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15/11/2012 | FRANCE | N°10/18375

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 15 novembre 2012, 10/18375


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5



ARRÊT DU 15 NOVEMBRE 2012



(n° , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 10/18375



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2010 -Tribunal de Commerce de NANCY - RG n° 09007782





APPELANTES



SAS FRANCAISE D'EDITION DE JOURNAUX ET D'IMPRIMES COMMERCIAUX D'ALSACE agissant poursuites et diligences de son r

eprésentant légal

Ayant son siège

[Adresse 1]

[Localité 2]





SARL L'ALSACE PUBLICITE agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant

Ayant son siège

[...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRÊT DU 15 NOVEMBRE 2012

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/18375

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2010 -Tribunal de Commerce de NANCY - RG n° 09007782

APPELANTES

SAS FRANCAISE D'EDITION DE JOURNAUX ET D'IMPRIMES COMMERCIAUX D'ALSACE agissant poursuites et diligences de son représentant légal

Ayant son siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

SARL L'ALSACE PUBLICITE agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant

Ayant son siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentées par Me Jean-Jacques FANET, avocat au barreau de PARIS, toque : D0675

Assistées de Me Jérôme SOLAL, avocat au barreau de PARIS, toque : R 171

INTIMÉE

SARL AVISCOM prise en la personne de son gérant

Ayant son siège social

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 2]

Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

Assistée de Me Solange RECK, avocat au barreau de MULHOUSE, plaidant pour la SCP RECK BRUN

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 septembre 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Colette PERRIN, Présidente chargée d'instruire l'affaire

Madame Patricia POMONTI, Conseillère

Madame Valérie MICHEL- AMSELLEM, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Colette PERRIN, Présidente et par Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY, Greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

La société Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux d'Alsace édite un quotidien régional «l'Alsace » qui est principalement diffusé dans le département du Haut Rhin et dans une moindre mesure dans ceux du Bas Rhin et du Doubs.

La société l'Alsace Publicité, sa filiale, est la régie publicitaire du journal en charge de la collecte des publicités commerciales et des petites annonces.

Ce journal comporte une rubrique dénommée «carnet du Jour» faisant apparaître notamment les avis de décès des personnes originaires de la région et qui lui sont transmises soit par les familles, soit par les entreprises de pompes funèbres, soit par des organismes ou institutions au sein desquelles le défunt exerçait une activité.

La SARL Aviscom, créée en 2006, exploite un site internet sous le nom « www.avis-de-deces.net » qui a pour objet la publication sur internet d'annonces d'un registre des décès et qui permet notamment l'envoi de condoléances.

Cette prestation est proposée par l'intermédiaire des entreprises de pompes funèbres qui font insérer dans les avis publiés dans la presse papier une ligne libellée « condoléances et témoignages sur www.avis-de-deces.net ».

Cette ligne a été insérée par le journal l'Alsace dans les avis de décès de juin 2007

à février 2009, date à partir de laquelle le journal a modifié sa position et a refusé cette insertion.

Par courrier du 14 mars 2009, la société Aviscom a mis en demeure le journal l'Alsace de rétablir la ligne « condoléances et témoignages sur www.avis-de-deces.net » dans ses parutions nécrologiques ce qu'elle n'a pas obtenu.

Le 25 mars 2009, la société Aviscom a sollicité l'insertion d'un bandeau publicitaire dans la revue nécrologique du journal ce qui lui a également été refusé.

Par acte du 17 juin 2009, la société Aviscom a attrait la société éditrice du journal et sa régie publicitaire devant le tribunal de commerce de Nancy pour pratiques anticoncurrentielles constitutives d'entente illicite, d'abus de position dominante et de refus de vente;

Par jugement du 19 octobre 2009, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de Commerce de Nancy a constaté l'abus de position dominante des SAS Société Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l' Alsace et la SARL Alsace publicité ' AHP, leur a enjointes solidairement, sous astreinte de 1000 € par refus d'insérer, de procéder à la demande des familles, respectivement par le truchement des entreprises de Pompes Funèbres, à l'insertion dans les annonces de décès paraissant dans le journal L'Alsace de la ligne mentionnant le registre de condoléances en ligne sur « www.avisdedeces.net », a débouté la SARL Aviscom en sa demande d'insertion d'un avis publicitaire mentionnant le registre de condoléances en ligne, en sa demande de dommages et intérêts et en sa demande de publication du dispositif du présent jugement dans le Carnet du Jour du journal L' Alsace, et a condamné solidairement les SAS Société Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l' Alsace et SARL Alsace publicité ' AHP à payer à la SARL Aviscom la somme de 3.000€ au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Vu l'appel interjeté le 9 septembre 2010 par les SAS Société Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l' Alsace et SARL Alsace publicité.

