RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 24 Janvier 2013
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/07037
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Juillet 2010 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 10-00720/B
APPELANTE
CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE SEINE SAINT DENIS
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Mme [J] en vertu d'un pouvoir spécial
INTIMÉE
Madame [S] [R]
[Adresse 3]
Appt 89
[Localité 6]
comparante en personne,
assistée de Me Lucie BROCARD, avocat au barreau de PARIS, toque : D0995
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2010/042048 du 15/11/2010 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 1]
[Localité 5]
avisé - non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Novembre 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller faisant fonction
Madame Marie-Antoinette COLAS, Conseiller
Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseiller
Greffier : Mme Evelyne MUDRY, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, conformément à l'avis donné après les débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller faisant fonction de Président, la Présidente étant empêchée et par Madame Nora YOUSFI, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la Caisse d'allocations familiales de Seine-Saint-Denis d'un jugement rendu le 6 juillet 2010 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny dans un litige l'opposant à Mme [R] ;
LES FAITS, LA PROCÉDURE, LES PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler que Mme [R], de nationalité marocaine, a demandé, en octobre 2009, le bénéfice des prestations familiales en faveur de l'enfant [D] né le [Date naissance 4] 1997 au Maroc et arrivé en France en 2003 en dehors de la procédure de regroupement familial ; qu'elle ne produisait cependant pas le certificat médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration concernant cet enfant, comme l'exigent les dispositions de l'article D 512-2 du code de la sécurité sociale ; que la Caisse n'a donc pas accueilli sa demande ; que Mme [R] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable, puis devant la juridiction des affaires de sécurité sociale ;
Par jugement du 6 juillet 2010, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny a fait droit à la demande de Mme [R] et a ordonné à la Caisse d'allocations familiales de liquider les droits de l'intéressée au titre des prestations familiales pour l'enfant [D] à compter du 1er novembre 2007, en accordant l'exécution provisoire.
Après avoir justifié de la délégation de pouvoir consentie à la personne ayant introduit l'appel en son nom, la Caisse d'allocations familiales de Seine-Saint-Denis fait déposer et soutenir oralement par sa représentante des conclusions aux termes desquelles il est demandé à la Cour d'infirmer le jugement et de condamner Mme [R] aux entiers dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile. A l'appui de son appel, elle fait valoir que l'intéressée ne peut pas prétendre aux prestations familiales dans la mesure où l'enfant est entré en France en dehors de la procédure de regroupement familial et n'est pas en possession du certificat médical délivré par l'OFII. Elle soutient, en effet, qu'en application de l'article D 512-2 du code de la sécurité sociale, issu du décret du 27 février 2006 et entré en vigueur à compter du 1er janvier 2006, la régularité de l'entrée et du séjour des enfants étrangers que le bénéficiaire a à sa charge et au titre desquels il demande des prestations familiales est justifiée par la production du certificat de contrôle médical délivré par l'agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), devenue l'OFII, à l'issue de la procédure d'introduction ou d'admission au séjour au titre du regroupement familial. Elle considère ensuite que les dispositions du décret précité ne sont contraires ni à la Convention internationale des droits de l'enfant ni à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il s'agit d'organiser la venue en France des enfants étrangers dans les meilleures conditions d'accueil possibles. Elle se prévaut à ce sujet de la décision de l'assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 3 juin 2011 ayant retenu que les conditions exigées par l'article D 512-2 revêtent un caractère objectif justifié par la nécessité dans un Etat démocratique d'exercer un contrôle des conditions d'accueil des enfants. Enfin, elle indique avoir effectué par provision le paiement des prestations familiales correspondant à la période de novembre 2007 à juin 2010 inclus.
Mme [R] soulève d'abord l'irrecevablité de l'appel introduit par le responsable du service contentieux de la Caisse alors que l'exercice du droit d'appel relève, selon l'article L 122-1 du code de la sécurité sociale, des attributions du directeur de la caisse d'allocations familiales. Elle précise que si le directeur a la faculté de donner mandat à l'un de ses agents pour interjeter appel, il est toutefois nécessaire que ce mandat soit établi spécialement pour la procédure en question, ce qui n'est pas le cas en l'espèce où la délégation de pouvoir allégué présente un caractère général. Sur le fond, elle demande la confirmation du jugement attaqué et la condamnation de la Caisse à lui verser la somme de 2.000 euros en application de l'article 37 de loi du 10 juillet 1991 ainsi qu'à supporter les entiers dépens. Elle considère que les dispositions de l'article L 512-2, alinéa 2 et 3, du code de la sécurité sociale instituent une discrimination au détriment des étrangers non ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne puisque ceux-ci doivent justifier des conditions d'entrée et de séjour des enfants à leur charge alors que les enfants de ressortissants communautaires ne sont pas soumis aux mêmes contraintes, même si leurs enfants sont nés à l'étranger et ne sont pas entrés régulièrement en France. Elle invoque les dispositions des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaissant le droit de chacun au respect de sa vie privée et familiale, sans distinction aucune, fondée notamment sur la race, la couleur, la langue, la religion, l'origine nationale, la naissance ou toute autre situation ainsi que l'article 2 de la Convention internationale sur les droits de l'enfant prohibant toute discrimination fondée sur la nationalité de l'enfant. Elle estime que la différence de traitement infligée aux enfants nés à l'étranger de parents étrangers ne repose sur aucune justification objective et raisonnable. Elle considère en outre que l'atteinte au droit au respect de la vie privée ne se justifie pas par la nécessité d'exercer un contrôle sur les conditions d'accueil des enfants puisque les enfants sont déjà en France. Elle allègue aussi l'intérêt supérieur de l'enfant prévu à l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant et le droit de l'enfant aux prestations sociales prévu par l'article 26 de cette même convention pour assurer sa subsistance et son éducation. Elle se prévaut également de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne sur le droit au respect des biens, en faisant observer que les prestations familiales bénéficient de cette protection.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
SUR QUOI LA COUR :
Sur la recevabilité de l'appel :
Considérant qu'il résulte des articles 931 du code de procédure civile et R 142-28 du code de la sécurité sociale que la déclaration d'appel faite pour le compte d'une partie au litige doit émaner d'un représentant ayant reçu pouvoir spécial à cette fin ;
Considérant qu'en l'espèce, la caisse d'allocations familiales de Seine-Saint-Denis justifie, par la production d'une délégation de pouvoir et de signature, que l'auteur du présent appel avait bien le pouvoir de saisir tous les tribunaux, sauf la Cour de cassation ;
Considérant qu'il ressort en outre de l'acte d'appel lui-même que le directeur général de cette caisse a donné mandat au responsable du contentieux, signataire de l'acte, d'interjeter appel du jugement rendu le 6 juillet 2010 par le tribunal des affaires de sécurité sociale dans l'affaire opposant la caisse à Mme [R] ;
Considérant qu'il est donc justifié de l'existence d'un mandat spécial autorisant l'auteur de l'acte d'appel à interjeter le recours litigieux ;
Que la fin de non-recevoir opposée par Mme [R] sera donc rejetée ;
Sur le droit aux prestations familiales,
Considérant qu'il résulte de l'article L 512-2 du code de la sécurité sociale, que les étrangers non ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne, d'un Etat partie à l'accord sur l'espace économique européen ou de la Confédération suisse et séjournant régulièrement en France bénéficient des prestations familiales sous réserve qu'il soit justifié, pour les enfants qui sont à leur charge et au titre desquels les prestations familiales sont demandées, de la régularité de leur situation en France ;
Considérant que l'article D 512-2 du même code dispose que la régularité de l'entrée et du séjour des enfants étrangers que le bénéficiaire a à sa charge et au titre desquels il demande des prestations familiales est justifiée notamment par la production du certificat de contrôle médical de l'enfant délivré à l'issue de la procédure d'introduction ou d'admission au séjour au titre du regroupement familial ;
Considérant qu'en l'espèce, l'enfant [D] au titre duquel les prestations familiales sont demandées est entré en France en dehors de la procédure de regroupement familial ; qu'il ne dispose donc pas du certificat de contrôle médical précité ;
Considérant que l'exigence du certificat de contrôle médical répond tant à l'intérêt de la santé publique qu'à l'intérêt de la santé de l'enfant ; qu'un tel certificat permet, en effet, de vérifier que l'enfant disposera en France des conditions d'existence lui garantissant de mener une vie familiale dans les meilleures conditions possibles et d'assurer sa protection ;
Considérant que les dispositions de l'article D 512-2 sont objectivement et raisonnablement justifiées par la nécessité dans Etat démocratique d'exercer un contrôle des conditions d'accueil des enfants ; qu'elles ne perdent pas leur justification du fait que l'enfant est déjà en France ;
Considérant que la circulation des ressortissants communautaires n'obéissant pas aux mêmes règles que celle des étrangers non ressortissants de l'Union européenne, les conditions d'attribution des prestations familiales, après une migration des enfants sur le territoire français, peuvent relever de régimes différents sans qu'il en résulte une discrimination prohibée ;
Considérant que les dispositions contestées ne contreviennent donc pas au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ne constituent pas une discrimination prohibée par l'article 14 de la même Convention ou l'article 2 de la Convention internationale des droits de l'enfant ;
Considérant qu'en assurant le respect d'une procédure de regroupement familial destinée à permettre le rassemblement des familles dans les meilleures conditions possibles, ces dispositions ne sont pas non plus contraires aux articles 3-1 et 26 de la Convention internationale des droits de l'enfant ;
Considérant qu'enfin, en subordonnant le bénéfice des prestations familiales à des conditions d'ouverture revêtant un caractère objectif et raisonnable, la réglementation critiquée ne porte aucune atteinte au droit au respect des biens garanti par l'article 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant que, dans ces conditions, c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur les conventions internationales précitées pour reconnaître à Mme [R] un droit aux prestations familiales malgré l'absence de délivrance du certificat ;
Qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement attaqué et de débouter Mme [R] de toutes ses demandes ;
Considérant qu'au regard de la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions sur les frais irrépétibles ;
Considérant qu'en matière de sécurité sociale, la procédure est gratuite ; qu'elle ne donne donc pas lieu à condamnation aux dépens ;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
- Rejette la fin de non-recevoir opposée par Mme [R] ;
- Déclare la Caisse d'allocations familiales de Seine-Saint-Denis recevable et bien fondée en son appel ;
- Infirme le jugement entrepris en ce qu'il reconnaît à Mme [R] le bénéfice des prestations familiales à compter du mois du 1er novembre 2007 ;
Statuant à nouveau :
- Déboute Mme [R] de sa demande de prestations familiales en faveur de l'enfant [D] ;
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions sur les frais irrépétibles ;
- Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens.
Le Greffier, Le Président,