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15/11/2012 | FRANCE | N°10/15808

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 15 novembre 2012, 10/15808


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5



ARRET DU 15 NOVEMBRE 2012



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 10/15808



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2010 -Tribunal de Commerce de NANCY - RG n° 2010003402





APPELANTE



LE REPUBLICAIN LORRAIN agissant poursuites et diligences de son représentant légal

Ayant son siège
<

br>[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me Jean-Jacques FANET, avocat au barreau de PARIS, toque : D0675







INTIMÉE



SARL AVISCOM prise en la personne de son gérant

Ayant ...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRET DU 15 NOVEMBRE 2012

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/15808

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2010 -Tribunal de Commerce de NANCY - RG n° 2010003402

APPELANTE

LE REPUBLICAIN LORRAIN agissant poursuites et diligences de son représentant légal

Ayant son siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean-Jacques FANET, avocat au barreau de PARIS, toque : D0675

INTIMÉE

SARL AVISCOM prise en la personne de son gérant

Ayant son siège

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

Assistée de Me Solange RECK, avocat au barreau de MULHOUSE, plaidant pour la SCP RECK BRUN

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 septembre 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Colette PERRIN, Présidente, chargée d'instruire l'affaire

Madame Patricia POMONTI, Conseillère

Madame Valérie MICHEL-AMSELLEM, Conseillère.

Qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Colette PERRIN, Présidente et par Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY, Greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

La société du journal le Républicain Lorrain crée, édite et exploite le quotidien régional du même nom qui est principalement diffusé dans la région Lorraine et aussi dans le département de la Meurthe et Moselle.

Ce journal comporte une rubrique dénommée «carnet du Jour» faisant apparaître notamment les avis de décès des personnes de la région et qui lui sont transmises soit par les familles, soit par les entreprises de pompes funèbres, soit par des organismes ou institutions au sein desquelles le défunt exerçait une activité.

La SARL Aviscom, créée en 2006, exploite un site internet sous le nom « www.[04] » qui a pour objet la publication sur internet d'annonces d'un répertoire des décès et qui permet, à la demande de certaines familles, l'envoi notamment de messages de condoléances.

Cette prestation est proposée moyennant paiement par l'intermédiaire des entreprises de Pompes Funèbres qui font insérer dans les avis publiés dans la presse papier une ligne libellée «condoléances et témoignages sur www.[04]».

La société Aviscom fait grief au journal le Républicain Lorrain d'avoir refusé de publier la ligne «condoléances et témoignages sur www.[04]» dans ses parutions nécrologiques après l'avoir insérée dans ses annonces de décès durant un an.

Elle s'est également vu refuser par le journal la parution d'un bandeau publicitaire dans la revue nécrologique du journal .

Par acte du 26 mars 2010, la société Aviscom a attrait la société du Journal de le Républicain Lorrain devant le tribunal de commerce de Nancy pour pratiques anticoncurrentielles constitutives d'ententes illicite, d'abus de position dominante et de refus de vente;

Par jugement du 6 juillet 2010, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de Commerce de Nancy a constaté l'abus de position dominante de la SA Société le Républicain Lorrain, lui a enjoint, sous astreinte de 1.000€ par refus d'insérer, de procéder à la demande des familles, respectivement par le truchement des entreprises de Pompes Funèbres, à l'insertion dans les annonces de décès paraissant dans le journal le Républicain Lorrain de la ligne mentionnant le registre de condoléances en ligne sur «www.[04]», débouté la SARL Aviscom de ses demandes de dommages et intérêts et de publication du dispositif du présent jugement dans le Carnet du jour du journal Le Républicain Lorrain, et condamné la SA société le Républicain Lorrain à payer à la SARL Aviscom la somme de 2.000€ au titre de dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens du jugement.