Vu les dernières conclusions signifiées le 2 mars 2011 par lesquels les SAS Société Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l' Alsace et SARL Alsace publicité demandent à la Cour:

- de recevoir les Société l' Alsace et l'Alsace Publicité en leur appel;

- d'y faire droit et infirmer partiellement le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nancy le 6 juillet 2010;

- de débouter la Société Aviscom de l'ensemble des ses demandes, fins et prétentions;

- de la condamner à payer à chacune des Société l'Alsace et l'Alsace publicité la somme de 4.000 € en application de l'article 700 du code de Procédure Civile;

- de la condamner aux dépens d'appel et dire qu'ils seront recouvrés en application de l'article 669 du Code de Procédure Civile par la SCP Fanet ' Serra.

D'une part, les SAS Société Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l' Alsace et SARL Alsace publicité soutiennent que les Société Aviscom et l'Alsace n'opèrent pas sur le même marché, en raison tout d'abord de la différence de support matériel et donc de la différence de diffusion des annonces, puis du fait que l'activité de L'Alsace ne se limite pas au « Carnet du jour », et enfin de l'écart de prix entre les deux services .

D'autre part, elles prétendent qu'aucune faute ne peut être imputée à L'Alsace, le Tribunal ayant procédé par affirmation, sans démontrer l'effet néfaste sur le jeu de la concurrence des pratiques contestées,.

Vu les dernières conclusions signifiées le 6 juin 2011 par lesquels la Société Aviscom demande à la Cour:

- de confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Nancy en date du 6 juillet 2010 en tant:

-qu'il a constaté l'abus de position dominante de l'Alsace, et de l'AHP qu'il les a enjoint, sous astreinte de 1.000€ par refus d'insérer, de procéder à la demande des familles, respectivement par le truchement des entreprises de Pompes Funèbres, à l'insertion dans les annonces de décès paraissant dans le journal l'Alsace, de la ligne mentionnant le registre de condoléances en ligne sur www.avis-de-deces.net

- d'infirmer ledit jugement pour le surplus;

et statuant a nouveau

-condamner solidairement les SAS Société Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l' Alsace et SARL Alsace publicité à payer a la SARL Aviscom une somme de 15.000€ au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi.

- réserver la réparation de tout préjudice matériel.

-condamner solidairement les SAS Société Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l' Alsace et SARL Alsace publicité à accepter l'insertion dans la page Carnet de son journal d'un bandeau publicitaire « ils nous ont quittés, le saviez-vous ' www.avis-de-deces.net » ou de toute autre insertion publicitaire similaire.

- condamner solidairement les SAS Société Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l' Alsace et SARL Alsace publicité a payer une somme de 5.000€ au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de la SP Bernabe-Chardin-Cheviller, dans les conditions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

- ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans la page « Carnet du Jour » du Journal l'Alsace, sur un quart de page, en faisant état qu'il s'est rendu coupable des pratiques anticoncurrentielles d'entente, d'abus de position dominante et de refus de vente au détriment de la société Aviscom exploitante du site Internet www.avis-de-deces.net .

La Société Aviscom soutient l'existence d'un abus de position dominante, considérant qu'elle-même et la société l'Alsace opèrent sur le même marché pertinent, celui des annonces nécrologiques, et que les refus d'insertion de la ligne litigieuse, et d'insertion d'un encart publicitaire constituent des pratiques anticoncurrentielles. Elle ajoute que ces pratiques, en concertation avec d'autres journaux révèlent également une entente illicite.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile

MOTIFS

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :

Considérant que les sociétés Française d'Edition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et l'Alsace Publicité ont demandé la révocation de l'ordonnance de clôture au motif qu'elles auraient eu tardivement des informations concernant la composition du tribunal qui a rendu le jugement déféré;

Que pour autant, elles n'apportent aucun élément justifiant de ces prétendues informations, ni de leur gravité au regard du jugement rendu qui justifieraient la révocation de l'ordonnance de clôture .

