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04/09/2012 | FRANCE | N°10/07011

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 04 septembre 2012, 10/07011


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2012



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/07011



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Mai 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS- RG n° 10/01414









APPELANT

Monsieur [B] [V] [I]

[Adresse 1]

[Localité 4]

comparant en personne, assisté de Me Philippe GENY SANTONI, avo

cat au barreau de PARIS, toque : C1386







INTIMEE

SAS SOCIETE TS 3

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me TAHAR, avocat au barreau de PARIS, toque : P 394





COMPOSITION DE LA COUR :...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2012

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/07011

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Mai 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS- RG n° 10/01414

APPELANT

Monsieur [B] [V] [I]

[Adresse 1]

[Localité 4]

comparant en personne, assisté de Me Philippe GENY SANTONI, avocat au barreau de PARIS, toque : C1386

INTIMEE

SAS SOCIETE TS 3

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me TAHAR, avocat au barreau de PARIS, toque : P 394

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Mars 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, Présidente

Madame Michèle MARTINEZ, Conseillère

Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Melle Claire CHESNEAU, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller pour la Présidente empêchée et par Mademoiselle Claire CHESNEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

[B] [V] [I] a été engagé, en dernier lieu, d'avril à mai 2009 puis de la mi-septembre à fin décembre 2009, en qualité de pianiste du chanteur [X], par la société TS 3 SAS chargée de la production de ses spectacles, suivant plusieurs contrats d'usage à durée déterminée.

Le 4 mai 2009, la société TS 3 SAS l'informe qu'une tournée 'Zéniths et théâtres' est envisagée par Calogero en 2010 en joignant un planning prévisionnel et en indiquant le montant des cachets afférents.

Une négociation sur le montant de la rémunération aura lieu et sera suivie d'un accord.

Le 28 octobre 2009, [B] [V] [I] reçoit un planning de la tournée 2010 avec les dernières mises à jour.

Quelques jours plus tard, la société TS 3 SAS annonce que le chanteur [X] a décidé de se produire seul dans les théâtres.

Devant le refus de la société TS 3 SAS de toute indemnisation, [B] [V] [I] va saisir, le 1er février 2010, la juridiction prud'homale de diverses demandes.

Par jugement contradictoire en date du 17 mai 2010, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté [B] [V] [I] de ses demandes.

Appel de cette décision a été interjeté par [B] [V] [I] , suivant un courrier expédié le 4 août 2010.

Par des conclusions visées le 13 mars 2012 puis soutenues oralement lors de l'audience, [B] [V] [I] demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et statuant à nouveau, de constater l'existence d'une promesse d'embauche entre la société TS3 et lui pour la période du 22 février 2010 au 31 mai 2010, de juger que c'est de manière fautive que la société TS 3 SAS a rompu cette promesse d'embauche ; en conséquence, il est demandé de condamner la société TS 3 SAS à lui payer les sommes suivantes :

* 29 400 € bruts soit 24 285,38 € au titre des salaires qu'il aurait dû percevoir pendant la tournée (47 représentations et 4 répétitions),

* 2 940 € bruts soit 2 428 € au titre des congés-payés,

* 20 000 € préjudice financier,

* 15 000 € préjudice moral,

* 776 € indemnité de fin de collaboration,

* 6 000 € article 700 du code de procédure civile.

Par des conclusions visées le 13 mars 2012 puis soutenues oralement lors de l'audience, la société TS 3 SAS demande à la cour de déclarer irrecevable à titre principal l'appel du jugement entrepris par application des dispositions de l'article 561 du code de procédure civile et, à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile, de dire et juger subsidiairement, sur le fond, qu'il n'y a pas eu de promesse d'embauche et débouter en conséquence l'appelant de ses demandes ; plus subsidiairement encore au cas où il devrait en être jugé autrement, dire que la société TS 3 SAS n'a commis aucune faute et n'est pas à l'origine de la rupture ; plus subsidiairement, au cas où il devrait en être jugé autrement, de dire que M [B] [V] [C] n'a pas droit au paiement de salaires et réduire ses prétentions à indemnisation que sur la base des cachets qu'il aurait pu percevoir s'il avait donné ses prestations, soit dans le meilleur des cas à la somme de 3 000 € , le débouter du surplus outre l'octroi de la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a été sollicité et autorisé par la cour la production d'une note en délibéré par les parties au sujet de la problématique pourparlers/promesse d'embauche. Cette demande a été satisfaite par des lettres reçues au greffe les 17 avril 2012 ( société TS 3 SAS ) et 30 avril 2012 ([B] [V] [I] ).

