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10/01/2013 | FRANCE | N°12/16300

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 10 janvier 2013, 12/16300


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5



ARRET DU 10 JANVIER 2013



(n° 11 , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/16300



Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 mai 2011 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2010068298





APPELANTE



SARL CINEMA DEPENDANT agissant en la personne de son gérant

Ayant son siège social

[Adresse 1]
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Représentée par la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS en la personne de Me Frédéric INGOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055



Assistée par Me Sophie BOROWSKY, avoca...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRET DU 10 JANVIER 2013

(n° 11 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/16300

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 mai 2011 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2010068298

APPELANTE

SARL CINEMA DEPENDANT agissant en la personne de son gérant

Ayant son siège social

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS en la personne de Me Frédéric INGOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

Assistée par Me Sophie BOROWSKY, avocat au barreau de PARIS, toque J 118

INTIMÉE

SAS FILMS DISTRIBUTION prise en la personne de son représentant légal

Ayant son siège social

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assistée de Me Eric HABER, avocat au barreau de PARIS, toque B0172

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 novembre 2012, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Colette PERRIN, Présidente et Madame Patricia POMONTI, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Colette PERRIN, Présidente

Madame Patricia POMONTI, Conseillère

Madame Valérie MICHEL-AMSELLEM, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Véronique GAUCI

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Colette PERRIN, Présidente et par Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY, Greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS CONSTANTS ET PROCÉDURE

La société Cinéma Dépendant est une société de production d''uvres cinématographiques. Elle a produit un long-métrage intitulé « Rio Sex Comedy » réalisé par [A] [W].

La société Films Distribution est spécialisée dans la vente des droits d'exploitation d''uvres cinématographiques à l'international.

Par contrat intitulé « deal memo » en date du 23 avril 2008, la société Cinéma Dépendant et la société Berfilms France, qui était alors coproducteur du film, ont confié à la société Films Distribution un mandat en vue de la vente du film dans le monde entier, à l'exception de certains territoires, moyennant le versement de commissions sur les ventes à cette dernière et d'un minimum garanti au producteur, variant selon le choix de celui-ci entre 50.000 et 500.000 €, la somme de 50.000 € devant être versée immédiatement à la signature du contrat et le solde à la livraison du film. Le taux de commissionnement du distributeur variait en fonction du minimum garanti versé. La société Cinéma Dépendant a opté pour un minimum garanti de 300.000 €.

Le contrat de coproduction entre la société Cinéma Dépendant et la société Berfilms France a été résilié le 14 mai 2008, la société Cinéma Dépendant poursuivant seule la production du film.

La société Cinéma Dépendant a escompté le contrat 'deal memo' auprès de la société Cofiloisirs, établissement de crédit spécialisé dans le financement de projets cinématographiques et audiovisuels le 5 juin 2008. En contrepartie, la société Cinéma Dépendant a délégué à la société Cofiloisirs le solde du minimum garanti de la société Films Distribution, soit 250.000 €. Cette délégation de recettes a été inscrite au Registre du Cinéma et de l'Audiovisuel et a été notifiée à la société Films Distribution le 10 juin 2008.

Un différend étant apparu dans l'exécution du contrat, la société Films Distribution a procédé, par e-mail du 25 novembre 2009, à sa résiliation que la société Cinéma Dépendant estime unilatérale et fautive.

Suite à un courrier du 29 mars 2010, par lequel la société Films Distribution confirmait 'que son mandat avait pris fin et qu'elle avait cessé de faire figurer le film dans son programme de films à venir' elle a adressé à la société Cinéma Dépendant une facture du 26 mai 2010 aux fins de se voir rembourser la somme de 50.000 € qu'elle lui avait versée à la signature du 'deal memo'.

Par acte du 1er octobre 2010, la société Cinéma Dépendant a assigné la société Films Distribution devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir constater la résiliation unilatérale et fautive du contrat par la société Films Distribution.

Par un jugement du 10 mai 2011, non assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a  :

- dit la société Cinéma Dépendant irrecevable en ses demandes,

- l'a condamnée à payer à la société Films Distribution la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'a déboutée pour le surplus.

