COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 5 NOVEMBRE 2012
(no 256, 4 pages)
Node répertoire général : 12/ 06569
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Dominique GUEGUEN, Conseillère, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Noëlle KLEIN, Greffière, lors des débats et du prononcé avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 5 avril 2012 par M. Malik Naeem X..., demeurant ...;
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 1er novembre 2012 ;
Vu la présence de M. Malik Naeem X... ;
Entendus Me Gérard GUEUGNOT, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU représentant M. Malik Naeem X..., Me Anne-Sophie LEFEVRE, avocat au barreau de PARIS (substituant la SCP NORMAND et ASSOCIÉS) représentant Monsieur l'agent judiciaire de l'État, ainsi que Monsieur Pierre-Yves RADIGUET, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le requérant ayant eu la parole en dernier ; Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R40-7 du code de procédure pénale ;
Considérant que M. Malik Naeem X... a été mis en examen le 9 novembre 2006 par un juge d'instruction de Fontainebleau des chefs de viols aggravés en réunion sur mineure, et a été placé le jour même en détention provisoire ; que le 7 juin 2007 il a été mis en liberté à la suite d'une ordonnance du juge d'instruction, mise en liberté assortie d'une mesure de contrôle judiciaire ; que par ordonnance du 5 février 2010, il était mis en accusation et renvoyé devant la cour d'assises de Seine et Marne du chef de viol ; qu'il a fait l'objet le 30 septembre 2011 d'un arrêt d'acquittement, décision n'ayant fait l'objet d'aucun recours ; Qu'il a ainsi été incarcéré pendant 6 mois et 29 jours ;
Considérant que, par requête du 5 avril 2012 déposée le même jour, développée oralement à l'audience, M. X... sollicite :- la somme de 20 000 € au titre de son préjudice moral et d'agrément,- la somme de 75 581 € au titre de son préjudice matériel et économique subi à la date du 31 décembre 2011, soit à hauteur de 12 250 € au titre de la perte de revenus durant la détention et de 63 331 € au titre de la perte de chance de percevoir un revenu durant la période postérieure à la détention ;
Que l'agent judiciaire de l'Etat, développant oralement ses écritures à l'audience, conclut :- à la recevabilité de la requête,- à voir fixer le montant de l'indemnité pour la perte de revenu durant la détention à la somme de 10 960, 95 €,- rejeter en l'état la demande d'indemnisation de la perte de chance d'exercer une activité rémunérée, offrant subsidiairement la somme de 4 000 € à ce titre,- à l'octroi de la somme de 12 000 € au titre du préjudice moral ;
Que le Ministère Public, développant oralement ses écritures à l'audience, conclut à :- la recevabilité de la requête et à son admission dans le principe,- à la réparation du préjudice moral proportionné à la durée de la détention et prenant en compte les circonstances particulières,- à la réparation de certains postes du préjudice matériel ;
Sur la recevabilité :
Considérant qu'au regard des dispositions des articles 149-1 et 149-2 du code de procédure pénale et 38 du Décret No 91-1266 du 19 décembre 1991, la requête de M. X... déposée dans les délais et modalités de la loi est recevable en la forme ;
Sur le préjudice moral :
Considérant que l'indemnisation du préjudice moral de la personne détenue doit être apprécié à l'aune de la durée de la détention, en l'espèce de 6 mois et 29 jours ;
Qu'en l'espèce, M. X... était âgé de 22 ans, célibataire, vivant chez ses parents avec ses trois frères et soeur, qu'il s'agissait d'une première incarcération d'où l'importance du choc carcéral, qu'il a reçu des visites régulières de sa famille mais invoque le choc psychologique durablement ressenti du fait de la honte en résultant pour lui, sa famille et sa communauté, ainsi que la rupture temporaire des liens familiaux et la souffrance causée par cette séparation, ayant entraîné pour lui des troubles psychologiques ayant justifié un suivi psychiatrique après sa mise en liberté et qu'il fait état de deux certificats médicaux délivrés le 21 janvier 2008 par le Docteur D..., psychiatre, lequel mentionne un début de psychothérapie (4ème séance depuis le 6 septembre 2007) et le 17 mars 2012 par le Docteur E..., psychiatre, attestant de la poursuite du suivi ;
