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08/11/2012 | FRANCE | N°11/10742

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 08 novembre 2012, 11/10742


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2



ARRÊT DU 08 Novembre 2012



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/10742



Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 16 Septembre 2011 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY - RG n° 11/00472





APPELANT

Monsieur [E] [H]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Claire HOCQUET, avocat au b

arreau de PARIS, toque : P0329





INTIMEE

SOCIETE AIR FRANCE

[Adresse 4]

[Localité 5]

représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03











COMPOSITI...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2

ARRÊT DU 08 Novembre 2012

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/10742

Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 16 Septembre 2011 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY - RG n° 11/00472

APPELANT

Monsieur [E] [H]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Claire HOCQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0329

INTIMEE

SOCIETE AIR FRANCE

[Adresse 4]

[Localité 5]

représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 octobre 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Martine CANTAT, Conseiller, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Irène LEBÉ, Président

Madame Catherine BEZIO, Conseiller

Madame Martine CANTAT, Conseiller

GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par Madame Irène LEBÉ, Président

- signé par Madame Irène LEBÉ, Président et par Madame FOULON, Greffier présent lors du prononcé.

**********

Statuant sur l'appel formé par Monsieur [E] [H] à l'encontre d'une ordonnance rendue le 16 septembre 2011 par le conseil de prud'hommes de Bobigny, en sa formation de référé, qui a dit n'y avoir lieu à référé dans l'affaire qui l'oppose à la société AIR FRANCE et a laissé les dépens à sa charge';

Vu les dernières écritures et observations orales à la barre, en date du 3 octobre 2012, de Monsieur [E] [H] qui demande à la Cour de':

-infirmer l'ordonnance,

-dire que la décision de la société AIR FRANCE de l'écarter de la campagne de qualification sur A 380 de l'hiver 2010-2011 constitue une discrimination fondée sur l'âge et par conséquent un trouble manifestement illicite,

-dire que la société AIR FRANCE devra le retenir pour la prochaine campagne de qualification sur A 380 ouvrant après le prononcé de l'arrêt,

-condamner la société AIR FRANCE à lui verser les sommes de':

-5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de cette discrimination,

-5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

Vu les dernières écritures et observations orales à la barre, en date du 3 octobre 2012, de la société AIR FRANCE qui demande à la Cour de':

-confirmer l'ordonnance,

-condamner Monsieur [E] [H] au paiement de la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

SUR CE, LA COUR

FAITS ET PROCÉDURE

Considérant que Monsieur [E] [H], qui est employé par la société AIR FRANCE en qualité de pilote de ligne et qui au cours de sa carrière a obtenu diverses qualifications en tant que commandant de bord, s'est porté volontaire pour suivre un stage de qualification sur Airbus A 380, au cours de la campagne de qualification pour la saison IATA, de l'hiver 2010-2011, pour laquelle il était demandé aux officiers navigants d'exprimer leur volontariat';

Que la société AIR FRANCE n'a pas retenu sa candidature, au motif qu'il avait atteint la limite d'âge fixée par le code de l'aviation civile';

Qu'il a saisi, le 29 juin 2011, le conseil de prud'hommes de Bobigny en référé, afin de voir ordonner à la société AIR FRANCE de le faire participer à la prochaine campagne de qualification sur A 380 et de condamner celle-ci au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la discrimination fondée sur l'âge dont il a fait l'objet';

Que le conseil de prud'hommes'a dit n'y avoir lieu à référé';

Que Monsieur [E] [H] a interjeté appel de la décision rendue';

MOTIVATION DE LA DÉCISION

Sur la participation à la campagne de qualification sur A 380

Considérant que, par lettre du 17 novembre 2010, la société AIR FRANCE a écrit à Monsieur [E] [H] pour lui rappeler que l'article L.421-9 du code de l'aviation civile maintenait le principe de la limite d'âge pour exercer une fonction de conduite des aéronefs dans le transport public aérien public à 60 ans et lui indiquer que, dans ces conditions, les règles de gestion des carrières, définies par la convention d'entreprise et plus spécifiquement celles relatives aux conditions pour pouvoir prétendre à une qualification de type avion demeuraient applicables à tous les PNT, sur la base de l'âge collectif de cessation d'activité fixé par la loi à 60 ans et ce indépendamment de la possibilité qui lui était offerte, depuis le 1er janvier 2010, de poursuivre son activité sur la base d'un choix individuel renouvelé chaque année dans la limite de l'âge de 65 ans';

