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15/01/2013 | FRANCE | N°11/01938

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 15 janvier 2013, 11/01938


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 15 Janvier 2013

(n° 12 , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/01938



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Février 2011 par le conseil de prud'hommes de EVRY section encadrement RG n° 10/00586





APPELANTE

Madame [I] [O]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Gilles RENAUD, avocat au barreau de NANTES, toq

ue : 112







INTIMÉE

ASSOCIATION AIDERA ESSONNE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Jérôme ARTZ, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097











COM...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 15 Janvier 2013

(n° 12 , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/01938

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Février 2011 par le conseil de prud'hommes de EVRY section encadrement RG n° 10/00586

APPELANTE

Madame [I] [O]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Gilles RENAUD, avocat au barreau de NANTES, toque : 112

INTIMÉE

ASSOCIATION AIDERA ESSONNE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Jérôme ARTZ, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Novembre 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Aleth TRAPET, Conseiller, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Brigitte BOITAUD, président

Madame Marie-Aleth TRAPET, conseiller

Madame Catherine COSSON, conseiller

Greffier : Monsieur Polycarpe GARCIA, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par Madame Brigitte BOITAUD, Présidente

- signé par Madame Brigitte BOITAUD, Présidente et par Monsieur Polycarpe GARCIA, greffier présent lors du prononcé.

FAITS ET PROCÉDURE

Madame [I] [O] a été engagée par l'association AIDERA ESSONNE par contrat à durée indéterminée ayant pris effet le 28 août 2003, en qualité de directrice administrative et pédagogique de l'IME «Notre École» à [7], avant de prendre la direction de la Maison d'Accueil Spécialisée (MAS) « L'alter Ego », dès l'ouverture de cet établissement en septembre 2005.

Madame [O] a été licenciée par courrier du 6 mars 2009 énonçant le motif du licenciement dans les termes suivants :

« Madame,

Au cours de l'entretien préalable en date du lundi 2 mars 2009, nous vous avons demandé de vous expliquer sur les agissements dont vous avez été l'auteur, à savoir :

1. ETHIQUE PROFESSIONNELLE :

' Auto-déclaration d'avoir atteint le point de non retour dans le courrier adressé au CA le 3 février 2009 estimant que votre tâche ne pouvait se poursuivre.

' Manquement à l'éthique par des insinuations malveillantes préjudiciables à la réputation du président et de la vice-présidente (courrier adressé aux administrateurs le 3 février 2009) ayant entraîné la décision du CA d'examiner les conditions de rupture du contrat de travail, puis de mise à pied conservatoire.

' Violation du secret médical (courrier adressé aux administrateurs le 3 février 2009).

' Rédaction d'une intervention désobligeante voire diffamatoire à rencontre de la Tutelle, ceci en tant que directrice de la MAS l'Alter Ego pour une conférence d'EDI Formation, le vendredi 14 novembre 2008 avec mise en ligne récente sur Internet, pouvant entraîner des conséquences négatives sur la pérennité de l'Association et de toutes ses structures.

2. CONDUITE FINANCIERE DE L'ETABLISSEMENT :

' Octroi de prêts personnels sans intérêt, sous forme d'avance, à des salariés et à vous-même en juin 2008 pour la seconde fois d'un montant de 2.000 €, sans information et accord préalable du CA ou de ses représentants ainsi que du Comité d'Entreprise, découvert par nos soins en janvier 2009.

' Imprévision du niveau de la trésorerie ayant entraîné un compte déficitaire fin janvier 2009, avec projections croissantes atteignant moins 1M€ à échéance de juillet 2009, telles qu'établies par l'expert comptable le 4 février 2009.

' Engagements de dépenses non autorisées par la Tutelle plaçant la discussion du compte administratif 2008 dans des conditions difficiles, selon le rapport du cabinet d'expert comptable du 4 février 2009.

3. GESTION DU PERSONNEL :

' Ruptures de contrats de travail Inappropriées quant à la forme et aux motifs ([F] [Z] en janvier 2009, [U] [X] en septembre 2008).

' Retards de contractualisation des emplois et qualifications inadaptées aux formations obtenues, mis à jour en janvier 2009 lors de la soumission pour régularisation de plusieurs contrats de travail.

' Durée et aménagement du temps de travail au sein de la structure, non conformes au respect du Code du travail et de la CCN 66, sans accord de la Tutelle comme cela vous a été précisé dans le courrier d'octobre 2008 du conseiller MGF, consulté suite à la demande qui vous en avait été faite lors du Conseil de gestion du 22 septembre 2008. Analyse en votre possession, non remise par vos soins à l'Association.

' Non-finalisation et diffusion des textes réglementaires prévus par la loi de 2002, constat réitéré en vain lors de la dernière réunion du Conseil de gestion de la MAS tenue le 22 septembre 2008, aucune autre réunion n'ayant pu être tenue du fait de votre demande d'annulation de celle programmée le 8 décembre 2008.

Vous n'avez pas souhaité apporter d'explications à ces différents constats lors de notre entretien. En conséquence, nous n'avons pas modifié notre appréciation sur l'ensemble des faits établis et vérifiables, et nous vous notifions votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité de licenciement.

Le licenciement prend donc effet immédiatement, dès réception de cette lettre, votre attitude rendant impossible la poursuite de votre activité professionnelle au sein de notre structure dédiée à l'accueil de personnes en situation de handicap et ce, dans l'intérêt des usagers et des salariés. »

Par jugement du 1er février 2011, saisi par Madame [O] qui contestait la légitimité de son licenciement, le conseil de prud'hommes d'Évry, en sa section Encadrement, a débouté Madame [O] de l'intégralité de ses demandes.

Cette décision a été frappée d'appel par la salariée qui demande à la cour de juger « abusif » le licenciement pour faute grave prononcé à son encontre et de condamner en conséquence l'association AIDERA ESSONNE à lui payer :

- 86 504,58 € à titre en réparation du préjudice subi,

- un rappel de salaire (non chiffré) au titre de la mise à pied conservatoire,

- 59 742,64 € brut au titre de l'indemnité de préavis,

- 597,42 € au titre des congés payés afférents,

- 16 641,62 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 28 834,86 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement prononcé dans des conditions vexatoires,

- 6 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'association AIDERA ESSONNE conclut à la confirmation du jugement entrepris, estimant apporter la preuve que le licenciement de Madame [O] repose sur une faute grave.

L'employeur réclame une somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles engagés devant la cour.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l'audience des débats.

SUR QUOI, LA COUR,

Sur le licenciement de Madame [O]

Madame [O] conteste chacun des griefs évoqués dans la lettre de licenciement.

S'agissant de la remise en cause de son éthique, elle soutient que l'employeur utilise pour la licencier son courrier du 30 janvier 2009, alors même qu'elle « ne souhaitait nullement envisager une rupture », mais seulement « souligner combien l'exécution de sa mission était rendue délicate notamment en raison du comportement à son égard de Madame [M], vice-présidente, et de Monsieur [W], Président de l'Association », espérant encore « provoquer une rencontre et rétablir le dialogue ». Madame [O] estime qu'elle n'a pas dépassé dans cette longue lettre les limites de sa liberté d'expression, son courrier « ne comportant aucun propos malveillant ou préjudiciable envers quiconque » et ne portant pas par ailleurs atteinte au secret auquel elle est tenue. Par ailleurs, elle reproche à l'employeur d'avoir retenu son « intervention très ancienne du 14 novembre 2008, du fait de la prescription applicable en la matière », alors surtout que cette intervention n'avait pu entraîner de conséquences négatives sur la pérennité de la structure.

Pour ce qui concerne les griefs afférents à la conduite financière de l'établissement, Madame [O] soutient que les prêts personnels sans intérêts n'ont été qu'exceptionnellement consentis qu'après la confirmation par Madame [S], attachée de direction, qu'un tel usage se pratiquait au sein de l'association, étant observé qu'une reconnaissance de dette établie par la comptable de la MAS était signée par chacun des salariés bénéficiaires de ces prêts. Madame [O] estime que ne sauraient être retenus les griefs relatifs à « l'imprévision du niveau de trésorerie » et à « l'engagement de dépenses non autorisées par la Tutelle », dès lors que la trésorerie de l'établissement était au mois de septembre 2008 supérieure à 900 000 €, qu'elle ne disposait pas des moyens nécessaires à l'accomplissement de sa mission et qu'elle n'avait pas fait l'objet de la moindre alerte de la part de la présidence de l'Association.

Enfin, en ce qui concerne la gestion du personnel, Madame [O] fait valoir que le licenciement de Mesdames [Z] et [X] a été validé par le président de l'association et qu'aucune action prud'homale n'a été engagée.

Madame [O] soutient enfin que l'employeur, en lui proposant une rupture conventionnelle lors de l'entretien préalable, aurait fait lui-même la démonstration que le maintien de la salariée était possible, en raison principalement du délai d'homologation et de la possibilité pour chacun de se rétracter que ce mécanisme induit.

Considérant qu'il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement ;

Considérant que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis ; que l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve ;

Considérant que les salariés disposent, en vertu de l'article L1121-1 du code du travail, d'une liberté d'expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ;

Considérant que l'examen des pièces du dossier laisse apparaître qu'alors qu'elle reproche à l'employeur de ne pas lui avoir permis de s'expliquer devant le conseil d'administration de l'association en dépit de plusieurs demandes, c'est elle qui a manqué - sinon fui - les occasions importantes qui lui en ont été données ; qu'ainsi, alors qu'elle était invitée, par courrier du 7 janvier 2009 du président de l'association à une première séance de travail avec les membres du bureau en présence de la société AGECOM qui avait établi le rapport d'audit sur le fonctionnement de l'association, afin d'entendre ses réactions et commentaires sur les conclusions de cet audit, Madame [O] a transmis à l'employeur un arrêt maladie avant d'adresser à chacun des membres du conseil d'administration de l'association, le 3 février 2009, une lettre de vingt-trois pages aux termes de laquelle elle tente de justifier chacun de ses comportements et décisions depuis sa prise de fonction au sein de la MAS ; que Madame [O] a par ailleurs refusé de s'expliquer lors de l'entretien préalable au licenciement du 2 mars 2009 auquel elle avait été convoquée dès le 12 février ;

Considérant que Madame [O] soutient aujourd'hui que l'objet de cette longue lettre n'était pas d'envisager une rupture, mais bien plutôt de rétablir le dialogue ; que pourtant, Madame [O] écrivait alors : « Compte tenu de la façon dont j'ai été traitée par le président et la vice-présidente de l'association AIDERA-Essonne, je considère qu'un point de non-retour est atteint. La perspective de ne pas pouvoir mener à son terme une magnifique entreprise qui me tient tant à c'ur, d'abandonner en si bon chemin les jeunes et mon équipe, me désespère et me déchire. Mais je ne peux plus continuer ainsi » ;

Considérant que Madame [O] estime à tort n'avoir pas dépassé les limites de la liberté d'expression dont bénéficie le salarié dès lors qu'une critique vive de la part d'un cadre, restant dans le cercle restreint de ses dirigeants, n'est possible que si les circonstances l'expliquent et à condition qu'elle ne contienne pas de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs ;

Or, considérant que dans sa longue lettre datée du 30 janvier 2009, Madame [O] - qui, en sa qualité de directrice de l'établissement, bénéficiait du coefficient 870 (le plus haut dans la hiérarchie fixée par la convention collective nationale applicable), a mis directement en cause les deux dirigeants principaux de l'association qui l'employait ; qu'elle a notamment écrit à l'ensemble des membres du conseil d'administration :

- « L'établissement a vu le jour grâce au travail acharné, à la patience, à l'énergie de quelques parents, au premier rang desquels Monsieur [W] et Madame [M], respectivement président et vice-présidente de l'association. Mais forcément, c'est humain, ils l'ont avant tout pensé pour leurs enfants respectifs. De ce fait, des erreurs ont été commises dans la conception et l'affectation de certains locaux, même si leur nombre et leur variété est remarquable. Il y a notamment un manque crucial d'espaces de vie sur l'internat » ;

- « A cela sont venus s'ajouter des difficultés concernant la prise en charge des enfants respectifs de Mr [W] et Mme [M]. Des considérations éthiques m'empêchent d'en dévoiler ici la nature », ce qui n'empêcha au demeurant pas Madame [O] d'ajouter quelques pages plus loin : « les deux incidents, interversion de lunettes et oubli du traitement, concernaient le fils [autiste] du président », ce qui m'a valu, de la part de Monsieur et Madame [W] deux courriers au ton comminatoire, dans lesquels elle je me vois sommée de leur préciser les mesures que je comptait mettre en 'uvre afin que de tels événements ne puissent plus se reproduire ;

- « un président et une vice-présidente d'association ont fait un énorme travail pour créer un établissement pensé avant tout, c'est humain, pour leurs enfants », de sorte qu'ils se sont trouvés « contrariés par les réaménagements inévitables impulsés par l'équipe et sa directrice dans le sens de l'intérêt collectif, et aussi par le refus que celle-ci oppose à certaines de leurs demandes concernant leurs enfants respectifs » ;

Considérant par ailleurs que Madame [O] n'a jamais accepté de mettre en 'uvre le projet de l'établissement qui l'employait ; qu'elle persiste dans cette attitude dans son courrier aux membres du conseil d'administration, écrivant notamment : « En juin 2007, l'évolution vers des groupes homogènes, qui s'est peu à peu imposée comme une évidence pour les professionnels, fait débat. Le conseil d'administration m'entend à ce sujet. Madame [M] défend ardemment les groupes hétérogènes, dans lesquels les jeunes les plus en difficulté seraient, selon elle, « tirés vers le haut » par les plus performants. Pour sympathique et humaniste qu'elle soit, cette vision des choses, surtout avec un public autiste, est un LEURRE, une grave erreur d'appréciation de la réalité. Dans un groupe hétérogène, TOUT LE MONDE EST PERDANT » ; qu'elle ajoutait : « Je refuse de me voir imposer des choses contraires à l'intérêt collectif, à l'intérêt de TOUS vos enfants. Malgré ce constat, Madame [M] dit encore aujourd'hui à ce sujet à qui veut l'entendre, qu'elle ne renoncera jamais. Un pas de plus est franchi dans le conflit de pouvoir et le débat sur l'expertise respective des professionnels et des parents » ; qu'elle indiquait encore, dans la présentation qu'elle faisait d'elle-même : « Devant la pugnacité de la directrice, sa combativité, son refus de se soumettre, la contrariété se mue peu à peu en HOSTILITÉ » ;

Considérant que l'association AIDERA ESSONNE illustre la tendance de Madame [O], qui avait commis un document intitulé « Autoportrait d'une directrice », à ne pas vouloir se remettre en cause et à ne chercher qu'à imposer ses théories personnelles, pourtant contraires au projet d'établissement, par le fait qu'elle avait orchestré « la réponse des professionnels de la MAS ' déclaration du conseil d'administration d'AIDERA ESSONNE » en la faisant cosigner par plusieurs salariés ; que plusieurs mois plus tard, le 6 décembre 2008, lors de l'inauguration de la MAS, elle avait fait signer au personnel une pétition sollicitant son intervention à la tribune le jour de cette inauguration, alors que les circonstances ne permettaient pas d'envisager dans un tel cadre un débat idéologique sur les modalités de prise en charge des autistes ;

Considérant que le fait d'adresser à son employeur une lettre tournant en dérision les instructions données, comme le dénigrement systématique des méthodes de travail retenues présente un caractère excessif et constitue un abus de la liberté d'expression de la part du salarié ;

Considérant qu'il est par ailleurs établi que, le 14 novembre 2008, Madame [O] a participé à un congrès organisé par la société EDI FORMATION ; que lors de son intervention au cours de laquelle elle s'était présentée comme la directrice de la MAS L'Alter Ego, la salariée a prononcé un discours virulent envers les organismes de tutelle et les professionnels du secteur ; qu'elle n'a pas hésité à s'exprimer ainsi : « J'ai appris à défendre calmement mes convictions, avec des arguments solides et convaincants. Je tiens serrées les rênes de mes chevaux fougueux, je fais bonne figure, j'écoute sans broncher les propositions grotesques d'un médecin conseil qui n'a jamais vu de près ni même de loin un autiste mais détient le pouvoir de nous accorder ou pas notre agrément. Je courbette, j'obséquieuse, je flatte, je courtise. Ronds de jambes et révérences : mon passé de danseuse m'est encore utile aujourd'hui » ;

Considérant que Madame [O] a ainsi explicité, devant des tiers, une position que ne partage pas l'association AIDERA ESSONNE et qui mettait directement en cause des acteurs fondamentaux quant à l'existence même d'associations de cette nature ; qu'au surplus, son allocution a été publiée sur le site internet de la société EDI FORMATION organisatrice du congrès ;

Considérant qu'aussitôt qu'il a eu connaissance des déclarations de Madame [O], le 23 janvier 2009, son collègue de travail et directeur d'établissement, Monsieur [E] [V], lui a adressé une lettre de désapprobation contestant sa position sur la forme et sur le fond, précisant notamment : « Je ne peux admettre ta position à l'égard de partenaires institutionnels que tu positionnes comme incompétents » ; que l'employeur n'a eu connaissance qu'à ce moment, après leur mise en ligne, des déclarations de Madame [O], de sorte que la salariée ne peut invoquer valablement la prescription de cette faute ;

Considérant qu'il est encore établi que Madame [O] a consenti, sur des deniers publics, dix prêts sans intérêts au personnel de l'association et à elle-même (l'un en 2007, l'autre de 2 000 € en 2008) pour une somme totale de 15 410 €, invoquant un usage qui n'est pas justifié ; qu'elle soutient en effet avoir obtenu la confirmation de l'existence d'un tel usage par Madame [S] qui le conteste aux termes d'une attestation régulièrement versée aux débats ;

Considérant qu'au surplus, Madame [O] reconnaît elle-même dans ses écritures qu'à l'issue du conseil de gestion du 15 septembre 2008, elle n'avait formulé aucune alerte quant aux difficultés de ressources que pourrait rencontrer l'association AIDERA ESSONNE dès le début de l'année 2009 ; qu'elle indiquait déjà dans sa lettre du 30 janvier 2009 : « Certains dossiers sont restés en souffrance, trop de choses se sont faites dans l'urgence, l'organisation et la planification ont été insuffisantes, l'information a parfois été défaillante ... Je le déplore, bien sûr, mais je n'ai eu d'autre choix que de privilégier ce qui m'apparaissait comme la priorité : soutenir et aider mes équipes dans le travail très difficile qui est le leur » ; que Madame [O] précise pourtant, qu'au nombre de ses missions de directrice, elle s'était vu confier, aux termes de son contrat de travail : « la direction administrative et du personnel, ainsi que la responsabilité de l'exécution du budget en cours et des propositions de budget prévisionnel » ;

Considérant que l'audit réalisé par le cabinet d'expertise comptable le 4 février 2009 a mis en évidence des dépassements importants non autorisés par la tutelle concernant notamment les engagements de dépenses relatifs aux séjours de rupture (plus 91 000 euros), aux transports d'enfants (plus de 8 000 euros), aux frais de télécom (plus de 6 000 euros), aux prestations hôtelières (plus de 80 000 euros), au groupe 3 (100 000 euros), à l'entretien et à la maintenance (42 000 euros) et au recrutement (16 000 euros) ;

Considérant que, s'agissant des recrutements opérés par Madame [O], il résulte des propos mêmes de Madame [O] qu'elle a commis des erreurs de discernement, alors pourtant qu'elle vante longuement ses qualités à cet égard pour justifier notamment l'originalité des annonces qu'elle a fait diffuser pour le recrutement du personnel ; qu'elle écrit notamment : « j'ai estimé que la connaissance de l'autisme et de sa prise en charge était indispensable pour ce poste de chef de service. Aucun candidat extérieur ne remplissant ce critère, j'ai retenu Mme [Y], éducatrice spécialisée à l'IME « Notre École ». Mes doutes quant à ses capacités à assumer, par-delà la guidance pédagogique de l'équipe, l'ensemble des fonctions incombant au chef de service, se sont hélas vite vus confirmer et se sont soldés par une rupture, douloureuse humainement, mais à mon sens nécessaire dans l'intérêt de l'établissement et de ses usagers ['] A ce stade des tout premiers mois de fonctionnement de l'établissement, forcément pleins d'incertitudes, de tâtonnements, de recherche des places et rôles de chacun, je n'étais pas encore parfaitement au clair (d'autant que l'internat ne fonctionnait pas encore et que l'équipe était loin d'être au complet) sur le rôle du chef de service, et surtout je restais convaincue, toujours avec mon 3/4 temps de psychologue, que la connaissance de l'autisme était un incontournable. D'où le choix de Mlle [X]. Vous connaissez la suite... » ;

