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20/12/2012 | FRANCE | N°10/11211

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 20 décembre 2012, 10/11211


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 20 Décembre 2012

(n° 4 , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/11211



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Avril 2010 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY - Section commerce - RG n° 09/00621





APPELANTS

Monsieur [J] [I]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Isabelle ALGARRON, avocat au barreau

de PARIS, toque : C0300



POLE EMPLOI [Localité 6] ( intervenant volontaire )

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Catherine ROIG, avocat au barreau de SEINE-SAINT...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 20 Décembre 2012

(n° 4 , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/11211

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Avril 2010 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY - Section commerce - RG n° 09/00621

APPELANTS

Monsieur [J] [I]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Isabelle ALGARRON, avocat au barreau de PARIS, toque : C0300

POLE EMPLOI [Localité 6] ( intervenant volontaire )

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Catherine ROIG, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 105

INTIMÉE

SA 'M.A.J. BLANCHISSERIES DE [Localité 9]' (ELIS)

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Pauline BLANDIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0586

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 octobre 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne MÉNARD, Conseillère , chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Renaud BLANQUART, Président

Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Madame Anne MÉNARD, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Monsieur Renaud BLANQUART, Président et par M. Franck TASSET, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [I] a été engagé par la société MAJ BLANCHISSERIE DE [Localité 9] par contrat à durée déterminée en date du 21 mai 2002, puis suivant lettre d'embauche en date du 29 Août 2002, en qualité de chauffeur livreur. Son travail consistait, en dernier lieu, à faire la tournée de différents sites, notamment des hôpitaux, afin de livrer le linge propre et de récupérer le linge sale dans de chariots préparés à cet effet.

La convention collective était la convention inter-régionale de la blanchisserie, laverie, location de linge, nettoyage à sec, pressing et teinturerie.

Le 5 octobre 2007, Monsieur [I] a été victime d'un accident du travail. Dans le cadre de la visite de pré-reprise et de la visite de reprise, le médecin du travail a été amené à émettre des réserves sur l'aptitude du salarié, en ce qui concerne les efforts physiques violents.

Le contrat de travail s'est poursuivi, et le 30 avril 2008, après avoir sollicité l'avis du médecin du travail, l'employeur a décidé d'affecter Monsieur [I] à un poste de maintenance de chariots, ce que ce dernier a refusé.

Le 22 mai 2008, il lui a été proposé un poste d'agent d'entretien, avec des taches comportant notamment des travaux de peinture et de maintenance. Monsieur [I] a fait connaitre son refus le jour même par écrit. Le médecin du travail l'a déclaré inapte temporairement. La société l'a dispensé d'activité par lettre du 3juin 2008, et ce jusqu'à nouvel ordre.

Il a repris son poste à la fin du mois d'Août 2008, le médecin du travail l'ayant déclaré 'apte chauffeur livreur poids lourds avec une livraison correspondant aux normes AFNOR -articles R 4541-1 à R 4541-9 et attente de vérification des obligations légales pour l'exposition éventuelle aux risques lombalgiques'.

Monsieur [I] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement par lettre du 3 décembre 2008 remise en mains propres. L'entretien s'est déroulé le 16 décembre 2008, et son licenciement a été notifié à Monsieur [I] par lettre du 19 décembre 2008. Il a été dispensé d'exécuter son préavis qui lui a été payé.

L'employeur lui a reproché différentes fautes dans le cadre de l'exécution de la mission qui lui avait été confiée.

Monsieur [I] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Bobigny afin de solliciter à titre principal la nullité de son licenciement, comme motivé par des raisons de santé, et subsidiairement pour en contester la motivation. Il a sollicité en outre le paiement d'un rappel d'heure supplémentaires, d'indemnités au titre du travail de nuit, de frais kilométriques, et de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Par jugement en date du 13 avril 2010, ce Conseil de Prud'hommes a :

- dit que le licenciement de Monsieur [I] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse.

- condamné la société MAJ BLANCHISSERIE DE [Localité 9] à lui verser les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement :

11.536 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- ordonné le remboursement par la société MAJ BLANCHISSERIE DE [Localité 9] à l'organisme concerné des indemnités de chômage versées à Monsieur [I] et ce à hauteur de 1 euro.