Vu l'appel interjeté le 24 mai 2011 par la société Cinéma Dépendant contre cette décision.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 23 décembre 2011, par lesquelles la société Cinéma Dépendant demande à la Cour de :

- réformer le jugement entrepris,

- juger la société Cinéma Dépendant recevable à agir contre Films Distribution,

- constater la résiliation unilatérale par la société Films Distribution du contrat de mandat du 23 avril 2008,

- dire que la résiliation unilatérale du contrat de mandat du 23 avril 2008 par la société Films Distribution est fautive ;

En conséquence :

- débouter la société Films Distribution de l'ensemble de ses fins, demandes et prétentions,

- condamner la société Films Distribution à verser à la société Cinéma Dépendant une somme de 400.000 euros en réparation du préjudice matériel de la société Cinéma Dépendant,

- condamner la société Films Distribution à verser à la société Cinéma Dépendant la somme de 11.185 euros au titre des commissions d'engagement et des intérêts financiers dont la société Cinéma Dépendant est redevable auprès de la société Cofiloisirs depuis le 30 avril 2010,

- condamner la société Cinéma Dépendant à verser à la société Films Distribution une somme de 200.000 euros en réparation du préjudice moral de la société Cinéma Dépendant,

- condamner la société Films Distribution à verser à la société Cinéma Dépendant la somme de 15.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Cinéma Dépendant considère qu'il n'était pas nécessaire de constater l'acceptation du retrait du coproducteur (Berfilms) par la société Films Distribution puisque la société Cinéma Dépendant a un intérêt direct et personnel à agir à l'encontre de la société Films Distribution et qu'en tout état de cause, la société Films Distribution a accepté le retrait de la société Berfilms.

Elle fait valoir ensuite que le contrat ne prévoyait aucune clause résolutoire et donc qu'une partie ne peut unilatéralement résilier le contrat, la société Cinéma Dépendant n'ayant jamais consenti à une telle résiliation.

Enfin, elle prétend que Films Distribution avait connaissance du montant des dépenses réelles envisagées pour le film au moment de conclure et qu'elle ne peut donc utilement demander la nullité pour dol du contrat. De plus, elle considère que la volonté de contracter de Films Distribution ne dépendait pas du montant du budget prévisionnel du film et qu'ainsi la nullité pour dol ne peut être retenue.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 24 octobre 2011, par lesquelles la société Films Distribution demande à la Cour de :

- constater l'irrecevabilité des demandes de la société Cinéma Dépendant et confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Dans l'hypothèse d'un examen sur le fond :

- prononcer la nullité, pour dol, du « deal memo » du 23 avril 2008,

- constater la résiliation, pour manquements contractuels et inexécutions fautives de la société Cinéma Dépendant, du « deal memo » du 23 avril 2008,

- condamner la société Cinéma Dépendant à rembourser à Films Distribution l'acompte de 15.000 euros HT, soit 52.750 euros, au titre de la conséquence de la nullité du « deal memo » ou a titre de dommages-intérêts découlant de la résiliation du « deal memo »

- débouter la société Cinéma Dépendant de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

La société Films Distribution considère que le deal mémo du 23 avril 2008 était un contrat tripartite et, qu'en conséquence, la seule société Cinéma Dépendant est irrecevable en sa demande, sauf à ce que la société Cinéma Dépendant mette dans la cause Berfilms, ce qui n'a pas été le cas.

Par ailleurs, elle demande la nullité, pour dol, du contrat du 23 avril 2008. Elle estime que le coût réel du film est bien inférieur au budget du film annoncé dans le deal mémo, et qu'ainsi, il est évident que, sans ce « mensonge » sur le budget du film, la société Films Distribution n'aurait pas contracté à ces conditions.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

-Sur la recevabilité :

La société Films Distribution estime que la société Cinéma Dépendant est irrecevable à agir seule à son encontre alors qu'elle a contracté dans le seul cadre de la coproduction existante entre les sociétés Cinéma Dépendant et Berfilms.

