous comportent des prestations relatives à un très petit nombre de documents (entre 1 et 10) de sorte que les 'quelques exemplaires' destinés à la Grande Récré n'apparaissent pas une exception ;
Considérant qu'il s'ensuit que le licenciement de Monsieur [O] est sans cause réelle et sérieuse et le jugement qui l'a débouté de ses demandes, infirmé ;
Considérant que le calcul du salaire de mise à pied du 23 février au 31 mars 2005, soit 3891 € outre 389 € au titre des congés payés afférents, n'est pas subsidiairement contesté; que le salaire mensuel moyen brut calculé à partir de l'attestation Assedic, une fois le salaire de mise à pied réintégré, est de 3.361,30 € ; qu'il sera alloué 10.084 € au titre de l'indemnité de préavis, 1.008 € au titre des congés payés afférents et 11.889,40 € au titre de l'indemnité de licenciement ;
Considérant en application de l'article L 1235-3 du code du travail qu'à la date du licenciement Monsieur [O] était âgé de 47 ans et bénéficiait d'une ancienneté de 12 ans; qu'il a retrouvé un emploi au bout de 5 mois pour un salaire inférieur ; qu'il y a lieu de lui allouer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 25.000 € ;
Considérant que le contrat de travail de Monsieur [O] comportait une clause de non concurrence rédigée ainsi que suit :
Vous vous interdisez formellement, pendant ou à l'expiration du présent contrat et quel qu'en soit le motif, même en cas de rupture pendant la période d'essai, de vous intéresser directement ou indirectement pour votre compte ou celui d'un tiers à quelque titre que ce soit : salarié (et dans ce dernier cas, quelles que soient la qualification ou les fonctions), ou non salarié, à une entreprise touchant directement ou indirectement l'activité de notre société sous toutes ses formes ou plus généralement de faire concurrence à SDP. .
Sur le plan territorial, cette clause de non concurrence, porte sur les départements ou vous aurez été appelé à exercer vos fonctions ainsi qu'aux départements limitrophes à ceux-ci.
Cette clause portera plein effet pendant les 24 mois qui suivront votre départ effectif de la société.
Si la rupture intervient alors que vous assumez vos fonctions dans votre nouvelle affectation depuis moins de deux années, le respect des clauses de non concurrence se fera dans les conditions suivantes :
Dans les départements et départements limitrophes de l'ancienne affectation, la durée de l'interdiction sera égale à la différence entre deux années et le temps pendant lequel vous aurez assumé vos fonctions dans votre nouvelle affectation.
Dans les départements et départements limitrophes de votre nouvelle affectation, la durée sera de 24 mois.
Les interdictions ci-dessus concernent toute entreprise qui même si elle ne dispose pas d'un établissement permanent dans les départements considérés y exercera une activité commerciale.
Toute infraction à cette interdiction vous exposerait au paiement de :
- une indemnité de 150.000 francs à titre de clause pénale,
- une astreinte non comminatoire (clause pénale) égale à 500 francs par jour de retard à cesser l'infraction, à compter de la mise en demeure qui vous aura été signifiée par tout moyen (huissier, lettre recommandée '). ['] ;
Considérant que l'article L 3245-1 du code du travail dispose que l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par 5 ans conformément à l'article 2224 du code civil ;
Considérant que ne s'appliquant qu'à l'égard des créances qui ont la nature de salaire, la prescription quinquennale ne s'applique pas aux dommages intérêts sollicités à titre de contrepartie financière de la clause de non concurrence illicite ;
Considérant que la société Adrexo ne conteste pas le caractère illicite de la clause litigieuse ; que le premier juge a fait une juste évaluation du préjudice à hauteur de 6.829 € ; que le jugement est en conséquence confirmé de ce chef ;
Considérant que les dépens de première instance sont mis à la charge de la société Adrexo;
Considérant que la société Adrexo est condamnée aux dépens de l'instance d'appel et à payer à Monsieur [O] au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 3.000 € ; que sa demande présentée du même chef est rejetée ;
PAR CES MOTIFS
Infirme partiellement le jugement rendu le 10 mars 2011 par le conseil de Prud'hommes de Longjumeau,
Statuant à nouveau,
Condamne la SAS ADREXO à payer à Monsieur [F] [O] :
- 3891,00 (trois mille huit cent quatre vingt onze) euros au titre du salaire de mise à pied du 23 février au 31 mars 2005,
- 389,00 (trois cent quatre vingt neuf) euros au titre des congés payés afférents,
- 10.084,00 (dix mille quatre vingt quatre) euros au titre de l'indemnité de préavis,
- 1.008,00 (mille huit) euros au titre des congés payés afférents,
- 11.889,40 euros (onze mille huit cent quatre vingt neuf euros quarante centimes) au titre de l'indemnité de licenciement,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation pour l'audience du bureau de conciliation
- 25.000,00 (vingt cinq mille) euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,
Condamne la SAS ADREXO aux dépens de première instance,
Confirme pour le surplus le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Rejette la demande présentée par la SAS ADREXO au titre de ses frais irrépétibles,
Condamne la SAS ADREXO aux dépens de l'instance d'appel et à payer à Monsieur [F] [O] la somme de 3.000,00 (trois mille) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE