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19/12/2012 | FRANCE | N°11/22416

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 19 décembre 2012, 11/22416


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISEaux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 19 DECEMBRE 2012
(no 331, 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/22416
Décision déférée à la Cour : jugement du 5 octobre 2011 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 10/15403

APPELANTE
SCP RICARD DEMEURE ET ASSOCIÉS agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège5 rue du Renard75004 PARIS
représentée et assistée de la SCP BOMMART FORSTER - FROMANTI

N (Me Edmond FROMANTIN) (avocats au barreau de PARIS, toque : J151) et de Me Jean-Pierre CORDELIER d...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISEaux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 19 DECEMBRE 2012
(no 331, 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/22416
Décision déférée à la Cour : jugement du 5 octobre 2011 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 10/15403

APPELANTE
SCP RICARD DEMEURE ET ASSOCIÉS agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège5 rue du Renard75004 PARIS
représentée et assistée de la SCP BOMMART FORSTER - FROMANTIN (Me Edmond FROMANTIN) (avocats au barreau de PARIS, toque : J151) et de Me Jean-Pierre CORDELIER de la SCP CORDELIER-RICHARD-JOURDAN (avocat au barreau de PARIS, toque : P 399)

INTIMEE
SCI 14 RUE DU PARC agissant par ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège96 rue Saint Charles75015 Paris
représentée et assistée de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES (Me Michel GUIZARD) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0020)et de Me Jean-Pierre LEON (avocat au barreau de PARIS, toque : C406)

COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 30 octobre 2012, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur Jacques BICHARD, PrésidentMadame Maguerite-Marie MARION, ConseillerMadame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN

ARRET :
- contradictoire
- rendu publiquement par Monsieur Jacques BICHARD, Président
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jacques BICHARD, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******************
La Sci du 14 rue du Parc, par acte reçu le 31 mai 2006 en l'étude de Maître B..., notaire à Charenton, a acquis des époux D... un terrain à bâtir, situé 14 rue du Parc à Charenton le Pont, en vue d'y réaliser une opération immobilière, ayant préalablement obtenu de la mairie de Charenton le Pont un permis de construire accordé par arrêté du 24 février 2004, puis un permis de construire modificatif délivré par arrêté du 23 mai 2005.
Les deux permis ont été attaqués devant le tribunal administratif de Melun par la Sci Thiebault Charenton, propriétaire d'un terrain voisin, sis 11 rue du Parc, sur lequel elle avait elle-même entrepris la réalisation d'un programme immobilier : une procédure a opposé les deux Sci devant le tribunal de grande instance de Créteil à propos de l'institution d'une servitude de cour commune et du niveau des terrains, avec désignation d'un expert par ordonnance du 23 août 2005 du juge des référés de ce tribunal.
La Sci du 14 rue du Parc a fait appel à la Scp Ricard Demeure et Associés, avocats au barreau de Paris et aux termes d'un protocole transactionnel signé le 16 décembre 2005, les parties sont convenues :-de modifier l'assiette d'une servitude de cour commune préalablement consentie par la Sci Thiebault Charenton aux consorts D... par acte notarié du 25 janvier 1990 pour permettre, si nécessaire, de rehausser le niveau de la dalle de recouvrement des constructions en sous-sol du bâtiment à édifier, -qu'en contrepartie de l'aggravation de la servitude ainsi consentie, la Sci du 14 rue du Parc verserait à la Sci Thiebault Charenton une somme de 150 000 € à titre d'indemnité forfaitaire et transactionnelle, -que la Sci Thiebault Charenton se désisterait purement et simplement des recours engagés par elle devant le tribunal administratif de Melun et renoncerait à tout recours à l'encontre d'un éventuel permis modificatif sous la seule réserve de sa conformité aux dispositions du plan d'occupation des sols en vigueur ou du plan local d'urbanisme comme aux droits civils.
En exécution de ce protocole, la Sci Thiebault Charenton a effectivement déposé le 17 décembre 2005 au greffe du tribunal administratif de Melun un mémoire de désistement de ses deux recours des 24 janvier 2004 et 23 mai 2005.
La Sci du 14 rue du Parc a, sur les conseils de son avocat que des mémoires valaient désistement et que le tribunal n'avait aucun pouvoir de s'y opposer, réglé le 16 décembre 2005 à la Sci Thiebault Charenton l'indemnité transactionnelle de 150 000 € et, sous le bénéfice de la même assurance, commencé les travaux de fondation du bâtiment, les actes authentiques de vente correspondant aux réservations conclues pour la quasi-totalité des appartements étant régularisés.
Or la Sci Thiebault Charenton a déposé le 21 décembre 2006 un mémoire en rétractation de son désistement devant le tribunal administratif de Melun, alléguant que le permis de construire du 24 février 2004 aurait été délivré sur la base d'un avis erroné de l'Inspection Générale des Carrières et le 27 avril 2007, le tribunal administratif de Melun a rendu un jugement annulant le permis de construire, lequel a été infirmé par un arrêt du 22 mai 2008 de la Cour Administrative d'appel de Paris, frappé d'un pourvoi déclaré irrecevable par le Conseil d'Etat le 17 décembre 2008.
Du fait de cette procédure, la Sci du 14 rue du Parc a été contrainte d'interrompre les travaux en décembre 2006, de déposer le 31 mai 2007 une nouvelle demande de permis de construire, modifié pour tenir compte de l'évolution de la réglementation et des modifications du Plan local d'urbanisme, permis qu'elle a obtenu le 24 juillet 2007, avec reprise de la construction en septembre 2007 après 9 mois d'interruption.
C'est dans ces conditions que la Sci du 14 rue du Parc, considérant que la Scp Ricard Demeure et Associés, son avocat lors de la régularisation du protocole d'accord du 16 décembre 2005 avait manqué à son devoir de conseil et engagé sa responsabilité civile professionnelle, l'a assigné devant le tribunal de grande instance de Paris faisant valoir un préjudice tenant pour elle :-d'une part aux conséquences de l'interruption de chantier et à la nécessaire modification de son projet, pour un coût total de 781 616 €,-d'autre part à la perte de l'indemnité transactionnelle de 150 000 € versée inutilement à la Sci Thiebault Charenton,ajoutant que sa créance de restitution et d'indemnisation à l'encontre de cette dernière se trouve définitivement compromise du fait que le seul bien dont la Sci Thiebault Charenton était propriétaire dans l'immeuble du 11 bis rue Thiebault à Charenton le Pont a été vendu à la barre du Tribunal de grande instance de Créteil par jugement du 14 mai 2009 et son prix entièrement absorbé par Mme E..., créancier hypothécaire de premier rang.
La Sci du 14 rue du Parc a reproché trois fautes à la Scp d'avocats l'ayant assistée :-avoir mal conseillé la cliente lorsqu'a été établi et signé le protocole transactionnel, -avoir négligé de s'assurer de l'effectivité du désistement de la Sci Thiebault Charenton, -ne pas avoir conseillé à la cliente de solliciter un permis de construire modificatif lorsqu'a été connue la rétractation de la société Thiebault Charenton.
Par jugement en date du 5 octobre 2011, le tribunal a :-condamné la Scp Ricard Demeure et Associés à payer à la Sci 14 rue du Parc la somme de 150 000 €,-débouté la Sci 14 rue du Parc du surplus de ses demandes, -condamné la Scp Ricard Demeure et Associés aux dépens ainsi qu'à payer à la Sci 14 rue du Parc la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
CELA ETANT EXPOSE, la COUR :
Vu l'appel interjeté le 15 décembre 2011 par la Scp Ricard Demeure et Associés,
Vu les conclusions déposées le 5 octobre 2012 par l'appelante qui demande de :-confirmer le jugement déféré en ce qu'il écarte la responsabilité de l'avocat dans le choix opérationnel entre un nouveau permis de construire ou un permis modificatif et déboute la Sci du 14 rue du Parc de sa demande en paiement de la somme de 781 616 €, -en conséquence, débouter la Sci intimée de son appel incident, -infirmer le jugement déféré pour le surplus, sous les constats :* de la signature par la société Thiebault Charenton d'un protocole transactionnel signé le 16 décembre 2005, de "même effet juridique qu'une décision judiciaire passée en force de chose jugée" qu'elle s'engageait à exécuter de bonne foi en s'interdisant de remettre en cause l'une quelconque de ses stipulations pour quelques raisons que ce soit, * du