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30/01/2013 | FRANCE | N°11/03795

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 30 janvier 2013, 11/03795


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 30 Janvier 2013



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/03795



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 24 Janvier 2011 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 09/10909





APPELANTE

Madame [U] [H]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Sante BISCONTIN, avocat au barreau de

PARIS, R237





INTIMÉE

S.A. FRANCE TELECOM

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me François VERGNE, avocat au barreau de PARIS, J011





COMPOSITION DE LA COUR :



En applica...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 30 Janvier 2013

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/03795

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 24 Janvier 2011 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 09/10909

APPELANTE

Madame [U] [H]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Sante BISCONTIN, avocat au barreau de PARIS, R237

INTIMÉE

S.A. FRANCE TELECOM

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me François VERGNE, avocat au barreau de PARIS, J011

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Décembre 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jacques BOUDY, conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Christine ROSTAND, présidente

Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller

Monsieur Jacques BOUDY, conseiller

GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [U] [H] a été embauchée par la SA France Télecom à compter du 5 mars 2001 en qualité de juriste international.

À compter du 1er octobre 2007, elle a été affectée à la direction juridique de l'entreprise, dans le pôle juridique outre-mer et avait la responsabilité de la zone comprenant l'île de la Réunion et Mayotte.

Elle a été licenciée par lettre en date du 28 mai 2009.

Considérant d'une part que son licenciement ne répondait à aucune cause réelle ni sérieuse et d'autre part, qu'elle avait fait l'objet d'un harcèlement moral, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Paris en paiement de diverses sommes et celui-ci, par jugement en date du 24 janvier 2011, l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes.

Elle en a interjeté appel par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception expédiée le 12 avril 2011.

Devant la cour, elle demande la condamnation de la SA France Télecom à lui payer la somme de 189 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, la somme de 57 000 € à titre de dommages intérêts pour harcèlement moral, avec intérêts au taux légal, capitalisables, à compter de la date de saisine du conseil de prud'hommes et en outre, la somme de 5000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

De son côté, la SA France Télecom conclut à la confirmation pure et simple du jugement frappé d'appel et subsidiairement, à la limitation de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse à l'équivalent de six mois de salaire, soit 31 504,62 €.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Lorsque Mme [U] [H] a été affectée à compter du 1er octobre 2007 en qualité de juriste à la direction juridique du pôle juridique outre-mer avec la responsabilité d'un secteur constitué par l'île de la Réunion et Mayotte, elle s'est trouvée placée sous la subordination hiérarchique directe de Mme [A] [P], qui était basée à [Localité 6] et qui exerçait les fonctions de responsable du pôle juridique outre-mer.

Cette dernière était elle-même placée sous l'autorité de M. [D] [L], directeur juridique de la relation client et de la distribution.

Mme [U] [H] affirme que dès sa prise de fonction, elle a été soumise à une charge de travail démesurée puisqu'elle devait couvrir trois univers de France Telecom, c'est-à-dire le fixe, le mobile, l'Internet, dans les domaines du droit social, du droit commercial et du droit de la concurrence pour l'ensemble de la zone dont elle était responsable alors que son prédécesseur n'avait comme attributions que la téléphonie mobile sans les aspects de droit social et sans avoir également la responsabilité de l'île de Mayotte.

Elle affirme également qu'elle s'est trouvée d'emblée en butte à l'hostilité de Mme [P] qui la jalousait et qui n'avait d'autre but que d'obtenir son départ.

Sur le licenciement

Dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, les faits reprochés à la salariée étaient exprimés de la façon suivante :

« Vous avez eu à plusieurs reprises un comportement inapproprié, voire inadmissible à l'encontre de votre supérieur hiérarchique direct, Mme [A] [P].

Tout d'abord, vous avez tenu des propos déplacés et insultants à son encontre lors d'une conversation téléphonique avec votre N+2, M. [D] [L], le 13 février 2009. Vous avez notamment utilisé le terme de petite conne à l'encontre de Mme [P], ce qui est totalement inadmissible. Par ailleurs, depuis de nombreux mois, vous n'avez cessé de remettre en cause de nombreuses demandes et évaluations émanant de votre supérieur hiérarchique. À titre d'exemple, vos messages électroniques du 9 janvier et du 8 février 2009, et avant cela du 3 novembre 2008 démontrent une insubordination à son encontre.

