RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 04 Octobre 2012
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/02615 et 10/02683 LL
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Janvier 2010 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de MELUN section RG n° 07-00734
APPELANTES ET INTIMEES
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE ET MARNE (CPAM 77)
[Adresse 20]
[Adresse 20]
[Localité 13]
représentée par Mme [K] en vertu d'un pouvoir spécial
SA EVERITE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 14]
représentée par Me Benoît CHAROT, avocat au barreau de PARIS, toque : J097 substitué par Me Axel-nicolas CHOQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : J097
INTIMES
Mademoiselle [X] [Y] ayant droit de feu [I] [Y] (décédé le [Date décès 5] 2009)
[Adresse 6]
[Localité 12]
représentée par Me Cédric DE ROMANET DE BEAUNE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0229 substitué par Me Elisabeth LEROUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P0229
Monsieur [C] [Y] ayant droit de feu [I] [Y] (décédé le [Date décès 5] 2009)
[Adresse 4]
[Localité 7]
représenté par Me Cédric DE ROMANET DE BEAUNE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0229 substitué par Me Elisabeth LEROUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P0229
Monsieur [W] [Y] ayant droit de feu [I] [Y] (décédé le [Date décès 5] 2009)
[Adresse 9]
[Localité 8]
représenté par Me Cédric DE ROMANET DE BEAUNE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0229 substitué par Me Elisabeth LEROUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P0229
Monsieur [V] [Y] ayant droit de feu [I] [Y] (décédé le [Date décès 5] 2009)
[Adresse 2]
[Localité 10]
représenté par Me Cédric DE ROMANET DE BEAUNE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0229 substitué par Me Elisabeth LEROUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P0229
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 3]
[Localité 11]
avisé - non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Juillet 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Jeannine DEPOMMIER, Président
Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Conseiller
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mlle Nora YOUSFI, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Jeannine DEPOMMIER, Président et par Mademoiselle Nora YOUSFI, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********
La Cour statue sur les appels régulièrement interjetés par la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine et Marne, d'une part, et par la société Everite, d'autre part, d'un jugement rendu le 19 janvier 2010 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun dans un litige les opposant aux consorts [Y] ;
LES FAITS, LA PROCÉDURE, LES PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler qu'[I] [Y] a été employé par la société Everite en qualité d'ouvrier qualifié, dans l'établissement de [Localité 18], du 18 octobre 1965 au 31 mai 1986 ; qu'il a déposé une déclaration de maladie professionnelle, le 23 septembre 2000, en indiquant être atteint de 'plaques pleurales abestosiques' ; que cette première demande n'ayant eu aucune suite, l'intéressé a formulé, le 13 février 2006, une nouvelle demande de reconnaissance de maladie professionnelle au titre de 'plaques pleurales tableau 30" ; que, par décision du 23 mai 2006, la caisse primaire a reconnu le caractère professionnel de la maladie contractée par [I] [Y] et en a imputé les conséquences au compte spécial de l'assurance maladie ; que le 3 juillet 2007, le salarié a engagé une procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de la société Everite et a saisi à cette fin la juridiction des affaires de sécurité sociale ;
Par jugement du 19 janvier 2010, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun a :
- déclaré opposable à la société Everite la décision de prise en charge de la maladie professionnelle d'[I] [Y] ;
- dit que cette maladie professionnelle est la conséquence de la faute inexcusable de la société Everite ;
- fixé au maximum la majoration du capital et dit qu'elle suivra la majoration éventuelle du taux d'incapacité permanente partielle ;
- fixé comme suit la réparation des préjudices :
- souffrances physiques et morales 30.000 euros ;
- préjudice d'agrément 15.000 euros ;
- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du jugement pour les préjudices extra-patrimoniaux et de la date de la tentative de conciliation pour la majoration du capital ;
- donné acte à la caisse primaire de ce qu'elle se réserve le droit de récupérer auprès de l'employeur le montant des sommes allouées en conséquence de la faute inexcusable ;
- condamné la société Everite à payer à [I] [Y] la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
La société Everite fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions aux termes desquelles il est demandé à la Cour d'infirmer le jugement, de constater que la demande en reconnaissance de la maladie professionnelle était forclose lors de son introduction le 13 février 2006, de constater que l'instruction de cette demande s'est faite non contradictoirement à son égard et, en conséquence, de lui déclarer inopposable la décision de prise en charge ainsi que toutes les décisions subséquentes. En tout état de cause, elle conclut au mal fondé de l'action en reconnaissance de sa faute inexcusable et au rejet de toutes demandes à son encontre. Subsidiairement, elle s'oppose à l'ensemble des demandes présentées en réparation des préjudices subis par [I] [Y] ou, à tout le moins, demande qu'elles soient ramenées à de plus justes proportions. Enfin, elle indique que l'ensemble des majorations et indemnités éventuellement allouées devra être imputé sur le compte spécial par application de l'arrêté du 16 octobre 1995, en raison de la fermeture de l'établissement de Dammarie-lès-Lys.
