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05/11/2012 | FRANCE | N°12/02330

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 05 novembre 2012, 12/02330


COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 5 NOVEMBRE 2012
(no 253, 4 pages)
Node répertoire général : 12/ 02330
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Dominique GUEGUEN, Conseillère, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Noëlle KLEIN, Greffière, lors des débats et du prononcé avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 19 décembre 2011 par M. Bacar Y..., demeurant ... PASSAMAINTY (Mayotte) ;

Vu les pièces

jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre rec...

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 5 NOVEMBRE 2012
(no 253, 4 pages)
Node répertoire général : 12/ 02330
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Dominique GUEGUEN, Conseillère, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Noëlle KLEIN, Greffière, lors des débats et du prononcé avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 19 décembre 2011 par M. Bacar Y..., demeurant ... PASSAMAINTY (Mayotte) ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 1er octobre 2012 ;
Vu l'absence de M. Bacar Y...,
Entendus Me Maud TOUITOU, avocat au barreau de PARIS représentant M. Bacar Y..., Me Anne-Sophie LEFEVRE, avocat au barreau de PARIS (substituant la SCP NORMAND et ASSOCIÉS) représentant Monsieur l'agent judiciaire de l'État, ainsi que Monsieur Pierre-Yves RADIGUET avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R40-7 du code de procédure pénale ;
* * *
Considérant que M. Bacar Y... été mis en examen le 29 juillet 2006 par un juge d'instruction de Paris du chef de corruption passive par personne dépositaire de l'autorité publique ; qu'il a été placé le jour même en détention provisoire ; que le 24 octobre 2006, il a été mis en liberté à la suite d'une ordonnance du juge d'instruction, mise en liberté assortie d'une mesure de contrôle judiciaire ; qu'il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris du chef de cette infraction par ordonnance du 12 juillet 2010 ; qu'il a fait l'objet le 30 juin 2011 d'un jugement de relaxe, décision n'ayant fait l'objet d'aucun recours ;
Qu'il a ainsi été incarcéré pendant 2 mois et 26 jours ; Considérant que par requête du 19 décembre 2011 déposée le même jour, développée oralement à l'audience, M. Y... sollicite :- une somme totale de 65 000 € au titre de son préjudice moral, soit : * une somme de 25 000 € au titre de son préjudice familial, * une somme de 20 000 € en réparation des conditions de détention, * une somme de 20 000 € en réparation de la dégradation de son état de santé,- une somme de 11 440, 76 € au titre de son préjudice matériel, soit : * 6 000 € en réparation de sa perte de chance, * 1852, 76 € en réparation des frais de transport, * 3 588 € au titre des frais d'avocat,- une somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Que l'agent judiciaire de l'Etat, développant oralement ses écritures à l'audience, conclut :- à la recevabilité de la requête,- à ramener à de plus justes proportions la demande au titre du préjudice moral qui ne saurait excéder la somme de 3 000 €,- au rejet de la demande formée au titre du préjudice matériel,- à statuer ce que de droit sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Que le Ministère Public, développant oralement ses écritures à l'audience, conclut à :- la recevabilité de la requête et à son admission dans le principe,- à la réparation du préjudice moral proportionné à la durée de la détention, subie et en prenant en compte les circonstances particulières,- à la réparation de certains postes du préjudice matériel,- à la réparation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* * *

