RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 18 Septembre 2012
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/09215
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Septembre 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS RG n° 10/00325
APPELANT
Monsieur [Z] [H]
[Adresse 9]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de Me Delphine LOPEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : C1616
INTIMEES
SELARL EMJ prise en la personne de Me [D] [M] - Mandataire liquidateur de la SARL LBDJ SAT IF ACTION
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Eric LENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : G0823 substitué par Me Laurence JACOBS, avocat au barreau de PARIS
AGS CGEA IDF OUEST
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté par Me Philippe LAFARGE, avocat au barreau de PARIS, toque : T.10 substitué par Me Vincent JACOB, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Mai 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, présidente,
Madame Michèle MARTINEZ, conseillère,
Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller,
Greffier : Madame Claire CHESNEAU, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller pour la Présidente empêchée et par Mademoiselle Claire CHESNEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS,PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
[Z] [H] a été engagé par la société LBDJ SAT IF ACTION SARL , le 21 janvier 2008, en qualité de chef de car, sans contrat de travail écrit.
Amené à conduire des véhicules-satellite pour des transmissions tant en France qu'à l'étranger, il estime avoir été soumis à un rythme de travail très poussé ; il dit donc avoir été amené à formuler des demandes de paiement d'heures supplémentaires.
Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte par jugement du 30 avril 2009.
Le salarié va adresser à son employeur une lettre de prise d'acte en date du 9 juin 2009, rédigée en ces termes :
' Je tiens à vous alerter quant aux agissements dont j'ai été victime dans la journée d'hier, sur mon lieu de travail. Monsieur [Y] [F], président de la société qui est notre actionnaire, m'a donné l'ordre de quitter l'entreprise, au motif, selon ses dires, que je n'avais pas le droit de photocopier mes plannings de travail.
Je me suis donc rendu à mon domicile et vous en ai informé, puisque vous êtes mon employeur, par courrier électronique.
Peu après 20 heures, Monsieur [Y] [F] m'a répondu avec une mauvaise foi inacceptable, prétendant m'avoir demandé de solder mes congés-payés, et justifiant la brutalité de son geste par le fait que j'aurais confondu plusieurs imprimantes, alors que je ne dois utiliser que celles qui appartiennent à SAT IF ACTION.
Je vous ai déjà alerté par voie téléphonique, je vous remercie de votre courtoisie, mais vous pouvez comprendre que je ne puisse m'en satisfaire lorsque je suis expulsé physiquement de mon lieu de travail et que derrière cet incident, il est question de régulariser mes salaires qui n'ont strictement aucun rapport avec la réalité de mon temps de travail.
Dans de telles conditions, je prends acte de la rupture de mon contrat de travail, après mes multiples demandes de paiement de salaire, non honorées à ce jour,je considère en outre ne pas être en situation de pouvoir faire respecter mon intégrité physique en continuant à me présenter sur le lieu de travail, alors que vous-même, mon supérieur hiérarchique, n'y êtes pas présent, et qu'en revanche, je dois supporter les menaces de l'actionnaire.'
Le contrat de travail aura donc pris fin le 8 juin 2009.
La liquidation judiciaire de la société LBDJ SAT IF ACTION SARL a été prononcée par le tribunal de commerce de Paris le 3 décembre 2009.
[Z] [H] va saisir la juridiction prud'homale, le 11 janvier 2010, de diverses demandes.
Par jugement contradictoire en date du 22 Septembre 2010, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté [Z] [H] de l'ensemble de ses demandes.
Appel de cette décision a été interjeté par [Z] [H], suivant un courrier recommandé posté le 15 octobre 2010.
Par des conclusions visées le 23 mai 2012 puis soutenues oralement lors de l'audience, [Z] [H] demande à la cour de débouter le mandataire-liquidateur et l'AGS de leurs prétentions et demandes, de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société LBDJ SAT IF ACTION SARL et dire que ces sommes seront garanties par l'AGS :
* 36 298,24 € au titre des heures supplémentaires de février 2008 à juin 2009,
* 3 629,82 € congés-payés afférents,
* 8 261,39 € repos compensateur,
* 247,91 € heures de travail de nuit,
* 24,79 € congés-payés afférents,
* 35 628,90 € au principal travail dissimulé,
* 21 774 € à titre subsidiaire travail dissimulé, de dire et juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail le 9 juin 2009 doit produire les effets d'un licenciement nul et fixer ainsi la créance :
A titre principal, sur la base d'un salaire mensuel de 5 398,15 € ( moyenne de juin 2008 à mai 2009 ):
* 17 814,45 € préavis,
* 1 781,44 € congés-payés afférents,
* 4 586,37 € indemnité de licenciement,
* 74 500 € licenciement sans cause réelle et sérieuse,
A titre subsidiaire sur la base d'un salaire mensuel de 3 629 € :
* 10 887 € préavis,
* 1 088,70 € congés-payés afférents,
* 2 903,20 € indemnité de licenciement,
* 43 550 € indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner le mandataire-liquidateur à remettre à lui remettre , sous astreinte de 20 € par document et par jour de retard à compter de la notification de la décision à venir :
¿ des bulletins de paie rectifiés des mois de juin 2008 à mai 2009,
¿ une attestation pôle emploi modifiée , tenant compte notamment des rappels de salaire dus pour ces douze derniers mois et des indemnités payées en exécution de la décision à venir,
¿ un bulletin de paie confirme à la décision à venir, de condamner la société LBDJ SA T IF ACTION SARL à lui payer la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par des conclusions visées le 23 mai 2012 puis soutenues oralement lors de l'audience, la SELARL EMJ, études de mandataires judiciaires, représentée par Me [D] [M] en qualité de mandataire-liquidateur de la société LBDJ SAT IF ACTION SARL demande à la cour de confirmer le jugement entrepris.
Par des conclusions visées le 23 mai 2012 puis soutenues oralement lors de l'audience, l'UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF OUEST demande à la cour de confirmer le jugement déféré ; en conséquence, il est demandé de débouter [Z] [H] de l'ensemble de ses demandes contraires aux présentes, de dire et juger que s'il y a fixation, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale, notamment prévue par les dispositions de l'article L. 3253-6 du code du travail.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient de rappeler que l'appelant , engagé par la société LBDJ SAT IF ACTION SARL le 21 janvier 2008, avec une rémunération mensuelle de 2 950 €, outre une prime exceptionnelle dont il s'avère qu'elle a été payée régulièrement par l'employeur, a pris acte de la rupture de son contrat de travail par un courrier en date du 9 juin 2009.
L'examen des motifs retenus par le salarié pour justifier de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail dans une lettre adressée à son employeur montre qu'ils sont relatifs à l'attitude pressante qu'aurait eu le président d'une société actionnaire ( dénommée LE BUT DU JEU ) de la société LBDJ SAT IF ACTION SARL, [Y] [F], alors qu'il se présentait dans les locaux de l'entreprise pour imprimer des plannings d'activité, celui-ci lui demandant de quitter les lieux. Le salarié interprète cette attitude comme étant destinée à entraver sa recherche de justificatifs de l'accomplissement d'heures supplémentaires, situation que, selon lui, il cherche à régulariser depuis quelque temps par ' de multiples demandes de paiement de salaire'. L'événement est corroboré par deux témoignages (pièces 38 et 40 ), l'un d'un salarié de l'entreprise ( M. [J] ) et l'autre d'un journaliste présent sur les lieux ( M. [L] ).
Il y a donc lieu de considérer que le salarié, pour fonder sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, vise expressément un manquement supposé de l'employeur à son obligation de payer le salaire en ce qui concerne des heures supplémentaires qu'il aurait effectué pendant toute la durée de la relation de travail. Il verse aux débats des courriels envoyés à l'employeur dans des temps proches de la rupture évoquant cette problématique ( pièces 3, 4 et 5 ; courriels des 18 et 22 mai 2009, 6 juin 2009 ) rapportée à l'ensemble de la relation de travail ( pièce 4 ) avec des interrogations ainsi formulées : ' toujours pas de news à ce sujet ''on voit plus tard '''. La rupture est donc à la fois motivée et brusque, se situant par ailleurs juste après la mise en redressement judiciaire de l'employeur ( 30 avril 2009) ; il s'agit dès lors de vérifier si elle repose sur des manquements graves de l'employeur justifiés par les éléments versés aux débats par [Z] [H].