Sur l'abus de position dominante allégué :

Considérant que la société Aviscom soutient que son action s'inscrit dans le strict exercice de la liberté du commerce et de l'industrie qui constitue un principe qui ne saurait être moins protégé que le principe de la liberté de la presse.

Qu'elle fait valoir que le journal l'Alsace a développé une version en ligne de son quotidien renvoyant à un site «libra memoria » avec l'intégralité des annonces décès paraissant dans la version papier du journal, site que le journal Le Progrès appartenant comme le Journal l'Alsace au groupe Ebra, a présenté comme une alternative au site «www.avis-de -deces.net» ;

Considérant que la société Aviscom soutient que les deux sociétés interviennent sur le même marché pertinent et que les pratiques des sociétés Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et l'Alsace Publicité (AHP) ont révélé un abus de position dominante ;

Que la société Aviscom en déduit que le refus qui lui a été opposé procède d'une volonté délibérée d'empêcher l'émergence et le développement d'une concurrence, dans la mesure où l'insertion de sa ligne n'a pas posé de problème pendant deux ans, et qu'il caractérise un abus de position dominante et une entente illicite auxquels ne saurait être opposé le principe de la liberté de la presse;

Considérant que la société L'Alsace soutient que la preuve n'est pas rapportée par la société Aviscom d'une pratique ayant un effet restrictif sur le marché spécifique sur lequel celle-ci intervient ;

Que celle-ci conteste intervenir sur le même marché que la société Aviscom, ou sur des marchés qui seraient complémentaires;

Sur la détermination du marché en cause :

Considérant que la position dominante d'une entreprise ne peut s'apprécier que par rapport à un certain marché dit marché pertinent ou marché en cause que le Conseil de la Concurrence définit comme « le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leur caractéristique, de leur prix ou de l'usage auquel ils sont destinés »;

Que le Conseil de la Concurrence considère « comme substituables et comme se trouvant sur ce même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les consommateurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande »;

Considérant que la société Aviscom indique que la base de son site est constitué par des annonces nécrologiques et non par des condoléances en ligne ; qu'elle décrit son site comme constitué d'une carte géographique permettant d'un clic de retrouver les défunts d'un département et que cette liste comporte deux types de décès, ceux non consultables et ceux pour lesquels les entreprises de pompes funèbres ont payé l'annonce nécrologique en ligne et qui sont ouverts pour recevoir un message de condoléances, indiquant que ses ressources résultent de la vente aux entreprises de Pompes funèbres de packs comportant les prestations proposées par la société Aviscom ;

Considérant que la société Aviscom indique sur son site que son répertoire provient essentiellement des entreprises de pompes funèbres, admettant ainsi que sa source d'origine n'est pas celle des familles et que ses listes ne correspondent pas à des annonces émanant de celles-ci, contrairement à ce qui est le cas des annonces dans la presse, qui, elle, est destinataire des seuls avis à publier à la demande des familles;

Que pour être complet tant au plan régional que national, le répertoire de la société Aviscom a nécessairement pour origine une source disposant de l'ensemble des données, indépendamment des demandes des familles; que c'est le cas des entreprises de pompes funèbres qui, d'une part, ont le monopole des chambres funéraires, d'autre part, se sont vu confier par la société Aviscom la commercialisation de son «pack» comportant diverses prestations dont la possibilité pour les familles de recevoir des messages de condoléances; que, de plus, seules les entreprises de pompes funèbres ont accès au site créé par la société Aviscom dans sa phase initiale de réalisation de son répertoire, les internautes n'ayant accès à ce répertoire que pour le consulter et non pour annoncer même en payant un décès ; que dès lors la source du journal est extrêmement restreinte étant à la fois régionale et limitée aux familles passant une annonce par rapport à celle de la société Aviscom;

Que ce répertoire, dont la société Aviscom affirme qu'il constitue son activité principale, est en conséquence une base de données qui ne résulte nullement d'une intervention des familles et qui n'est pas consultable ni par les familles concernées, ni par les tiers dans la mesure où s'opère un tri entre des annonces consultables et les autres, celles consultables correspondant à la liste restreinte de défunts pour lesquels les entreprises de pompes funèbres ont vendu le pack créé par la société Aviscom et qui est alors activé pour donner la possibilité aux internautes de laisser un message de condoléances ;