Sur la recevabilité :
Considérant qu'au regard des dispositions des articles 149-1 et 149-2 du code de procédure pénale et 38 du Décret No 91-1266 du 19 décembre 1991, la requête de M. Y... déposée dans les délais et modalités de la loi est recevable en la forme ;
Sur le préjudice moral :
Considérant que l'indemnisation du préjudice moral de la personne détenue doit être apprécié à l'aune de la durée de la détention, en l'espèce 2 mois et 26 jours et en fonction, notamment, de sa personnalité, de son mode de vie, de son comportement au cours de l'instruction, de ses antécédents judiciaires et des périodes de détention effectuées en exécution de condamnations antérieures ;
Considérant que le préjudice moral constitue un préjudice unique même s'il procède de causes diverses, en conséquence il doit être réparé par l'allocation d'une somme unique, contrairement à ce qui est demandé par le requérant ;
Considérant que M. Y..., né à OUANI (Comores) était âgé de 47 ans lors de sa mise en détention, marié depuis le 8 juin 1976, père de trois enfants, nés les 25 février 1978, 30 décembre 1981 et 15 avril 1983, devenus majeurs et ne vivant plus à son domicile ;
Qu'il s'agissait d'une première incarcération, qu'il a subi un choc psychologique certain ;
Considérant que le requérant fait valoir que ce choc a été aggravé en premier lieu par sa situation familiale, sa famille, dont il était très respecté, ayant douté de lui, ainsi que le fait qu'il était inconnu des services de police ; qu'en second lieu, ses conditions d'incarcération à Fleury Merogis, ont été plus difficiles du fait de sa qualité de fonctionnaire à la Préfecture de Police, n'ayant pu avoir que très peu de relations et de rapports amicaux avec ses co-détenus qui lui témoignaient de l'hostilité, en dernier lieu, son état de santé, qui s'est aggravé du fait de la détention, dès lors qu'étant suivi depuis 2000 pour une hypertension artérielle modérée, traitée et normalisée, il a fait en 2008 un accident vasculaire cérébral, qui l'oblige à un lourd traitement de sa tension artérielle et de ses complications vasculaires, et que d'autre part il connaît, en lien avec la procédure et la détention, des troubles anxio-dépressifs sévères, à tendance suicidaire, nécessitant depuis 2007 le suivi régulier par un psychiatre et un traitement par anxiolytique ;
Considérant que le requérant n'était pas inconnu des services de police mais connu pour des faits de vol ayant donné lieu le 3 septembre 2002 à une condamnation par le tribunal correctionnel de Chartres à une amende ; que le préjudice familial par lui invoqué, lié à la mise en examen et non au placement en détention provisoire, ne saurait être indemnisé ; qu'il a reçu des visites de son épouse et de ses enfants ; qu'il ne démontre pas que les conditions matérielles de sa détention aient été particulièrement difficiles, qu'au plan relationnel, en sa qualité, non pas de fonctionnaire de police, mais d'adjoint administratif à la préfecture de police, il ne produit aucun élément établissant qu'il ait été victime des comportements hostiles de certains détenus ; qu'au plan de sa santé, étant observé qu'il ne réclame pas la réparation d'un préjudice corporel distinct du préjudice moral, il convient de noter d'une part la période relativement courte de la détention, l'absence, parmi les pièces produites, de certificats médicaux qui soient contemporains de sa détention ou de sa mise en liberté, qu'il s'agisse de l'hypertension ou des troubles psychologiques dont il fait état ; qu'en effet, les certificats versés aux débats, datés des 6 mai et 19 mai 2011, postérieurs de près de 5 ans à sa mise en liberté, sont au surplus rédigés en termes très généraux ; que de plus, le requérant n'allègue ni n'établit qu'il n'aurait pas reçu en détention les soins appropriés à son état de santé ; qu'il n'établit donc pas de lien direct entre la détention et une aggravation de son état de santé ;
Qu'eu égard à la durée de sa détention ainsi qu'aux éléments susvisés, il convient en conséquence de lui accorder la somme de 4 000 € en réparation de son préjudice moral ; Sur le préjudice matériel :

Considérant que M. Y..., qui est fonctionnaire, adjoint administratif de catégorie 2 en poste à la Préfecture de Police, qui percevait une rémunération brute de 1900 €, ainsi qu'à chaque fin d'année, une prime intitulée " Indemnité d'administration et de technicité ", variant entre 500 et 1200 €, laquelle récompensait l'assiduité et la qualité de son travail, demande, dès lors qu'il n'a pu bénéficier de cette gratification annuelle à compter de 2006, à être indemnisé de la perte de chance de percevoir les primes de fin d'année pour la période 2006-2011, soit la somme de 1000 € pendant 6 ans = 6 000 €, montant de sa demande ;
Considérant que cette demande sera rejetée ; qu'en effet, le requérant ne justifie pas, une fois relaxé, d'avoir demandé à son administration le versement de la prime et de s'être heurté à un refus et pour quel motif ; qu'il n'existe pas de lien de causalité démontré entre le non versement de cette prime et le placement en détention ;
Considérant que M. Y... demande le remboursement des frais de transport engagés par son épouse et ses enfants pour lui rendre visite, lors de nombreux parloirs ; qu'il précise que pour son épouse, le domicile familial étant à Nogent le Rotrou dans l'Eure, le trajet jusqu'à Fleury-Mérogis est de 270 kms aller-retour et a engendré des frais de carburants ; que seul le préjudice personnel et en lien avec la détention peut donner lieu à réparation, que la demande présentée au nom d'enfants majeurs et n'habitant plus au domicile familial sera rejetée ; que la demande présentée au nom de l'épouse, les dépenses du foyer étant assurées par les époux et notamment par le salaire du mari, serait recevable, à concurrence de la moitié des sommes engagées, que toutefois aucun justificatif des frais de transport n'étant produit, la demande d'indemnisation de ces frais sera rejetée ;
Sur les honoraires d'avocat :
Considérant qu'au titre des honoraires d'avocat, seule la part des frais exposés et prouvés par la production d'une facture détaillée établissant le lien avec la détention peut donner lieu à réparation ; que le requérant, qui fait valoir qu'il a réglé des frais de 3 588 € TTC pour rémunérer des prestations directement liées à la privation de liberté et aux procédures engagées pour y mettre fin et demande à être indemnisé à concurrence de cette somme, verse aux débats trois factures d'honoraires qui ont été établies par Me Maud TOUITOU, en dates du 4 août 2006, du 29 novembre 2010 et du 22 avril 2011 ; qu'aucun des libellés figurant sur ces factures pour décrire les diligences accomplies, n'est relatif à des démarches relatives à la détention provisoire ; qu'en conséquence ce chef de demande sera rejeté ;
Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
Considérant qu'il sera alloué au requérant à ce titre la somme de 1 000 € ;

PAR CES MOTIFS :

Déclarons M. Bacar Y... recevable en sa requête,
Allouons à M. Bacar Y... :- une indemnité de 4 000 € au titre de son préjudice moral,- une indemnité de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, Rejetons le surplus des prétentions de M. Bacar Y....

Décision rendue le 5 novembre 2012 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 12/02330
Date de la décision : 05/11/2012
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2012-11-05;12.02330 ?
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