Que son casier judiciaire ne porte mention d'aucune condamnation ;
Qu'eu égard à la durée de sa détention ainsi qu'aux éléments susvisés, il convient en conséquence de lui accorder la somme de 12 000 € en réparation de son préjudice moral, sans qu'il n'y ait lieu de distinguer un préjudice d'agrément lequel se rattache directement au préjudice moral et doit être réparé par l'allocation d'une somme unique au titre de ce dernier ;
Sur le préjudice matériel :
Considérant que M. X... fait valoir que lors de son interpellation le 7 novembre 2006, il était employé dans une Entreprise Générale du Bâtiment, embauché à durée indéterminée, par contrat du 27 mai 2006 en tant que peintre en bâtiment, au salaire mensuel brut de 1 950 €, soit du 1er juin au 30 octobre 2007, un salaire moyen mensuel de 1 750 € ;
Qu'ainsi, il s'est trouvé privé de 7 mois de salaires soit 1 750 € x 7 = 12 250 € ;
Qu'à la sortie de la maison d'arrêt de Meaux-Chauconin, le 7 juin 2007, malgré ses démarches et des suivis de formation, il ne s'est vu proposé une offre d'emploi par l'ANPE qu'au début de l'année 2008 comme plongeur en restauration, ce qu'il a accepté et qu'il assumera de février 2008 à décembre 2008, emploi à temps très partiel lui assurant un revenu moyen mensuel de 321, 59 € et qui ne sera pas renouvelé en 2009, année au cours de laquelle, par des missions de très courte durée, il aura un revenu moyen mensuel de 42 € ;
Qu'en 2010, il percevra une rémunération cumulée mensuelle de 1 137, 29 €, puis retrouvera le 1er février 2011 un emploi d'électricien pour un revenu moyen mensuel de 1 440 € ;
Qu'ainsi il a subi un manque à gagner après son incarcération du fait d'une activité précaire à temps réduit puis à temps partiel, qu'il a calculé pour les mois de novembre et décembre de l'année 2006, puis pour les années 2007, 2008, 2009, 2010, et 2011, demandant qu'il lui soit donné acte de ses réserves à solliciter éventuellement la fixation d'un nouveau manque à gagner pour l'avenir, n'ayant pu retrouver à ce jour un contrat à durée indéterminée ;
Considérant que M. X... a subi une perte de revenus durant la détention, dès lors qu'il justifie avoir exercé auparavant un emploi de peintre en bâtiment au sein de la Société BATIFRANCE IDF (98 Allée Centrale 94 à CRÉTEIL) ; que la demande qu'il présente pour les 7 mois est fondée en son principe, étant observé toutefois que, alors qu'il fait état d'un revenu mensuel de 1 750 €, l'analyse de ses bulletins de salaire entre juin et octobre 2006 font ressortir un salaire mensuel net moyen de 1 565, 85 € durant cette période ; que la demande qu'il présente pour les 7 mois est fondée en son principe et justifie de lui allouer la somme de 10 960, 95 € au titre de sa perte de revenus ;
Considérant que M. X..., s'il a certes perdu une chance de percevoir un revenu postérieurement à sa remise en liberté et doit être indemnisé pour des pertes de revenus pendant la période de retour à l'emploi, ne saurait définir cette perte de chance en l'analysant comme une perte de revenu en raison de l'aléa inhérent à tout emploi ; qu'un tel manque à gagner n'est pas en relation directe avec la détention ; qu'en effet, la période de retour à l'emploi, pour la qualification de M. X... à savoir peintre en bâtiment (OS1) peut être raisonnablement fixée à 6 mois ; qu'en conséquence, l'indemnité allouée à ce titre à M. X... sera fixée à 6 000 € ;
PAR CES MOTIFS :
Déclarons M. Malik Naeem X... recevable en sa requête,
Allouons à M. Malik Naeem X... :- une indemnité de 12 000, 00 € en réparation de son préjudice moral,- une indemnité de 16 960, 95 € en réparation de son préjudice matériel.
Rejetons le surplus des prétentions de M. Malik Naeem X....
Décision rendue le 5 novembre 2012 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.