Qu'en effet, à partir du répertoire de la société Aviscom, il est seulement possible, de retrouver de façon immédiate la mention d'un décès, celui-ci étant tenu de façon chronologique, puis de déposer en ligne des messages de condoléances ou des témoignages à l'occasion des seuls décès concernés par l'achat du «pack» auprès de l'entreprise de pompes funèbres ; qu'en conséquence, en ce qui concerne les annonces nécrologiques, la société Aviscom se comporte comme un moteur de recherches sur internet sans limite géographique, à la différence du quotidien qui n'a vocation qu'à relater la survenue d'un décès et la cérémonie organisée pour les funérailles à des lecteurs locaux susceptibles d'y participer alors que le site mis à disposition par la société Avviscom s'adresse à des internautes sans limites géographiques et leur propose de manifester leurs condoléances à distance;

Considérant que le quotidien, lui, n'a pas vocation, à recenser tous les décès survenus , fût-ce sur son secteur de diffusion, mais à publier un nombre restreint d'annonces c'est à dire les seules dont il est saisi par les familles ou leur représentant; que les informations figurant sur le site créé par la société Aviscom, constitutives d'un répertoire des décès, ne sauraient être comparées avec les annonces de décès publiées par le journal l'Alsace qui identifient les personnes physiques, auteurs de la publication, qui précisent la date et le lieu du décès, le déroulement des obsèques et le lieu de repos du corps alors que l'examen des listes répertoriées par la société Aviscom comportent les seules mentions du nom, de l'âge du défunt et de la date de son décès et l'absence de toute indication des noms de la famille ou des proches;

Que si l'intégralité des avis de décès du journal se retrouvent dans son édition en ligne sous l'ongle «avis de décès» renvoyant au site «libra memoria» de sorte que son audience géographique n'est plus limitée à ses départements de diffusion, il n'en demeure pas moins que le quotidien garde sa spécificité qui est de publier une annonce émanant de la famille du défunt destinée à toucher des lecteurs locaux ;

Que les prestations respectives sont proposées à des prix totalement distincts, la société Aviscom reconnaissant que le rapport de prix est de 1/40 ;

Que les deux prestations ne répondent donc pas à la même finalité, l'annonce presse étant éphémère puisque marquée par sa quotidienneté, avec des annonces nouvelles au jour le jour et destinée à annoncer localement le décès et les obsèques, l'annonce internet proposée par la société Aviscom étant pérenne, destinée à permettre l'expression de condoléances dans la durée et à les conserver ;

Qu'ainsi les deux publications, l'une par voie de presse écrite sous forme papier, l'autre par voie internet donc sur deux supports distincts se distinguent aussi par leurs caractéristiques respectives, le site internet créé par la société Aviscom ayant pour objet de répertorier des décès, de permettre une recherche et d'ouvrir un site dédié à certains et l'annonce presse celui d'informer d'un événement qui est survenu dans un temps récent et d'annoncer les obsèques ; que la publication du quotidien sur un site internet ne modifie en rien cette différence ;

Considérant en conséquence les deux prestations proposées ne sont pas substituables;

Considérant que la société Aviscom soutient que si le marché des annonces nécrologiques par voie de presse écrite et celui par voie internet sont distincts , ils sont néanmoins complémentaires;

Considérant que si la société Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace, la société l'Alsace Publicité (AHP) et la société Aviscom interviennent sur le marché des annonces nécrologiques, la société Aviscom offre une prestation ayant pour objet de proposer des messages de condoléances à la suite du décès, de les enregistrer sur un site dédié au défunt, consultable par tout un chacun ;

Que dès lors, si les deux prestations n'ont pas la même finalité, elles s'articulent néanmoins autour d'un même événement à savoir la survenue d'un décès dont elles entendent l'une et l'autre, à la demande des familles, informer leur lecteur respectif, l'une sur l'organisation des funérailles , l'autre sur des prestations liées au décès notamment l'envoi de messages de condoléances ; que les familles peuvent souhaiter bénéficier des prestations complémentaires offertes par le service des annonces nécrologiques mis en ligne et offrant notamment la possibilité de recevoir des condoléances en ligne et ce dès la survenance du décès ;