- débouté Monsieur [I] du surplus de ses demandes.

- condamné la société MAJ BLANCHISSERIE DE [Localité 9] aux dépens.

Le Conseil de Prud'hommes a rejeté la demande de nullité du licenciement, en relevant que l'employeur avait parfaitement respecté les indications du médecin du travail, auprès duquel il n'avait eu de cesse de prendre conseil pour tenter de rechercher un poste correspondant aux capacités du salarié, poste que ce dernier avait refusé ; qu'en aucun cas les motifs de la lettre de licenciement n'étaient liés à l'état de santé de Monsieur [I], mais qu'il lui etait reproché un refus de respecter les consignes applicables dans les différents établissements hospitaliers.

Le conseil a en revanche jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, en retenant que les attestations produites, rédigées en termes quasiment identiques, ne démontraient pas quelles étaient les procédures applicables, et qu'en outre il était pour le moins surprenant que l'employeur ait initié une procédure de licenciement à l'encontre d'un salarié âgé de 52 ans, sans qu'aucune mise en demeure ou sanction n'ait été prononcée au préalable.

Monsieur [I] a interjeté appel de cette décision le 9 décembre 2010.

Présent et assisté par son conseil, Monsieur [I] a, à l'audience du 23 octobre 2012 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles il demande à la Cour de :

- confirmer la condamnation au paiement de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- infirmer le jugement pour le surplus.

- le dire recevable et bien fondé en son appel,

et,

Sur la rupture du contrat de travail :

- a titre principal, dire et juger que le licenciement est nul, et, en conséquence, ordonner sa réintégration et condamner la société MAJ BLANCHISSERIE DE [Localité 9] à lui payer :

un rappel de salaire mensuel de 1.911,90 euros depuis la fin du contrat de travail et ce jusqu'à la réintégration, outre l'indemnité de congés payés afférente.

une somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts.

- à titre subsidiaire, dire et juger que le licenciement est sans cause réelle ni sérieuse et, en conséquence, condamner la société MAJ BLANCHISSERIE DE [Localité 9] à lui payer une somme de 68.830 euros (36 mois) à titre de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes :

- condamner la société MAJ BLANCHISSERIE DE [Localité 9] à lui payer les sommes suivantes, avec intérêts de droit à compter de la saisine et capitalisation des intérêts :

30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et violation des règles relatives à la sécurité des salariés ainsi qu'à celles relatives au respect des consignes du médecin du travail.

499,32 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires d'octobre à décembre 2008.

50 euros au titre des congés payés y afférents.

9.360 euros à titre de rappel de salaire pour travail de nuit et 936 euros au titre de congés payés y afférents.

subsidiairement, 12.240 euros à titre de dommages et intérêts pour travail de nuit.

10.404 euros au titre du remboursement des frais kilométriques.

3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Réprésentée par son Conseil, la société MAJ BLANCHISSERIE DE [Localité 9] a, à l'audience du développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles elle demande à la Cour de :

- débouter Monsieur [I] de son appel

- la recevoir dans son appel incident

En conséquence, statuant à nouveau,

- infirmer le jugement entrepris en ce que le conseil a dit et jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'a condamnée au paiement de 12.536 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- confirmer le jugement pour le surplus.

- débouter Monsieur [I] du surplus de ses demandes.

- le condamner au paiement de 300 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions visées et soutenues à l'audience du 23 octobre 2012, POLE EMPLOI [Localité 6] demande à la Cour de la recevoir en son intervention volontaire, d'infirmer le jugement entrepris, et de condamner la société MAJ BLANCHISSERIE DE [Localité 9] à lui payer une somme de 6.639,20 euros correspondant aux allocations chômage versées à Monsieur [I] entre le 23 mars 2009 et le 18 septembre 2009.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère aux dernières écritures des parties, visées par le greffier, et réitérées oralement à l'audience.