Au soutien de son appel, la société invoque d'abord la prescription du droit aux prestations, faute pour l'intéressé d'avoir agi dans le délai de deux ans prévu par l'article L 431-2 du code de la sécurité sociale. Elle indique, en effet, qu'[I] [Y] était informé par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle plus de deux ans avant l'introduction de sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle en février 2006 puisqu'il avait déjà déclaré, le 23 septembre 2000, être atteint de plaques pleurales abestosiques sans donner suite à cette première déclaration à laquelle était joint un certificat médical du 14 septembre 2000. Elle soulève l'inopposabilité à son égard de la reconnaissance de la maladie professionnelle.
Elle se prévaut ensuite de la même inopposabilité au motif que la caisse a méconnu le principe du contradictoire, en ne l'appelant pas à participer à la procédure d'instruction conduite uniquement à l'égard du dernier employeur d'[I] [Y]. Elle ajoute que la société France Hélices, dernier employeur, n'a pas non plus bénéficié d'une procédure contradictoire puisqu'elle n'a eu que deux jours utiles pour consulter les pièces du dossier et présenter ses observations. Elle conteste ensuite la décision de prise en charge de la maladie dans la mesure où le certificat médical du 13 février 2006 ne faisait pas état de plaques pleurales mais d'épaississements. Enfin, elle nie l'existence d'une faute inexcusable en prétendant qu'à l'époque elle n'avait pas conscience du danger lié à l'exposition du salarié à la fibre d'amiante et en se prévalant des équipements destinés à éviter la propagation des poussières.
Après s'être désistée de son propre appel à l'encontre du jugement entrepris, la caisse primaire en demande la confirmation sur l'opposabilité de la décision de prise en charge et s'en remet à l'appréciation de la Cour sur la reconnaissance de la faute inexcusable et ses conséquences, se réservant le droit de récupérer auprès de l'employeur le montant des sommes allouées au titre de la faute inexcusable.
Elle soutient d'abord que la demande de reconnaissance de maladie professionnelle du 13 février 2006 n'était pas atteinte par la prescription biennale dès lors qu'elle se fondait sur un certificat médical du même jour constatant le lien entre la maladie et l'activité professionnelle exercée par le salarié, aucune trace d'un certificat médical antérieur faisant état de la même affection n'ayant été retrouvée. Elle prétend ensuite que l'instruction a été menée à l'égard du dernier employeur et qu'elle n'avait pas d'obligation d'information vis à vis de la société Everite, même si elle lui avait demandé des renseignements sur le poste de travail occupé par le salarié. Elle ajoute que la société Everite n'a aucun intérêt à invoquer l'insuffisance du délai laissé au dernier employeur pour venir consulter le dossier et faire valoir ses observations. Enfin, elle indique avoir instruit le dossier au regard des épaississements pleuraux.
Les consorts [Y], intervenant volontairement aux droits d'[I] [Y], décédé le [Date décès 5] 2009, demandent la confirmation du jugement et la condamnation de la société Everite à verser à chacun des ayants droit la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En premier lieu, ils soutiennent que l'action engagée échappe à la prescription. Ils indiquent que le délai de prescription de l'action relative à la faute inexcusable est interrompu par la demande en reconnaissance de la maladie professionnelle et font observer qu'il s'est écoulé moins de deux ans entre cette reconnaissance et la demande de conciliation prévue à l'article L 452-4 du code de la sécurité sociale. Ils précisent que la déclaration de maladie professionnelle du 13 février 2006 était accompagnée d'un nouveau certificat médical initial et que la précédente déclaration déposée en 2000 a eu pour effet de suspendre le délai de prescription, même si elle n'a pas été suivie par l'instruction du dossier.
En second lieu, ils considèrent que la société Everite n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver la santé de leur père qui, chargé de l'entretien des véhicules et du déchargement des sacs et plaques d'amiante, était exposé sans protection à l'inhalation de poussières d'amiante. Ils ajoutent que le danger inhérent à la manipulation de cette fibre était connu à l'époque où leur père travaillait dans l'atelier et que l'inspection du travail avait alerté en vain la direction sur les mesures à prendre pour éviter l'inhalation des fibres.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
SUR QUOI LA COUR :
Considérant d'abord qu'en raison de leur connexité, il convient de joindre les instances suivies sous les numéros 1002615 et 1002683 afin de les juger ensemble ;
Sur la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable,
Considérant qu'en application des articles L 431-2, L 461-1 et L 461-5 du code de la sécurité sociale, les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par la législation sur les maladies professionnelles se prescrivent par deux ans à compter soit de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle, soit de la cessation du travail en raison de la maladie contractée, soit de la cessation du paiement des indemnités journalières, soit encore de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie ;
Considérant qu'en l'espèce, le délai de prescription de l'action relative à la faute inexcusable de l'employeur n'a commencé à courir qu'à compter de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie ; qu'il s'est écoulé moins de deux ans entre la saisine de la caisse, pour faute inexcusable, le 3 juillet 2007 et la prise en charge de la maladie d'[I] [Y] intervenue le 23 mai 2006 seulement ;
Considérant que s'il apparaît qu'[I] [Y] avait eu connaissance en juin 2000 du lien possible entre les plaques pleurales abestosiques et son activité professionnelle, il est justifié d'une demande d'indemnisation de sa part dès le 23 septembre 2000, date du dépôt de sa première déclaration de maladie professionnelle au titre du tableau n° 30 ;
Considérant que cette première déclaration, déposée dans le délai imparti, a interrompu le cours de la prescription et, à défaut de toute réponse de la caisse régulièrement saisie, la victime ou ses ayants droit ne peuvent se voir opposer l'expiration du délai de prescription biennale ; qu'ils ne sont pas responsables du retard pris par la caisse à instruire leur demande ; que ce retard les a contraints à réitérer, le 13 février 2006, leur demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, cette fois avec succès ;
Considérant que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont décidé que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable n'était pas prescrite ;
Sur l'opposabilité à la société Everite de la prise en charge de la maladie,
Considérant qu'en application de l'article R 441-1, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, l'obligation d'information qui incombe à la caisse primaire d'assurance maladie ne concerne que la victime, ses ayants droit et la personne physique ou morale qui a la qualité d'employeur actuel ou de dernier employeur de la victime ;
Considérant qu'il en résulte que la demande en reconnaissance d'une maladie professionnelle n'est valablement instruite qu'à l'égard du dernier employeur même si ce n'est pas dans son entreprise que le salarié a été exposé au risque ;