Que d'ailleurs, l'intérêt pour des annonces nécrologiques version papier et pour celles en ligne est avéré dans la mesure où, désormais, la plupart des journaux de la presse quotidienne régionale publient également leurs avis de décès version papier sur internet ; qu'ainsi le journal l'Alsace renvoie au site «libra memora» qui comporte l'intégralité de ses avis de décès;

Qu'en conséquence la finalité poursuivie relève dans les deux cas de la volonté des familles qui peuvent souhaiter recevoir des condoléances sur un site internet et porter cette information comme procédant des modalités d'organisation des funérailles ; qu'il s'ensuit que les marchés développés par chacune des parties constituent des marchés connexes comme l'ont retenu les premiers juges;

Considérant que les publications nécrologiques par voie de presse papier qui ont des années durant occupé seules le terrain des annonces nécrologiques, bénéficient d'une position dominante sur ce marché auquel les médias électroniques sont susceptibles de porter concurrence ;

Qu'il convient dès lors de rechercher si la décision en cause a constitué un abus visant d'une part à préserver cette position dominante en évinçant la société Aviscom du marché des annonces nécrologiques.

Sur les pratiques reprochées à la société l'Alsace Publicité :

Considérant que la société Aviscom reproche aux sociétés Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et l'Alsace Publicité (AHP) des pratiques abusives dans la mesure où elles ont refusé d'une part l'insertion de la ligne «condoléances sur www.avis-de-décès.com», d'autre part celle d'un bandeau publicitaire;

Qu'elle fait valoir que ce refus empêche les familles d'informer leurs proches et connaissances de la possibilité de recevoir des condoléances en ligne ;

Que les sociétés Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et société l'Alsace Publicité (AHP) soutiennent d'une part que la société Aviscom ne rapporte pas la preuve qu'elles auraient opposé un refus à une demande d'insertion formulée par une famille, d'autre part que l'insertion de la ligne «condoléances sur www.avis-de-décès.com» constitue une incitation à caractère publicitaire à se rendre sur ce site;

Considérant que l'annonce publiée par voie de presse par les familles a pour but d'informer les tiers ; qu'à ce titre la mention de l'ouverture d'un site internet destiné à recueillir des condoléances fait partie intégrale du texte d'annonce rédigé par la famille, le journal n'intervenant pas dans la rédaction du texte publié ; que celui-ci bénéficie certes d'une liberté rédactionnelle pour la rédaction et l'organisation de ses rubriques et peut décider à cette occasion de bannir de la rubrique nécrologique toute annonce à caractère publicitaire comme celle résultant de la mention d'un site marchand qui se trouverait ainsi médiatisé par voie de presse ; qu'il convient de relever que les sociétés Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et société l'Alsace Publicité (AHP) ont pourtant laissé se développer dans leur carnet nécrologique des annonces comportant la ligne de référence au site internet de la société Aviscom, reconnaissant ainsi que cette ligne ne portait pas atteinte à la liberté de rédaction du journal; qu'elles n'ont pas opposé à la société Aviscom le caratère publiciatire d'une telle annonce ;que, lorsqu'elles ont décidé brutalement de modifier leur position, elles n'ont pas, pour autant, refusé l'intégralité de l'annonce payante à paraître dans ce carnet mais ont seulement refusé d'insérer la ligne de référence au site internet destinée à recevoir des condoléances, alors que celle-ci n'avait pas lieu d'être dissociée du reste de l'annonce, faisant ainsi obstacle à la manifestation de la volonté des familles;

Considérant que le refus opposé par les sociétés Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et société l'Alsace Publicité (AHP peut être qualifié d'ingérence de la presse dans l'organisation des funérailles telle que voulue par les familles qui n'est pas justifiée par une prétendue politique rédactionnelle qui n'a pas été celle suivie précédemment;

Que de plus cette décision a été prise alors que les sociétés Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et société l'Alsace Publicité (AHP) ont mis en place des sites internet, d'une part, de lecture des journaux en ligne, d'autre part des sites spécialisés similaires à celui créé par la société Aviscom.