DISCUSSION

- Sur la demande au titre des heures supplémentaires

Monsieur [I] soutient que d'octobre à décembre 2008, il a effectué des heures supplémentaires qui ne lui ont jamais été payées ; qu'en effet, son contrat de travail prévoyait 160,95 heures par mois, soit 37,14 heures par semaine, soit 7h43 par jour ; qu'il a effectué 21heures50 supplémentaires au mois d'octobre, 17 heures au mois de novembre, et 4 heures au mois de décembre.

L'employeur conteste de son côté que des heures supplémentaires aient été réalisées.

Aux termes de l'article L.3171-4 du Code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

En l'espèce, il convient de relever à titre liminaire qu'une convention de forfait a été mise en place, qui définit les modalités d'aménagement du temps de travail, par le lissage de la durée du travail sur une période mensuelle.

Au soutien de ses demandes, Monsieur [I] verse aux débats la copie de ses disques chronotachygraphes, et un relevé journalier des heures supplémentaires qu'il indique avoir effectuées.

Il convient de relever :

- que le décompte qu'il propose prend en compte un horaire journalier de 7 heures 43, et non un horaire mensuel.

- qu'il ne peut se prévaloir d'un temps de chargement et de déchargement ; qu'en effet, il charge le linge qui lui est remis par les hôpitaux postérieurement à la mise en route de son camion, de sorte que ce temps de chargement, puis de déchargement, est inclus dans l'amplitude telle qu'elle ressort de la lecture des disques.

De son côté, l'employeur, sur la base des mêmes disques, présente un tableau très précis, mentionnant l'heure de début et de fin du travail, le temps de pause déjeuner, le nombre d'heures travaillées chaque jour et pour chaque bloc de quatre semaines. Il ne fait apparaître aucune heure supplémentaire réalisée par Monsieur [I] et non payée. Ce tableau est conforme tout à la fois aux disques produits et aux dispositions applicables.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [I] de ce chef de demande.

- Sur la demande au titre du travail de nuit

Monsieur [I] sollicite le paiement d'une somme de 9.360 euros au titre du travail de nuit exécuté durant toute la durée non prescrite au service de son employeur, soit depuis le mois d'avril 2004.

En ce qui concerne le travail de nuit, la société indique s'être conformée à l'accord d'établissement, en accordant à son salarié un repos annuel complémentaire de deux jours.

Aux termes de l'article 7 de l'accord d'entreprise du 20 janvier 2004, les travailleurs de nuit, effectuant au moins trois heures de leur temps de travail quotidien de nuit, au moins deux fois par semaine, et ceci de manière continue sur toute l'année, bénéficieront d'un repos forfaitaire de deux jours. Ces deux jours devront être pris sur l'année civile.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats qu'au début de l'année 2008, avant son changement de tournée en septembre, Monsieur [I] commençait souvent à travailler à trois heures du matin, ou un peu plus tard. Il effectuait donc régulièrement 3 heures de travail de nuit (entre 3 heures et 6 heures du matin). Il n'est produit aucun justificatif des horaires réalisés avant 2008.

En tout état de cause, la contrepartie de ce travail de nuit, ainsi qu'il résulte des dispositions conventionnelles visées plus haut, est l'attribution de jours de repos complémentaire, dont Monsieur [I] ne conteste pas avoir bénéficié, et non le paiement majoré de ces heures ainsi qu'il est demandé.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [I] de ce chef de demande.

- Sur la demande au titre des frais kilométriques

Monsieur [I] sollicite le paiement de la somme de 10.404 euros au titre des frais kilométriques qu'il a dû exposer depuis six ans pour se rendre à son travail.

Toutefois, il ne vise au soutien de ses demandes aucune disposition légale, conventionnelle ou contractuelle, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de ce chef de demande.

- Sur la demande de nullité du licenciement et la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail

Monsieur [I] fait valoir que son licenciement a manifestement été prononcé en raison du refus de l'employeur de se conformer aux prescriptions du médecin du travail ; qu'après avoir échoué à lui faire signer un avenant entraînant pour lui une baisse de salaire, il a décidé de le licencier ; que contrairement à ce qu'a retenu le Conseil de Prud'hommes, les consignes de la médecine du travail n'ont nullement été respectées, dès lors qu'à la suite de l'avis du 3 mars 2008 le déclarant inapte au port de charges lourdes, aucune modification n'a été apportée à son poste de travail durant deux mois ; qu'à son retour de congés en Août 2008, il a été affecté à la tournée de l'hôpital [11], particulièrement lourde, sans consultation du médecin du travail ; que cette tournée ne lui a été supprimée qu'au mois d'octobre 2008 ; qu'il appartient à l'employeur de rapporter la preuve des modification qu'il aurait apportées à son poste de travail pour se conformer aux prescriptions du médecin du travail.

La société MAJ BLANCHISSERIE DE [Localité 9] de son côté souligne que Monsieur [I] a toujours été déclaré apte à son emploi de chauffeur, sous certaines réserves dont il a été tenu compte ; qu'il est faux d'affirmer que le reclassement qui avait été proposé à un poste de maintenance aurait entraîné pour le salarié une baisse de sa rémunération.

Aux termes de l'article L.1132-1 du Code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1 er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Aux termes de l'article L 1132-4 du même code, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ces dispositions est nul.

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Au soutien de sa demande de nullité du licenciement, Monsieur [I] verse aux débats sept certificats établis dans le cadre de visites médicales auprès de la médecine du travail, qui déclarent, avec quelques nuances, que Monsieur [I] est apte à la conduite, mais inapte au port de charges. Il fait valoir qu'il a refusé les propositions de reclassement dans les services de maintenance qui lui ont été faites, car elles aboutissaient à une baisse de sa rémunération, et qu'il considérait que la société pouvait lui proposer des postes de livreur sans poste de charge lourdes.

Ces éléments peuvent laisser supposer que son licenciement, intervenu peu de temps après sa reprise de travail, a en réalité été prononcé car l'employeur ne parvenait pas à gérer les tournées confiées, compte tenu des avis réservés de la médecine du travail.

Toutefois, pour justifier de ce qu'il a parfaitement accepté de prendre en compte les directives données par la médecine du travail, et par conséquent de ce qu'il n'a pas licencié le salarié en raison de son état de santé, l'employeur verse aux débats un échange de correspondance avec la médecine du travail et le salarié, dont il résulte que :

- le 27 mars, l'employeur a indiqué au médecin du travail qu'il allait prendre en compte l'avis donné pour rechercher un poste dans l'entreprise, mais que dans l'attente, il allait considérablement alléger les tournées.

- le 18 avril suivant, il a demandé à la médecine du travail si un poste de technicien de maintenance en charge notamment de la réparation des chariots pourrait convenir à Monsieur [I], et le 25 avril, il a obtenu une réponse positive.

- le 30 avril, il a proposé donc ce poste à Monsieur [I], étant précisé que le salaire proposé correspondait à celui perçu par le salarié à son ancien poste, avec la perte toutefois des primes de dépannages et des indemnités de repas propres aux chauffeurs livreurs.

- le 8 mai, le salarié a refusé ce poste, et demandé un poste de livreur avec des charges beaucoup moins lourdes.

- le 27 mai, l'employeur a informé le médecin de travail du refus du salarié, et lui a indiqué que Monsieur [I] continuait à affirmer qu'il pouvait prendre une tournée compatible avec son état médical.

- le 29 mai, en réponse à ce courrier, le médecin du travail a confirmé son avis d'inaptitude à la livraison et à la manipulation de chariots, a indiqué que le poste de maintenance proposé lui paraissait adapté, et a indiqué qu'une consultation au service de pathologies professionnelles de l'hôpital [5] allait être organisée, laquelle pourrait peut être déboucher sur un avis d'aptitude différent.

- le 3 juin, l'employeur a adressé à Monsieur [I] un courrier lui indiquant que compte tenu de l'avis d'inaptitude temporaire, et dans l'attente de la consultation à l'hôpital [5] annoncée, il le dispensait de tout travail au sein de l'entreprise, son salaire étant maintenu.