Considérant que la caisse n'est donc pas tenue d'assurer l'information prévue par l'article R 441-11 à l'égard des précédents employeurs de la victime d'une maladie professionnelle, y compris lorsque ses recherches l'amènent à découvrir chez ces employeurs les éléments lui permettant de reconnaître l'existence d'une maladie professionnelle ;
Considérant qu'en pareil cas, l'ancien employeur ne peut se prévaloir du caractère non contradictoire à son égard de la procédure de reconnaissance de la maladie professionnelle ;
Considérant qu'en l'espèce, la société Everite ne peut donc se plaindre de ne pas avoir reçu de la caisse l'information prévue par l'article R 441-11 et de pas avoir été personnellement associée à l'instruction du dossier ;
Considérant, de même, n'étant pas elle-même destinataire de l'information incombant à la caisse, la société Everite n'est pas recevable, faute de qualité, à critiquer la manière dont celle-ci a été délivrée au dernier employeur ; qu'elle ne peut que contester le caractère professionnel de la maladie à l'occasion de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable ;
Considérant que précisément, la société conteste la prise en charge de la maladie d'[I] [Y] en ce que le certificat médical du 13 février 2006 constatait la présence d'épaississements pleuraux et non de plaques pleurales comme indiqué dans la déclaration ;
Considérant cependant que la caisse relève que l'existence de la maladie désignée dans le certificat médical a été confirmée par son médecin conseil qui a instruit le dossier dans le cadre du tableau 30 B ;
Considérant que ce tableau relatif aux lésions pleurales bénignes vise autant les plaques pleurales que les épaississements, avec la même liste indicative de travaux et il n'est pas contesté qu'[I] [Y], qui a été directement soumis au risque d'inhalation de poussières d'amiante à l'occasion de son travail à l'usine de la société Everite, remplissait les conditions de durée d'exposition et de délai de prise en charge requises pour la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie ;
Considérant que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont décidé que la prise en charge de la maladie professionnelle était opposable à la société Everite ;
Sur l'existence d'une faute inexcusable,
Considérant qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;
Considérant qu'en l'espèce, la société Everite qui fabriquait des produits à base d'amiante-ciment, ne peut sérieusement soutenir que, durant toute la période où [I] [Y] se trouvait à son service, de 1965 à 1986, elle ignorait le danger auquel il était exposé ;
Considérant qu'en effet, les effets nocifs de la poussière d'amiante étaient déjà connus avant même le recrutement du salarié ; qu'à cette époque, plusieurs maladies consécutives à l'inhalation de la fibre d'amiante étaient déjà inscrites au tableau des maladies professionnelles ; que, par ailleurs, le risque inhérent à l'inhalation des poussières en général est clairement identifié depuis la fin du XIXème siècle et la protection des travailleurs contre ce risque n'a cessé d'être renforcée par la réglementation ;
Considérant d'ailleurs qu'il n'est pas contesté que, le 9 mars 1981, l'inspection du travail alertait la direction d'Everite sur le danger encouru par les salariés ; qu'il était en effet constaté qu'à l'atelier meuleton, le nettoyage était assuré manuellement à l'aide de balais, que les conditions de stockage de l'amiante provoquaient l'émission de poussières et que les vestiaires n'étaient pas suffisamment aérés, l'air introduit provenant en partie de l'atelier ;
Considérant qu'en dépit de sa connaissance du danger auquel étaient exposés ses salariés au contact de l'amiante, il apparaît clairement que la société Everite n'a pas pris toutes les précautions nécessaires pour préserver la santé d'[I] [Y] ;
Considérant qu'il ressort des témoignages des collègues de travail du salarié que celui-ci était exposé sans protection à la poussière d'amiante sèche ; que M. [H] précise que le travail d'[I] [Y] consistant à faire l'entretien des véhicules l'exposait à inhaler des poussières d'amiante, notamment à l'occasion du nettoyage des radiateurs et des filtres à air qui se faisait sans protection ;
Considérant qu'ainsi, il est établi que la société Everite n'a pas mis en oeuvre des mesures de protection à la hauteur du danger encouru par ses salariés ; que l'inspection du travail note, dans une lettre du 28 décembre 2000, que l'exposition était massive dans les ateliers d'Everite jusqu'en 1977-1978 et qu'en 1984, le niveau d'empoussièrement atteignait encore 1fibre/cm3 à certains postes ;