Considérant que la convention d'entreprise du personnel navigant technique de la société AIR FRANCE prévoit, en son article 2.4.3.2, que tout officier navigant peut bénéficier d'un changement de type avion, sous réserve qu'il satisfasse pleinement aux conditions administratives et techniques requises, ainsi qu'à celles déterminées par les procédures de mise en stage';

Que, parmi les conditions déterminées par les procédures de mise en stage, figure l'obligation pour le navigant de pouvoir être affecté sur le type d'avion souhaité avant son départ en retraite pour une durée au moins égale à la durée minimale d'affectation due, compte tenu de son cursus de carrière depuis son embauche';

Que la durée d'affectation sur un type d'avion est calculée selon le nombre de saisons IATA, à raison de deux saisons IATA par période de douze mois, la saison d'été s'étendant du 1er avril au 31 octobre et celle d'hiver du 1er novembre au 31 mars, étant précisé qu'en cas de départ à la retraite au cours d'une saison la durée d'affectation est décomptée intégralement pour la durée minimale d'affectation sur un type d'avion';

Que la durée minimale d'affectation est fonction du nombre de qualifications précédemment effectuées'par le navigant ;

Qu'en application de ces diverses conditions, Monsieur [E] [H], dont la durée minimale d'affectation est de douze saisons IATA, correspondant à six années, ne pouvait, étant né le [Date naissance 3] 1951, satisfaire à l'obligation d'effectuer ces douze saisons avant l'âge de 60 ans, qu'il a atteint le 30 octobre 2011'; que, par contre, il pouvait satisfaire à ladite obligation en partant plus tard en retraite, en bénéficiant des dispositions du paragraphe II de l'article L.421-9 du code de l'aviation civile';

Considérant, en effet, que si l'article L.421-9 du code de l'aviation civile prévoit, en son paragraphe I, que le personnel navigant de l'aéronautique civile ne peut exercer aucune activité en qualité de pilote ou de copilote dans le transport aérien public au-delà de l'âge de soixante ans, il ajoute, en son paragraphe II, que ce personnel est toutefois maintenu en activité au-delà de soixante ans pour une année supplémentaire sur demande formulée au plus tard trois mois avant son soixantième anniversaire, uniquement dans le cas de vols en équipage avec plus d'un pilote, à la condition qu'un seul des pilotes soit âgé de plus de soixante ans et que cette demande peut être renouvelée dans les mêmes conditions les quatre années suivantes';

Qu'ainsi, cet article L.421-9 ne prévoit pas de limite d'âge à 60 ans entrainant automatiquement pour les pilotes, soit la fin de leur contrat de travail, soit leur reclassement dans d'autres activités, mais organise la possibilité d'une poursuite de leur activité professionnelle à leur seule initiative, jusqu'à l'âge de 65 ans, toujours en qualité de pilote, en leur fixant des conditions d'exercice de leur activité afin d'assurer la sécurité publique, consistant dans la limitation aux vols en équipage avec plus d'un pilote, dont un seul âgé de plus de soixante ans ;

Considérant que la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, prévoit, en son article 1, que les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelles et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires'; que les dispositions de cette directive ont été codifiées en droit interne dans les articles L.1133-1 et L.1133-2 du code du travail';

Considérant que le règlement international JAR FCL, dont il n'est pas contesté qu'il soit applicable en l'espèce, permet aux pilotes de voler jusqu'à l'âge de 65 ans révolus';

Considérant que l'article précité 2.4.3.2 de la convention d'entreprise du personnel navigant technique ne fixe pas l'âge précis au-delà duquel il est interdit à un navigant de prétendre à une qualification sur un type d'avion, mais se borne à préciser que celui-ci doit satisfaire'avant «'son départ en retraite'» à une durée minimale d'affectation sur un type d'avion ; qu'au sens de cette disposition, qui est claire et non équivoque, il y a lieu de prendre en compte, pour chaque navigant, un âge individualisé de départ en retraite pouvant, conformément au paragraphe II de l'article L.421-9 précité, aller jusqu'à 65 ans, et non l'âge théorique de départ en retraite à 60 ans,'mentionné au paragraphe I de cet article ; que toute autre interprétation rendrait ces dispositions conventionnelles moins favorables que la législation nationale'et la réglementation internationale sus rappelées ;

