Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 2
ARRET DU 23 MAI 2012
(n° 270, 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/15591
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 05 Août 2011 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 11/56221
APPELANTE
SA RICARD
représentée par son Directeur Général
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par la SCP LAGOURGUE - OLIVIER (Me Charles-Hubert OLIVIER) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0029)
Assistée par la AARPI GINESTIE PALEY-VINCENT & ASSOCIES (Me Catherine PALEY-VINCENT) (avocats au barreau de PARIS, toque : R138)
INTIMEE
ASSOCIATION NATIONALE DE PREVENTION EN ALCOOLOGIE ET ADDICTOLOGIE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Lionel MELUN (avocat au barreau de PARIS, toque : J139)
Assistée par Me Catherine GIAFFERI (avocat au barreau de PARIS, toque : C0107)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Avril 2012, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Michèle GRAFF-DAUDRET, conseillère, faisant fonction de Présidente, et Madame Maryse LESAULT, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Michèle GRAFF-DAUDRET, conseillère, faisant fonction de Présidente,
Madame Maryse LESAULT, conseillère
Madame Sylvie MAUNAND, conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Nadine CHAGROT
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Michèle GRAFF-DAUDRET, conseillère, faisant fonction de présidente et par Madame Sonia DAIRAIN, greffier.
FAITS CONSTANTS :
En juin 2011, la SA RICARD a lancé une campagne publicitaire intitulée Un ricard des rencontres, constituée d'un film et d'affiches diffusés notamment sur internet, sur la voie publique, dans la presse ou à la radio, et d'applications mobiles gratuites.
Autorisée par ordonnance du 12 juillet 2011, l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (l'ANPAA), a assigné la société RICARD aux fins de voir ordonner le retrait du film publicitaire intitulé Un ricard des rencontres sur tout support, et notamment sur les sites Internet, dont [05], de voir ordonner le retrait de tout support de la mention Des rencontres associée au nom de Un ricard ainsi que le retrait et la suppression des applications intitulées Ricard 3D et Ricard Mix Codes, sur tout support, et notamment sur l'Appstore et I Tunes.
Par ordonnance contradictoire du 5 août 2011, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a :
- ordonné le retrait de la mention Un ricard des rencontres des quatre affiches publicitaires litigieuses, quel que soit leur support, sous astreinte de 1 000 euros par jour et par infraction, à partir du troisième jour ouvrable suivant la signification de la décision,
- ordonné le retrait de la mention Un ricard des rencontres figurant dans le film publicitaire, quel que soit le support de diffusion de ce film, et notamment sur les sites Internet, dont [05] et sur les applications mobiles, sous astreinte de 1 000 euros par jour et par infraction, à partir du troisième jour ouvrable suivant la signification de la décision,
- ordonné le retrait et la suppression des applications intitulées Ricard 3D et Ricard Mix Codes sur tout support, et notamment sur l'Appstore et I Tunes, sous astreinte de 1 000 euros par jour et par infraction, passé le délai d'un mois à compter de la signification de la décision,
- condamné la SA RICARD à payer à l'ANPAA la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
- condamné la SA RICARD aux dépens.
La société RICARD a interjeté appel de cette décision le 22 août 2011.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 avril 2012.
PRETENTIONS ET MOYENS DE LA SOCIETE RICARD :
Par dernières conclusions du 2 avril 2012, auxquelles il convient de se reporter, la société RICARD fait valoir :
- que les visuels de la campagne publicitaire Un ricard des rencontres sont conformes aux dispositions de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique,
. que les visuels présentent la rencontre du Ricard avec différents ingrédients (eau, glace, grenadine, menthe), et que l'effet visuel produit par la rencontre entre le Ricard et d'autres ingrédients est le "louchissement", que si la présence de nuages n'est pas autorisée, la représentation de ce phénomène est licite, et constitue une référence objective au "mode de consommation",
. que les couleurs figurant sur les visuels sont licites,
. que les chiffres et mentions associées au signe #, renvoyant à la composition du produit, sont licites,
. que les autres éléments présents sur les visuels sont licites,
. que le caractère esthétique de la publicité n'est pas en lui-même illicite,
. que la mention Un ricard des rencontres est licite, que le terme "rencontre" ne renvoie pas à la possibilité de relations fortuites avec d'autres personnes, que le visuel auquel est associé ce slogan ne présente ni ne fait allusion à aucun personnage, que la musique du film, très neutre, n'est illustrée d'aucune voix,
. que ces visuels ont été considérés comme conformes à la loi EVIN par l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP, avis du 10 février et du 21 juillet 2011), que si cet avis ne lie pas le juge, il est pris en considération par les juridictions,
- que le film est une déclinaison des visuels,
. que le film publicitaire peut être diffusé sur son site Internet, qu'il s'agit d'un support autorisé par l'article L. 3323-2-9° du CSP, et qui contient un filtre relatif à l'âge, que le caractère animé ou sonore de la publicité en ligne n'est pas interdit,
. qu'il peut être accompagné d'une musique,
. que le contenu du film, qui est une simple déclinaison des quatre visuels de la campagne, est conforme aux dispositions de l'article L. 3323-4 du CSP,
- que les applications Ricard 3D et Ricard Mix Codes constituent des publicités autorisées au regard de l'article L. 3323-2 9° du CSP,
. qu'elle sollicite l'infirmation de l'ordonnance en ce que le premier juge a estimé "que le fait de passer par le réseau social Facebook ne constituait pas seulement un service de communication en ligne, mais amenait la société RICARD à faire de la publicité de manière intrusive puisque l'intégralité des informations publiées sur Facebook, à l'exception du profil, peut être consultée",
. qu'elle s'explique sur les deux applications litigieuses, qui sont totalement différentes,
. que l'application Ricard Mix Codes constitue un service de communication en ligne autorisé, qu'elle n'est pas principalement destinée à la jeunesse et que le fait de passer par le compte Facebook de l'utilisateur ne saurait caractériser une publicité intrusive, la réponse ministérielle publiée le 26 octobre 2010 apportant des précisions sur cette notion, qu'aucune information ni autorisation ne lui est donnée sans l'accord préalable de l'utilisateur,
. que l'application Ricard 3 D ne fait pas partie de la campagne Un ricard des rencontres, objet de la procédure initiée par l'ANPAA, que le contenu de cette application ne saurait être contesté, dans la mesure où il s'agissait uniquement de présenter la nouvelle bouteille de Ricard elle-même, en trois dimensions, avec son étiquette, sans aucune référence ni mention complémentaire, que cette application constitue bien un service de communication en ligne au sens de l'article L. 3323-2 9° du CSP, que cette application a été retirée de l'Appstore le 9 août 2011 à la suite de l'ordonnance entreprise.
Elle demande à la Cour :
- de constater le caractère licite des quatre visuels de la campagne publicitaire Un ricard des rencontres,
- de constater le caractère licite du film publicitaire Un ricard des rencontres,
- de constater le caractère licite de la mention Un ricard des rencontres figurant sur les visuels et sur le film publicitaire,
- de constater que l'application "Ricard 3 D" ne fait pas partie de la campagne Un ricard des rencontres,
En conséquence,
- de confirmer l'ordonnance entreprise, en ce qu'elle a admis la licéité du film et des quatre visuels de la campagne publicitaire Un ricard des rencontres,
- d'infirmer l'ordonnance, en ce qu'elle a ordonné le retrait de la mention Un ricard des rencontres,
- d'infirmer l'ordonnance, en ce qu'elle a ordonné le retrait et la suppression de l'application "Ricard Mix Codes",
- de lui donner acte qu'elle ne sollicite pas la possibilité de pouvoir exploiter l'application "Ricard 3 D" devenue obsolète,
- de condamner l'ANPAA au versement d'une somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
- de condamner l'ANPAA aux entiers dépens,
- de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 699 du CPC.
PRETENTIONS ET MOYENS DE L'ANPAA :
Par dernières conclusions du 30 mars 2012, auxquelles il convient de se reporter, l'ANPAA fait valoir :
- sur la "compétence" du juge des référés, que les demandes ont été justement présentées sur le fondement de l'article 808 du CPC en raison de l'urgence liée à la campagne Ricard pour l'été 2011 et sont justement présentées sur le fondement de l'article 809, en raison du trouble manifestement illicite, constitué par la violation des dispositions d'ordre public des articles L. 3323-2 et L.3323-4 du CSP, selon procès-verbal de constat d'huissier du 7 juillet 2011,
- qu'elle expose le régime de la publicité en faveur des boissons alcooliques,
- que le film publicitaire intitulé Un ricard des rencontres a un caractère illicite, car le film met en scène la bouteille de Ricard et la boisson Ricard selon un procédé non autorisé par la Cour de cassation et visant à inciter le consommateur à absorber le produit vanté,
. que le film, qui est un fichier audio et vidéo, et non pas un fichier de données numériques, n'est pas un support autorisé par l'article L. 3323-2 du CSP,
. que la mention Un ricard des rencontres est illicite au regard de l'article L.3323-4 du CSP, qu'en matière de boissons, on ne parle pas de rencontre mais de mélange ou cocktails,
. que la musique n'est pas une indication autorisée en matière de publicité en faveur d'une boisson alcoolique,
. que le contenu visuel du film est illicite, que la présence de nuages est illicite et ne se rapporte pas au mode de consommation,
. que la présence du signe # est illicite,
. que le film ne fait pas référence à la couleur objective du produit (article L.3323-4 du CSP),
. que l'ARPP n'est pas une juridiction et que ses avis n'ont pas force de loi,
- que les quatre visuels sont illicites, que sont illicites le titre Un ricard des rencontres, la mention # suivie d'un chiffre, la présence de nuages de couleur blanche, grise, verte ou rouge,
- qu'est illicite une application en matière de publicité en faveur d'une boisson alcoolique,
. que les deux applications mobiles ne sont pas des services de communication en ligne, mais deux logiciels téléchargeables via Internet dans des boutiques d'application telles qu'Appstore, et qu'une fois installées, ces applications fonctionnent sans connexion Internet,
. que l'application gratuite Ricard 3 D, qui nécessite l'usage d'un smartphone, est illicite,
. que l'application gratuite Ricard Mix Codes, téléchargeable sur I Phone, par I Tunes, depuis l'Appstore, est illicite, car elle n'est pas un service de communication en ligne, et qu'elle diffuse de la publicité intrusive,
. que ces deux applications sont illicites car elles ne contiennent pas les mentions sanitaires exigées par l'article L. 3323-4 du CSP,
. que ces applications sont également illicites car elles contribuent à l'alcoolisation de la jeunesse, qui utilise principalement Facebook.
Elle demande à la Cour :
1°) - de constater le caractère illicite du film publicitaire en faveur de la boisson alcoolique Ricard intitulé Un ricard des rencontres, lancé le 20 juin 2011 dans le cadre de la nouvelle campagne publicitaire de Ricard, le film n'étant pas un support autorisé, la musique du film n'étant pas autorisée, le titre précité étant illicite, ainsi que les visuels des nuages de couleur jaune, rouge ou vert, ainsi que le signe # suivi de divers chiffres,
- d'ordonner, en conséquence, le retrait de ce visuel publicitaire sur tout support et notamment sur les sites Internet [05], sur les applications mobiles, et sur tout support,
- de dire que cette mesure d'interdiction est prononcée sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir,
2°) - de constater le caractère illicite de la mention "des rencontres" associée au nom "un ricard" dans la formule "un ricard, des rencontres" telles que mentionnées sur les sites Internet, sur les applications mobiles, dans la presse, dans les spots radios, dans le cadre de la nouvelle campagne publicitaire de Ricard lancée le 20 juin 2011,
- d'ordonner, en conséquence, le retrait de la mention "des rencontres" associée au nom de "un ricard", sur tout support ainsi que la présence de nuages de couleur jaune, verte, rouge et le signe # suivi d'un numéro,
- de dire que cette mesure d'interdiction est prononcée sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir,
3°) - de constater le caractère illicite des applications intitulées "Ricard 3 D" et "Ricard Mix Codes" comme utilisant un support non autorisé par l'article L. 3323-2 du CSP et constituant de la publicité directe et indirecte illicite en faveur de la boisson alcoolique "Ricard",
- d'ordonner, en conséquence, le retrait et la suppression de ces applications sur tout support et notamment sur l'Appstore et I Tunes,
- de dire que cette mesure d'interdiction est prononcée sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir,
4°) de condamner la société RICARD en tous les dépens comprenant notamment les frais de constat de la SCP SIMONIN LE MAREC GUERRIER en date du 7 juillet 2011 à hauteur de 905, 22 euros TTC,
5°) de condamner la société RICARD au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'en tous les dépens.