Vu l'appel interjeté le 28 juillet 2010 par la SA Société le Républicain Lorrain

Vu les dernières conclusions signifiées le 19 janvier 2012 par lesquelles la SA le Républicain lorrain demande à la Cour:

- de réformer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Nancy, le 6 juillet 2010;

- de débouter la société Aviscom de l'ensemble de ses demandes;

- de la condamner à verser à la société concluante, une indemnité de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

- de la condamner aux dépens, de la première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La SA Le Républicain Lorrain prétend qu'en vertu de la liberté de la presse, le directeur de la publication est libre du contenu du journal, et qu'à ce titre il est libre de conserver une certaine rigueur et sobriété pour sa rubrique nécrologique.

Elle invoque ensuite qu'il ressort de l'argumentaire développé par la société Aviscom que si l'insertion de la ligne litigieuse relève de la volonté exprimée par les familles, alors seules celles-ci peuvent aujourd'hui rechercher la responsabilité du journal.

Elle conteste l'éventuelle position dominante de la SA Le Républicain Lorrain, remettant en cause la pertinence d'un marché de l'annonce nécrologique, et soutient que l'activité du journal du même nom se situe sur le marché de la presse quotidienne régionale, et par conséquent il ne serait pas en situation de position dominante sur cet éventuel marché des annonces nécrologiques.

Enfin, elle s'oppose à l'existence d'une entente illicite, en soulevant que la société Aviscom ne rapporte pas la preuve d'une hypothétique concertation, et que l'entrave au jeu de la concurrence ne peut exister, en l'absence d'un marché réellement pertinent.

Vu les dernières conclusions signifiées le 15 juin 2011 par lesquelles la SARL Aviscom demande à la Cour:

- de confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Nancy en date du 6 juillet 2010 en tant:

-qu'il a constaté l'abus de position dominante de la SA Le Républicain Lorrain, qu'il lui a enjoint, sous astreinte de 1.000€ par refus d'insérer, de procéder à la demande des familles, respectivement par le truchement des entreprises de Pompes Funèbres, à l'insertion dans les annonces de décès paraissant dans le journal Le Républicain Lorrain, de la ligne mentionnant le registre de condoléances en ligne sur www.[04]

- d'infirmer ledit jugement pour le surplus;

et statuant a nouveau

-condamner solidairement la SA Le Républicain Lorrain à payer a la SARL Aviscom une somme de 15.000€ au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi.

-réserver la réparation de tout préjudice matériel.

-condamner la SA Le Républicain Lorrain à accepter l'insertion dans la page Carnet de son journal d'un bandeau publicitaire « ils nous ont quittés, le saviez-vous ' www.[04] » ou de toute autre insertion publicitaire similaire.

-condamner la SA Le Républicain lorrain à payer a la SARL a payer une somme de 5.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens

-ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans la page « Carnet du Jour » du Journal Le Républicain Lorrain, sur un quart de page, en faisant état qu'il s'est rendu coupable des pratiques anticoncurrentielles d'entente, d'abus de position dominante et de refus de vente au détriment de la société Aviscom exploitante du site Internet www.[04] .

La SARL Aviscom invoque un caractère informationnel du bandeau publicitaire et de la ligne mentionnant l'espace de condoléances en cause qui, selon elle, ne ferait pas obstacle à la liberté de la presse.

Elle soutient la pertinence du marché des annonces nécrologiques en se fondant sur un avis du Conseil de la Concurrence du 6 juillet 1993 qui distingue trois marchés pertinents au sein de la presse écrite: le lectorat, la publicité et les petites annonces. Elle compare les fonctions et utilisations des produits, fait valoir une similarité dans l'attitude du consommateur et refuse l'argument de la différence de prix. Elle soutient également l'existence d'une position dominante de la SA Le Républicain Lorrain sur ce marché, et prétend donc à un abus d'une telle position du fait des refus de publication.