contexte de la signature de cet accord, soit une opération immobilière conçue et conduite par la Sci du 14 rue du Parc, sans le concours de l'avocat, placée sous le régime des dispositions de l'article 1601-3 du code civil, les recours formés contre les permis de construire compromettant les ventes en l'état futur d'achèvement, * de la remise en cause par la société Thiebault Charenton un an plus tard de ses engagements, pour s'être rétractée des désistements des requêtes dont elle avait saisi le tribunal administratif de Melun, pour finalement échouer dans le procès qu'elle a fait à la Sci du 14 rue du Parc devant le juge administratif, auquel a mis fin l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 décembre 2008 déclarant non admis le pourvoi formé contre l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 22 mai 2008 rejetant les requêtes de la société Thiebault Charenton, * du fait que l'avocat poursuivi, corédacteur dudit accord transactionnel, ne pouvait prévoir, à la date de signature de cet accord et de son exécution, le 18 décembre 2005, que la société Thiebault Charenton reviendrait sur ses engagements assortis des effets prévus à l'article 2052 du code civil et ses désistements enregistrés par le greffe du tribunal administratif de Melun le 17 décembre 2005, -dire que l'avocat n'a pas commis de faute, qu'il ne pouvait être condamné à payer la somme de 150 000 € reçue par la société Thiebault Charenton de la Sci du 14 rue du Parc, alors que cette somme n'était pas sans lien avec une convention de servitude de cour commune à laquelle la société d'avocats est étrangère, * au constat que la Sci du 14 rue du Parc a obtenu que la société Thiebault Charenton, avec laquelle elle avait noué des relations en dehors de la société d'avocats, soit condamnée à lui payer la somme de 54 418 € par un jugement du 15 mai 2012 du tribunal de grande instance de Créteil, dont la Sci du 14 rue du Parc dit avoir relevé appel et que le reversement de la somme de 150 000 €, si elle a été indûment perçue par la société Thiebault Charenton, poursuivie devant la cour par une procédure distincte, incombe exclusivement à cette dernière qui a reçu à tort cette somme, *au constat que l'avocat est étranger au choix du site et aux difficultés nées des rapports de voisinage, à l'origine des déboires dont se plaint le promoteur qui doit assumer seul les risques de l'opération immobilière conçue et conduite sans le concours de la société d'avocats, -débouter la Sci du Parc de toutes ses prétentions, -la condamner, à toutes fins, au remboursement de la somme de 150 000 € majorée des intérêts du jour de son paiement, -la condamner à payer à la Sci Ricard Demeure et Associés la somme de 15000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à payer les dépens de première instance et d'appel,
Vu les conclusions déposées le 11 septembre 2012 par la Sci du 14 rue du Parc, intimée, qui, formant appel incident, demande de :-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la Scp Ricard Demeure et Associés à lui payer la somme de 150 000 €, -infirmer le jugement pour le surplus, statuant à nouveau, -dire que les fautes commises par l'avocat tant lors de la rédaction que de l'exécution du protocole d'accord transactionnel du 16 décembre 2005 ont été déterminantes dans la décision de la concluante d'entreprendre son opération de construction et donc dans les conséquences préjudiciables résultant de son interruption du fait de l'annulation ultérieure de ses permis de construire, -dire qu'en ne s'assurant pas de l'impossibilité pour la société Thiebault Charenton de revenir sur son désistement et de l'effectivité de celui-ci, la Scp Ricard Demeure et Associés a contribué de façon déterminante à la réalisation de ce préjudice qui, sans cela, "n'aurait pas été exposée", en conséquence, au visa des articles 1134, 1147 et suivants du code civil, -condamner la Scp Ricard Demeure et Associés à payer à la Sci du 14 rue du Parc la somme complémentaire de 781 616 € en indemnisation du préjudice résultant de l'annulation de ses permis de construire par jugement du tribunal administratif de Melun du 12 avril 2007, - la condamner au paiement d'une somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les dépens d'appel.