Considérant en conséquence que les sociétés Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et société l'Alsace Publicité (AHP) ne justifient pas de motifs pertinents pour justifier de leur refus de publier la ligne d'annonces faisant mention du site de la société Aviscom afin de recueillir des messages de condoléances en ligne;

Considérant que la société Aviscom prétend que cette pratique injustifiée a engendré pour elle un double préjudice, d'une part, un préjudice financier qu'elle ne chiffre pas, d'autre part, un préjudice moral, caractérisant un abus de position dominante ;

Que si la société Aviscom fait état d'une régression des annonces en ligne, elle mentionne seulement avoir constaté celle-ci « contrairement au plan prévisionnel d'activité établi alors » et prétend que la moyenne des annonces nécrologiques sur son site n'est plus que d'une à deux par jour contre 6 en septembre 2009 ;

Qu'elle ne saurait prétendre que la venue de concurrents directs sur le marché internet n'a pas eu d'incidence sur son propre développement ;

Que, par ailleurs, elle fait état de ce que de nombreuses entreprises de pompes funèbres lui ont fait savoir que ce refus de la possibilité d'insérer la référence au site réduisait l'intérêt de recourir aux services de la société Aviscom et qu'ils hésiteraient à proposer ce service aux familles tant que le journal maintiendrait sa position ; que dès lors elle ne saurait imputer au seul refus d'insertion de sa ligne internet la baisse des annonces qu'elle dit avoir enregistrées, celle-ci étant aussi liée à la politique des entreprises de pompes funèbres qui sont les revendeurs de son «pack» auprès des familles;

Qu'enfin elle ne chiffre pas son préjudice matériel, faisant seulement état d'un plan prévisionnel ce qui constitue un élément parfaitement aléatoire alors même que les pratiques dénoncées ont porté sur la période du 23 octobre 2008, date à partir de laquelle la société Aviscom s'est vue refuser l'insertion de la mention de son site, jusqu'à la date du jugement, soit le 6 juillet 2010; que, de plus, dans la mesure où celui-ci, assorti de l'exécution provisoire, a enjoint aux sociétés Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et à la société l'Alsace Publicité (AHP), sous astreinte de 1.000€ par refus d'insérer, de procéder à la demande des familles, respectivement par le truchement des entreprises de Pompes Funèbres, à l'insertion dans les annonces de décès paraissant dans le journal l'Alsace de la ligne mentionnant le registre de condoléances en ligne sur « www.avis-de-deces.net » et que celle-ci s'est exécutée, la société Aviscom pouvait, de manière comparative, par les chiffres d'affaire réalisés, démontrer son préjudice;

Que dès lors si la pratique alléguée lui avait été préjudiciable, elle aurait été en mesure d'apporter à la cour les éléments financiers justifiant de la réalité d'un préjudice matériel alors qu'elle n'en rapporte aucun et demande à la cour de réserver son préjudice;

Qu'elle ne justifie pas que son essor aurait été bloqué du fait des refus opposés par les sociétés Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et société l'Alsace Publicité (AHP) de procéder aux annonces litigieuses dans la mesure même où son activité principale à savoir la tenue d'un répertoire n' a pas été affecté puisque celui-ci était alimenté par les entreprises de pompes funèbres;

Que la société Aviscom ne justifie pas davantage que le refus d'insertion aurait nui à sa réputation et qu'elle aurait de ce fait subi un préjudice moral;

Considérant que ce défaut de preuve d'un préjudice à l'occasion de pratiques alléguées d'une part sur le plan local, d'autre part à l'occasion d'une entente entre des quotidiens diffusant à travers tout le territoire national démontre qu'il n'y a pas eu d'entrave au développement des annonces nécrologiques sur internet où d'autres sites ont d'ailleurs pu se développer; que la preuve n'est pas rapportée par la société Aviscom que les refus qui lui ont été opposés ont affecté son marché des annonces nécrologiques en ligne ;

Considérant en conséquence qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'existence d'un abus de position dominante.

Sur les faits allégués d'entente illicite :

Considérant que la société Aviscom fait valoir que la tolérance antérieure de la société l'Alsace et son refus concomitant à celui d'un ensemble de journaux démontre les faits d'entente illicite entre le journal l'Alsace et d'autre journaux ;

Qu'elle cite quatre journaux, Le Republicain Lorrain, Le Progrès, Le Bien Public et le Dauphiné Libéré qui appartiendraient au même groupe de presse que l'Alsace et qui auraient développé le site « libra memoria » qui comporterait pour chaque journal l'intégralité des avis de décès, deux journaux qui ont développé chacun un site propre , enfin le journal La Montagne qui a calqué son site sur celui de la société Aviscom en ce qu'il comporte la possibilité de déposer des condoléances, mentionnant au total 18 journaux qui auraient tenté d'empêcher l'émergence de publications nécrologiques en ligne pour favoriser leur propre développement sur ce marché ;