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'appel

La société TS 3 SAS soutient que le salarié serait irrecevable en son appel pour ne pas avoir, dans ses écritures d'appel, critiqué le jugement déféré ni demandé sa réformation, en invoquant les dispositions des articles 561 et 562 du code de procédure civile. Ce faisant, la société intimée méconnaît l'effet dévolutif de l'appel qui confère à la cour l'examen, après le premier juge, de l'entier litige, sachant au surplus qu'en matière prud'homale il y a lieu d'appliquer les dispositions de l'article R. 1452-7 du code du travail selon lequel les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel. Cette exception d'irrecevabilité est rejetée.

Sur la nature de la relation contractuelle

Il est constant que [B] [V] [I], pianiste, a été régulièrement recruté par la société TS 3 SAS au cours des années 2000 à 2009, suivant quelque 117 contrats à durée déterminée d'usage (sous la pièce 1) en qualité de membre de la formation orchestrale accompagnant le chanteur de variétés [X] dans ses différentes prestations publiques et d'enregistrements . Au cours de l'année 2009, l'appelant participera d'avril à mai à la tournée des Zéniths de ce chanteur. A ce stade et dans la continuité de cette relation contractuelle, un courriel du 4 mai 2009 émanant d'un responsable de la société TS 3 SAS fait savoir à [B] [V] [I] que ' très certainement' une tournée- théâtres allaient être organisée 'en 2010 pour [X]'. A ce courriel est joint un planning prévisionnel ( il est demandé à [V] [I] de le considérer comme confidentiel), les dates et lieu de préparation sont fixées du 22 ou 26 février 2010 à Enghien mais ' sûrement chez [X] avant pour la partie musique'. Le 'format' est défini : 3 musiciens ( formule acoustique) sur scène : 'toi piano', guitare ([T]) percussions ([H]) + [X]. Le matériel et le piano seront fournis sur place. Le cachet prévu pour cette partie de tournée est de 400 € brut. La proposition se poursuit en ces termes: ' a suivre, il est fortement question que nous fassions des concerts en Zénith au mois de juin 2010, des festivals en été et peut être également à la rentrée (septembre/décembre 2010) tout cela bien évidemment aux conditions financières de la tournée Zénith initiale'. Le courriel se termine ainsi : 'dans l'attente de ta réponse sur les conditions financières'.

Par courriel du lundi 4 mai 2009, [B] [V] [I] répond à la société TS 3 SAS ([Z] [L]) en lui signifiant 'sa désapprobation' en rappelant qu'il avait donné 'son accord , au même titre que tous [ mes ] camarades à la proposition de TS 3 SAS pour la tournée 'l'Embellie' Zéniths+ théâtres, toutes salles confondues, au salaire de 600 € brut'. [B] [V] [I] poursuit : 'je ne comprends pas ce changement d'autant plus que les coûts de plateau sont réduits au minimum et souhaite sincèrement que vous serez en mesure de respecter votre parole sans quoi je me verrais contraint de refuser cette nouvelle offre qui ne respecte pas nos engagements initiaux'.

Le 11 mai 2009, les parties vont tomber d'accord sur la rémunération : 600 € par concert ; 300 € par répétition. Un planning détaillé des concerts (Zéniths et théâtres) est communiqué par la société TS 3 SAS pour les mois de février, mars, avril, mai, octobre, novembre et décembre 2010 (pièce 5). La cour constate ainsi qu'après des pourparlers entre les parties déjà en relation contractuelle suivie à travers des contrats à durée déterminée d'usage, une promesse d'embauche a été faite à [B] [V] [I] par la société TS 3 SAS comprenant une définition de la prestation à fournir, sa durée, les lieux où elle s'accomplira et les conditions de rémunération de celle-ci. Du fait de cet accord réciproque, les parties se sont trouvées liées par un contrat de travail.

Il est constant qu'au stade de cette promesse d'embauche ayant les effets d'un contrat de travail est intervenue une rupture de la part de l'employeur en ce que le programme des prestations à fournir, en raison de l'option prise par le chanteur [X] de se produire seul dans les théâtres, a été non seulement remis en question mais réduit au strict minimum, cette modification unilatérale et majeure, ne résultant de l'application d'aucune condition suspensive liée à cette promesse et intervenant à un moment où il devenait impossible pour [B] [V] [I] de combler un déficit devenu quasi total d'engagements pour l'année 2010.

Le non-respect fautif ainsi constaté de la promesse d'embauche par la société TS 3 SAS s'analyse, selon le droit positif, en un licenciement . Ce licenciement causé de manière fautive par le défaut de réalisation par l'employeur de cette promesse précisément formalisée ouvre droit pour le salarié à la réparation du préjudice en résultant . A cet égard, [B] [V] [I] explique qu'il a subi un préjudice économique et financier d'une part et un préjudice moral d'autre part .

Sur la réparation du préjudice subi

A. L'appelant fait une approche de son préjudice économique en se référant à une perte de salaire (cachets) pour la période envisagée par la promesse d'embauche ne donnant plus lieu à prestations artistiques. Il fixe ce manque à gagner, par des calculs présentés dans ses conclusions d'appel au prorata des jours qui auraient été travaillés et des cachets contractuels, à la somme de 29 400 € brut. Ce chiffre n'est pas contesté subsidiairement par la société TS 3 SAS. C'est cependant à tort que le salarié réclame en tant qu'indemnité une pure contre-partie salariale assortie de congés-payés, la somme ainsi avancée ne pouvant être conçue que comme une référence chiffrée destinée à l'évaluation du préjudice subi du fait de la rupture illégitime de la promesse d'embauche et de ses conséquences quant à un manque à gagner.

[B] [V] [I] souligne et justifie également qu'il n'a pu bénéficier de l'assurance-chômage en raison de sa perte de cachets (pièce 14), qu'il a eu des difficultés à rembourser le prêt immobilier afférent à son logement familial (1 289,12 € / mois) et enfin qu'il a dû demander en justice un moratoire pour les remboursements du prêt d'un autre appartement acheté dans le cadre d'un investissement immobilier défiscalisé (obtenu pour deux ans par décision du tribunal d'instance de Charenton du 10 août 2010). En page 12 de ses conclusions d'appel, [B] [V] [I] fait une projection de ce qu'il aurait pu obtenir pour le renouvellement de ses droits ASSEDIC relativement à son statut d'intermittent du spectacle, soit un taux journalier de 74,62 € . Il réclame en conséquence, une indemnité de 20 000 € relativement à ce préjudice financier.

B. Il est souligné aussi par [B] [V] [I] que la rupture de la promesse d'embauche est survenue d'une manière brusque de la part de l'employeur qui ne s'est entouré d'aucune précaution ni prévenance, laissant [B] [V] [I], avec lequel elle entretenait une relation de travail de longue date, organiser avec difficultés un nouvel emploi totalement précaire de son temps de travail. En effet, le salarié a essayé de prêter son concours à d'autres artistes mais a dû se rabattre sur une fonction de gardien de salle (fiches de paie de l'Opéra Comique ; novembre et décembre 2010) et des cours dans une école de musique. Il réclame donc, au titre d'un préjudice spécifiquement moral la somme de 15 000 € .

La société TS 3 SAS conteste subsidiairement l'existence d'un véritable préjudice en ce que [B] [V] [I] est un pianiste reconnu qui pouvait trouver d'autres engagements et fait une offre indemnitaire égale à dix pour cent du préjudice liée à la privation de rémunération (voir plus haut A.), soit 3 000 €.

Il résulte de l'analyse des demandes indemnitaires présentées par [B] [V] [I] que les conséquences préjudiciables de la rupture de la promesse d'embauche, qui s'analyse en un licenciement illégitime, doivent être indemnisées par l'allocation d'une somme de 40 000 € à titre de dommages et intérêts, incluant les préjudices économique, financier et moral subis.

Sur l'indemnisation de la fin de collaboration

En application des dispositions de l'article 4.7 de l'accord collectif national du 29 novembre 2007 relatif aux salariés employés à durée déterminée d'usage ayant vocation à se substituer à l'accord interbranches sur le recours au contrat à durée déterminée d'usage dans le spectacle du 12 octobre 1998, [B] [V] [I] demande le paiement d'une somme de 776 € .

La société TS 3 SAS ne formule pas d'offre subsidiaire sur ce point auquel elle n'oppose aucun moyen dans ses écritures.

Le salarié, se référant à la disposition conventionnelle susvisée en son point 1, verse aux débats des éléments permettant de vérifier qu'il a travaillé pour la société TS 3 SAS dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée d'usage du 21 juillet 2007 au 13 décembre 2009, soit pendant plus de deux ans , sans interruption supérieure à 12 mois consécutifs, soit un total de 168 jours (le texte conventionnel exige un minimum de deux années et de 100 jours). Dans ces conditions, il peut donc se prévaloir des dispositions conventionnelles prévoyant le versement d'une indemnité de fin de collaboration correspondant à 20% du salaire moyen des douze derniers mois (1 940,16 €) multiplié par deux années, dans la mesure où son dernier contrat à durée déterminée n'aura pas donné pas lieu à renouvellement. La société TS 3 SAS est donc condamnée à payer à [B] [V] [I] la somme de 776 €.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

Condamne la société TS 3 SAS à payer à [B] [V] [I] les sommes suivantes :

- 40 000 € à titre de dommages et intérêts, tous chefs de préjudice confondus, pour rupture abusive de la promesse d'embauche ,

- 776 € à titre d'indemnité conventionnelle de fin de collaboration,

Déboute [B] [V] [I] du surplus de ses demandes,

Y ajoutant :

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société TS 3 SAS à payer à [B] [V] [I] la somme de 1 500€,

Laisse les dépens à la charge de la société TS 3 SAS.

LA GREFFIÈRE POUR LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 10/07011
Date de la décision : 04/09/2012

Références :

Cour d'appel de Paris K3, arrêt n°10/07011 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-09-04;10.07011 ?
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