Considérant qu'enfin les ayants droit d'[I] [Y] soulignent, sans être démentis, que leur père n'a jamais été informé des risques menaçant sa santé alors que la société Everite était tenue à l'égard de ses salariés d'une obligation de formation notamment en matière de sécurité ;
Considérant que, dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu l'existence d'une faute inexcusable de la société Everite à l'origine de la maladie professionnelle contractée par [I] [Y] ;
Sur les conséquences de la faute inexcusable,
Considérant qu'en application de l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale, la victime ou ses ayants droit de la victime ont droit à la majoration des indemnités qui leur sont dues au taux maximum ;
Considérant qu'en vertu de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, ils ont également droit à la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées et du préjudice d'agrément ;
Considérant que s'agissant des souffrances physiques et morales subies par la victime, cette dernière a présenté une gêne respiratoire et des douleurs thoraciques qui se sont aggravées avec le temps ;
Considérant qu'il existe, par ailleurs, un retentissement moral provoqué par la maladie, eu égard au caractère irréversible et incurable de celle-ci et cette détresse s'est trouvée renforcée chez le malade par la fréquence des décès de collègues de travail atteints comme lui par une maladie de l'amiante ;
Considérant qu'aux termes de l'article L 452-3 précité, l'indemnisation des souffrances physiques et morales constitue un seul et unique chef de préjudice ; qu'au regard des éléments soumis à son appréciation, la Cour considère que le préjudice subi à ce titre par [I] [Y] doit être réparé par une indemnité de 20.000 euros ;
Considérant qu'il est, par ailleurs, justifié que les difficultés respiratoires dont souffrait [I] [Y] l'avaient amené à abandonner la pratique de certaines activités physiques et lui apportaient une gêne constante dans les actes de la vie courante en raison de son rapide essoufflement ;
Considérant que le préjudice d'agrément subi par l'intéressé qui avait 53 ans lorsque sa maladie a été diagnostiquée, a été correctement réparé par l'indemnité de 15.000 euros allouée par les juges ;
Considérant que la société Everite justifiant de la fermeture de son établissement de Dammarie les Lys, c'est à juste titre qu'elle soutient que les dépenses afférentes à la maladie professionnelle contractée par son salarié doivent être inscrites sur le compte spécial de l'assurance maladie en application des articles D 242-6 du code de la sécurité sociale et 2 de l'arrêté ministériel du 16 octobre 1995 ;
Considérant cependant que l'inscription au compte spécial ne prive pas la caisse, tenue de faire l'avance des sommes allouées aux ayants droit en réparation du préjudice personnel de leur auteur, de la possibilité d'en récupérer le montant auprès de l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue ;
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine et Marne conserve donc le recours prévu par l'article L 452-3, alinéa 3, du code de la sécurité sociale à l'encontre de la société Everite ;
Considérant qu'enfin, compte tenu de la situation respective des parties, il y a lieu de condamner la société Everite à verser aux consorts [Y] la somme globale de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
- Ordonne la jonction des instances suivies répertoriées au répertoire général sous les numéros 10/02615 et 10/02683 ;
- Reçoit l'intervention volontaire des consorts [Y] en qualité d'ayants droit d'[I] [Y], leur père décédé ;
- Donne acte à la caisse primaire de la Seine et Marne de son désistement d'appel ;
- Déclare la société Everite recevable et partiellement fondée en son appel ;
- Confirme le jugement entrepris en ce qu'il écarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription, déclare opposable à la société Everite la prise en charge de la maladie professionnelle contractée par le salarié, retient sa faute inexcusable, fixe au maximum la majoration de l'indemnité due et fixe à 15.000 euros le montant du préjudice d'agrément ;
- L'infirme uniquement sur le montant du préjudice physique et moral ;
Statuant à nouveau :
- Fixe à 20.000 euros le montant de ce préjudice, avec intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris ;
- Dit que les dépenses d'indemnisation avancées par la caisse primaire seront inscrites au compte spécial mais que cet organisme conservera le recours prévu à l'article L 452-3 contre l'employeur dont la faute inexcusable est reconnue ;
- Condamne la société Everite à verser aux consorts [Y] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Le Greffier, Le Président,