De plus, nous vous reprochons également des manquements dans la qualité d'exécution de votre prestation de travail. À de nombreuses reprises, vos interlocuteurs opérationnels se sont plaints de ne pas bénéficier correctement de l'expertise et des conseils juridiques que vous devez leur apporter (par exemple, dans le message électronique de [C] [O] en date du 9 janvier 2009 et du 3 octobre 2008, de [B] [Y] le 8 juillet 2008). Ces griefs vous ont été rapportés une première fois par votre manager lors de votre entretien semestriel du 27 août 2008. Ce point n'ayant pas été amélioré, il a été à nouveau notifié lors de l'entretien du 5 février 2009.

Par la présente, nous vous notifions, en conséquence, votre licenciement pour les motifs énoncés ci-dessus. ».

Parmi ces motifs, il convient de distinguer d'un côté ceux qui sont relatifs à des propos insultants et à la remise en cause systématique des instructions reçues et de l'autre, ceux qui se rapportent à une insuffisance professionnelle.

1- Les propos insultants et la remise en cause systématique des instructions reçues

Invoquant les dispositions de l'article L 1332-4 du code du travail, selon lesquelles aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales, Mme [U] [H] invoque la prescription des faits constitués par les messages électroniques du 9 juillet 2008 et du 3 novembre 2008, antérieurs de plus de deux mois à l'engagement de la procédure de licenciement qui n'a débuté que par sa convocation à un entretien préalable le 5 mars 2009.

Mais un employeur peut invoquer une faute qui serait normalement prescrite lorsqu'il constate un nouveau fait fautif et qu'il engage alors la procédure disciplinaire dans le délai de la prescription, à la condition que les différents faits invoqués procèdent d'un comportement identique.

Telle est bien le cas en l'espèce de sorte que la prescription n'est pas acquise.

- Le message électronique du 9 juillet 2008

Mme [U] [H] explique qu'alors qu'elle avait demandé à Mme [P] dès le mois de décembre 2007 l'autorisation de prendre ses congés annuels au mois de juillet suivant, cette dernière lui avait donné un accord de principe par oral seulement mais que par la suite, dans un message électronique du 8 juillet 2008, elle attirait son attention sur le fait que ses congés ne commençaient que le 10 juillet au matin et que par conséquent, elle était « priée » d'assurer ses fonctions le lendemain toute la journée tout en précisant que ces congés avaient été pris sans concertation avec la direction juridique qui les avait néanmoins validés alors qu'elle aurait été en droit de lui demander de les modifier.

L'employeur reproche à Mme [U] [H] d'avoir utilisé dans le message électronique incriminé du 9 juillet 2008, des termes tels que : « je ne suis pas d'accord avec toi' ».

Dans ce message, Mme [U] [H] rappelait en effet qu'elle avait demandé l'autorisation de prendre ses congés à cette période dès le mois de décembre 2007.

Elle reprochait également à Mme [P] de l'avoir mise en difficulté en n'annonçant sa nomination aux membres du CODIR (comité de direction) qu'en décembre 2007 alors qu'elle était en fonction déjà depuis le mois d'octobre, de l'avoir mise « dans une situation de travail totalement intenable ».

Elle lui faisait aussi grief de lui reprocher de ne pas donner satisfaction aux opérationnels sans tenir compte de sa charge de travail particulièrement lourde.

Dans ce message, elle lui précisait également qu'elle avait été très déstabilisée par des propos qu'elle aurait tenus en lui disant : « si c'est trop dur tu peux démissionner, chercher en dehors du groupe ».

Mais il suffit de constater que ce message n'a pas en réalité été adressé personnellement à Mme [P].

Au contraire, il s'agit d'un message adressé à M. [L], le supérieur hiérarchique de Mme [P] et par conséquent le « N+ 2 » de Mme [H], dans lequel figurait effectivement un projet de message électronique à destination de Mme [P] mais ayant pour but de le laisser « juge de l'opportunité de faire part ou non à [A] de (sa) réponse ci-dessous à son mail d'hier ».

- Le message électronique du 3 novembre 2008

Dans un message électronique du lundi 3 novembre 2008, Mme [P] écrivait à Mme [U] [H] : « je suis désolée que cette info m'arrive par [D] et non par toi. Les questions relevant de l'iPhone sont des questions comme tu le sais gérées par le national, je ne comprends donc pas que tu ne m'informes que ce jour.

Comme tu as pu le constater [D] est très mécontent de ce fonctionnement et pour le coup je le rejoins, c'est vraiment dommage pour le pôle de ne pas travailler en toute transparence d'autant plus que j'aurais pu te donner la réponse directement, [G] ayant en son temps communiqué le contrat Apple et les pratiques associées. Nous aurions gagné du temps et de la crédibilité !

Essayons à l'avenir de ne pas voir ce type de couac se reproduire. ».

Dans sa réponse, le 3 novembre 2008, Mme [U] [H] écrivait : « cette réaction me semble un peu disproportionnée : je n'ai fait que solliciter l'avis de [G] comme je l'ai fait plusieurs fois auparavant sans que cela ne semble poser le moindre problème' Contrairement à ce que tu laisses entendre je travaille comme je l'ai toujours fait en toute transparence et je ressens ce message comme très blessant car il ne me paraît pas correspondre à la réalité. ».

Il n'apparaît nullement que dans ce message, Mme [U] [H] a méconnu les prérogatives et le respect qu'elle devait à son supérieur hiérarchique.

En effet, il ne peut être reproché à un salarié de fournir des explications à des reproches qui lui sont adressés et, au besoin, d'en contester le bien-fondé.

Cela ne constitue nullement une attitude stérile d'opposition systématique et injustifiée à l'égard d'un supérieur hiérarchique.

- Le message électronique du 9 janvier 2009

Il est constant que le jeudi 8 janvier 2009, à 19h21, Mme [P] a adressé un message électronique à Mme [U] [H], qui devait partir en congé le lendemain soir vendredi 9 janvier, pour lui demander de préparer un courrier de mise en demeure dans un dossier « IDOM ».

Il est reproché à Mme [U] [H] d'avoir refusé d'exécuter cette tâche et d'avoir adressé à sa supérieure hiérarchique, le vendredi 19 janvier 2009 un message dans lequel elle écrivait : « même si à ton sens (ce que je ne pense pas au vu de la sensibilité du dossier) c'est juste du travail de secrétariat, tu peux aussi bien rédiger ce courrier comme moi, non ' ' J'ai plein de choses à boucler avant ce soir' Quant aux e-mails de recap dont tu parles, je n'ai rien reçu de ta part depuis le 12 novembre (ni sous forme de debrief oral d'ailleurs). Je n'ai même pas eu connaissance de nos conclusions devant le TC dans cette affaire. J'ai appris en CODIR par [R] [X] la date du délibéré'

C'est quand même incroyable qu'à chaque fois que je pars en vacances tu me mettes dans ce type de situation. Pour une fois, j'aimerais pouvoir partir en congé sereine et je ne comprends pas que ce courrier IDOM, dans un dossier que tu as pris en direct, devienne une affaire d'État. ».

Mais, ainsi que le fait valoir Mme [U] [H], il apparaît que cette demande par laquelle Mme [P] exigeait de Mme [U] [H], la veille au soir de son départ en vacances, qu'elle prépare une lettre de mise en demeure avait un caractère vexatoire dans la mesure où il n'est pas contesté qu'elle se rapportait à un dossier dont celle-ci avait été dessaisie depuis deux mois, qu'il était donc suivi par Mme [P] elle-même tandis que Mme [U] [H] affirme, sans être contredite, que depuis cette époque, elle n'avait plus été informée de ses développements, ce qu'elle indique d'ailleurs dans une première réponse du 9 janvier à 8h15 : « en termes de timing ça va être difficile (je suis en congé ce soir) et surtout je ne suis pas à l'aise pour préparer ce document car je ne suis plus vraiment au courant des évolutions du dossier IDOM. Si tu souhaites que j'intervienne à nouveau sur ce dossier, je pense qu'il faudrait qu'on se prévoit une réunion téléphonique assez longue à mon retour de congé pour que tu me mettes à niveau sur ce dossier, notamment l'aspect DIVOP et arguments avancés par FT pour sa défense devant le TC de Paris. », ce dont il résulte qu'elle n'avait pas refusé d'emblée de se charger de cette mission.

- Les propos tenus lors de la conversation téléphonique du 13 février 2009

Il est constant que le 5 février 2009, Mme [U] [H] a eu avec Mme [P] un entretien individuel d'évaluation par téléphone, cette dernière se trouvant à [Localité 6].

Cet entretien a porté sur la période du 1er juillet au 31 décembre 2008 et l'appréciation globale portée par le supérieur hiérarchique se concrétisait ainsi: « 2-partielle » alors que pour le semestre précédent, il lui avait été attribué une évaluation moyenne : « 3-satisfaisante ».