Elle soutient l'existence d'une entente illicite, alléguant d'une concertation des entreprises du fait d'un refus brutal d'insérer la ligne litigieuse que lui ont opposé plusieurs journaux peu après celui de La voix du Nord, alors que ceux-ci avaient jusqu'à présent accepté cette insertion , ainsi que d'une entrave au jeu de la concurrence du fait du cloisonnement artificiel que cela a engendré.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile

MOTIFS

Sur la liberté de la presse

Considérant que si la société Le Républicain Lorrain fait valoir le principe de la liberté de la presse, la société Aviscom soutient que celui-ci ne saurait justifier un abus de position dominante et des pratiques anticoncurrentielles contraires à l'organisation normal du marché;

Que la société Aviscom fait valoir que le refus de la société Le Républicain Lorrain a porté d'une part sur la publication dans la revue nécrologique du bandeau publicitaire libellé en ces termes « ils nous ont quitté, le saviez vous' www.[04] », d'autre part sur l'insertion de la mention« condoléances et témoignages sur www.[04] » dans ses parutions nécrologiques, exposant que cette dernière ne constitue pas une annonce publicitaire mais un élément indivisible de l'avis de décès publié dans la presse ;

Que la société Le Républicain Lorrain soutient qu'elle était en droit de refuser la vente d'un espace publicitaire et que, de plus ce refus était dicté par la politique et l'esprit de la publication dans la mesure où elle ne saurait ouvrir cette page sensible à toute sorte d'annonceurs proches de l'industrie des obsèques ;

Considérant que la société Le Républicain Lorrain est en droit de faire le choix d'une politique rédactionnelle et de refuser de vendre un espace ne correspondant pas à celle-ci.

Considérant que l'article 420-2 du code de commerce prohibe les agissements abusifs d'une entreprise lorsqu'ils « ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher , de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché »; que dès lors la société Le Journal le Républicain si elle est en droit de refuser de vendre ne peut, en tant qu'entreprise, abuser de sa position sur un marché et faire obstacle au développement normal du marché au préjudice d'entreprises concurrentes;

Considérant que la société le Républicain Lorrain affirme que le marché sur lequel elle intervient est celui des publications d'avis de décès dans la presse écrite quotidienne et ne conteste pas sa position dominante sur ce marché mais affirme que celui-ci doit être distingué du marché des annonces nécrologiques en ligne sur lequel intervient la société Aviscom ;

Sur la détermination du marché

Considérant que la position dominante d'une entreprise ne peut s'apprécier que par rapport à un certain marché dit marché pertinent ou marché en cause que le Conseil de la Concurrence définit comme « le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leur caractéristique, de leur prix ou de l'usage auquel ils sont destinés »;

Que le le Conseil de la Concurrence considère « comme substituables et comme se trouvant sur ce même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les consommateurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande »;

Qu'il y a lieu en conséquence de déterminer non seulement les caractéristiques techniques et fonctionnelles du produit ou du service mais aussi de s'intéresser aux motivations des utilisateurs justifiant leur choix;

Considérant que la société Aviscom a pour objet « en France et à l'étranger, la conception, la réalisation et l'exploitation de sites internet d'annonces pour particuliers et professionnels liés à la publication d'annonces de décès, de mariage et de naissance »;

Que le site de la société Aviscom mentionne « les avis de décès c 'est aussi sur internet »  et propose :« Un registre national sur internet des publications nécrologiques

La parution régionale et nationale des avis de décès

un livre de condoléances et de témoignages en ligne, mis gratuitement à disposition des familles et des proches

les coordonnées et les services de l'entreprise de pompes funèbre reliées à chaque avis de décès

un livre du souvenir, espace permanent réservé pour le défunt (en service courant 2008) »;

Considérant que la société Aviscom fait valoir que son site est constitué à titre principal par les annonces nécrologiques et non par les condoléances ; qu'elle précise sur son site que« [04] s'impose aujourd'hui en tant qu'acteur majeur national pour la publication nécrologique », sa page d'accueil qui est la carte de France découpée en département permettant un accès rapide au répertoire des défunts ; qu'elle explique que son site comporte la liste complète des décès dans un même département en fonction de l'ordre de survenance des décès ;