Il est constant que dans le domaine du non-paiement des heures supplémentaires la preuve de l'effectivité de l'accomplissement de celles-ci n'incombe particulièrement à aucune des parties au contrat de travail au sens des dispositions de l'article L.3171-4 du code du travail. Ici, l'employeur soutient qu'il n'a été demandé au salarié aucune heure supplémentaire, son horaire de travail étant celui qui est prévu par la loi. Pour le salarié, les horaires accomplis pendant toute la relation de travail ( du 21 janvier 2008 au 8 juin 2009 ) ont pourtant constamment dépassé l'horaire légal sans contre-partie quant à leur rémunération. Pour accréditer cette thèse, il verse aux débats des éléments consistant à mettre en parallèle les plannings de travail de la société SAT IF ACTION SARL pour toute la durée du contrat de travail et un décompte unilatéral établi par ses soins des sommes dues au titre des heures supplémentaires constatées par l'utilisation consécutive d'un logiciel de calcul procédant par voie d'application globale des plannings mensuels et présenté sous la forme d'un document ( pièce 31 ) élaboré par le salarié pour les besoins du contentieux élevé par lui.
La cour relève, à ce stade, qu'aucun des éléments versés aux débats par le salarié (plannings, documents annexes par mission et récapitulation par usage d'un outil informatique de calcul ) ne comporte la moindre signature ou autre validation de la société SAT IF ACTION SARL .
L'examen des plannings qui ont été versés aux débats par le salarié ainsi que les documents afférents ne permettent pas d'établir, pour chaque 'événement' qu'ils mentionnent l'effectivité du travail accompli et l'identité de l'intervenant concerné qui s'est réellement rendu sur les lieux et pour la mission visée, mission parfois non reprise sur les fiches jointes qui ne peuvent constituer des rapports d'intervention ou encore des certificats selon lesquels les missions considérées auraient réellement été accomplies. L'ensemble des documents produits ne comportent aucune signature, ni du salarié, ni de l'employeur, ni des clients. Ils ne sont corroborés par aucun élément comptable, seuls deux témoignages produits mettent en évidence les particularismes de l'activité en soulignant la durée parfois excessive des interventions mais également les périodes pendant lesquelles il n'y en avait pas ( dont l'employeur disait qu'il y avait beaucoup de 'off' ) tout en estimant que les chefs de car étaient amenés à rester en permanence à la disposition de l'employeur en attente de missions ; la cour estime que ces témoignages émanant d'un chef de car de la société LE BUT DU JEU et d'un technicien télécommunications satellite ancien salarié de la société LBDJ ( MM. [D] et [B] ) ne sont pas de nature à caractériser l'accomplissement d'heures supplémentaires au vu, sur ce sujet, de constatations subjectives, partielles, non circonstanciées et non fixées dans le temps. Dès lors, la demande faite par [Z] [H] au titre d'heures supplémentaires non prises en compte par son employeur ne saurait constituer le fondement ici nécessaire à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en raison de manquements graves de l'employeur. En effet et au sens des dispositions légales rappelées plus haut, le salarié ne fournit pas à la cour les éléments de nature à laisser supposer l'accomplissement d'heures supplémentaires effectivement accomplies dans le cours du contrat de travail sans rémunération versée par l'employeur à ce titre. En conséquence, il y a lieu de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a considéré que la prise d'acte de la rupture s'analysait non pas en un licenciement imputable à l'employeur mais en une démission du salarié avec toutes les conséquences de droit. Le jugement déféré est confirmé de ce chef.
Le jugement déféré est également confirmé en ce qu'il a débouté [Z] [H] de ses autres demandes, dans la mesure où la démission constatée les rend sans objet.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déclare le présent arrêt opposable à l'AGS,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Laisse les dépens à la charge d'[Z] [H].
LA GREFFIÈRE POUR LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE