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12/06/2012 | FRANCE | N°10/08846

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 12 juin 2012, 10/08846


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRÊT DU 12 Juin 2012

(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/08846



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 Juin 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS Section encadrement RG n° 08/03403





APPELANTE



SA CHRISTIAN DIOR COUTURE

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Laurent HIETTER, avocat au barreau de

LILLE







INTIMEE



Madame [C] [U] épouse [I]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Mylène CARNEVALI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0423 substitué par Me Aude LHOMME
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRÊT DU 12 Juin 2012

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/08846

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 Juin 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS Section encadrement RG n° 08/03403

APPELANTE

SA CHRISTIAN DIOR COUTURE

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Laurent HIETTER, avocat au barreau de LILLE

INTIMEE

Madame [C] [U] épouse [I]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Mylène CARNEVALI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0423 substitué par Me Aude LHOMME

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Mai 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Dominique LEFEBVRE-LIGNEUL, Conseillère, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Charlotte DINTILHAC, Présidente

Madame Anne-Marie DEKINDER, Conseillère

Madame Dominique LEFEBVRE LIGNEUL, Conseillère

Greffier : Mademoiselle Sandrine CAYRE, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Madame Charlotte DINTILHAC, Présidente et par Mlle Sandrine CAYRE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [C] [U] épouse [I], ci-après dénommée Mme [I] a été engagée par la société CHRISTIAN DIOR devenue CHRISTIAN DIOR COUTURE, suivant un contrat de travail à durée indéterminée du 6 novembre 1989 prenant effet au 23 octobre 1989, en qualité de secrétaire bilingue, puis a bénéficié de plusieurs promotions avant de devenir, aux termes d'un avenant du 1er février 2005, «Directeur Marketing Opérationnel» coefficient 8B, moyennant une rémunération brute mensuelle qui s'élevait en dernier lieu à 9 785, 76 €, les relations contractuelles étant soumises à la convention collective nationale de la couture parisienne et l'entreprise occupant à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture du contrat de travail.

Après convocation par lettre du 11 janvier 2008 à un entretien préalable fixé au 22 avec mise à pied conservatoire, Mme [C] [I] s'est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par lettre recommandée du 25 janvier 2008.

Contestant ce licenciement, Mme [C] [I] a saisi le 26 mars 2008 le conseil de prud'hommes de Paris, section encadrement, qui, par jugement rendu le 2 juin 2010, a condamné la société CHRISTIAN DIOR COUTURE à lui payer la somme de 144 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ainsi que celle de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour est saisie de l'appel de cette décision, interjeté le 7 octobre 2010 par la société CHRISTIAN DIOR COUTURE.

Par conclusions développées à l'audience du 9 mai 2012, auxquelles il est référé expressément pour l'exposé des moyens, la société CHRISTIAN DIOR COUTURE demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter Mme [I] de toutes ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 2 000 € à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions visées par le greffier, reprises et soutenues oralement à l'audience du 9 mai 2012, auxquelles il est également fait référence pour l'exposé des moyens, Mme [C] [I] demande à la cour :

à titre principal,

* de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes, en ce qu'il a reconnu son licenciement comme dépourvu de cause réelle et sérieuse,

* de le réformer sur le montant de l'indemnité qui lui a été allouée et de condamner la société CHRISTIAN DIOR COUTURE à lui payer la somme de 217 086, 24 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre subsidiaire,

* de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société CHRISTIAN DIOR COUTURE à lui payer la somme de 144 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause et y ajoutant,

* de condamner la société CHRISTIAN DIOR COUTURE à lui payer la somme de 27 135, 78 € au titre de son préjudice moral ainsi que celle de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

Sur le licenciement

Dans la lettre de licenciement datée du 25 janvier 2008, qui fixe les limites du débat judiciaire, la société CHRISTIAN DIOR COUTURE, après avoir reproché à Mme [C] [I] d'avoir recherché des informations qui ne lui étaient pas destinées et d'avoir eu un comportement avec les interlocuteurs des différentes divisions «ayant occasionné systématiquement des tensions peu propices au règlement des situations » lui indique :«Par ailleurs, nous avons été alertés par différentes instances internes à l'entreprise sur le comportement que vous adoptiez à l'égard de certains membres de votre équipe, créant un climat de tension permanente, des situations de stress fréquentes et ayant pour conséquences d'affecter gravement l'intégrité morale et physique des personnes sous votre responsabilité.