SUR CE :
Considérant que le protocole transactionnel signé le 16 décembre 2005, après un article 1er intitulé " Engagement de M. et Mme D... et de la Sci Thiebault Charenton", relatif à la servitude de cour commune, était ainsi rédigé en son article 2, intitulé " engagement de la Sci du 14 rue du Parc" :" En contrepartie de la diminution consentie par la Sci Thiebault Charenton aux termes de l'article 1er du présent protocole des droits qu'elle tirait de la convention de servitude de cour commune, la Sci du 14 rue du Parc s'engage à lui verser la somme de 150 000 € à titre d'indemnité forfaitaire et transactionnelle, par remise à Maître Julien F..., lors de la signature du présent protocole, d'un chèque de banque libellé à l'ordre de la Sci Thiebault Charenton, dont il ne pourra se dessaisir que sur justification de l'effectivité des désistements visés à l'article 3." et en son article 3, intitulé " engagement de la Sci Thiebault Charenton": " En contrepartie du parfait respect des engagements visés à l'article 2, la Sci Thiebault Charenton s'oblige, outre l'engagement par elle souscrit à l'article 1er du présent protocole, à se désister purement et simplement des recours No 0402423-4 et 0504395-4 formés devant le Tribunal Administratif de Melun à l'encontre de l'arrêté No 94 018 03 N 1017 du 24 février 2004 et de l'arrêté No 94 018 03 N 1017 du 23 mai 2005. La Sci Thiebault Charenton s'engage, par ailleurs, à justifier immédiatement auprès de la Sci du 14 rue du Parc de l'enregistrement au greffe du Tribunal Administratif de Melun des deux actes de désistement dans les instances relatives aux permis initial et modificatif sous les Nos 0402423-4 et 0504395-4. Elle renonce enfin, à la demande d'expertise introduite devant le tribunal de grande instance de Créteil ayant donné lieu à l'ordonnance de référé du 23 août 2005 désignant M. Raymond G..., comme à exercer tout recours à l'encontre d'un éventuel permis modificatif du permis initial No 94 018 03 N 1017, ...".;
Considérant que la Sci du 14 rue du Parc, appelante incidente, qui reprend devant la cour, le manquement de son avocat à son devoir de conseil dans la rédaction du protocole, soutient à cet égard que la Scp appelante essaie de se soustraire à sa responsabilité et aux conséquences qui en résultent en mettant en avant, inexactement, le texte même du protocole qui présente la diminution consentie par la Sci Thiebault Charenton à la servitude de cour commune dont elle bénéficiait comme la contrepartie au versement de la somme de 150 000 € à titre d'indemnité forfaitaire et transactionnelle alors que l'avocat savait pertinemment que la véritable contrepartie de ce versement était le retrait du recours exercé par la Sci Thiebault Charenton contre les permis de construire par elle obtenus, lesquels faisaient obstacle à la réalisation de son opération, la compétence du cabinet Ricard Demeure étant notoire en matière de permis de construire ;
Qu'elle fait valoir que la cause déterminante, sinon exclusive, de l'accord et du versement de l'indemnité était le désistement par la Sci Thiebault Charenton des recours par elle engagés contre les permis de construire, ce que la rédaction de l'article 2 du protocole confirme pleinement en prévoyant que le conseil de la Sci Thiebault Charenton ne pourrait se dessaisir de la somme de 150 000 € qui devait lui être remise à la signature du protocole " ...que sur justification de l'effectivité des désistements visés à l'article 3" , c'est à dire que le fait déclencheur de la remise de l'indemnité n'était pas la signature d'un acte modificatif de la servitude de cour commune ;
Qu'elle en déduit que la rédaction même du protocole n'était pas si satisfaisante que le jugement déféré l'a considéré puisqu'elle n'a pas permis d'empêcher la Sci Thiebault Charenton de revenir sur ses désistements et que cette dernière a pu obtenir, même provisoirement, l'annulation des permis de construire qui lui avaient été délivrés, qu'au contraire elle considère que la rédaction du protocole était défectueuse, que la Sci Thiebault Charenton a utilisé cette faille, que le jugement n'a pas répondu à son argumentation selon laquelle le protocole ne contenait aucun engagement de la Sci Thiebault Charenton de ne pas revenir sur ses désistements, et d'une façon générale aucun désistement d'action, de telle sorte que son projet et les éventuels recours contre ses permis de construire étaient laissés au bon vouloir de la Sci Thiebault Charenton ;