S'il est exact que c'est un contrat tripartite qui a été signé le 23 avril 2008 entre les sociétés Films Distribution, Cinéma Dépendant et Berfilms, la société Cinéma Dépendant a bien un intérêt direct et personnel à poursuivre la société Films Distribution en dommages et intérêts suite à la rupture du contrat, qu'elle estime fautive, par cette dernière.

En effet, la résiliation du contrat a entraîné le non paiement du solde du minimum garanti de 250.000 € et a créé un préjudice à la société Cinéma Dépendant qui est seule redevable de cette somme à l'égard de la société Cofiloisirs.

Il importe peu que la société Films Distribution ait ou non accepté le retrait de la société Berfilms. Au demeurant, la résiliation en date du 14 mai 2008 du contrat de coproduction entre les sociétés Cinéma Dépendant et Berfilms a été acceptée par un e-mail du président de la société Films Distribution du 27 mai 2008 et un e-mail du responsable juridique de cette société du 16 juillet 2009, même si l'avenant entérinant cet accord n'a en définitive pas été signé entre les parties.

Le jugement dont appel doit donc être infirmé et les demandes de la société Cinéma Dépendant doivent être déclarées recevables.

-Sur le fond :

La société Cinéma Dépendant reproche à la société Films Distribution d'avoir résilié de manière unilatérale et fautive le 'deal memo' en lui indiquant par un e-mail du 25 novembre 2009 : 'FD n'est donc plus aujourd'hui le vendeur du film à l'étranger'.

Pour s'opposer à cette demande, la société Films Distribution a soulevé la nullité du contrat pour dol. Elle soutient en effet avoir conclu le contrat sur la base du budget prévisionnel du film qui y était annoncé, soit 4,3 millions d'euros, et que la société Cinéma Dépendant a omis de l'informer du budget réel du film qui était très en deçà des engagements contractuels que cette dernière avait pris à son égard, alors que le budget annoncé du film était déterminant de son engagement.

Cependant, celui qui se prévaut d'un dol doit rapporter la preuve que l'autre partie a procédé à des manoeuvres dolosives destinées à le tromper et que ces manoeuvres ont déterminé son consentement, ce que ne fait pas la société Films Distribution.

La société Cinéma Dépendant démontre que M. [L] [X], représentant de la société Films Distribution, a été informé quelques mois avant la signature du contrat que le coût réel du film serait inférieur au budget officiel. En effet un e-mail du 28 novembre 2007 lui indique : '...budget est à 2,3 en réalité et à 4,6 officiel...'.

En outre, le contrat ne mentionnait qu'un budget prévisionnel et si le montant du budget du film était, comme le soutient la société Films Distribution, déterminant de son consentement, celle-ci n'aurait pas manqué d'exiger que le budget définitif lui soit communiqué avant la conclusion du contrat. Or, la société Films Distribution n'a jamais sollicité de précisions concernant ce budget définitif et a attendu son assignation devant le tribunal de commerce pour contester la réalité du budget du film.

La société Films Distribution ne peut sérieusement soutenir qu'elle a accepté le film uniquement en raison de son budget. Manifestement, d'autres éléments plus importants sont intervenus dans son choix :

-scénario du film

-notoriété de [A] [W] (succès critique et commercial de son dernier film 'Mondovino' qui avait généré 900.000 € de recettes à l'international lors de ses six premiers mois d'exploitation en 2004)

-notoriété des acteurs ([N] [G], [V] [J], [O] [E] et [Z]).

Par ailleurs, le minimum garanti ne dépend pas seulement du budget du film mais également de la commission octroyée la société Films Distribution et de la notoriété de l'un des acteurs 'engagé dans le film pour jouer le rôle de [C]'.

En effet, le contrat prévoyait que la société Cinéma Dépendant avait le choix entre quatre minima garantis :

'MG égal à 50.000 € payable à la signature du présent deal memo.

Commission : 20 % dont 5 % différés après que les recettes brutes HT soient égales à 1.500.000 € HT.

MG de 150.000 €, dont 50.000 € sera payable à la signature du présent deal memo, 70.000 € à l'acceptation du matériel principal et 30.000 € à l'acceptation du reste du matériel tel que défini ci-après.