Considérant que la société AIR FRANCE n'apporte aux débats aucun élément faisant apparaître que le refus, qu'elle a opposé à Monsieur [E] [H], était justifié par un objectif légitime ;

Que, notamment, l'argument de la société AIR FRANCE, relatif à la rentabilité du coût de la formation, selon lequel le navigant, qui a atteint 60 ans, serait susceptible, soit de ne pas renouveler sa demande annuelle de poursuite de son activité jusqu'à l'expiration de la durée minimale d'affectation, soit de ne plus pouvoir assurer des vols, suite aux visites médicales auxquelles il est soumis, est inopérant, tout navigant pouvant, à un moment quelconque de sa carrière et quel que soit son âge, soit mettre fin au contrat de travail qui le lie à la société, soit ne plus être autorisé à piloter suite à un problème de santé constaté lors d'une visite médicale, alors qu'il a pu bénéficier d'une récente qualification'non encore amortie ;

Que, par ailleurs, l'objectif de sécurité publique est assuré lorsqu'un pilote a plus de 60 ans par les conditions sus mentionnées posées par paragraphe II de l'article L.421-9 précité';

Considérant que l'article L.1132-1 du code du travail prévoit qu'aucune personne ne peut être écartée de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise ou faire l'objet d'une mesure de discrimination, directe ou indirecte, notamment en matière de formation, de qualification ou de promotion professionnelle, en raison de son âge';

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'écarter Monsieur [E] [H] de la campagne de qualification de l'hiver 2010-2011 sur A 380, et donc le priver de son droit à la formation et de la possibilité de voir évoluer sa carrière, alors qu'il se prévaut de dispositions légales qui lui donnent le droit de poursuivre son activité de pilote jusqu'à l'âge de 65 ans, en ne retenant que son âge comme motif de refus, constitue une discrimination fondée sur l'âge visée à l'article L.1132-1 précité et un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser';

Qu'ainsi, le juge des référés, conformément aux dispositions de l'article R.1455-6 qui prévoit que la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite, est compétent pour ordonner la mesure'sollicitée par Monsieur [E] [H]';

Qu'en conséquence, il y a lieu d'ordonner à la société AIR FRANCE de retenir Monsieur [E] [H] pour la prochaine campagne de qualification sur A 380 ouvrant après la notification du présent arrêt';

Qu'il y a lieu d'infirmer l'ordonnance sur ce point';

Sur les dommages et intérêts

Considérant que Monsieur [E] [H] demande des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de la discrimination fondée sur l'âge dont il a fait l'objet';

Considérant que le refus de la société AIR FRANCE de lui faire suivre un stage de qualification sur Airbus A 380, au cours de la campagne de qualification pour la saison IATA de l'hiver 2010-2011, pour laquelle il s'était porté candidat, lui a nécessairement occasionné un préjudice qu'il convient d'indemniser en condamnant la société AIR FRANCE à lui verser la somme provisionnelle de 1.000 euros';

Qu'il y a lieu d'infirmer l'ordonnance sur ce point';

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Considérant qu'il y a lieu de condamner la société AIR FRANCE, qui succombe en ses prétentions, au paiement à Monsieur [E] [H] de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

Considérant qu'il y a également lieu de condamner la société AIR FRANCE aux dépens de première instance et d'appel';

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Dit que la décision de la société AIR FRANCE d'écarter Monsieur [E] [H] de la campagne de qualification de l'hiver 2010-2011 sur A 380 constitue une discrimination fondée sur l'âge et par conséquent un trouble manifestement illicite,

Ordonne à la société AIR FRANCE de retenir Monsieur [E] [H] pour la prochaine campagne de qualification sur A 380 ouvrant après la notification du présent arrêt,

Condamne la société AIR FRANCE au paiement à Monsieur [E] [H] de la somme provisionnelle de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la discrimination fondée sur l'âge dont il a fait l'objet,

Condamne la société AIR FRANCE au paiement à Monsieur [E] [H] de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes les autres demandes,

Condamne la société AIR FRANCE aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 11/10742
Date de la décision : 08/11/2012

Références :

Cour d'appel de Paris K2, arrêt n°11/10742 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-11-08;11.10742 ?
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