Considérant que les dossiers relatifs au licenciement initié par Madame [O] de ces deux chefs de service manifeste un manque de maîtrise du droit social ; que la procédure était trop avancée lorsque Madame [O] en a parlé à ses supérieurs hiérarchiques pour qu'un retour en arrière soit possible, en dépit des erreurs commises par la directrice qui était investie des fonctions de chef du personnel ;

Considérant enfin que Madame [O], qui avait reçu le 3 novembre 2008 l'audit réalisé par un professionnel du droit social à la demande du conseil de gestion qui l'avait mandaté le 22 septembre 2008, n'a pas cru devoir en informer le conseil d'administration ni même le bureau des conclusions de cet audit ;

Considérant que le rapport d'audit laisse apparaître qu'en définitive, Madame [O] s'intéressait davantage aux patients qu'au personnel, et qu'elle se consacrait uniquement aux activités éducatives, délaissant ses responsabilités administratives, notamment la responsabilité de l'exécution du budget en cours et des propositions de budget prévisionnel ;

Considérant que ce rapport très précis et très équilibré réalisé par la société AGECOM selon une méthodologie incontestable, avec l'accord des autorités de tutelle, s'il pointe les problèmes posés par son style de management, met également en évidence les compétences réelles de Madame [O] dans l'exercice de son activité ;

Considérant qu'il ressort également de ce « Diagnostic organisationnel et managérial » que « compte tenu de son niveau d'expertise et d'investissement la MAS, est parvenue à atteindre un excellent niveau de qualité et de très bons résultats avec ses résidents» ; que l'implication et la compétence de chacun des membres de l'équipe, dont celles de Madame [O], étaient confirmées ; que l'organisme précisait que l'essentiel du «malaise dont souffrait la MAS » relevait d'une « difficulté de communication » et non d'un comportement fautif de la part de la directrice ;

Considérant que les fautes commises par Madame [O] - dont il y a lieu de retenir qu'elles étaient souvent consécutives à un investissement excessif de la directrice dans les méthodes qu'elle privilégiait pour accomplir une mission à laquelle elle croyait - n'ont pas causé à l'association un préjudice dont il serait justifié ; que l'engagement de Madame [O] dans son travail difficile, comme son ancienneté dans des fonctions éprouvantes et qui avaient conduit à l'agrément de l'établissement et à de bons résultats pour les patients qui étaient pris en charge légitimaient une indulgence de la part de l'employeur ; que si ces fautes justifiaient son licenciement, elles n'étaient pas d'une gravité telle qu'elles auraient rendu impossible le maintien dans l'établissement de la directrice reconnue dans la profession pendant la durée du préavis ;

Considérant qu'il y a lieu dans ces conditions d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute grave et d'allouer en conséquence à Madame [O] les indemnités de rupture ;

Considérant que les demandes relatives au rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire n'ayant pas été chiffrées sont déclarées irrecevables ;

Considérant que le montant des indemnités de rupture n'est pas subsidiairement contesté par l'employeur ; que l'association AIDERA ESSONNE est condamnée à verser à Madame [O] :

- 59 742,64 € brut au titre de l'indemnité de préavis,

- 597,42 € au titre des congés payés afférents,

- 16 641,62 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,

Considérant que la cour ne trouve pas, dans les faits de la cause, des éléments susceptibles de caractériser des circonstances vexatoires dans le prononcé du licenciement de Madame [O] ; qu'elle est débouté de sa demande de dommages-intérêts à ce titre ;

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute grave ;

STATUANT A NOUVEAU,

CONDAMNE l'association AIDERA ESSONNE à payer à Madame [O] :

- 59 742,64 € au titre de l'indemnité de préavis,

- 597,42 € au titre des congés payés afférents,

- 16 641,62 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,

AJOUTANT,

CONDAMNE l'association AIDERA ESSONNE à payer à Madame [O] 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE l'association AIDERA ESSONNE de sa demande sur le même fondement ;

CONDAMNE l'association AIDERA ESSONNE aux dépens.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 11/01938
Date de la décision : 15/01/2013

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°11/01938 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-01-15;11.01938 ?
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