- le 25 août, le médecin du travail a finalement donné un avis d'aptitude au poste de chauffeur livreur PL/US avec livraison correspondant aux normes AFNOR art R 4541-1 à R4541-9. Monsieur [I] a donc à nouveau été affecté à une tournée, laquelle a été modifiée quelques semaines plus tard afin de lui éviter l'hôpital [11] jugé plus difficile d'accès.

Il ressort de ces éléments que loin de négliger la santé de son salarié, l'employeur a tout mis en oeuvre pour respecter les avis médicaux qui étaient donnés. A la date du licenciement, Monsieur [I] avait fait l'objet d'un avis d'aptitude à son poste, de sorte qu'il ne peut être conclu que l'employeur, qui durant des mois s'est efforcé d'adapter son poste, n'avait aucune raison de le licencier précisément lorsqu'enfin il pouvait à nouveau effectuer des livraisons conformément à ses fonctions initiales.

Le jugement du Conseil des Prud'hommes sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [I] de sa demande de nullité du licenciement, et de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail.

- Sur le licenciement

En vertu des dispositions de l'article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; en vertu des dispositions de l'article L 1235-1 du même code, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

En vertu des dispositions de l'article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.

La lettre de licenciement fait état de cinq motifs, qu'il convient d'examiner :

' 1er motif : En tant que chauffeur livreur, vous assurez la livraison des articles aux clients en garantissant leur satisfaction et dans le respect des procédures de livraison propres à chaque client.

Or nous constatons que de manière régulière, lors de la livraison de linge à [8], vous ne respectez pas la procédure qui demande au chauffeur poids lourd de passer par l'extérieur du bâtiment et non dans les allées internes de l'hôpital.

Cette procédure est impérative pour assurer la sécurité des piétons en grand nombre au sein de l'établissement hospitalier.

Vous ne pouvez l'ignorer puisque les assistants logistiques vous ont expliqué ces procédures à de nombreuses reprises.

Or le 2 décembre 2008, vous étiez à nouveau surpris en livraison dans les allées intérieures du bâtiment.

Monsieur [I] conteste ce grief, en faisant valoir que lors de la première tournée, il était prévu qu'il utilise l'entrée principale, et lors de la seconde tournée, il devait longer l'hôpital et appeler la lingère ; que, toutefois, compte tenu de la taille de son véhicule il était souvent gêné par des véhicule en stationnement.

Toutefois, il résulte de l'attestation de Monsieur [K], adjoint au service logistique, qu'il avait bien indiqué à Monsieur [I] qu'il devait systématiquement passer par l'extérieur. Il n'apparaît donc pas que la consigne ait été différente pour la première et la seconde tournée. Monsieur [K] atteste du non respect de cette consigne

Le fait que cette consigne n'était pas respectée est attestée par un mail de Monsieur [T], chef de centre à [Localité 9], qui demande qu'il soit rappelé à [J] de SYSTÉMATIQUEMENT accéder à la lingerie [8] par L'EXTERIEUR.

Ce grief est ainsi établi, et il convient de relever que la consigne qui n'est pas respecté de manière systématique par le salarié est destinée à assurer la sécurité des piétons qui circulent dans l'hôpital.

' 2ème motif : Vous avez, à votre propre initiative, demandé au personnel en charge de la lingerie sur l'hôpital [8] de ne pas trier les sacs verts (ramassage des vêtements de travail) et les sacs gris (ramassage du linge dit plat), cette procédure évitant les mélanges sur le quai de déchargement à l'usine. Vous avez ajouté 'il y a du monde à l'usine pour faire ça'.

En effet, ces mélanges sont à l'origine du décalage de re-livraison des vêtements chez le client et donc entraînent des mécontentements à ce sujet.

Votre responsable vous a rappelé ce point également à de nombreuses reprises. Pourtant, le 2 décembre 2008, le chef d'équipe du contrôle entrée constatait à nouveau que ce tri des sacs n'avait pas été effectué.

Monsieur [I] conteste ce grief, en faisant valoir qu'il ne lui appartenait pas de donner des instructions aux lingères, et qu'en outre, il n'avait aucun intérêt à donne de telles consignes, qui ne modifiaient en rien sa charge de travail.