Considérant qu'elle indique sur son site que son répertoire provient essentiellement des entreprises de pompes funèbres, admettant ainsi que sa source d'origine n'est pas celle des familles et qu'il ne s'agit donc pas d'annonces émanant de celles-ci contrairement à ce qui est le cas des annonces dans la presse, cette dernière étant destinataire d'avis de publication à la demande des familles; que dès lors les avis parus dans la presse sont limités à ceux pour lesquels les familles ont confié au quotidien une annonce ;

Que pour être complet tant au plan régional que national, le répertoire de la société Aviscom a nécessairement pour origine une source disposant de l'ensemble des données; que c'est le cas des entreprises de pompes funèbres qui, d'une part, ont le monopole des chambres funéraires, d'autre part, se sont vu confier par la société Aviscom la commercialisation de son «pack» comportant diverses prestations dont la possibilité pour les familles de recevoir des messages de condoléances; que, de plus, seules les entreprises de pompes funèbres ont accès au site créé par la société Aviscom dans sa phase annonce, les internautes n'ayant accès à ce répertoire que pour le consulter et non pour annoncer même en payant un décès ;

Que ce répertoire, dont la société Aviscom affirme qu'il constitue son activité principale, est en conséquence une base de données qui ne résulte nullement d'une intervention des familles et qui n'est consultable ni par les familles concernées, ni par les tiers dans la mesure où s'opère un tri entre des annonces consultables et les autres, celles consultables correspondant à la liste restreinte de défunts pour lesquels les entreprises de pompes funèbres ont vendu le pack créé par la société Aviscom et qui est alors activée pour donner la possibilité aux internautes de laisser un message de condoléances ;

Qu'ainsi, s'agissant des utilisateurs, les conditions d'utilisation du site «avis-de deces.net» distinguent «l'utilisteur» et le «visiteur», l'utilisateur étant le professionnel ayant ouvert le compte auprès de la société Aviscom et étant habilité à le faire fonctionner et à demander la publication d'avis de décès ou d'annonce payante et le visiteur étant «tout internaute autorisé à visiter ce site et pouvant demander la publication payante d'annonces et messages dès lors qu'un avis de décès du défunt concerné est en ligne»;

Qu'à partir du répertoire de la société Aviscom, il est seulement possible, de retrouver de façon immédiate la mention d'un décès , celui-ci étant tenu, département par département, de façon chronologique, puis de façon interactive, de déposer en ligne des messages de condoléances ou des témoignages ; qu'en conséquence, en ce qui concerne les annonces nécrologiques, la société Aviscom a créé un moteur de recherches sur internet sans limite géographique mais qui ne relève pas de la volonté des familles,

Considérant que le quotidien, lui, n'a pas vocation, à recenser tous les décès survenus , fût-ce sur son secteur de diffusion, mais à publier un nombre restreint d'annonces c'est à dire les seules dont il est saisi par les familles ou leur représentant; que les informations figurant sur le site créé par la société Aviscom, constitutives d'un répertoire des décès, ne sauraient être comparées avec les annonces de décès publiées par le journal Le Républicain Lorrain qui identifient les personnes physiques, auteurs de la publication, qui précisent la date et le lieu du décès, le déroulement des obsèques et le lieu de repos du corps alors que l'examen des listes répertoriées par la société Aviscom met en évidence les mentions du nom, de l'âge du défunt et de la date de son décès et l'absence de toute indication des noms de la famille ou des proches;

Considérant que les annonces par voie de presse locale tendent à toucher des lecteurs régionaux proches et dès lors susceptibles de participer aux funérailles et aux cérémonies organisées alors que le site de la société Aviscom s'adresse à de internautes sans limite géographique et tend à leur permettre de manifester, en dépit des distances, leur soutien à la famille ou aux proches par l'envoi de messages de condoléances sur un site dédié au défunt ;

Qu'enfin les prestations respectives sont proposées à des prix totalement distincts, la société Aviscom reconnaissant que le rapport de prix est de 1/40 ;

Que la société Aviscom fait état de l'évolution du comportement des consommateurs en matière d'annonces notamment immobilières et de rencontre qui font que ceux-ci se tournent de plus en plus vers les annonces via des sites internet;

Que cette réalité est incontestable, le nombre d'utilisateurs d'internet ayant régulièrement augmenté au cours de ces dernières années et un certain nombre de journaux de la presse quotidienne publiant eux-même leurs avis de décès, version papier, sur internet même si tel n'est pas encore le cas du Républicain Lorrain ;

Que néanmoins les deux prestations ne répondent pas à la même finalité, l'annonce presse étant éphémère puisque marquée par sa quotidienneté avec des annonces nouvelles au jour le jour et destinée à annoncer localement le décès et les obsèques, l'annonce internet étant pérenne et destinée à permettre l'expression de condoléances dans la durée ;

Qu'ainsi les deux publications, l'une par voie de presse, l'autre par voie internet, donc sur deux supports distincts, se distinguent aussi par leurs caractéristiques respêctives, le site internet créé par la société Aviscom ayant pour objet de répertorier des décès sur le plan national afin permettre une recherche, puis en cas de décès consultable, l'envoi par des tiers de messages, alors que l'objet de l'annonce presse est d'informer d'un événement qui est survenu dans un temps récent et d'annoncer les obsèques dans un contexte local; que la publication du quotidien sur un site internet ne modifie en rien cette différence ;

Considérant en conséquence que les deux prestations proposées ne sont pas substituables;

Considérant, néanmoins, que si l'avis de décès publié par le journal le Republicain Lorrain constitue une annonce ayant pour objet principal l'annonce du décès et la cérémonie des obsèques, l'annonce de la société Aviscom a aussi pour objet la référence au décès sous forme non pas d'avis mais d'un répertoire avec des prestations «liées» dont l'envoi de condoléances ; qu'il s'agit à l'évidence de prestations ayant toutes deux comme support un avis nécrologique et que dans les deux cas la finalité est l'information donnée aux tiers mais en poursuivant ensuite des buts différents ; que les familles et proches sont susceptibles d'être intéressés par les deux types de prestation et, ce, au moment même de l'annonce du décès;

Qu'il s'ensuit que doit être retenu le caractère connexe de ces deux prestations;

Qu'il convient dès lors de rechercher si la décision de la société le Républicain Lorrain a constitué un abus visant à préserver sa position dominante en évinçant la société Aviscom du marché des annonces nécrologiques en ligne.

Sur l'abus de position dominante allégué

Considérant que la quasi totalité des décès survenant dans les départements de la Moselle, et un nombre significatif de ceux survenus dans le département de la Meurthe et Moselle donnent lieu à une publication dans le journal le Républicain Lorrain; qu'il s'agit bien de l'occupation d'une position dominante ;

Que la société Aviscom soutient que le refus de publier la mention «espace de condoléances sur www.[04]» et le refus de faire paraître un bandeau publicitaire ayant pour objet son site constituent un abus de position dominante dans la mesure où ceux-ci tendaient à l'évincer de son marché;

Considérant que la société le Républicain Lorrain fait valoir qu'elle n'a jamais fait obstacle à le vente par la société Aviscom de ses packs nécrologiques et que celle-ci aurait passé un accord avec les entreprises de pompes funèbres qu'elle n'a pas versé aux débats;

Considérant que la question n'est pas celle de la vente réalisée par les entreprises de pompes funèbres mais celle de l'insertion d'une ligne faisant référence au site de la société Aviscom afin de permettre aux familles de bénéficier des prestations mises en place par cette dernière à savoir la consultation d'avis de décès de manière interactive avec la possibilité pour des tiers d'adresser des messages de condoléances ; qu'une fois le pack vendu, les pompes funèbres ne font qu'exécuter la demande des familles d'insérer la ligne en question ;

