La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/01/2013 | FRANCE | N°11/02905

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 17 janvier 2013, 11/02905


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 17 Janvier 2013

(n° 22 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/02905



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Mars 2011 par le conseil de prud'hommes de Bobigny - Section encadrement - RG n° 08/04165



APPELANTE

SNC VET MANAGEMENT

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Franck BLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : K0168






INTIME

Monsieur [D] [C]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Henri ROUCH, avocat au barreau de PARIS, toque : P0335





COMPOSITION DE LA COUR :





En ap...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 17 Janvier 2013

(n° 22 , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/02905

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Mars 2011 par le conseil de prud'hommes de Bobigny - Section encadrement - RG n° 08/04165

APPELANTE

SNC VET MANAGEMENT

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Franck BLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : K0168

INTIME

Monsieur [D] [C]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Henri ROUCH, avocat au barreau de PARIS, toque : P0335

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 novembre 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne MÉNARD, Conseillère , chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Renaud BLANQUART, Président

Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Madame Anne MÉNARD, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Renaud BLANQUART, Président et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [C] a été engagé par la société VET MANAGEMENT le 1er décembre 1980, suivant contrat à durée indéterminée. Il a été nommé directeur commercial du réseau FABIO LUCCI en 1996.

A compter de l'année 2006, le groupe ERAM a repris la direction du réseau FABIO LUCCI, puis à partir de juin 2007, il a repris le contrôle total du groupe VETURA. Des discussions se sont alors engagées à la demande de Monsieur [C], à l'issue desquelles ce dernier a été maintenu à son poste de Direction de l'ensemble des activités de l'enseigne FABIO LUCCI au Portugal, et a vu sa rémunération fixée à 18.000 euros bruts mensuels.

Monsieur [C] percevait également une rémunération complémentaire de la part de la filiale portugaise du groupe.

Par ailleurs, par courrier en date du 1er octobre 2007, il était confirmé à Monsieur [C] qu'il bénéficiait d'une garantie d'emploi durant trois ans, ainsi que d'une indemnité de rupture fixée, compte tenu de ses états de service passés et de ceux auxquels il s'était engagé à l'avenir, à 400.000 euros.

Le 23 septembre 2008, Monsieur [C] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, avec mise à pied conservatoire. Cet entretien s'est déroulé le 6 octobre 2008, et Monsieur [C] a été licencié pour faute lourde le 15 octobre 2008, l'employeur lui reprochant une véritable campagne de dénigrement à l'encontre de la société et de ses dirigeants.

Monsieur [C] a contesté son licenciement et a saisi le Conseil de Prud'hommes de Bobigny le 3 novembre 2008.

Par jugement en date du 11 mars 2011, ce conseil, en formation de départage, a :

- condamné la société VET MANAGEMENT à payer à Monsieur [C] les sommes suivantes :

150.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

400.000 euros au titre de l'indemnité contractuelle de rupture.

423.000 euros au titre de la garantie d'emploi contractuelle.

54.000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis.

5.400 euros au titre des congés payés afférents.

13.200 euros au titre du salaire de la mise à pied.

1.320 euros au titre des congés payés afférents.

4.000 euros au titre de la perte du droit individuel à la formation.

6.850,66 euros au titre de l'indemnité de congés payés pour l'année 2008.

1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- 'confirmé' l'ordonnance de référé rendue entre les parties le 13 novembre 2009 ordonnant à la société VET MANAGEMENT de verser une provision à Monsieur [C] de 49.234,68 euros, au titre des indemnités de congés payés des années antérieures.

- condamné la société VET MANAGEMENT à rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage versées au salarié dans la limite de six mois.

- débouté VET MANAGEMENT de sa demande d'indemnité de procédure, et condamné cette dernière aux dépens.

Le Conseil de Prud'hommes a écarté des débats la plus grande partie des attestations produites par l'employeur, en retenant que seule la traduction dactylographiée était produite, à l'exclusion de l'original, ce qui ne permettait pas d'en contrôler l'authenticité.

Sur le fond, le conseil a retenu que les trois attestations valablement produites ne permettaient pas de caractériser l'intention de nuire propre à la faute lourde, et compte tenu du caractère très général de leur rédaction, n'établissaient pas l'existence d'une faute justifiant le licenciement de Monsieur [C].

La société VET MANAGEMENT a interjeté appel de cette décision.

Réprésentée par son Conseil, la société VET MANAGEMENT a, à l'audience du 20 novembre 2012 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, elle demande à la Cour de :

- constater que le licenciement pour faute lourde est régulier et parfaitement fondé.