Qu'elle considère que ce manquement grave au devoir de conseil, au stade de la rédaction, est à l'origine du préjudice résultant du revirement ultérieur de ladite Sci ;
Considérant que l'appelante fait valoir qu'elle a été chargée de trouver une solution à une situation conflictuelle compromettant la construction de l'immeuble destiné à la vente en état futur d'achèvement, qu'elle était certes tenue, en sa qualité de co-rédacteur du protocole transactionnel a une obligation d'efficacité mais qu'elle a satisfait à son obligation ; qu'elle était totalement étrangère tant aux difficultés antérieures ayant opposé les deux voisins, la Sci du 14 rue du parc venant aux droits des époux D... et la Sci Thiebault Charenton, qu'à l'opération de construction et à la délivrance des deux permis des 24 février 2004 et 23 mai 2005 et qu'il lui fallait mettre un terme au plus tôt au conflit et aux contentieux nés de ce conflit, de nature à compromettre la construction de l'immeuble destiné à la vente en état futur d'achèvement, donc prendre en compte un critère d'urgence que la Sci du 14 rue du Parc ne saurait contester ; que le promoteur n'avait que le choix entre attendre l'issue des procédures administratives, avec le risque de perdre plusieurs années, ce qui n'était pas possible puisque les appartements étaient déjà vendus et les délais de livraison fixés, soit de déposer immédiatement une nouvelle demande de permis de construire pour redémarrer son chantier en limitant son préjudice, ce qu'il a décidé de faire en l'absence d'autre choix possible ; qu'ainsi l'avocat ne pouvait faire mieux pour dégager sa cliente, professionnel de l'immobilier, des contraintes pesant sur elle ;
Considérant, sur ce premier grief, que les premiers juges l'ont exactement écarté par des motifs pertinents que la cour fait siens, retenant que si l'avocat, est tenu de s'assurer que se trouvaient réunies au regard de toutes les parties à l'acte les conditions nécessaires à l'efficacité juridique de la convention et de les éclairer sur la portée exacte et les conséquences de leur engagement, assistant sa cliente la Sci du 14 rue du Parc, il n'a pas manqué en l'espèce à ses obligations dès lors que le protocole était rédigé en des termes suffisamment précis ; que surtout, l'articulation entre les articles 2 et 3 protégeait les intérêts de la Sci du 14 rue du Parc ; que comme le fait valoir exactement l'avocat, le versement de la somme de 150 000 € s'explique par l'aménagement d'une convention de servitude de cour commune, qui avait été signée entre les deux voisins le 25 janvier 1990, le montant fixé étant la réduction des droits que la Sci Thiebault Charenton tenait de ladite convention ; qu'en outre, il était prévu que cette dernière s'engageait à se désister de ses recours et à renoncer à une expertise en cours ; qu'ainsi, lors de la signature du protocole, du fait du double désaccord entre les parties, l'un lié à la cour commune et l'autre aux recours exercés contre les permis de construire, il s'agissait de mettre fin à tous litiges, ce que les termes clairs du protocole confirment ; que dans la procédure devant le tribunal de grande instance de Créteil, opposant la Sci du 14 rue du Parc à la Sci Thiebault Charenton, le jugement du 15 mai 2012, analysant le protocole transactionnel signé le 16 décembre 2005, retient que le versement de la somme de 150 000 € avait une double contrepartie :* la diminution des droits résultant de la convention de servitude de cour commune, * les désistements de la société Thiebault Charenton de ses recours contre les permis de construire, ce qui confirme qu'il ne saurait être reproché à l'appelante un manquement à son devoir de conseil qui serait seulement lié à la décision qui a été prise ou l'attitude qui a été ultérieurement adoptée par l'une des parties signataire, ce en dehors de l'application des termes du protocole ; que la Sci du 14 rue du Parc n'est pas fondée en un tel grief, que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a écarté tout manquement de l'avocat à ses obligations dans la rédaction du texte du protocole ;
Considérant que s'agissant de l'exécution du protocole, la Scp Ricard Demeure et Associés conteste l'analyse retenue par les premiers juges en ce qu'ils lui ont imputé à faute de ne pas s'être assurée de l'effectivité des désistements de la Sci Thiebault Charenton, ce qui a permis le versement de la somme de 150 000 € le lendemain du dépôt des mémoires en désistement au greffe sans attendre la décision du tribunal administratif de Melun, consisterait-elle en un simple donné acte ; que l'appelante appuie son argumentation sur la spécificité de la procédure, dans laquelle le juge administratif est saisi d'un recours pour excès de pouvoir, ce qui entraîne que le désistement est tenu pour effectif à la date du dépôt du mémoire du requérant informant le juge de sa décision de se désister, sans qu'il n'y ait lieu à acceptation du désistement puisque ce dernier ne peut être refusé par le juge ; que de plus dans le cas particulier, un tel jugement n'a pas été rendu pour des raisons dont elle ne s'estime pas responsable puisque, selon elle, n'était pas prévisible, lorsque les parties se sont rapprochées, un tel dysfonctionnement de l'institution juridictionnelle ; qu'était poursuivie l'annulation de deux arrêtés du maire de Charenton le Pont, que dans cette procédure la partie requérante est libre de retirer, à tout moment, son recours, par un désistement dont il est simplement donné acte par le Tribunal, jugement habituellement rendu dans les semaines qui suivent le dépôt du mémoire de désistement de la partie poursuivante ; que certes, le tribunal demeure saisi tant qu'il n'a pas été donné acte par un jugement ou une simple ordonnance présidentielle mais qu'en l'espèce, les rédacteurs de l'acte signé le 16 décembre 2005 ne pouvaient imaginer qu'une telle décision ne serait jamais rendue, ce qui a donné l'opportunité à la partie requérante de revenir, un an plus tard, par un mémoire en rétractation, sur son désistement ; que l'avocat ne pouvait soupçonner la situation catastrophique de cette juridiction, en sous effectif, révélée par la lettre de l'Inspection des Juridictions administratives du 16 août 2010 ; que dans l'intervalle, il avait demandé avec insistance mais en vain que soit rendu le jugement attendu, par une lettre du 5 juillet 2006 ;
Considérant que l'appelante soutient en conséquence qu'ayant justifié des actes de désistements enregistrés au greffe du tribunal administratif de Melun le 17 décembre 2005, la Sci Thiebault Charenton était en droit d'exiger le versement de la somme de 150 000 € ; qu'elle ne pouvait prévoir le retour en arrière de cette dernière ; qu'elle n'a pas commis de faute ;
Considérant que par des motifs pertinents que la cour approuve les premiers juges, se reportant à l'article 2 du protocole, lequel mentionne expressément que le chèque de 150 000 € déposé entre les mains de Maître F... ne pourra être transmis à la Sci Thiebault Charenton que sur justification de l'effectivité des désistements devant le tribunal administratif, ont constaté que la Scp Ricard Demeure et Associés a donné l'accord de versement le lendemain du dépôt des mémoires en désistement au greffe du tribunal administratif de Melun, sans attendre la décision dudit tribunal, s'agissant même d'un simple donné acte ; qu'en effet, il résulte des pièces produites que dans un courrier du 15 décembre 2005, la Sci du 14 rue du Parc écrit à son avocat auquel elle adresse le chèque de 150 000 € à l'ordre de la Sci Thiebault Charenton :"Nous avons bien noté que ... ce chèque sera remis à votre confrère, Maître F... contre remise par celui ci de deux exemplaires du protocole régularisés par la Sci Thiebault Charenton.Maître F... le conservera par devers lui jusqu'à votre confirmation écrite de la réception des désistements définitifs tant auprès du Tribunal de Melun que du tribunal civil de Créteil ..." ; que le 17 décembre, la Sci Thiebault Charenton dépose au greffe du Tribunal administratif de Melun un mémoire de désistement de ses deux recours des 24 janvier 2004 et 23 mai 2005 ; que le 20 décembre 2005, l'avocat écrit au client :"Je vous prie de trouver ci-joint :-les deux protocoles originaux signés par la Sci Thiebault ainsi que la télécopie justifiant de l'enregistrement du désistement contre les deux permis au Tribunal administratif de Melun, -le courrier adressé par Maître F... à l'expert et le retour portant le visa de l'expert du 16 décembre 2005.J'ai donc autorisé, ce jour, Maître F... à se dessaisir du chèque." ;
Considérant que ce faisant l'avocat a méconnu la nécessité pour lui, l'instance administrative ne pouvant se terminer que par un jugement ou une ordonnance du président, d'attendre cette décision, seule susceptible de rendre effectif le désistement et d'empêcher toute rétractation ultérieure ; que cette erreur par lui commise est entièrement distincte de la situation très encombrée, constatée en 2010, mais sans doute déjà existante en 2005 et 2006, du tribunal administratif de Melun lequel a tardé à rendre sa décision mais dont les premiers juges ont pertinemment rappelé qu'elle était sans influence sur l'existence préalable de la faute de l'avocat ; que ce dernier ne devait pas donner l'autorisation de remettre le chèque au seul vu d'un enregistrement des désistements, ce qui aurait rendu impossible, dans les mêmes conditions, le revirement de la Sci Thiebault Charenton et que l'avocat ne saurait invoquer qu'il s'est heurté à une situation imprévisible alors qu'il lui appartenait et qu'il avait les moyens de faire en sorte qu'elle ne puisse se produire au détriment de son client ;
Considérant en conséquence que le jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté la faute commise dans ces circonstances par l'avocat et le lien de causalité directe avec le préjudice actuel certain subi par la Sci du 14 rue du Parc, qui s'élève au montant de la somme versée de 150 000 € ;
Considérant que sur le dernier reproche invoqué par la Sci du 14 rue du Parc à l'encontre de son avocat, consistant dans une absence de conseil donné de solliciter un permis de construire modificatif au lieu d'un nouveau permis de construire lorsque la Sci Thiebault Charenton s'est rétractée, que c'est encore pertinemment que le jugement déféré l'a écarté dès lors qu'il n'était pas établi que l'avocat ait été missionné ou consulté par la Sci du 14 rue du Parc sur cette question pour laquelle, ce qui ressort de la relation des faits figurant dans ses propres écritures, le promoteur, assisté de son architecte, a pris seul sa décision ;
Considérant, sur le surplus de préjudice invoqué par l'intimée, dans le cadre de son appel incident, que la Sci du 14 rue du Parc entend voir également indemniser le retard de chantier et les frais supplémentaires ; qu'elle soutient qu'ils sont aussi la conséquence des fautes professionnelles de la Scp Ricard Demeure et Associés et conteste l'analyse des premiers juges qui ont considéré que ces préjudices n'étaient pas en relation de causalité avec une faute de l'avocat, lequel " ne pouvait pas prévoir que le Tribunal Administratif de Melun ne tiendrait pas compte du protocole transactionnel et rendrait une décision erronée" ; qu'elle fait valoir que le jugement a méconnu les incidences réelles de la faute initiale de la Scp Ricard Demeure et Associés, puisque le tribunal avait l'obligation de statuer en présence d'une rétractation du désistement d'instance mais sans pouvoir se faire juge du bien fondé de cette rétractation au regard des dispositions d'un protocole d'accord qui ne lui était pas opposable ; qu'utilement conseillée, elle aurait évité le retard de chantier et les frais supplémentaires ;
Considérant que par des motifs pertinents que la cour approuve, le jugement a rejeté cette demande dès lors qu'il ne s'agit pas d'un préjudice en relation directe de causalité avec la faute de l'avocat, lequel ne pouvait prévoir ni quelle serait l'attitude des parties au regard de leurs engagements et de leur bonne foi ni quelle décision judiciaire serait rendue ; qu'il y a lieu de rappeler à cet égard que le jugement du Tribunal administratif de Melun du 12 avril 2007 faisant droit à la nouvelle requête de la Sci Thiebault Charenton sera par la suite annulé par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 22 mai 2008 ; qu'il a été ci-dessus observé que le choix du promoteur d'arrêter le chantier et de solliciter un nouveau permis de construire, a été pris sans aucune participation de l'avocat ;
Considérant en conséquence que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions ;
Considérant que l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'intimée dans les termes du dispositif ci-après ; que l'appelante qui succombe en ses prétentions conservera la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la Scp Ricard Demeure et Associés à payer à la Sci du 14 rue du Parc la somme de 4000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la Scp Ricard Demeure et Associés à payer les dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 11/22416
Date de la décision : 19/12/2012
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2012-12-19;11.22416 ?
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