Toutefois, Madame [W], chef d'équipe au sein de la société MAJ, en charge de la lingerie de [8], atteste : Monsieur [J] [I], le chauffeur qui livrait le linge à l'hôpital [8], nous a demandé vers le mois de novembre 2008 de ne plus trier les sacs de linge vert et gris dans des chariots différents. Il a précisé que cela n'était pas nécessaire vu que des personnes à l'usine étaient payées pour faire ce travail.

On s'est rendu compte plus tard qu'il n'avait jamais reçu cette instruction mais qu'il l'avait décidée tout seul.

Ces éléments sont confirmés par Monsieur [N], adjoint au service logistique, qui précise que le fait de ne pas séparer les sacs lui permettait de gagner du temps sur sa tournée.

Enfin, ce grief est encore justifié par la production d'une fiche d'incident VT PRODUCTION sur laquelle il est indiqué : le chauffeur ne sépare pas le DAV du plat.

' 3ème motif : A plusieurs reprises, à [8], le linge sale n'est pas ramassé au moment voulu. En effet, le 20 novembre, vous ne prenez pas la totalité du sale au premier tour de ramassage (alors que vous disposez de la place disponible dans votre véhicule), en expliquant que vous prendrez ce linge au second tout. Mais au second tour, le camion étant plein, vous laissez chez le client deux chariots de linge sale.

De surcroît ce linge sale non ramassé fait défaut dans notre unité de traitement et désorganise le flux de production.

Des fais similaires se sont reproduits le 21 novembre 2008 : le chef d'équipe de [8] vous demande de prendre la totalité au premier tour, vous refusez et expliquez que le chauffeur qui effectue un ramassage le samedi matin prendra le linge sale restant. Le 22 novembre 2008, le chauffeur du samedi ne peut emmener la totalité du linge sale et laisse 3 des 5 chariots que vous deviez emmener. Le 28 novembre 2008, vous laissez délibérément 10 chariots de linge sale à l'extérieur au premier tour alors que le personnel de la lingerie vous avait préparé ce linge.

Votre comportement ne nous permet pas de respecter les normes d'hygiène et sanitaires applicables à tout hôpital. En effet, nous ne pouvons stocker du linge sale plusieurs jours en lingerie. Ceci compromet notre lien contractuel avec [8], qui représente un chiffre d'affaires pour le site de [Localité 9] de 150.000 euros mensuel et met en cause l'accréditation de l'établissement par la Haute Autorité de Santé.

De plus, les assistantes service client vous ont déposé le 1er décembre 2008 la facture destinée au client [8] ; or vous l'avez laissée dans votre case livreur puisque celle-ci a été retrouvée dans votre case le 2 décembre 2008. Cette attitude retarde l'encaissement de la facture d'autant.

Monsieur [I] conteste ce grief, en faisant valoir que son chariot était suffisamment grand pour ramasser le linge à chaque tournée, et qu'il n'y avait donc aucune raison qu'il en laisse sur place, ce qu'il n'a pas fait.

Ce grief est toutefois justifié par une attestation de Madame [W], chef d'équipe de la lingerie, laquelle est circonstanciée, et relate de manière précise la manière et les dates auxquelles du linge sale a été laissé sur place.

Le fait que Monsieur [I] ne relevait pas le courrier destiné à la société est établi par Madame [L], assistance au service client.

' 4ème motif : De la même manière, vous laissez la lingère de la fondation [11] regrouper les sacs dans les chariots lorsque c'est nécessaire pour éviter de ramener des chariots à moitié vides sur le centre et permettre une optimisation de votre chargement.

Lorsque vous ramenez les 'porte cintres' servant au ramassage des cintres, vous ne les remontez pas au service VT mais les laissez sur le quai.

Ce grief, qui concerne un hôpital distinct des précédents, est établi par une attestation de Madame [Y], qui relate : 'Quand Monsieur [J] [I] passe sur le site où je travaille la fondation [11], j'ai été obligée de compléter seule les chariots à moitié pleins avec les sacs posés sur le sol. Il ne m'aidait jamais à collecter ces chargements. Or cela était primordial afin que l'ensemble du linge soit ramassé'.