Considérant que l'annonce publiée par voie de presse par les familles a pour but d'informer les tiers ; qu'à ce titre la mention de l'ouverture d'un site internet destiné à recueillir des condoléances fait partie intégrale du texte d'annonce rédigé par la famille, le journal n'intervenant pas dans cette rédaction; que celui-ci bénéficie certes d'une liberté rédactionnelle pour la rédaction et l'organisation de ses rubriques et peut décider à cette occasion de bannir de la rubrique nécrologique toute annonce à caractère publicitaire comme celle résultant de la mention d'un site marchand qui se trouverait ainsi médiatisé par voie de presse ; qu'il convient de relever que la société Le Républicain Lorrain a pourtant laissé figurer cette mention dans les annonces nécrologiques publiées, pendant un an, sans y trouver à redire, reconnaissant ainsi que cette ligne ne portait pas atteinte à sa liberté de rédacteur; que, lorsqu'elle a décidé brutalement de modifier sa position, elle n'a pas, pour autant, refusé l'intégralité de l'annonce payante à paraître dans son carnet mais a seulement refusé d'insérer la ligne de référence au site internet destiné à recevoir des condoléances, alors que celle-ci n'avait pas lieu d'être dissociée du reste de l'annonce, faisant ainsi obstacle à la manifestation de la volonté des familles;

Considérant que le refus opposé par la société Le Républicain Lorrain peut être qualifié d'ingérence de la presse dans l'organisation des funérailles telle que voulue par les familles et qu'il n'est pas justifié par une prétendue politique rédactionnelle qui n'a pas été la sienne précédemment;

Considérant que, si la société Aviscom soutient que le refus d'insertion de son bandeau publicitaire dans le carnet des annonces nécrologiques du journal le Républicain Lorrain serait aussi constitutif d'une pratique abusive, il convient de relever que la société Le Républicain Lorrain, en tant qu'organe de presse, dispose du droit de refuser de vendre un espace et celui de faire paraître dans son journal toute publicité qu'elle considère comme contraire à ses principes éditoriaux ou à son éthique ; qu'il n'est pas démontré que son refus de publier le bandeau publicitaire dans son carnet nécrologique ait été discriminatoire envers la société Aviscom ; que, de plus, la société Aviscom a d'autres modes de communication publicitaire et ne démontre pas que le refus de la société le Républicain Lorrain a freiné le développement des annonces en ligne dès lors que son répertoire d'annonces est alimenté par les entreprises de pompes funèbres et ne dépend donc pas de l'insertion de sa publicité; que son registre répertoriant les décès de l'ensemble des décès survenus dans les départements dans lesquels la société Le Républicain Lorrain diffuse son quotidien, n'a donc pas pu être affecté par ce refus; qu'en conséquence l'attitude du journal n'a pas porté atteinte au développement normal de son activité qui a pour objet principal le répertoire des annonces nécrologiques, support de son activité accessoire de réception de condoléances ; que dès lors ce refus, contrairement à celui portant sur la ligne internet dans les annonces nécrologiques, est parfaitement fondé comme relevant de la liberté de la société d'édition ;

Considérant que la société Aviscom prétend que le refus de la société Le Républicain Lorrain d'insérer sa ligne internet a engendré pour elle un double préjudice, d'une part, un préjudice financier qu'elle ne chiffre pas, d'autre part, un préjudice moral, et qu'ainsi se trouve caractérisé un abus de position dominante de sa part;

Considérant que la société Aviscom qui a été crée en 2006 n'a fourni aucun élément financier permettant à la cour d'apprécier son activité ; qu'elle fait état de chiffres prévisionnels et de courbes qu'elle a elle-même établies ; que de plus elle n'a publié que ses comptes 2009 avec une année de retard, ceux-ci révélant un chiffre d'affaires de 85 000€ avec un résultat négatif de 144 000€ ; ce qui démontre une absence d'activité économique et commerciale rentable ;