Le commentaire du « manager » était le suivant : « [U] n'a pas démontré les compétences suffisantes et nécessaires au bon soutien juridique attendu par les opérationnels.

Par ailleurs, elle semble très démotivée par le poste occupé actuellement. ».

Le lendemain, 6 février 2009, Mme [H] s'est rendue chez son médecin qui a décidé de lui prescrire un arrêt de travail jusqu'au 20 février en notant dans l'avis d'arrêt de travail : « stress professionnel important ».

Ce médecin délivrera un avis de prolongation le 20 février 2009 précisant:« syndrome dépressif réactionnel à situation professionnelle » puis, le 9 mars 2003 : « syndrome dépressif réactionnel ».

Plusieurs prolongations seront encore rédigées par le praticien le 23 mars 2009, le 1er avril 2009, le 8 et le 22 avril 2009, le 6 mai pour 2009 avec indication, à chaque fois, soit d'un syndrome dépressif soit d'un syndrome dépressif réactionnel.

Entre-temps, Mme [U] [H] avait demandé à M.[L] un entretien téléphonique afin de l'entretenir des difficultés qu'elle rencontrait avec Mme [P].

Cet entretien a eu lieu le 13 février 2009 et M.[L] en a rédigé un compte rendu qui a été porté à la connaissance de l'employeur sur lequel celui-ci s'est fondé pour reprocher à Mme [U] [H], dans la lettre de licenciement, d'avoir eu un comportement injurieux à l'égard de son supérieur hiérarchique direct.

L'employeur tire en effet arguments de certains extraits de ce compte rendu tels que :

- «[U] qualifie [A] de fainéante, et de menteuse »

- « Pour [U], il est de plus en plus difficile de travailler avec [W] [P] et cela l'arrange de la dézinguer. ».

-  «[U] affirme que [A] [P] est de mauvaise foi et qu'elle l'a surprise en flagrant délit de mensonge ».

- «[U] indique par la suite à nouveau que [A] la dézingue et qu'elle essaie de la déstabiliser. »

Il résulte également de ce compte rendu qu'après que M. [L] ait informé Mme [U] [H] qu'il était « nécessaire de trouver une solution pour mettre un terme à notre collaboration », cette dernière lui a affirmé que la situation était imputable « à cette petite conne ».

Contrairement à ce que soutient Mme [U] [H], il ne s'agissait pas d'une conversation privée dont l'employeur ne pouvait se prévaloir même s'il est exact qu'elle se trouvait à ce moment-là en arrêt maladie puisque cette conversation avait été sollicitée par l'intéressée elle-même et avait un objet exclusivement professionnel.

Pour cette raison, il ne peut non plus être reproché à l'employeur d'avoir usé d'un moyen déloyal en prenant en note le contenu de cette conversation afin d'en garder le souvenir.

Toutefois, outre le fait que Mme [U] [H] conteste certains des termes reproduits dans ce compte rendu et qu'elle explique la virulence de ses propos par la surprise provoquée par l'annonce de son probable licenciement, il importe de relever que ces propos dévalorisants et l'insulte, au demeurant relativement modérés, n'ont pas été adressés directement à la personne concernée et n'ont eu aucun caractère public.

Même si ces termes peuvent être considérés, in abstracto, comme déplacés dans une conversation avec un supérieur hiérarchique qui n'était néanmoins pas visé personnellement, leur portée est sérieusement amoindrie si l'on considère qu'ainsi que l'affirme Mme [U] [H] sans être démentie, M. [L] était un ancien collègue avec lequel elle avait travaillé à [Localité 6], ce que tend à démontrer le tutoiement dont ils usaient entre eux habituellement, de sorte qu'ils étaient liés par une certaine proximité et une certaine familiarité.

En définitive, les messages électroniques litigieux et les propos dont il vient d'être question démontrent incontestablement l'existence, qui n'est pas niée, d'une mésentente entre Mme [U] [H] et son supérieur hiérarchique direct, Mme [P], mais il n'en résulte pas pour autant que la première pratiquait une politique d'obstruction et de désobéissance frontale ou larvée.

Il n'est pas démontré, et il n'est pas allégué, que cette mésentente aurait eu des conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise, la mésentente entre un salarié et son supérieur hiérarchique ne suffisant pas à elle seule à justifier un licenciement.

2- L'insuffisance professionnelle

Dans la lettre de licenciement, l'employeur reproche à Mme [U] [H] « des manquements dans la qualité d'exécution de (sa) prestation de travail » et invoque, à l'appui de cette affirmation, plusieurs messages électroniques :

- Un message de M. [C] [O] du 9 janvier 2009 adressé à Mme [P] et mentionnant : « je t'alerte sur l'implication de [U] qui ne me semble pas suffisante sur ce dossier très délicat et qui nécessite beaucoup plus d'échanges au niveau local.

Comment peux-tu y remédier ' »

- Un message précédent du même salarié du 3 octobre 2008 adressé à Mme [U] [H] elle-même et mentionnant : « désolé de vous relancer mais votre réponse est urgente nous sommes relancés tous les jours par le conseil général qui est notre plus beau client' [U] : par ailleurs nous n'arrivons pas à te joindre. Nous souhaitons que tu précises au fil de l'eau la marche à suivre concernant les commandes' ».

Il est également reproché à Mme [U] [H], en réponse à un message électronique d'un salarié du 8 juillet 2008 ainsi rédigé : « ci-joint, question DP de la CFDT.Sur la première partie j'aurais besoin de vos lumières. Sur la deuxième question je ne suis pas au courant de cette loi et donc, les éventuels impacts sur nos accord d'entreprise. [U], peux tu nous aider stp ' », de s'être bornée à répondre : « ci-joint loi sur le pouvoir d'achat » sans autre explication, de telle sorte qu'elle s'est attirée un nouveau message ainsi rédigé : «merci de nous transmettre un texte de loi, c'est fort utile' Quid des impacts concernant ORE, car c'est bien cela la question de fond ' Merci ».

Mme [U] [H] fait remarquer que le premier message concernait en réalité le dossier IDOM dont elle avait précisément été dessaisie quelque temps auparavant, que le second ne s'adressait pas seulement à elle mais également à Mme [P].

S'agissant du troisième, l'on peut effectivement considérer que la réponse qu'elle avait fournie était quelque peu succincte mais en tout état de cause, ces quelques messages n'excèdent pas ce que l'on peut normalement observer dans des relations de travail un peu tendues et ne caractérisent en rien une insuffisance professionnelle avérée.

Par conséquent, il apparaît que le licenciement de Mme [U] [H] ne répondait à aucune cause réelle ni sérieuse et le jugement du conseil de prud'hommes sera donc infirmé.

Mme [U] [H] est donc fondée à réclamer une indemnité en réparation de son préjudice, par application de l'article 1235-3 du code du travail.

A cet égard, il résulte incontestablement de l'attestation destinée à Pôle emploi et rédigée par l'employeur que le salaire moyen des 12 derniers mois de Mme [U] [H] s'élevait à 7829,50 €.

Aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [U] [H], de son âge (37 ans), de son ancienneté (8ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application du texte susvisé, une somme de 95 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le remboursement des allocations chômage

Aux termes de l'article L.1235-4 du code du travail,en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse ou nul et lorsque le salarié disposait d'une ancienneté au moins égale à deux années dans une entreprise comportant au moins onze salariés, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

Il sera donc fait application de ces dispositions, dans la limite de six mois de versement.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir

professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Dans le cas présent , Mme [U] [H] se prévaut des éléments suivants :

1- Mme [P] a attendu délibérément près de trois mois avant d'annoncer la nomination de Mme [U] [H] en qualité de juriste au pôle juridique outre mer, rendant ainsi malaisée son insertion dans l'équipe dirigeante locale

2 - Mme [P] annulait sans cesse, et pour des motifs futiles, les réunions téléphoniques de service, privant ainsi Mme [U] [H] des échanges et informations nécessaires pour exercer son activité de façon efficace et harmonieuse

3 - Mme [P] a attendu jusqu'au dernier moment pour donner son accord sur les dates de congés payés de Mme [U] [H]

4 - Mme [P] tergiversait à dessein avant d'émettre un avis favorable sur une demande de mobilité que Mme [U] [H] avait exprimé le 6 janvier 2009

5 - Mme [P] a demandé à Mme [U] [H] au dernier moment de rédiger une mise en demeure dans un dossier dont cette dernière avait perdu la maîtrise et la veille même de son départ en vacances

6 - Mme [P] voulait savoir à tout prix la nature d'une intervention chirurgicale que Mme [U] [H] avait subie

7 - M. [L] n'a donné aucune suite à un message électronique du 9 juillet 2008 dans lequel Mme [U] [H] lui exposait les difficultés qu'elle rencontrait avec Mme [P]

8 - M. [L] lui a annoncé brutalement, à l'occasion d'un entretien téléphonique du 13 février 2009,alors que Mme [U] [H] était en congé maladie, la décision qui avait été prise de mettre fin à son contrat de travail

9 - Mme [U] [H] s'est trouvée en arrêt maladie, prolongé à plusieurs reprises entre le 6 février 2009 et le 5 mai 2009 en vertu d'avis d'arrêt de travail dans lequel le médecin notait, notamment, l'existence d'un stress professionnel, d'un syndrome dépressif réactionnel à la situation professionnelle etc.

La matérialité de ces faits n'est pas contestée en elle-même et il convient d'y ajouter une lettre recommandée avec demande d'accusé de réception adressée à Mme [U] [H] par M. [L] le 12 février 2009 pour la mettre en demeure de justifier des raisons de son absence depuis le 9 février précédent.

Mme [U] [H] établit ainsi l'existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

Pour sa part, l'employeur soutient :

- que le délai nécessaire à la publication de la note interne annonçant l'arrivée à la Réunion de Mme [H], d'une durée de 10 semaines en réalité, est un délai habituel au sein de l'entreprise et qui, de surcroît n'avait d'autre objet que d'éviter des difficultés avec son prédécesseur qui terminait son activité, ayant été licencié mais ces explications sont insuffisantes dès lors qu'il est constant qu'en arrivant sur place, Mme [U] [H], dont l'arrivée n'avait pas été annoncée, s'est nécessairement heurtée à des difficultés réelles.

- qu'en réalité Mme [U] [H] avait bien reçu un accord de sa hiérarchie pour partir en congé aux dates qu'elle avait souhaitées pour l'été 2008 et ce, antérieurement au 6 juin 2008, date de retour de Mme [P] d'un arrêt maladie mais il demeure que le message électronique du 8 juillet 2008, évoqué plus haut, dans lequel cette dernière lui reprochait au contraire d'avoir fait valider sa demande de congé sans concertation tout en lui précisant que la direction juridique serait fondée à lui demander de les modifier, n'était donc pas justifié.

S'agissant des autres faits, il convient de souligner, notamment, le caractère vexatoire, ainsi qu'il a été vu, de la demande formulée par Mme [P] de rédiger une mise en demeure la veille d'un départ en vacances de Mme [U] [H], dans un dossier dont celle-ci avait totalement perdu la maîtrise depuis plusieurs semaines.

Il en est de même de la lettre recommandée expédiée dès le 12 février 2009 par le directeur juridique de la relation client et de la distribution afin d'exiger de Mme [U] [H] qu'elle justifie d'un arrêt maladie qui n'avait débuté que le 9 février précédent et alors de surcroît que celle-ci démontre qu'elle avait demandé à son collaborateur, M. [S] [K], dès le 9 février 2009, d'en informer Mme [P], ce dont celui-ci atteste qu'il s'en est acquitté, et que par ailleurs, elle justifie par la production d'un message électronique du 12 février 2009, portant accusé de réception, que le service habilité avait bien reçu le même jour l'arrêt de travail expédié par courrier.

La réalité du harcèlement moral invoqué par Mme [U] [H] est donc établie et en réparation du préjudice qu'elle a donc subi, il y a lieu de lui accorder la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc également infirmé de ce chef.

Sur les intérêts au taux légal

Les sommes allouées à l'appelante étant de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal courront qu'à compter du présent arrêt en application de l'article 1153-1 du Code civil.

La capitalisation des intérêts est de droit, dès lors qu'elle est demandée et s'opérera par année entière.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Il apparaît équitable d'accorder à Mme [U] [H], qui a dû agir en justice pour faire valoir ses droits, une indemnité d'un montant de 3000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 24 janvier 2011 en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la SA France Télecom à payer à Mme [U] [H] la somme de 95 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse

CONDAMNE la SA France Télecom à payer à Mme [U] [H] la somme de 20 000 € à titre de dommages intérêts pour harcèlement moral

Y ajoutant,

CONDAMNE la SA France Télecom à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage perçues par Mme [U] [H], dans la limite de six mois d'indemnités

CONDAMNE la SA France Télecom à payer à Mme [U] [H] la somme de 3 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 11/03795
Date de la décision : 30/01/2013

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°11/03795 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-01-30;11.03795 ?
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