- subsidiairement, constater que le licenciement est justifié par une faute grave.

En conséquence :

- infirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à l'ensemble des demandes de Monsieur [C], l'a condamnée à verser une indemnité contractuelle de licenciement, a fait droit aux demandes au titre de la garantie d'emploi, du préavis, du salaire de mise à pied, du droit individuel à la formation.

Subsidiairement,

- constater l'absence de cumul entre le bénéfice d'une indemnité au titre d'une garantie d'emploi et d'une indemnité compensatrice de préavis, et rejeter la demande portant sur la somme de 54.000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et sur la somme de 5.400 euros au titre des congés payés afférents.

En tout état de cause,

- débouter Monsieur [C] de sa demande relative au paiement de la somme de 360.000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- débouter Monsieur [C] de ses demandes en paiement d'une somme de 15.000 euros pour procédure abusive et d'une somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- condamner Monsieur [C] au paiement d'une somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle expose que le salarié a été maintenu à ses fonctions précédente lors du changement de direction, et ce à des conditions particulièrement favorables, puisque son salaire était notablement augmenté, et qu'il bénéficiait d'une garantie d'emploi ; que ces conditions étaient liées à son engagement de poursuivre son engagement au profit de la société.

Elle fait valoir qu'à l'occasion de communications internes à la société, Monsieur [C] a tenu des propos inacceptables, destinés à porter atteinte à l'image du groupe et à sa réputation, ainsi qu'à celle de ses dirigeants ; qu'il avait l'intention de fragiliser cette direction afin d'en tirer des bénéfices personnels ; que s'agissant d'un cadre de son niveau, un tel comportement est susceptible d'avoir de graves conséquences, ce qui justifiait qu'il y soit mis fin sans délai.

Elle souligne que même si une partie de sa rémunération lui était versée par une filiale portugaise, Monsieur [C] n'avait de lien de subordination qu'avec la société française, étant souligné qu'aucune procédure de licenciement n'a été diligentée par la société portugaise, en l'absence de contrat de travail.

Elle précise qu'elle a sanctionné les faits aussitôt qu'elle en a eu connaissance, de sorte qu'aucune prescription n'est encourue.

Réprésenté par son Conseil, Monsieur [C] a, à l'audience du 20 novembre 2012 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier et modifiées verbalement en ce qui concerne le quantum de la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse aux termes desquelles, il demande à la Cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société VET MANAGEMENT à lui payer :

-400.000 euros au titre de l'indemnité contractuelle de rupture.

-423.000 euros au titre de la garantie d'emploi contractuelle.

-54.000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis.

-5.400 euros au titre des congés payés afférents.

-13.200 euros au titre du salaire de la mise à pied.

-1.320 euros au titre des congés payés afférents.

-6.850,66 euros au titre de l'indemnité de congés payés pour l'année 2008.

-49.324,68 euros au titre des congés payés pour la période antérieure.

- statuant à nouveau, infirmer le jugement en ce qu'il ne lui a alloué qu'une somme de 150.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et lui allouer 600.000 euros de ce chef.

- condamner la société VET MANAGEMENT à lui payer une somme de 15.000 euros pour procédure abusive.

- condamner la société VET MANAGEMENT à lui payer une somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- dire que l'ensemble des condamnations portera intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2008, avec capitalisation des intérêts.

- condamner la société VET MANAGEMENT aux dépens de première instance et d'appel.

Dans le corps de ses conclusions, il a en outre sollicité le paiement de la somme de 4.000 euros au titre de la perte du droit individuel à la formation, demande non reprise dans leur dispositif.

Il expose qu'il a été licencié alors qu'il avait une ancienneté de 27 ans, sans qu'aucun grief ne lui ait jamais été fait, et alors que la société lui avait renouvelé sa confiance une année plus tôt ; qu'il avait deux contrats de travail, l'un avec la société Portugaise FABIO LUCCI LDA et l'autre avec la société VET MANAGEMENT ; qu'il a été incité à quitter la société, et que notamment, le nouvel organigramme de la société le privait d'une partie de ses responsabilités, ce dont il n'avait pas manqué de se plaindre.

Il fait valoir :

- que la lettre de licenciement est insuffisamment motivée, en ce qu'elle ne comporte pas d'éléments suffisamment précis, et notamment le nom des salariés qui témoignaient contre lui.