Monsieur [I] fait valoir en réponse qu'il n' a jamais eu de problème avec cette lingère, qui remplit elle-même les chariots comme elle le veut, lui demande parfois de ramener des chariots vides qui l'encombrent, ou ne charge les chariots qu'en partie afin d'éviter qu'ils ne soient trop lourd.

En ce qui concerne ce grief, il convient de relever qu'il n'est pas établi qu'il appartienne à Monsieur [I] de compléter le remplissage des chariots afin d'aider la lingère de l'hôpital, de sorte qu'aucune faute ne peut être retenue de ce chef.

' 5ème motif : Le 1er décembre 2008, le directeur hôtelier de l'hôpital américain nous a envoyé une lettre recommandée nous indiquant que vous ne respectiez pas les procédures sécurité incendie du site.

En effet, en livrant le linge, vous maintenez les portes coupe feu avec des brancards de l'hôpital américain et laissez ces dernières ouvertes et maintenues de la sorte. Vous neutralisez ainsi le dispositif anti-incendie.

Vous ne pouvez vous méprendre sur la gravité d'un tel comportement, d'autant que vos responsables et l'équipe de lingerie vous ont rappelé ces procédures de nombreuses fois.

Pour mémoire, ce client représente un chiffre d'affaires de 70.000 euros par mois pour le centre de [Localité 9].

Monsieur [I] conteste ce grief, indique qu'il n'a jamais agi de la sorte, et qu'aucun rappel à l'ordre ne lui a été adressé.

Toutefois, la société MAJ BLANCHISSERIE DE [Localité 9] verse aux débats un courrier du directeur de l'hôpital américain, indiquant qu'à plusieurs reprises les portes coupe-feu sont restées ouvertes après le passage de l'agent de service, ce qui est contraire aux règles de sécurité. Il demande à la société de prendre les mesures nécessaires afin de proscrire définitivement de tels comportements.

Ce comportement est en outre établi par une attestation de Madame [R], chef d'équipe, qui relate : 'J'ai eu l'occasion de constater notamment au cours du mois de novembre 2008 que Monsieur [J] [I] bloquait les portes coupe-feu situées au sein des locaux de l'hôpital américain pour livrer le linge comme celle, par exemple, située près de la lingerie.

En fait, il prenait toujours l'habitude de se servir des brancards de notre client pour que les portes restent ouvertes pendant tout le temps où il passait avec les chariots'.

Monsieur [N] et Monsieur [K] indiquent en outre avoir rappelé au salarié les consignes de sécurité en la matière.

*

Il résulte de ces éléments que les griefs qui fondent le licenciement sont attestés par des attestations rédigées en termes très différents par sept personnes ayant travaillé avec Monsieur [I], ainsi que par un courrier du directeur de l'un des centres hospitalier, et par une fiche d'incident.

Pris dans leur ensemble, les comportements fautifs ainsi établis permettent de constater que Monsieur [I] avait pris l'habitude d'exécuter son travail sans tenir compte des consignes et des procédures mises en place, au risque de mettre en cause la sécurité du site, de mécontenter les clients, ou de rendre plus difficile le travail d'autres salariés.

Le licenciement est donc motivé par une cause réelle et sérieuse, de sorte que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a alloué à Monsieur [I] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur à rembourser dans la limite de un euro les indemnités versées par pôle emploi.

*

L'équité ne commande pas en l'espèce de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur [I] de ses demandes au titre du rappel d'heures supplémentaires, du travail de nuit, des frais kilométriques, de la nullité du licenciement et de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau :

Déboute Monsieur [I] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dit n'y avoir lieu à remboursement par l'employeur des indemnités versées par pôle emploi.

Déboute Monsieur [I] de sa demande d'indemnité de procédure.

Condamne Monsieur [I] aux dépens de première instance.

Ajoutant au jugement :

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Condamne Monsieur [I] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 10/11211
Date de la décision : 20/12/2012

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°10/11211 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-12-20;10.11211 ?
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