Qu' elle ne chiffre pas son préjudice matériel, faisant seulement état d'un plan prévisionnel ce qui constitue un élément parfaitement aléatoire alors même que les pratiques dénoncées ont porté sur la période du 23 octobre 2008, date à partir de laquelle la société Aviscom s'est vue refuser l'insertion de la mention de son site, jusqu'à la date du jugement, soit le 6 juillet 2010; que,de plus, dans la mesure où celui-ci, assorti de l'exécution provisoire, a enjoint à la société Le Républicain Lorrain, sous astreinte de 1.000€ par refus d'insérer, de procéder à la demande des familles, respectivement par le truchement des entreprises de Pompes Funèbres, à l'insertion dans les annonces de décès paraissant dans le journal le Républicain Lorrain de la ligne mentionnant le registre de condoléances en ligne sur « www.[04] » et que celle-ci s'est exécutée, la société Aviscom pouvait par une analyse comparative de ses chiffres d'affaires et de ses bénéfices, renseigner la cour sur un éventuel préjudice; que ces dispositions auraient dû , à tout le moins, lui permettre de justifier de son activité sur le secteur géographique concerné ;

Que la société Aviscom ne justifie pas davantage que le refus de d'insertion aurait nui à sa réputation et qu'elle aurait de ce fait subi un préjudice moral;

Que ce défaut de preuve d'un préjudice à l'occasion des pratiques alléguées dénoncées, d'une part, sur un plan régional, d'autre part à l'occasion une entente entre des quotidiens diffusant à travers tout le territoire national, démontre qu'il n'y a pas eu d'entrave ayant affecté de façon sensible le développement de la société Aviscom sur le marché des annonces nécrologiques en ligne résultant des pratiques du journal Le Républicain Lorrain.

Considérant en conséquence qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris et de débouter la société Aviscom de l'ensemble de ses demandes.

Sur l'entente illicite alléguée

Considérant que la société Aviscom allègue d'une politique concertée de plusieurs journaux au nombre de 16, diffusés sur tout le territoire national, qui aurait eu pour objet de freiner l'émergence d'autres modes de publications d'annonces nécrologiques et donc son propre développement; qu'elle affirme que certains dont le Républicain Lorrain font partie du même groupe de presse, le groupe Ebra et qu'ils ont adopté un comportement identique et simultané qui ne peut procéder que d'une entente;

Qu'elle prétend que cette politique a constitué une entrave en maintenant de façon rigide les parts de marché des annonces nécrologiques;

Que si la société Le Républicain Lorrain ne conteste pas que plusieurs journaux régionaux ont adopté une politique similaire en matière d'annonces nécrologiques et ont refusé de publier dans les avis de décès la ligne de son site , celle-ci ne saurait à elle seule caractériser une action concertée;

Que la société Aviscom ne démontre pas que ces journaux se sont concertés et auraient pris après concertation une décision commune ; que par ailleurs elle n'apporte aucun élément sur le groupe Ebra, sur ses décisions et sur une quelconque implication de la société Le Républicain Lorrain;

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Considérant que la société Le Républicain Lorrain a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge , qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

REFORME le jugement déféré, en ce qu'il a constaté un abus de position dominante de la société Le Républicain Lorrain,

Et statuant à nouveau,

DIT que les pratiques reprochées à la société Le Républicain Lorrain par la société Aviscom ne constituent pas un abus de position dominante et ne sauraient faire l'objet d'une injonction de faire,

DIT que les pratiques reprochées à la société Le Républicain Lorrain par la société Aviscom ne constituent pas une entente illicite et ne sauraient faire l'objet d'une injonction de faire,

CONDAMNE la société Aviscom à payer à la société Le Républicain Lorrain la somme de 5 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la société Aviscom aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

Le GreffierLa Présidente

E. DAMAREYC. PERRIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 10/15808
Date de la décision : 15/11/2012

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°10/15808 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-11-15;10.15808 ?
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