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04/09/2012 | FRANCE | N°09/09831

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 04 septembre 2012, 09/09831


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2012



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/09831



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Octobre 2009 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY RG n° 05/2203





APPELANT

Monsieur [K] [J]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Christophe NEVOUET, avocat au barreau de

PARIS, toque : G0106





INTIMEE

SARL SAFILO FRANCE

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 3]

représentée par Me Virginie DELESTRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1234 substitué ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2012

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/09831

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Octobre 2009 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY RG n° 05/2203

APPELANT

Monsieur [K] [J]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Christophe NEVOUET, avocat au barreau de PARIS, toque : G0106

INTIMEE

SARL SAFILO FRANCE

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 3]

représentée par Me Virginie DELESTRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1234 substitué par Me Maud THOMAS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Novembre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, Présidente, et Madame Michèle MARTINEZ chargées d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, Présidente

Madame Michèle MARTINEZ, Conseillère

Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller

Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller pour la Présidente empêchée et par Madame Claire CHESNEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [K] [J] a été embauché à compter du 15 décembre 1981 en qualité de VRP exclusif, statut cadre, par la société BB GR, aux droits de laquelle se trouve la société Safilo, laquelle commercialise des montures de lunettes.

Le 12 novembre 2004, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Lunéville pour obtenir l'annulation d'un avertissement qui lui avait été notifié le 8 octobre 2004.

Il s'est désisté de cette instance le 28 février 2005.

Par ordonnance du 3 juin 2005, le conseil de prud'hommes de Bobigny, statuant en formation de référé, a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de M. [J] en paiement d'une retenue sur le salaire de février 2005 opérée par l'employeur.

Le 13 juin 2005, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny en paiement du salaire de février 2005, de commissions pour les années 2001 à 2005, de congés payés et de dommages-intérêts, ces demandes ayant été étendues, le 3 mars 2006, à la résiliation judiciaire du contrat de travail et au paiement de divers rappels et indemnités.

M. [J] ayant fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie, le médecin du travail de l'ALSMT, centre de médecine du travail auquel il s'est adressé, a émis le 3 novembre 2005 un avis d'inaptitude au poste et d'aptitude à tout poste dans une autre entreprise, puis, le 18 novembre 2005, un avis d'inaptitude définitive au poste de VRP et à tous les postes dans l'entreprise.

Le 13 février 2006, l'inspecteur du travail a annulé cet avis d'inaptitude au motif que le médecin de l'ALSMT était incompétent pour les salariés de la société Safilo, ceux-ci relevant de l'AMETIF. Le 25 mai 2010, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la requête de M. [J] tendant à l'annulation de cette décision.

Le 29 mai 2006, le médecin du travail de l'AMETIF a émis un avis d'inaptitude au poste de VRP et d'aptitude à un poste sans conduite de véhicule ni contact avec le public. Dans un second avis du 15 juin 2006, il a déclaré M. [J] inapte définitif à son poste de travail avec la même aptitude à un poste sans conduite de véhicule ni contact avec le public.

Le 30 juin 2006, la société Safilo a convoqué M. [J] pour le 13 juillet 2006 à un entretien préalable à son éventuel licenciement et l'a mis à pied à titre conservatoire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 juillet 2006, M. [J] a été licencié pour faute grave sans préavis ni indemnité pour avoir constitué en mars 2006, sous le nom de son épouse, la société Eyes people ayant une activité directement concurrente de celle de l'employeur.

L'entreprise occupait à titre habituel au moins onze salariés et le salarié bénéficiait du statut des VRP.

Les demandes de M. [J] devant le conseil de prud'hommes de Bobigny tendaient en dernier lieu à la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, d'une indemnité spéciale de rupture, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts pour harcèlement moral, d'un rappel de salaire pour février 2005, des congés payés afférents, d'un rappel sur commissions de 2001 à 2005, des congés payés afférents, d'un remboursement de frais de déplacement, d'une allocation de procédure, ainsi qu'à la remise de documents sociaux conformes.

La société Safilo a réclamé reconventionnellement la requalification du licenciement en licenciement pour faute lourde, des dommages-intérêts et une indemnité de procédure.

Par jugement du 30 octobre 2009, le conseil de prud'hommes statuant en formation de départage a :

- déclaré irrecevables, comme contraires au principe de l'unicité de l'instance, les demandes liées à la résiliation judiciaire du contrat de travail, au harcèlement moral et aux commissions,

- condamné la société Safilo à payer à M. [J] :

- 1 734 euros à titre de remboursement de frais de déplacement,

- 3 400 euros à titre de frais de coordination,

- 1 121 euros à titre de rappel de salaire pour février 2005,

- 112 euros au titre des congés payés afférents,

- ordonné la remise de bulletins de paie conformes,

- ordonné l'exécution provisoire,

- rejeté le surplus des demandes.

M. [J] a fait appel. Il demande à la cour de confirmer les condamnations prononcées à son profit par le jugement, d'infirmer le jugement pour le surplus et de :

- constater la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur,

- subsidiairement, constater que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Safilo à lui payer :

- 200 400 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 200 400 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 24 139,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 2 413,98 euros au titre des congés payés afférents,

- 37 523,67 euros à titre d'indemnité de retour sur échantillonnage,

- 78 052 euros à titre d'indemnité spéciale de rupture,

- 39 651,40 euros à titre de rappel de commissions au titre des remises de fin d'année déduites pour les années 2001 à 2005,

- 3 965,14 euros au titre des congés payés,

- 3 357,92 euros à titre de rappel de commissions au titre des primes sur objectif 2005,

- 335,79 euros au titre des congés payés afférents,

- 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les intérêts au taux légal sur ces sommes,

- condamner la société Safilo à lui remettre un certificat de travail, un bulletin de salaire et une attestation destinée à Pôle emploi conformes.

La société Safilo conclut à l'infirmation partielle du jugement, à l'entier débouté de M [J] et sollicite la requalification du licenciement de M. [J] en licenciement pour faute lourde, le paiement de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts et de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité

La règle de l'unicité de l'instance en matière prud'homale résultant de l'article R.1452-6 du code du travail n'est applicable que lorsque l'instance précédente s'est terminée par un jugement sur le fond.

En l'espèce, aucune décision sur le fond n'a été rendue entre les parties avant le jugement déféré, et spécialement l'instance antérieure introduite le 12 novembre 2004 devant le conseil de prud'hommes de Lunéville, à laquelle se réfère l'employeur, s'est achevée, le 28 février 2005 par une décision constatant le désistement.

A cet égard, la société Safilo ne peut revendiquer l'application de la jurisprudence en vigueur au moment des faits. En effet, il découle des articles 2 et 5 du code civil que les exigences de la sécurité juridique ne sauraient consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable, l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit, cette évolution dût-elle avoir un effet rétroactif.

Par ailleurs, le moyen de la salariée relatif à la date de révélation du fondement de ses demandes n'est que subsidiaire. Dès lors, la cour, qui a admis le moyen principal, n'a pas à examiner le subsidiaire, les moyens développés à ce sujet par l'employeur sont donc sans portée.

Il s'ensuit que le jugement doit être infirmé et les demandes de M. [J] doivent être déclarées recevables.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Lorsque, comme en l'espèce, un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

Lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

A l'appui de sa demande de résiliation, le salarié invoque :

- le non-versement de sa rémunération conformément à l'article L.1226-4 du code du travail à la suite de l'inaptitude prononcée par le médecin du travail,

- le non-paiement de l'intégralité des primes dues résultant de la fixation unilatérale d'objectifs contestés par lui,

- l'exécution de mauvaise foi du contrat de travail par la conclusion de transactions sans réelles contreparties et par l'imposition de multiples modifications du contrat de travail,

- le non-paiement de l'intégralité des commissions dues compte tenu des déductions illicites imposées par la société,

- le harcèlement moral à son encontre.

Sur le non-versement de la rémunération à la suite de l'inaptitude prononcée par le médecin du travail

Aux termes de l'article L.1226-4 du code du travail, lorsqu'à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail, ces dispositions s'appliquant également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constaté par le médecin du travail.

Le délai d'un mois prévu par l'article L.1226-4 du code du travail commence à courir à partir du second des deux examens médicaux de reprise prévus à l'article R.4624-31 du même code. Il n'est pas suspendu par le recours exercé devant l'inspecteur du travail. Le contrat de travail se trouve en revanche suspendu de nouveau à compter de la date d'annulation de l'avis du médecin du travail, date à partir de laquelle le salaire cesse d'être dû.