- que les faits dénoncés se sont tous déroulés au Portugal, de sorte qu'ils intéressent la filiale Portugaise à laquelle il était lié également par un contrat de travail, et non la société VET MANAGEMENT.

- que les faits relatés sont dénoncés sur une longue période, de sorte qu'ils sont prescrits par application de l'article L 1332-4 du Code du travail.

- que les faits ne sont pas démontrés, que les attestations produites, si elles sont désormais versées aux débats en original, ne comportent pas pour autant les mentions prévues par l'article 202 du Code de procédure civile.

- qu'en tout état de cause, ces attestations ne rapportent pas la preuve d'une quelconque intention de nuire, que si ces faits étaient avérés, on peut s'étonner que l'employeur n'en ait pas pris conscience plus rapidement, notamment à l'occasion de la tournée de la Direction au Portugal au cours de l'été 2007.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

DISCUSSION

En vertu des dispositions de l'article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

La faute lourde est celle qui, comme la faute grave, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis. Elle suppose, en outre, l'intention de nuire du salarié.

En vertu des dispositions de l'article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.

L'employeur qui invoque la faute lourde pour licencier doit en rapporter la preuve.

En l'espèce, la lettre de licenciement pour faute lourde est motivée de la manière suivante :

'Lors de celui-ci (l'entretien préalable) nous vous avons reproché d'avoir adopté un comportement totalement déloyal à l'égard du groupe, de l'entreprise et de ses dirigeants, caractérisé notamment par une vraie campagne de dénigrement interne.

Nous vous reprochons notamment d'avoir, au sein du Réseau FABIO LUCCI au Portugal, dont vous avez la responsabilité :

dénigré le groupe auquel appartient FABIO LUCCI,

dénigré l'entreprise qui vous emploie, dont vous être chargé de développer l'enseigne au Portugal.

dénigré les dirigeants de l'entreprise.

agi pour répandre l'idée que leur compétence étant tellement mauvaise, leur politique étant tellement mauvaise, que l'entreprise allait finir par fermer en France et que les conséquences se répercuteraient sur les emplois de la filiale portugaise.

conseillé à certains responsables d'inviter les salariés à se défendre contre l'entreprise.

Ce comportement, indigne de la part d'un cadre supérieur, ayant votre niveau de responsabilité et de rémunération, traduit une intention de nuire aux intérêts de FABIO LUCCI au Portugal et du groupe auquel appartient cette enseigne.

Lors de l'entretien préalable, vous n'avez apporté aucune observation, votre seule réponse a été 'je n'ai rien à dire'.

La gravité des faits nous conduit à vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute lourde'.

Sur la prescription

Monsieur [C] fait valoir en premier lieu que les faits qui lui sont reprochés seraient prescrits, en ce qu'il est mentionné dans les attestations qu'ils se sont déroulés sur une longue période, remontant donc nécessairement à plus de deux mois.

Toutefois, le délai de deux mois durant lequel des poursuites disciplinaires peuvent être engagées ne court qu'à compter de la date à laquelle l'employeur a eu connaissance des faits fautifs.

En l'espèce, aucun élément du dossier ne permet de retenir que l'employeur aurait eu connaissance des faits qu'il sanctionne plus de deux mois avant l'envoi de la convocation à l'entretien préalable, de sorte que le moyen fondé sur les dispositions de l'article L 1332-4 du code du travail ne peut aboutir.

En outre, les fait reprochés consistent en un comportement permanent de dénigrement, et non en des faits ponctuels qui nécessiteraient d'être plus précisément datés.

Sur la motivation de la lettre de licenciement

Monsieur [C] soutient que la lettre de licenciement est insuffisamment motivée, et qu'ainsi elle ne répond pas aux exigences de l'article L 1232-6 du code du travail.

Il fait valoir qu'elle ne comporte pas de faits précis, non plus que les salariés concernés, de sorte que les faits ne sont pas matériellement vérifiables.

Or la lecture de la lettre de licenciement permet de constater que la motivation est suffisamment précise pour permettre au salarié de connaître les raisons qui ont conduit l'employeur à le licencier, et de les contester.

L'article 1232-6 n'impose pas de préciser la date des faits, et ce d'autant moins en l'espèce qu'il ne s'agit pas d'un fait ponctuel, mais qu'au contraire il est reproché au salarié 'une campagne de dénigrement', qui s'échelonne donc nécessairement sur une certaine période. Les dispositions légales n'imposent pas plus à l'employeur de faire connaître le nom des salariés qui ont porté les faits à sa connaissance.

La lettre de licenciement est donc suffisamment motivée, et le licenciement ne peut sur ce seul motif être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur le fait que les fautes alléguées concerneraient la société portugaise

Monsieur [C] soutient que les attestations produites concernent toutes des salariés portugais, et qu'ainsi, à les supposer prouvés, les faits concernent le Portugal.

Toutefois, il convient en premier lieu de relever que Monsieur [C] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un contrat de travail avec cette société, notamment par la production d'un contrat écrit, et qu'il n'a pas été licencié par cette société. Le seul fait qu'une partie de sa rémunération lui soit versée par la société FABIO LUCCI n'établit pas l'existence d'un lien de subordination distinct de celui qu'il a avec la société VET MANAGEMENT.

En tout état de cause, la lettre vise expressément des faits de dénigrement contre l'ensemble du groupe et ses dirigeants, et il importe peu à cet égard que les propos reprochés aient été tenus auprès de salariés de la société FABIO LUCCI, dès lors que c'est bien la société VET MANAGEMENT et son équipe de direction qui en étaient l'objet.

Sur les attestations

Monsieur [C] demande à la Cour d'écarter des débats la totalité des attestations produites, en ce qu'elles ne comporteraient pas les mentions prévues par l'article 202 du Code de procédure civile.

Il convient de relever que le Conseil de Prud'hommes avait écarté toutes les attestations à l'exception de trois d'entre elles, au motif que n'étaient alors produites que les traductions dactylographiées. Devant la Cour, l'appelante a complété sa production et verse désormais aux débats les attestations manuscrites rédigées en portugais et leur traduction.

Il est constant que ces attestations ne sont pas rédigées de manière conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, en ce qu'elle ne font pas état de l'existence d'un lien de subordination, et en ce qu'elle n'indiquent pas que l'auteur ait connaissance de ce que ces attestations doivent être produites en justice et l'exposent en cas de déclarations mensongères à des sanctions pénales.

Toutefois, ces formes ne sont pas prescrites à peine de nullité, et il appartient à la Cour de déterminer si elles présentent des garanties suffisantes.

En l'espèce, leur contenu indique de manière tout à fait explicite que leurs rédacteurs sont salariés du groupe, et que c'est dans ce contexte qu'ils ont eu connaissance des faits qu'ils relatent, de sorte que le fait que cette information n'apparaisse pas en tête de l'attestation ne résulte manifestement pas d'une volonté de dissimuler information.

Par ailleurs, l'ensemble des attestations est accompagné d'une pièce d'identité, et a fait l'objet d'une traduction réalisée par le consulat de France. Les salariés, qui étaient de toute évidence informés du licenciement dont a fait l'objet Monsieur [C] ont manifestement attesté dans ce contexte. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que rien ne permet de contester l'authenticité et la sincérité de ces attestations, même si elles doivent être examinées avec la prudence qu'impose le lien de subordination avec l'une des parties.

Il n'y a donc pas lieu d'écarter ces attestations des débats.

Sur le fond

Au soutien de ses allégations, la société VET MANAGEMENT verse aux débats treize attestations de salariés, qui relatent notamment les faits suivants :

[S] [A] indique : J'ai été informé en plein milieu de réunions de travail que l'administration de groupe Eram était en train de désagréger l'entreprise [G] [N] en France, et que la même chose se produirait bientôt au Portugal. Quand Monsieur [C] nous communiquait certaines informations lors des réunions avec les responsables de secteur, il allait jusqu'à traiter Monsieur [Z] de traître, disait que Monsieur [J] était encore pire que Madame [V], et que les nouvelles directions en France étaient totalement incapables de gérer le groupe (...) Il a déclaré lors d'une réunion en présence de plusieurs responsables de secteur que nous ferions l'objet de licenciements massifs, comme c'était déjà la cas en France. Je sais que ces commentaires étaient aussi répétés dans les magasins de l'entreprise.

[W] [A] écrit notamment : A diverses reprise, Monsieur [D] m'a dit que l'entreprise en France allait mal et fermerait peut être prochainement, ce qui aurait des conséquences au Portugal, et que cette situation était due à l'arrivée du groupe ERAM dans l'administration du groupe VETURA. (...) Il a affirmé plusieurs fois que le groupe était divisé en diverses factions et que nous serions bientôt soumis au même régime que celui institué en France, autrement dit à des licenciements massifs et sans pitié. Il a dit également que la seule manière de nous défendre dans cette situation serait d'adhérer à un syndicat. Ces propos ont été tenus en privé et en public, et à l'occasion de réunions de travail organisées dans les locaux de l'entreprise.

[K] [I] écrit notamment : 'Au cours d'au moins deux réunions, il a dit qu'en France, l'entreprise était complètement désorganisée, que la direction n'était pas capable de diriger, d'où des retards dans l'arrivée des marchandises.

A l'occasion d'une de ces réunions, j'ai été insultée pour avoir suggéré de parler à Monsieur [Z] d'une affaire concernant l'entreprise.

[T] [L] [M] écrit notamment : 'Dans toutes ses conversations, il exprimait son mécontentement en relation à ses supérieurs hiérarchiques, proférant des paroles injurieuses à leur encontre. A mesure que le temps passait, il commençait à faire passer le message selon lequel tout le personnel du Portugal allait être licencié, que telle était la volonté de la nouvelle direction, mais que l'entreprise allait revenir au passé et qu'il serait le nouveau président du groupe. Selon Monsieur [C] la guerre était installée, les nouveaux contre les anciens, guerre qu'il allait gagner, invitant ainsi tout le monde à se mettre de son côté'.

Monsieur [H], Monsieur [Y], Monsieur [B], Monsieur [X] attestent également avoir entendu l'intimé dire que l'équipe dirigeante était incompétente et allait conduire la société à la faillite.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que Monsieur [C] critiquait ouvertement la direction de l'entreprise, et s'efforçait d'instituer auprès des salariés du groupe un climat de défiance et de crainte de licenciements ; que plusieurs salariés indiquent qu'il trouvait un intérêt personnel à cette campagne de dénigrement, puisqu'il espérait qu'au terme de cette période de déstabilisation de la société, il obtiendrait le poste de Président.

De tels propos, dont il est indiqué qu'ils étaient même parfois injurieux, excèdent très largement la liberté d'expression du salarié dans l'entreprise, et ont manifestement un caractère fautif.

Compte tenu de l'ancienneté de la présence de Monsieur [C] au Portugal, du rôle qu'il a joué dans le développement des points de vente dans ce pays, et des fonctions très importantes qu'il y occupait, les nouvelles alarmistes qu'il colportait avaient nécessairement un écho important parmi les salariés.

L'employeur ne pouvait donc pas laisser perdurer ce comportement, qui était constitutif d'une faute grave, justifiant la rupture immédiate du contrat de travail.

En revanche, les propos tenus par Monsieur [C] ne permettent pas d'établir qu'il ait eu l'intention de nuire à son employeur, dont il doit être rappelé qu'il se distingue des dirigeants de la société.

Dans ces conditions, le licenciement pour faute lourde n'est pas justifié.

Sur les demandes de Monsieur [C]

Le licenciement pour faute grave étant justifié, Monsieur [C] sera débouté de ses demandes au titre de l'indemnité de préavis, de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et du paiement du salaire de sa mise à pied.

1 - En ce qui concerne l'indemnité de licenciement de 400.000 euros, prévue par le contrat, Monsieur [C] soutient qu'elle serait due quelle que soit la cause de la rupture du contrat de travail.

L'employeur s'oppose au paiement de cette somme, en faisant valoir qu'elle n'est pas due en cas de licenciement pour faute grave ou lourde, qu'en tout état de cause elle était conditionnée par les engagements non tenus du salarié, et qu'enfin, subsidiairement, il s'agit d'une clause pénale qui peut être réduite par le juge lorsqu'elle est manifestement excessive au dérisoire.

L'indemnité contractuelle est mentionnée de la manière suivante dans le courrier adressé à Monsieur [C] le 1er octobre 2007 :

'...je ne suis pas hostile à vous verser une indemnité de départ globale, toutes causes confondues, plus élevée que celle conventionnellement due aux collaborateurs cadres de l'entreprise, compte tenu de vos états de service passés et de ceux que vous vous êtes engagé à avoir d'ici votre départ'.

Il résulte de ces énonciations que cette indemnité contractuelle se substitue à l'indemnité conventionnelle de licenciement, dont elle modifie le quantum, mais conserve la nature. Ainsi, comme l'indemnité de licenciement dont elle prend la place, cette indemnité contractuelle n'est pas due dès lors que le licenciement est prononcé pour faute grave.

Cette interprétation s'impose en l'espèce d'autant plus qu'il est expressément mentionné que cette indemnité est due non seulement en considération des services rendus à la société par le passé, mais également au titre des engagements pris pour l'avenir, et dont il est avéré qu'ils n'ont pas été respectés par Monsieur [C].

2 - Monsieur [C] sollicite le paiement de la somme de 423.000 euros, correspondant aux salaires qu'il aurait dû percevoir jusqu'au terme de la période durant laquelle son emploi était garanti.

Il fait valoir qu'aucune disposition contractuelle ne prévoit que cette garantie cesse en cas de faute grave ou lourde, ce qui implique que les parties étaient d'accord pour la clause s'applique en tout état de cause.

Toutefois, aux termes de l'article 1134 du Code civil, les conventions doivent être exécutées de bonne foi entre les parties. En l'espèce, les fautes commises et qui ont justifié que soit retenue une faute grave révèlent une attitude déloyale de Monsieur [C] à l'égard de son employeur, de sorte qu'ayant manqué à son obligation contractuelle de loyauté, il ne peut se prévaloir de l'engagement de la société VET MANAGEMENT à garantir son emploi durant trois ans.

Que sauf dans le cas où la clause de garantie prévoit expressément son application dans toutes les hypothèses de rupture, elle ne saurait faire obstacle à un licenciement pour faute grave, qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que, dès lors qu'un tel licenciement est fondé, la violation de cette clause ne peut être invoquée, aux fins une réclamation de dommages et intérets contractuels ;

Il convient donc de le débouter de ce chef de demande.

3 - Aux termes des dispositions de l'article L 6323-17 du Code du travail, dans sa rédaction applicable aux faits, la faute grave est exclusive de la portabilité du droit individuel à la formation.

Il ne sera pas fait droit à la demande de ce chef.

4 - Le Conseil de Prud'hommes statuant en référé, puis au fond, a alloué à Monsieur [C] une somme de 49.324 euros au titre des congés payés antérieurs à l'année 2008, correspondant aux nombre de jours apparaissant sur les bulletins de paie du salarié.

L'employeur soutient que cette somme ne serait pas due, en raison de la qualité de cadre dirigeant de Monsieur [C], qui était libre d'organiser son temps et ne pouvait bénéficier du report de ses congés payés. Ces congés sont donc perdus s'ils ne sont pas pris.

Toutefois, Monsieur [C] verse aux débats une attestation de Monsieur [U], qui était directeur général de la société avant le changement de direction intervenu en 2007, et qui indique :

'Compte tenu de la responsabilité de Monsieur [C] et du travail qu'il fournissait, je lui ai demandé expressément de ne pas utiliser la totalité de ses congés mais que bien évidemment ceux-ci lui seraient payés dès qu'il en ferait la demande.

C'est la raison pour laquelle nous avons systématiquement comptabilisé sur les fiches de paie la totalité des congés payés auxquels il avait droit pour les années antérieures'.

Il est donc établi que le report des congés payés s'est fait avec l'accord de l'employeur, de sorte qu'il sera fait droit à la demande de ce chef.

Le jugement entrepris sera, cependant, infirmé en ce qu'il a improprement 'confirmé' une décision de référé, de ce chef, alors qu'il devait, satuant au fond, allouer la somme considérée et en deniers ou quittance, pour tenir compte d'une possible execution de l'ordonnance de référé du 13 novembre 2009,

5 - Dès lors que la faute lourde n'a pas été retenue, Monsieur [C] est fondé à obtenir le paiement des congés payés dus pour l'année en cours, soit la somme de 6.865,24 euros.

*

Les parties n'ayant fait qu'user de leur pouvoir d'agir en justice ou de se défendre, sans que la preuve d'un abus de ce droit soit rapportée, il ne sera pas fait droit aux demandes de dommages et intérêts formées de part et d'autre.

*

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société VET MANAGEMENT sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Dit n'y avoir lieu a rejet des pièces des débats,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne les dispositions relatives aux congés payés pour l'année 2008 et les dépens de première instance.

Statuant à nouveau sur le surplus,

Dit que le licenciement est fondé sur une faute grave.

Condamne la société VET MANAGEMENT à verser à Monsieur [C] la somme de 49.234,68€ en deniers ou quittance, eu égard au paiement de cette somme ordonné à titre provisionnel, par ordonnance de référé du 13 novembre 2009,

Déboute Monsieur [C] du surplus de ses demandes.

Déboute la société VET MANAGEMENT de ses demandes.

Y ajoutant,

Rejette les demandes de dommages et intérêts formées par les parties,

Dit n'y avoir lieu à l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne la société VET MANAGEMENT aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 11/02905
Date de la décision : 17/01/2013

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°11/02905 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-01-17;11.02905 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award