Commission : 22,5 % dont 2,5 % différés après la récupération des frais et du MG.

MG égal à 300.000 €, dont 50.000 € sera payable à la signature du présent deal memo, 190.000 € à l'acceptation du matériel principal et 60.000 € à l'acceptation du reste du matériel tel que défini ci-après.

Commission : 25 % dont 2,5 % différés après la récupération du MG et 2,5 % différés après que les recettes brutes HT aient atteint 1.500.000 € HT.

MG égal à 500.000 €, dont 50.000 € sera payable à la signature du présent deal memo, 350.000 € à l'acceptation du matériel principal et 100.000 € à l'acceptation du reste du matériel tel que défini ci-après. Ce MG ne sera versé que dans le cas où l'un des acteurs visés à la liste ci-après (ou tout autre acteur décidé d'un commun accord) est engagé dans le film pour le rôle de [C] et dans la mesure où celui est au moins équivalent au rôle tel que décrit dans le scénario en date du 9 novembre 2007. Cette option pourra être levée par le producteur dès notification par le producteur du choix de [C] et au plus tard le 30 juillet 2008.

[P] [M]

[U] [R]

[D] [S]

[F] [T]

Commission : idem qu'au paragraphe ci-avant.'

La lecture de la clause susvisée fait bien apparaître que l'augmentation du minimum garanti versé par la société Films Distribution entraînait l'augmentation de la commission perçue par elle et que d'autres critères entraient également en ligne de compte.

Il n'est donc démontré ni mensonge, ni manoeuvres dolosives de la société Cinéma Dépendant concernant le budget du film, de nature à tromper la société Films Distribution et à déterminer son consentement.

Le budget du film n'était qu'un élément parmi d'autres pris en considération pour la signature du 'deal memo', de sorte que la discussion entre les parties relative à l'évaluation du budget réel est sans incidence sur la solution du litige.

D'ailleurs, il n'est pas question d'un tel problème dans les messages et courriers échangés entre les parties dont il résulte au contraire une volonté unilatérale de la société Films Distribution de mettre fin au contrat pour des motifs étrangers au montant du budget.

Ainsi l'e-mail de M. [X], représentant la société Films Distribution, du 25 novembre 2009 indique : 'J'ai appelé [A] [W] [le réalisateur] hier soir. La conversation fût douloureuse mais au moins les choses sont aujourd'hui claires. Nous sommes arrivés au triste constat que nous ne pouvions plus travailler ensemble sur Rio Sex Comedy. FD n'est donc plus aujourd'hui le vendeur du film à l'étranger.'

En réponse, M. [Y], gérant de la société Cinéma Dépendant, dans un message électronique du 26 novembre 2009, relève : '[A] [[W]], lui, m'informe qu'il n'a jamais accepté une telle résiliation et qu'il a au contraire tenté de te convaincre de poursuivre la collaboration. Je déplore quant à moi que Films Distribution souhaite se désengager de la vente du film, pour des raisons que je continue à trouver assez obscures. Ceci posé, je prends acte de ton souhait (dont je te rappelle qu'il est à ce jour unilatéral)...Cinéma Dépendant doit donc trouver non seulement un vendeur international aussi performant que FD (tâche ardue, j'en conviens) mais encore un partenaire qui s'engage sur un investissement au moins égal au MG [minimum garanti] prévu par notre contrat du 23 avril 2008, sachant qu'une partie significative de cette somme a déjà été escomptée, comme d'usage, auprès des établissements de crédit. Dans l'hypothèse malheureuse où je ne pourrais pas retrouver un exportateur capable d'investir ce même montant, tu comprendras que Cinéma Dépendant ne pourrait accepter de délier purement et simplement Films Distribution de ses engagements.'

Par e-mail et lettre recommandée avec accusé de réception du 12 mars 2010, M. [Y], gérant de la société Cinéma Dépendant, relance M. [X], représentant la société Films Distribution, dans les termes suivants : 'Je t'informe que le montage de 'Rio Sex Comedy' est terminé et que le film sera prêt à être livré courant avril 2010....Nous pouvons organiser une projection le jour qui te conviendra. Je te propose donc à nouveau de voir le film, que tu as systématiquement refusé de visionner depuis le 8 octobre 2009....J'ai bien conscience que tu as émis le souhait de mettre fin au contrat de ventes mondiales avec Cinéma Dépendant. Mais, comme je te l'ai déjà indiqué, Films Distribution est lié par ce contrat et les reproches que tu as formulés à l'égard de [A] ne sauraient aucunement justifier une résiliation judiciaire...'

Par e-mail et lettre recommandée avec accusé de réception du 29 mars 2010, M [X] a répondu : 'Je te rappelle que j'ai expressément demandé à l'époque à [A] [[W]] de ne pas montrer son film au sélectionneur du festival de [Localité 5] considérant que les conditions techniques de présentation du film n'étaient pas remplies, que cette démarche pourrait être dommageable à la commercialisation du film sur l'un des territoires majeurs (l'Allemagne) et que la présentation à des festivals de cette envergure faisait partie intégrante de la stratégie de mise en marché du film dont nous avions la charge exclusive en notre qualité de mandataire...Saches que, ainsi que nous l'avons maintes fois exprimé, le fait que nous ne soyons plus les exportateurs du film n'a rien à voir avec sa qualité artistique (comme tu l'as justement rappelé nous n'avons jamais vu le film) et que nous ne souhaitons pas nous réinvestir sur ce film.'

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Films Distribution doit être déboutée de sa demande de nullité du contrat 'deal memo' pour dol.

A titre subsidiaire, la société Films Distribution sollicite la résiliation du 'deal memo' aux torts exclusifs de la société Cinéma Dépendant pour manquements contractuels.

Elle fait état de la disparition inexpliquée du coproducteur, de l'inexactitude du budget, de la mise en place de conditions de visionnage en totale inadéquation avec le budget annoncé et son investissement, de l'atteinte au droit essentiel du distributeur de déterminer, dans le cadre du mandat lui étant confié, les conditions de divulgation de l'oeuvre et du non respect de la date de livraison du film et du matériel associé.

Il a déjà été exposé ci-dessus que la société Films Distribution avait accepté la résiliation en date du 14 mai 2008 du contrat de coproduction entre les sociétés Cinéma Dépendant et Berfilms dès le 27 mai 2008 et que l'intimée ne s'était jamais plainte de l'inexactitude du budget dont elle avait été informée préalablement à la signature de 'deal memo'.

S'agissant du visionnage du film, M. [X], après avoir accepté une invitation à le découvrir le 8 octobre 2009, a refusé de le voir, estimant que les conditions proposées, soit un moniteur et non une salle de projection, n'étaient pas admissibles pour un long métrage international à ce niveau de budget.

Pourtant, Mme [I] [K], chef-monteuse, dans une attestation du 20 juillet 2010, affirme que, pour 'un film encore à un stade de travail et non encore étalonné, cet écran représentait le meilleur support possible' et que 'sa projection sur un écran plus large aurait fortement augmenté les défauts d'une image haute définition non rectifiée'. Elle ajoute : 'nous avions réglé cet écran de montage avec soin et ces conditions de visionnage me paraissaient non seulement tout à fait professionnelles mais encore nettement supérieures à celles que nous avions expérimentées récemment dans une salle de projection à la société Digimage.'

Il n'apparaît donc pas que ces conditions de visionnage du film puissent constituer un manquement contractuel, d'autant que rien n'est prévu dans le contrat à ce propos.

S'agissant de l'atteinte au droit du distributeur de déterminer les conditions de divulgation de l'oeuvre, la société Films Distribution fait allusion à la présentation amicale par M. [W], le réalisateur, en octobre 2009, d'un montage non définitif du film au directeur du festival de [Localité 5], estimant que la société Cinéma Dépendant aurait ainsi empiété sur une de ses prérogatives majeures, celle de définir et assurer la stratégie marketing du film.

Cependant, le 'deal memo' ne stipule nullement que la société Films Distribution serait en charge de la stratégie festivalière du film de sorte qu'elle est mal fondée à se prévaloir d'un manquement de la société Cinéma Dépendant à une obligation contractuelle.

La société Films Distribution soutient enfin que la société Cinéma Dépendant n'aurait pas respecté la date de livraison convenue du film et du matériel associé, soit le mois d'août 2009.

Le contrat fait état, dans la rubrique 'caractéristiques du film' d'une date de livraison permettant une présentation du film au festival de [Localité 11] 2009.

Il apparaît cependant qu'il ne s'agissait pas d'un délai impératif et le fait que M. [X] ait accepté de procéder au visionnage du film le 8 octobre 2009 démontre qu'il avait admis que la date convenue, au demeurant très approximative, devait être repoussée.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les manquements contractuels de la société Cinéma Dépendant ne sont pas établis et que, dans ces conditions, la résiliation du contrat est intervenue de manière unilatérale et fautive à l'initiative de la société Films Distribution, vraisemblablement car elle voulait se désengager de la distribution d'un film d'auteur dans le contexte de la crise économique que connaît le secteur du cinéma depuis 2009.

En conséquence, la société Films Distribution doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes. Elle doit par contre réparer le préjudice qu'elle a causé à la société Cinéma Dépendant.

En exécution du 'deal memo', la société Films Distribution s'était engagée à verser à la société Cinéma Dépendant un minimum garanti de 300.000 € sur lequel elle n'a versé que la somme de 50.000 €.

Cependant, la société Cinéma Dépendant ne peut soutenir que le film aurait de ce fait été privé d'une source de financement importante, mettant son économie en péril alors que le solde du minimum garanti, qui n'est qu'une avance sur recettes, ne devait être versé qu'à raison de 190.000 € à l'acceptation du matériel principal et 60.000 € à l'acceptation du reste du matériel, soit après la réalisation du film.

Dès lors que la société Cinéma Dépendant ne s'inscrit pas dans une demande d'exécution forcée, avec pour corollaire que le distributeur conserverait les droits résultant du 'deal memo', il s'agit d'une demande de dommages et intérêts qui ne peuvent être équivalents, et encore moins supérieurs, au montant du minimum garanti.

En outre, la société Cinéma Dépendant a pu conclure un nouveau contrat de vente mondiale avec la société e-One le 17 septembre 2010, de sorte qu'elle ne peut soutenir que le refus par la société Films Distribution de commercialiser le film a porté atteinte à l'image de celui-ci. D'ailleurs le film a pu être présenté au festival de Toronto 2010, qui est l'un des plus importants au monde avec [Localité 5], [Localité 6] et [Localité 11].

Par contre, il est indéniable que la société Cinéma Dépendant ayant escompté la somme de 250.000 €, correspondant au minimum garanti, auprès de la société Cofiloisirs, elle est redevable envers cette dernière d'intérêts financiers sur cette somme jusqu'à son remboursement. Le montant des commissions d'engagement et des intérêts financiers, qui s'élevait à plus de 11.000 € au 30 avril 2011, doit être pris en compte dans l'appréciation du préjudice financier de la société Cinéma Dépendant.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il convient d'allouer à la société Cinéma Dépendant la somme de 50.000 € à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice financier toutes causes confondues.

La société Cinéma Dépendant, qui ne démontre pas l'existence d'une atteinte à sa réputation ou à son image, doit être déboutée de sa demande en réparation d'un préjudice moral qui n'existe pas.

L'équité commande d'allouer à la société Cinéma Dépendant une indemnité de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Et, adoptant ceux non contraires des Premiers Juges,

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

DECLARE recevables les demandes de la société Cinéma Dépendant,

DIT que la résiliation unilatérale du contrat du 23 avril 2008 à l'initiative de la société Films Distribution est fautive,

En conséquence,

CONDAMNE la société Films Distribution à payer à la société Cinéma Dépendant la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier toutes causes confondues,

DEBOUTE les parties de leur plus amples demandes,

CONDAMNE la société Films Distribution à payer à la société Cinéma Dépendant la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Films Distribution aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Le GreffierLa Présidente

E. DAMAREYC. PERRIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 12/16300
Date de la décision : 10/01/2013

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°12/16300 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-01-10;12.16300 ?
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