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20/12/2012 | FRANCE | N°12/04608

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 20 décembre 2012, 12/04608


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 20 DECEMBRE 2012



(n° 764, 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/04608



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 02 Mars 2012 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 212013636





APPELANTE



SARL TOUR MAG COM

agissant poursuites et diligences de son Gérant y domicilié en cette qu

alité

[Adresse 11]

[Adresse 10]

[Localité 1]



Représentée par la SCP GALLAND - VIGNES (Me Philippe GALLAND avocat au barreau de PARIS, toque : L0010)

Assistée de Me Patricia FAURE (av...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 20 DECEMBRE 2012

(n° 764, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/04608

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 02 Mars 2012 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 212013636

APPELANTE

SARL TOUR MAG COM

agissant poursuites et diligences de son Gérant y domicilié en cette qualité

[Adresse 11]

[Adresse 10]

[Localité 1]

Représentée par la SCP GALLAND - VIGNES (Me Philippe GALLAND avocat au barreau de PARIS, toque : L0010)

Assistée de Me Patricia FAURE (avocat au barreau de Marseille)

INTIMEE

SAS TUI FRANCE

agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT (Me Didier BOLLING avocat au barreau de PARIS, toque : P0480)

Assistée de Me Valérie MUNOZ-PONS et Me Marc PICHON de BURY (avocats au barreau de PARIS, toque : P0438)

PARTIE INTERVENANTE :

Syndicat DE LA PRESSE INDEPENDANTE D'INFORMATION EN LIGNE, Intervenant volontaire

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par la SCP GALLAND - VIGNES (Me Philippe GALLAND avocat au barreau de PARIS, toque : L0010)

Assistée de Me Basile ADER de la ASS ADER, JOLIBOIS (avocat au barreau de PARIS, toque : T11)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Novembre 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Evelyne LOUYS, Présidente de chambre

Madame Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère

Madame Nathalie PIGNON, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Sonia DAIRAIN

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Evelyne LOUYS, président et par Mme Sonia DAIRAIN, greffier.

Le 9 février 2012, le site internet tourmag.com, dont l'éditeur est la société Tour Mag Com, a publié un article en ligne intitulé «'Tui France': le PSE n'épargnera aucun service du Groupe''. même pas le chauffeur'», accessible via l'adresse http//www.tourmag.com/Tui-France-le-PSE-n-epargnera-aucun-service-du-groupe-meme-pas-le-chauffeur--49813.html, qui détaillait service par service les postes présentés comme devant être supprimés lors de la mise en 'uvre du plan de sauvegarde de l'emploi au sein de la société Tui France tout en précisant que ces informations émanaient d'un document de travail confidentiel.

Se plaignant de ce que cet article lui causait un grave préjudice en diffusant à un large public comprenant ses concurrents, ses partenaires commerciaux et ses clients, des informations détaillées et confidentielles ce d'autant plus que cette diffusion intervenait dans le contexte délicat de l'annonce d'un plan de sauvegarde de l'emploi, la société Tui France a assigné la société Tour Mag Com devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris qui, par ordonnance rendue le 2 mars 2012':

-s'est déclaré compétente,

-a ordonné à la société Tour Mag Com de retirer du site internet www.tourmag.com dont elle est éditeur l'article intitulé «'Tui France': le PSE n'épargnera aucun service du Groupe''. même pas le chauffeur'» sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance,

-dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de la SAS Tui France en paiement de la somme de 15 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts,

-débouté la société Tour Mag Com à payer à la société Tui France la somme de

3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La société Tour Mag Com a relevé appel de cette décision.

Par conclusions récapitulatives signifiées le 22 octobre 2012 auxquelles il convient de se reporter, elle demande à la cour de':

A titre principal, de déclarer incompétent le président du tribunal de commerce au profit du président du tribunal de grande instance de Paris,

Subsidiairement,

- infirmer l'ordonnance entreprise,

- débouter la société Tui France de toutes ses demandes,

- condamner la société Tui France à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance outre 10 000 euros en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées le 7 novembre 2012 auxquelles il convient de se reporter, la société Tui France demande à la cour de':

- confirmer l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur sa demande de provision';

- l'infirmer de ce chef et statuant à nouveau,

- dire que la diffusion via l'article précité d'informations strictement confidentielles lui a causé préjudice,

- condamner la société Tour Mag Com à lui payer la somme provisionnelle de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- débouter la société Tour Mag Com de toutes ses demandes,

- la condamner au paiement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées le 12 juin 2012, auxquelles il convient de se reporter, le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne demande à la cour de le recevoir en son intervention volontaire, d'infirmer la décision entreprise, de débouter la société Tui France de l'intégralité de ses demandes comme irrecevables et mal fondées, de la condamner à lui verser une indemnité de procédure de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

SUR CE, LA COUR,

Considérant qu'il convient de déclarer recevable l'intervention volontaire du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne dont l'intérêt direct à voir statuer sur la demande n'est pas discutée';

Sur la compétence

Considérant que la société Tour Mag Com soulève in limine litis l'incompétence du Président du tribunal de commerce au profit du président du tribunal de grande instance au motif que la réparation des dommages causés par voie de presse ne peuvent être poursuivis et réparés sur le fondement de l'article 1382 du code de procédure civile'; que seule la loi de 1881 est applicable, que la faute civile soit ou non constitutive d'un délit de presse ;

Considérant que la société Tui France conclut au rejet de l'exception d'incompétence soulevée par l'appelante au motif que son action fondée sur l'article 1382 oppose deux sociétés commerciales'; que la loi du 29 juillet 1881 n'est pas applicable aux faits d'espèce'; que si la cour de cassation est venue rattacher aux délits dits de presse, les atteintes aux droits moraux des personnes résultant des abus de la liberté d'expression, la présente affaire ne relève d'aucun délit prévu par la loi du 28 juillet 1881, ni d'un abus de la liberté d'expression mettant en cause les intérêts moraux d'une personne de sorte que l'article 1382 du code civil est applicable et en l'espèce, le président du tribunal de commerce';

Considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a retenu que le présent litige ne relève pas des règles impératives de compétence matérielle posées par la loi du 29 juillet 1881 et qu'opposant deux sociétés commerciales, il entre dans le champ de compétence des juridictions commerciales'; que ce sont les éléments constitutifs des délits spéciaux qui conditionnent l'intervention du régime de ladite loi de sorte que ce n'est que lorsque le délit de presse est constitué que l'article 1382 cesse de fonder une action en responsabilité civile du fait de la liberté';

Qu'il est constant qu'au profit de la loi du 29 juillet 1881 et de ses procédures spécifiques ont été rattachées les atteintes aux intérêts moraux des personnes mais que tel n'est pas le cas en l'espèce s'agissant de la divulgation d'une information secrète portant atteinte à des intérêts économiques ;

Considérant que l'ordonnance entreprise sera donc confirmée de ce chef';

Sur le trouble manifestement illicite

Considérant que la société Tour Mag Com et le Syndicat de la presse d'information indépendante en ligne invoquent l'absence de trouble manifestement illicite en soutenant que le juge des référés ne pouvait ordonner la suppression d'un article de presse'; qu'ils se réfèrent à l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales particulièrement à l'alinéa 2 de ce texte'et soutiennent que la liberté d'expression ne peut être restreinte que par la loi'; que l'information confidentielle est une information protégée par un texte'pénal ; qu'en l'espèce, la note confidentielle n'est pas produite'et le fait qu'il s'agisse d'un document interne remise au comité central d'entreprise n'en fait pas pour autant un document confidentiel, les membres d'un comité d'entreprise n'étant tenu qu'à que l'obligation de discrétion en vertu de l'article 2325-5 du code du travail';

La société Tour Mag Com fait encore valoir que l'adjectif «'nécessaire'» dans l'article 10 de la CEDH qui dispose «' l'exercice des ces libertés'.. peut être soumis à certaines formalités''. restrictions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique'» implique l'existence d'un besoin social impérieux'; que la liberté d'investigation est la principe et non l'exception'et que les arrêts cités par la société Tui France ne concernent pas une entreprise de presse'; qu'elle conteste la condamnation visant le retrait de l'article sous astreinte en l'absence de trouble manifestement illicite mais aussi de dommage imminent sachant que l'ordonnance a été rendue 20 jours après la publication de l'article ';

Considérant que la société Tui France réplique que la diffusion fautive d'un document confidentiel constitue un trouble manifestement illicite'; que la diffusion de l'article litigieux contrevient au dispositions de l'article 1 de la loi LCEN du 21 juin 2004 énonçant que l'exercice de la liberté de communication peut être limité dans la mesure requise pour la protection de la liberté et de la propriété d'autrui'; que le document dont la teneur a été divulguée n'était pas un simple document de travail mais une note d'information documentée, qui n'avait pas vocation à être diffusée, présentant le détail de l'organisation de la société direction par direction, mentionnant les postes de travail devant être supprimés rendant ainsi les salariés concernés aisément identifiables';

Qu'en réponse au moyen tiré de la violation de l'article 10 de la CEDH, elle indique qu'il est erroné de prétendre que seule la publication d'informations protégées par un texte pénal justifierait que soient prises des mesures limitant la liberté d'expression'et que la cour de cassation sanctionne la publication d'informations confidentielles internes aux entreprises';

Considérant qu'il résulte de l'article 10 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, selon le premier de ces textes, que des restrictions peuvent être prévues par la loi lorsqu'elles sont nécessaires à la protection des droits d'autrui notamment pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles, de telles restrictions devant être proportionnées au but légitime poursuivi et selon le second, que l'exercice de la liberté de communication électronique peut être limitée dans la mesure requise notamment pour la protection de la liberté et de la propriété d'autrui';

Considérant que selon l'article 873 du code de procédure civile, «'le président peut'' même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite'»';

Considérant que le document reproduit sur le site internet de la société Tour Mag Com est un document issu de la note d'information relative au projet de réorganisation des activités de la société Tui France et ses conséquences sociales remise aux membres du comité central d'entreprise tenus selon les dispositions de l'article L 2325-5 du code du travail à une obligation de discrétion à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel ; que le caractère confidentiel de ce document ne peut être discuté puisque la fin de l'article mentionne «'Ces chiffres sont extraits d'un document de travail confidentiel partiel d'une quarantaine de pages que Tour Mag Com a pu se procurer'»'et qu'à l'évidence, cette note d'information interne détaillant l'organisation de la société Tui France et les postes de travail devant être supprimés n'avait pas vocation à être publiée';

Considérant que si un organe de presse a le droit de communiquer librement des informations au public sur un site internet ainsi que le font valoir à juste titre la société Tour Mag Com et le Syndicat de la Presse indépendante d'information en ligne, il apparaît, sans méconnaître les dispositions de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que cette liberté peut être limitée dans la mesure de ce qui est nécessaire pour éviter que la divulgation d'informations confidentielles porte atteinte aux droits des tiers';

Considérant que la diffusion de l'article litigieux sur un site internet ouvert à la consultation de tout tiers intéressé et tout particulièrement des salariés de la société Tui France, était à l'évidence fautive'et de nature à créer un grave préjudice aux intérêts de la société';

Considérant que c'est donc à bon droit que le premier juge a retenu l'existence d'un trouble manifestement illicite auquel il convenait de mettre un terme par une mesure appropriée'; que sa décision tendant à retirer du site internet en cause l'article litigieux doit être confirmée, peu importe que celui-ci était publié depuis 20 jours à la date de l'ordonnance déférée';

Sur la demande de provision

Considérant que sur le fondement de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, la société Tui France sollicite l'allocation d'une somme provisionnelle de 15 000 euros à valoir sur le préjudice qu'elle a subi du fait de la communication au public d'informations confidentielles en fournissant à ses concurrents, à ses clients et salariés des données sensibles';

Considérant qu'au soutien de cette demande, la société Tui France en page 18 de ses conclusions indique «'les concurrents ont pu par exemple tirer profit de l'information'..'» et encore que «'la publicité négative fournie aux clients a pu avoir pour conséquence de conduire ces derniers à se diriger contre des concurrents'.'»'; que s'agissant des salariés qu'elle a dû mettre en place une cellule psychologique'sans le démontrer';

Considérant dès lors, que le préjudice invoqué par la société Tui France n'apparaît pas établi avec l'évidence requise en référé de sorte qu'il convient de dire n'y avoir lieu à référé sur ce chef de demande';

Considérant qu'il s'ensuit que l'ordonnance déférée sera intégralement confirmée';

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE recevable l'intervention volontaire du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne.

CONFIRME l'ordonnance entreprise.

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Tour Mag Com à verser à la société Tui France la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

REJETTE la demande de ce chef de la société Tour Mag Com et du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne.

CONDAMNE la société Tour Mag Com aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER,

LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 12/04608
Date de la décision : 20/12/2012

Références :

Cour d'appel de Paris A2, arrêt n°12/04608 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-12-20;12.04608 ?
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