En l'espèce, la société Safilo, qui n'avait ni reclassé ni licencié M. [J], avait, compte tenu des dates des avis des médecins du travail, l'obligation de reprendre le versement de son salaire à compter du 18 décembre 2005 jusqu'au 13 février 2006.

Le salaire à prendre en considération comprend l'ensemble des éléments constituant la rémunération, la partie variable comme la partie fixe.

L'employeur reconnaît dans ces écritures que pour les mois considérés il a payé la partie fixe du salaire et que la partie variable « a été maintenue au réel des ordres antérieurement passés », c'est-à-dire qu'il a été versé en plus du fixe mensuel les commissions sur ventes liées à des commandes antérieures à la période concernée et des primes sur objectif des mois précédents, donc des sommes dues à un autre titre pour la période antérieure.

En l'absence de disposition expresse en ce sens, aucune réduction ne peut être opérée sur la somme que l'employeur doit verser au salarié et qui est fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat de travail. Le montant strictement forfaitaire, et donc parfaitement déterminable de cette somme, et l'obligation légale impérative de la verser dès l'expiration du délai prévu par l'article L.1226-4 ôtent toute faculté d'appréciation de l'employeur à cet égard, de sorte qu'il ne peut utilement invoquer des régularisations ultérieures.

Il s'ensuit que la société Safilo n'a pas satisfait à l'obligation mise à sa charge par l'article L.1226-4 du code du travail.

Lorsque l'employeur ne reprend pas le paiement des salaires à l'expiration du délai d'un mois prévu à l'article L.1226-4 du code du travail, le salarié peut soit exiger en justice ce paiement, soit, comme le fait M. [J], faire juger que la carence de l'employeur constitue un manquement grave de l'employeur justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts.

Sur le non-paiement en 2005 de l'intégralité des primes dues résultant de la fixation unilatérale d'objectifs contestés

Il résulte de la transaction intervenue entre les parties le 23 janvier 2004, du courrier de l'employeur du 23 août 2004 et de l'avenant signé le 25 août 2004 que le salarié devait percevoir « un taux de commission complémentaire sur objectifs de 3% maximum », les objectifs étant « négociés et attribués chaque année pour chaque représentant par la direction ».

La société Safilo a notifié à M. [J] le 9 février 2005 des objectifs à atteindre pour le premier trimestre 2005 entraînant une augmentation conséquente par rapport aux précédents, portant sur divers domaines et trimestriels.

M. [J] a contesté ces objectifs qu'il estimait déraisonnables et le fait que, contrairement aux dispositions contractuelles, ils n'avaient pas été négociés annuellement mais avaient été fixés unilatéralement pour un trimestre.

La société Safilo a adressé au salarié de façon similaire pour les cinq périodes suivantes les objectifs à réaliser, que M. [J] a également contesté de façon détaillée et refusé d'approuver pour les mêmes motifs.

La société Safilo, qui ne justifie pas avoir répondu à ces courriers, a versé au salarié des primes sur objectifs calculées en fonction des objectifs qu'elle avait fixés.

Il est dans ces conditions suffisamment établi que la société Safilo n'a pas respecté les règles contractuelles relatives aux objectifs et spécialement celles liées à la périodicité de leur fixation et à leur nécessaire négociation préalable avec le salarié.

L'employeur ne peut utilement prétendre que le salarié a accepté les primes qu'il lui a versées et n'a jamais fait de contre-proposition sur les objectifs qui lui ont été notifiés, la renonciation à un droit devant être expresse ou résulter de circonstances dénuées de toute ambiguïté alors que M. [J] a chaque fois fait connaître son désaccord, et l'initiative de la négociation incombant à l'employeur.

La société Safilo a par conséquent commis à cet égard un manquement grave à ses obligations puisqu'elle a modifié unilatéralement les règles de fixation d'une partie de la rémunération du salarié, élément essentiel du contrat de travail.

Par ailleurs, à défaut de négociation et d'accord du salarié sur cette modification, il appartenait à l'employeur, soit de licencier le salarié, soit de maintenir les conditions antérieures, c'est-à-dire les derniers objectifs acceptés par le salarié, soit ceux de l'année 2004.

M. [J] est donc fondé à réclamer la différence entre la prime sur objectif qu'il a perçue et celle qu'il aurait dû percevoir en l'absence de la modification unilatérale imposée par l'employeur.

Le montant réclamé à ce titre par le salarié n'a fait en lui-même l'objet d'aucune contestation et il sera fait droit à sa demande de rappels de commissions pour l'année 2005 en principal et congés payés afférents.

Sur le non-paiement de l'intégralité des commissions dues compte tenu des déductions illicites imposées par la société

M. [J] expose que, dès avril 1994, la société Safilo pratiquait des remises de fin d'année (RFA) au profit de certains de ses clients et déduisait, sans son accord, ces remises de son commissionnement.

L'article 9 de l'avenant du 1er octobre 1988 stipule que "toute commission est calculée sur le montant net HT des factures, déduction faite des remises et rabais, des consignations, des frais d'emballage et de port ainsi que de tous les avoirs".

La déduction de ces remises étant expressément prévue par les documents contractuels, la société Safilo n'a commis aucun manquement en l'opérant et les modalités selon lesquelles elle a pratiqué cette déduction, par acomptes sur l'année avec régularisation en fin d'exercice, qui n'ont jamais été remises en cause par le salarié antérieurement, ne constituent pas plus, en l'absence de prévision contractuelle, une faute de la part de l'employeur.

D'autre part la demande en paiement d'un rappel de commissions à ce titre doit être rejetée.

Sur le non-paiement de l'intégralité des commissions dues compte tenu des délais de livraison

M. [J] fait valoir qu'il subissait des pertes de commissions en raison des retards ou défauts de livraison des produits et du service après vente de piètre qualité de la société qui entraînaient des annulations de commandes.

Il est établi par les pièces versées aux débats et l'employeur reconnaît dans ses écritures, qu'en fin 2005 et en 2006 la société Safilo a connu des difficultés de livraison des produits commandés liées au délai de fabrication des montures en Italie et que ces retards ont conduit à des annulations de commandes ou des refus des marchandises de la part des clients. Elle admet également que cette situation a eu un impact défavorable sur la rémunération des commerciaux puisque sont contractuellement exclues du commissionnement les commandes annulées ou non livrées. Elle explique qu'elle a trouvé un accord, le 11 décembre 2006, avec le comité d'entreprise afin de dédommager les salariés concernés ce qui s'est traduit par la signature d'accords transactionnels. Elle précise que ces transactions n'étaient proposées qu'aux salariés en poste et que M. [J] était absent en raison de la procédure d'inaptitude puis de son licenciement, de sorte qu'il n'a subi aucun préjudice.

Toutefois, et même si aucune transaction à ce titre n'a été signé entre elle et M. [J], la société Safilo a accepté sur le principe d'indemniser les commerciaux du préjudice résultant pour eux des pertes de commissions liées au dysfonctionnement de la filière de fabrication et, sauf à créer entre ses salariés une disparité de traitement illicite, elle ne peut opposer à M. [J], pour lui refuser tout dédommagement, le fait qu'il n'était plus présent dans l'entreprise au moment où les transactions avec les autres commerciaux ont été signées.

En outre, la réalité du préjudice subi de ce chef par M. [J] est démontrée au regard des éléments fournis, le salarié ayant notamment par courriers des 21 février 2005 , 6 mai 2005 et 23 mars 2006 saisi la société de cette difficulté récurrente et dénoncé le fait qu'il était privé de commissions lui revenant par la faute de l'employeur qui était dans l'incapacité de respecter le délais de livraison et d'assurer un service après vente efficace.

En refusant dans ces conditions d'indemniser le salarié, comme elle l'avait fait pour d'autres, du préjudice non contestable qu'il subissait, la société Safilo a manqué aux obligations de versement de la rémunération convenue et de loyauté résultant pour elle du contrat de travail.

A défaut de démonstration d'un préjudice plus ample et au vu des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure d'allouer à M. [J] une indemnité de 5 000 euros à ce titre.

Sur l'exécution de mauvaise foi du contrat de travail par la conclusion de transactions sans réelles contreparties et par l'imposition de multiples modifications du contrat de travail

Le salarié soutient qu'il a été contraint sous la menace de licenciement de signer, d'une part, les 23 janvier et 1er septembre 2004, deux transactions nulles à défaut de cause et de véritables concessions de la part de l'employeur, et, d'autre part, plusieurs avenants.

Il ne verse toutefois aux débats aucun élément probant démontrant un vice du consentement quelconque à l'occasion de la conclusion de ces conventions, lesquelles ne contiennent pas d'indice intrinsèque en ce sens.

Par ailleurs la lecture des transactions et avenants considérés révèle qu'ils ont été négociés et que, pour les premières, de véritables concessions ont été consenties réciproquement.

Le grief à ce titre n'est par conséquent pas établi.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [J] invoque :

- la privation d'une part importante de sa rémunération,

- deux avertissements injustifiés,

- le refus de prendre en compte ses observations concernant les objectifs,

- les menaces de licenciement afin de lui imposer des avenants à son contrat de travail,

- l'atteinte portée à sa considération et le dénigrement par la diffusion d'un document le présentant comme un "arnaqueur",

- les répercutions défavorables sur sa santé conduisant à son inaptitude au poste et à son licenciement,

Au vu des développements qui précèdent, le non-versement d'une partie de sa rémunération et la difficulté relative aux objectifs sont matériellement établis, en revanche le grief lié à la souscription des transactions et avenants ne l'est pas.

En ce qui concerne le dénigrement, le salarié produit :

- un extrait d'un tableau informatique dont la date, la provenance, l'objet et la destination ne sont pas identifiables (pièce 46), se présentant comme une liste de noms dont l'un suivi de la mention "stock pour ouverture nouveau magasin, plus arnaque baudoin (command",

- un échange de méls datés du 24 janvier 2005, dans lequel M. [J] demande à M. [I], dont la qualité n'est pas précisée, de faire la lumière sur cette mention,

- une lettre de M. [J] à M. [I] datée du 21 février 2005, dans laquelle le salarié fait un bref rappel de la mention litigieuse.

Ces pièces ne permettent d'établir ni que l'employeur serait l'auteur où l'instigateur de cette mention, ni qu'elle a fait l'objet d'une diffusion dans l'entreprise. Le grief correspondant n'est par conséquent pas établi.

M. [J] justifie avoir reçu deux avertissements, l'un le 8 octobre 2004 pour ne pas avoir préparé et envoyé au siège les sorties de collection avant le 27 septembre comme cela avait été demandé par note interne, et l'autre le 27 octobre suivant pour avoir quitté avant la fin une réunion professionnelle à laquelle il avait été convoquée ainsi que pour divers incidents. Le salarié a contesté sur le champs de façon circonstanciée et détaillée ces deux avertissements.

Il s'ensuit que sur les faits allégués à l'appui du licenciement sont démontrés matériellement le non-versement partiel en temps réel de la rémunération après déclaration d'inaptitude, le non-versement partiel de ses primes sur objectif ; une perte sur commissions imputable à l'employeur et la notification de deux avertissements.

Si ces éléments s'inscrivent clairement dans le cadre d'un conflit entre employeur et salarié et traduisent des divergences quant à l'interprétation de dispositions contractuelles et légales, ils ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de M. [J], et ce indépendamment du ressenti vécu par le salarié.

En outre, si les documents médicaux fournis par M. [J] démontrent la réalité des problèmes de santé qu'il allègue, ils sont en revanche insuffisants pour établir ou même laisser supposer l'origine de ces difficultés, le médecin n'étant pas témoin direct des conditions de travail de son patient et ne pouvant à cet égard que rapporter les propos et doléances de celui-ci, étant surabondamment précisé que les pièces médicales mettent en évidence la personnalité bipolaire du salarié et le fait qu'il était par ailleurs suivi pour une affection de longue durée.

En conséquence, en l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée. Les demandes relatives au harcèlement doivent par conséquent être rejetées.

Sur la demande de résiliation aux torts de l'employeur

Il résulte des développements qui précèdent que trois des griefs invoqués par le salarié à l'appui de sa demande de résiliation du contrat de travail, à savoir le non-respect des dispositions de l'article L.1226-4 du code du travail, les manquements liés à la fixation des objectifs et le refus d'indemniser les pertes de commissions imputables à la carence de l'employeur alors que d'autres salariés en avaient bénéficié, sont établis.

Il s'agit de manquements graves de l'employeur rendant impossible le maintien du lien contractuel et justifiant la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur à effet au 19 juillet 2006, date de notification du licenciement à partir de laquelle le salarié n'a plus été au service de l'employeur.

Cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit au profit du salarié au paiement des indemnités de rupture et de dommages et intérêts.

Elle rend en outre sans objet les demandes relatives au licenciement pour faute grave notifié par la société Safilo.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

Les montants réclamés par le salarié au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents ne sont pas discutés et sont justifiés au regard de son ancienneté, de sa catégorie professionnelle, du montant de son salaire et des dispositions légales et conventionnelles applicables.

Il sera fait droit à ses demandes sur ce point.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [J], de son âge, de sa grande ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer une somme de 100 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnité de retour sur échantillonnage

La demande du salarié de ce chef ne fait l'objet d'aucune discussion. Elle est fondée au regard des dispositions de l'article L.7313-11 du code du travail, s'agissant de commissions sur les ordres des clients non encore transmis à la date du départ de l'entreprise mais qui sont la suite directe de l'activité développée par le salarié antérieurement à la rupture de son contrat. Le mode de calcul, les bases chiffrées et le montant retenus par le salarié à ce titre n'ont fait l'objet d'aucune contestation, fût-ce à titre subsidiaire, et ne soulèvent pas de critiques au vu des explications et des pièces fournies.

Il sera fait droit à la demande de ce chef.

Sur l'indemnité spéciale de rupture

La demande du salarié à ce titre est fondée au regard des dispositions de l'article L.7313-13 du code du travail et de l'article 14 de la convention collective interprofessionnelle des VRP du 3 octobre 1975, le salarié renonçant, en réclamant le paiement de cette indemnité conventionnelle, au bénéfice de l'indemnité légale de clientèle.

Le montant sollicité n'est pas contesté en lui-même, fût-ce à titre subsidiaire, les bases et modalités de calcul ne le sont pas non plus. La demande est conforme aux dispositions conventionnelles. Il y sera fait droit.

Sur le rappel de salaire pour février 2005

La société Safilo, à qui incombe l'obligation de payer le salaire convenu, ne fournit aucune explication concernant la retenue de 1 121,51 euros opérée sur le salaire de février 2005, étant précisé que l'employeur ne peut appliquer des sanctions pécuniaires à son salarié, spécialement sous forme de retenues salariales.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur les frais de déplacement et de coordination

Ces frais sont justifiés par les pièces, notamment les factures et fiches de frais hebdomadaires, produites par le salarié et les éléments fournis par l'employeur ne permettent pas de démontrer qu'il les a payés.

Le jugement sera en conséquence confirmé sur ces points.

Sur les intérêts

Les sommes allouées produiront intérêts au taux légal conformément aux articles 1153 et 1153-1 du code civil ainsi que prévu au dispositif.

Sur la remise de documents

Compte tenu des décisions ci-dessus, la demande relative à la remise de documents sociaux est fondée. Il y sera fait droit dans les termes du dispositif, sans qu'il y ait lieu à astreinte.

Sur les frais irrépétibles

Les conditions d'application de l'article 700 du Code de procédure civile sont réunies. Il convient d'allouer à M. [J] une somme de 3 000 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement déféré en ses dispositions relatives au remboursement des frais de déplacement, aux frais de coordination et au rappel sur salaire de février 2005 ;

L'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau et ajoutant,

Déclare recevables les autres demandes de M. [J] ;

Prononce, à effet au 19 juillet 2006 et aux torts de l'employeur, la résiliation du contrat de travail liant la société Safilo à M. [J] ;

Condamne la société Safilo à payer à M. [J] :

- 24 139,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 2 413,98 euros au titre des congés payés afférents,

- 37 523,67 euros à titre d'indemnité de retour sur échantillonnage,

- 78 052 euros à titre d'indemnité spéciale de rupture,

- 3 357,92 euros à titre de rappel de commissions au titre des primes sur objectif 2005,

- 335,79 euros au titre des congés payés afférents,

- les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter du 3 juin 2006,

- 5 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- 100 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de la date du présent arrêt,

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Safilo à remettre à M. [J], dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle emploi conformes ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire ;

Condamne la société Safilo aux dépens.

LA GREFFIÈRE POUR LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 09/09831
Date de la décision : 04/09/2012

Références :

Cour d'appel de Paris K3, arrêt n°09/09831 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-09-04;09.09831 ?
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