Qu'il convient de relever que dans ses conclusions signifiées le 2 mars 2011, la société l'Alsace a indiqué être absente du marché des annonces nécrologiques publiées sur internet ; que la société Aviscom ne démontre nullement la participation de la société l'Alsace à la création du site Libra memoria ;

Qu'elle ne démontre pas davantage de pratiques concertées entre tous les journaux qui diffusent sur des départements différents ; que, pour autant s'agissant de modes de communication nouveaux, les journaux ont pu s'y intéresser et développer des pratiques de communication complémentaires de leur édition papier sans qu'il s'en déduise l'existence de pratiques anticoncurrentielles ou d'abus de position dominante;

Que, de plus, il s'agit d'un marché sur lequel se sont développés de nombreux sites, la société l'Alsace en dénombrant dix qui offrent des services similaires et qui sont sans lien avec la presse écrite citée ;

Qu'en conséquence, la société Aviscom ne démontre pas que la politique éditoriale suivie par le Journal l'Alsace ait résulté d'une politique concertée avec d'autres quotidiens qui auraient eu pour objet d'évincer la société Aviscom de son marché et auraient constitué un frein et une entrave au jeu normal de la concurrence .

Sur le refus d'insertion d'un bandeau publicitaire :

Considérant que la société Aviscom soutient que le refus du directeur de publication du journal l'Alsace d'nsérer dans le carnet du Jour le bandeau « ils nous ont quittés, le saviez vous ' www.avis-de-décès.com » constitue un abus dès lors que celui-ci n'est pas de nature à porter atteinte à la politique rédactionnelle et qu'il n'a qu'un motif économique, celle d'écarter un concurrent ;

Considérant que les sociétés Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et à la société l'Alsace Publicité (AHP) en tant qu'organe de presse, disposent du droit de refuser de vendre un espace et de faire paraître dans son journal toute publicité qu'elle considère comme contraire à leurs principes éditoriaux ou à l'éthique du journal ; qu'il n'est pas démontré que le refus de publier le bandeau publicitaire dans son carnet nécrologique ait été discriminatoire envers la société Aviscom ;

Que pour autant la société Aviscom ne démontre pas que les sociétés Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et l'Alsace Publicité (AHP) aient publié d'autres insertions publicitaires du même type ; qu'au contraire celles-ci affirment que les pages du carnet du Jour étant réservées aux avis de décès ne comportent qu'exceptionnellement dans une très faible proportion, d'éventuelles annonces commerciales provenant des professionnels, opérateurs funéraires agrées, s'agissant d'une profession réglementée, à l'exclusion de toute autre ;

Considérant en conséquence que la non insertion de l'annonce publicitaire était dès lors justifiée. comme relevant de la liberté de la presse et qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

Considérant que les sociétés Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et société l'Alsace Publicité (AHP) ont dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge , qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif .

PAR CES MOTIFS

Et , adoptant ceux non contraires des Premiers Juges,

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris en, ce qu'il a dit non fautif le refus d'insertion du bandeau publicitaire de la société Aviscom,

REFORME pour le surplus le jugement déféré

Et statuant à nouveau,

DIT que les pratiques reprochées à la SAS Francaise d'Edition de Journaux et d'Imprimes Commerciaux d'Alsace et la SARL L'Alsace Publicité par la société Aviscom ne constituent pas un abus de position dominante et ne sauraient faire l'objet d'une injonction de faire,

DIT que les pratiques reprochées à la SAS Francaise d'Edition de Journaux et d'Imprimes Commerciaux d'Alsace et la SARL L'Alsace Publicité par la société Aviscom ne constituent pas une entente illicite et ne sauraient faire l'objet d'une injonction de faire,

DEBOUTE la société Aviscom de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

CONDAMNE la société Aviscom à payer aux sociétés Française d'édition de journaux et d'imprimés commerciaux ' l'Alsace et l'Alsace Publicité (AHP) la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Aviscom aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le GreffierLa Présidente

E. DAMAREY C. PERRIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 10/18375
Date de la décision : 15/11/2012

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°10/18375 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-11-15;10.18375 ?
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