Au-delà du turnover important observé ces derniers mois dans le renouvellement des membres de votre équipe, il vous est notamment reproché votre surveillance pointilleuse de leurs faits et gestes, par des réunions à répétition et ce même, plusieurs fois par jour. Plus encore, il a été constaté que vous usurpiez l'identité de vos collaboratrices par l'envoi d'emails de la boîte électronique de ces dernières, en leur absence et tout en vous mettant en copie, laissant penser que vous n'étiez pas l'expéditeur de cet envoi.

Enfin votre comportement s'est illustré par des critiques répétées, voire des injures à l'encontre de vos collaboratrices, un dénigrement systématique du travail réalisé, l'imposition de nombreuses tâches subalternes sans lien avec la qualification. Pour rappel, la majorité de vos collaboratrices a le statut cadre.

Il nous est dès lors apparu que votre comportement, s'il se poursuivait, serait caractéristique d'un état de harcèlement moral»

S'agissant du grief résultant des «méthodes intrusives» que la société CHRISTIAN DIOR COUTURE reconnaît être «de peu de gravité», il sera retenu, ainsi que l'ont fait les premiers juges, que le mail adressé le 7 janvier 2008 par Mme [O] [H] à M. [VP] [X] évoquant des faits anciens , flous, imprécis et au surplus prescrits, ne sauraient établir que Mme [I] aurait, en recherchant des informations confidentielles qui ne lui étaient pas destinées, commis une faute justifiant son licenciement.

Concernant le management de Mme [I] « qualifié comme confinant au harcèlement», il sera rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel étant précisé que l'employeur doit, selon l'article L. 1152-4 du même code, prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements du harcèlement moral, étant tenu à une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés et devant répondre des faits qui pourraient être commis par d'autres salariés de l'entreprise.

En l'espèce, dans une attestation établie le 3 juin 2008 qu'elle a confirmée et complétée le 1er juin 2010, Mme [G] [Y] assistante sociale auprès de la société CHRISTIAN DIOR COUTURE rapporte qu'au cours de la période de juin à décembre 2007, elle a reçu Mmes [F] [V] et [D] [N] qui se sont plaintes du harcèlement dont elles étaient victimes de la part de leur responsable hiérarchique, Mme [I] qui leur imposait, alors qu'elles étaient cadres, « une surveillance totale (') par des interventions constantes entraînant une forte déstabilisation dans l'organisation du travail, une déresponsabilisation et développant ainsi un grave sentiment de perte de confiance en soi» et qu'elle a constaté les conséquences de ces faits sur leur état psychique et physique « pleurs, fatigue, difficultés à mettre des mots sur leur vécu ». Elle précise que « le recueil des faits, à plusieurs reprises, auprès de deux interlocutrices différentes, recoupant ce qu'avaient pu (lui) confier d'autres salariés ayant déjà quitté le service » lui avait permis « d'identifier une situation de harcèlement moral » pour laquelle elle avait effectué un signalement officiel à la Direction des Ressources Humaines au mois de septembre 2007 lors d'une réunion du CHSCT, sans toutefois préciser le service exact concerné, à la demande des intéressées «qui craignaient les représailles de Madame [U] et la perte de leur emploi».

Mme [F] [V], qui a travaillé sous la responsabilité directe de Mme [I] de décembre 2006 à janvier 2008 explique qu'elle subissait « un stress permanent », (conversations téléphoniques écoutées et interrompues, mails lus et corrigés systématiquement, ordres contradictoires selon l'humeur), « un rythme épuisant » (heures des sorties jamais prévisibles), «une absence absolue d'autonomie», « un manque de respect récurrent»(remontrances fréquentes et humiliantes en présence de tiers, utilisation de «petits noms» tels que «saucisse»), «une impossibilité absolue de communiquer » et que ces conditions de travail ont entraîné « une perte de poids notables ainsi qu'un épuisement physique et moral » qui l'ont obligé à consulter son médecin traitant au début du mois de décembre 2007 qui lui a prescrit un traitement par anxiolytiques puis le médecin du travail.

Mme [D] [N], travaillant aussi sous les ordres de Mme [I], indique également avoir été victime du comportement de cette dernière qui exerçait un contrôle de tous ses actes, lui faisait effectuer des tâches subalternes, la dénigrait dans son travail, lui faisait des remarques humiliantes sur sa vie personnelle à tel point qu'elle a perdu plus de 15 kilos et a dû porter une minerve « à cause d'un point de stress remonté dans les cervicales ».

Mme [G] [K], chef de produits au moment des faits, ayant travaillé avec Mme [I] de 2003 à 2007, confirme qu'elle a constaté des « dysfonctionnements managériaux de (leur) responsable hiérarchique Mme [I]-[U] relevés au sein du service par (ses) collègues [D] [N] et [F] [V]» qui ont été à l'origine du départ de plusieurs de ses collègues, ajoutant qu'elle-même, avait en raison de la situation devenue insoutenable, demandé en décembre 2007 un congé sabbatique de 11 mois. Elle mentionne « qu'en faisant preuve de surveillance systématiques du travail des membres de son équipe, en les infantilisant (') en critiquant systématiquement (leur) travail (') Mme [I]-[U] (avait) créé un climat de travail extrêmement tendu, agissant sur la santé physique et psychologique des membre de l'équipe »

Dans une lettre du 20 décembre 2007, le docteur [B] [S], médecin du travail, a alerté M. [E] [R], responsable du personnel, sur l'état de santé de Mme [V] tant sur le plan psychologique que sur le plan d'une dégradation physique et sur l'urgence d'une intervention, en relatant les événements quotidiens dont celle-ci se plaignait et qui pouvaient être qualifiés de harcèlement moral.

Ce même médecin, dans une attestation très circonstanciée établie le 3 mai 2012, confirme qu'elle a constaté, à l'occasion de plusieurs visites médicales en 2007, la situation de santé particulièrement préoccupante de Mmes [V] et [N], générée par l'attitude de Mme [I] en relatant que quatre ans après les faits et le licenciement de cette dernière, les deux salariées avaient poursuivi avec succès leur carrière au sein de ce service puis ont bénéficié de promotion soit au sein de la division prêt à porter Femme de Christian DIOR COUTURE soit au sein d'une autres société du groupe LVMH.

Pour contester les griefs formés à son encontre, Mme [C] [I], relevant que les attestations versées aux débats sont postérieures à la procédure de licenciement, fait valoir qu'elle a toujours demandé des formations, des primes et des augmentations pour ses équipes sans faire de discrimination, qu'avant son licenciement aucune plainte n'avait été formée à son encontre et verse aux débats des attestations de salariés ayant travaillé avec elle.

Outre le fait qu'il est indifférent que les attestations aient été établies postérieurement au licenciement dès lors qu'elles peuvent permettre de vérifier la réalité des griefs à la date du prononcé du licenciement et que la demande d'une augmentation de 5% pour l'ensemble de son équipe faite le 30 novembre 2007 n'est pas exclusive des faits de harcèlement qui lui sont reprochés, il convient d'observer :

* que Mme [M] [Z], qui loue le grand professionnalisme de Mme [I] et ses qualités humaines qui ont su la 'motiver à travailler à ses côtés durant toutes ces années et à faire les concessions nécessaires pour y parvenir', n'était employée que lors des périodes de collection et n'a donc réellement collaboré avec Mme [I] que 96 jours (919 heures), de manière ponctuelle entre janvier 1998 et juillet 2007, de sorte qu'elle n'a pu être témoin des difficultés vécues par les collaboratrices travaillant en permanence avec elle,

* que M. [J] [T] a travaillé pour la société CHRISTIAN DIOR de janvier 1995 à mai 1999 en qualité de directeur informatique et n'a pu donc être témoin des relations de Mme [I] avec ses collaboratrices en 2007,

* que Mme [P] [W], assistante commerciale pour la société CHRISTIAN DIOR du 1er juin 1997 au 14 mai 1999 ne peut témoigner de faits survenus dix ans plus tard de même que Mme [L] [A] qui était assistante commerciale au sein du service administration des ventes et travaillait au dépôt de [Localité 5],

* que les faits de harcèlement n'ont été dénoncés qu'à la fin de l'année 2007, de sorte que l'employeur ne pouvait en faire grief à sa salariée avant cette date.

Il résulte de l'ensemble des documents versés aux débats que Mme [I] a eu à l'égard de ses salariés et particulièrement Mme [V] et [N] au cours de l'année 2007 un comportement constitutif de harcèlement moral justifiant que soit prononcé une mesure de licenciement à son encontre.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement rendu le 2 juin 2010 par le conseil de prud'hommes de Paris, et de dire que le licenciement de Mme [C] [I] a une cause réelle et sérieuse.

Sur les frais et dépens

Eu égard aux situations financières respectives des parties, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. La société CHRISTIAN DIOR sera déboutée de sa demande formée à ce titre.

Mme [C] [I] sera également déboutée de cette demande et condamnée aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Déboute Mme [C] [I] de toutes ses demandes,

Rejette la demande de la société CHRISTIAN DIOR COUTURE faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [C] [I] aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 10/08846
Date de la décision : 12/06/2012

Références :

Cour d'appel de Paris K4, arrêt n°10/08846 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-06-12;10.08846 ?
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