SUR QUOI, LA COUR ,
Considérant que selon l'article 809, alinéa 1, du CPC, le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Considérant que selon l'article L. 3323-2 du code de la santé publique, la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques dont la fabrication et la vente ne sont pas interdites sont autorisées exclusivement :
9° Sur les services de communication en ligne à l'exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du code du sport, sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive ni interstitielle ;
Que selon l'article 1er de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, "on entend par communication au public en ligne toute transmission, sur demande individuelle, de données numériques n'ayant pas un caractère de correspondance privée, par un procédé de communication électronique permettant un échange réciproque d'informations entre l'émetteur et le récepteur" ; que la loi n°2009-879 du 21 juillet 2009, qui a modifié l'article L. 3323-2, a entendu donner le même sens aux "services de communication en ligne" ;
Considérant que selon l'article L. 3323-4 du même code, la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit (..).
Cette publicité peut comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit" ;
Qu'il est encore imposé par ce texte d'assortir la publicité d'un message à caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé ;
Que la diffusion de publicités en faveur de boissons alcooliques en violation de ces dispositions constitue un trouble manifestement illicite, dont le juge des référés peut ordonner la cessation ; que ce juge n'est pas lié par l'avis de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité ;
Sur les affiches :
Considérant que dans le cadre de la campagne publicitaire Un ricard des rencontres, lancée le 20 juin 2011, la société RICARD a fait diffuser quatre affiches, ou visuels, comportant, à droite, une bouteille de Ricard, en bas au centre, et en gros caractères la mention, en lettres capitales, UN RICARD DES RENCONTRES, et précisant, en haut à gauche, selon le cas : Rencontre # 01 Ricard/eau, Rencontre # 03 Ricard/glace, Rencontre # 34 Ricard/grenadine, Rencontre # 56 Ricard/menthe ;
Que ces mentions figurent, respectivement, sur des affiches à fond (couleur dominante) : jaune, gris, rouge et vert, ces couleurs ne se présentant pas de manière uniforme mais faisant penser à des nuages ;
Considérant que c'est à juste titre que le premier juge a estimé que le slogan Un ricard des rencontres ne saurait se rattacher au simple mélange formé par l'anis et l'eau, l'anis et la glace, l'anis et la grenadine ou l'anis et la menthe ; que le terme de rencontre est communément employé, et renvoie donc, dans l'esprit du consommateur, non à un mélange d'ingrédients, ou à un cocktail, mais au rapprochement entre personnes ; qu'il joue, en toute hypothèse, sur l'ambiguïté des termes ;
Qu'ainsi que l'a retenu le premier juge, l'association de la boisson alcoolique avec la possibilité de nouer des relations inattendues et fortuites avec d'autres personnes, est une publicité illicite, en infraction avec les dispositions restrictives de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique, dès lors qu'elle est une incitation directe à consommer du ricard dans le but de vivre des moments de convivialité ;
Considérant, en revanche, que c'est à tort que le premier juge a estimé que les couleurs des affiches et les photographies faisant penser à des nuages, ne pouvaient pas être considérées comme illicites ;
Qu'en effet, la déclinaison d'une gamme de couleurs jouant sur l'évocation des ajouts au ricard (eau, glace, grenadine, menthe), et les nuages, renvoient à une impression de légèreté, ou d'évasion, et non pas au phénomène de "louchissement", ni plus généralement au mode de consommation, et constituent ainsi des références visuelles étrangères aux seules indications énumérées par l'article L. 3323-4, visant à donner une image valorisante de la boisson et à inciter le consommateur à absorber le produit vanté, en faisant la propagande des différentes modes de consommation, sans références objectives aux critères limitativement énumérés par la loi ;
Qu'il en est de même des mentions situées en haut à gauche de chacune des affiches ; que les chiffres 01, 03, 34 et 56, précédés du sigle #, ne sont, de toute évidence, pas appréhendés par le consommateur comme des indications sur la composition du produit ; que si la société RICARD soutient que le numéro 1 correspond au ricard "classique" et le numéro 3 à la quantité de glaçons dans un verre de Ricard, l'affiche litigieuse ne met pas en évidence trois glaçons, aucun élément ne permettant par ailleurs de dire que le ricard ne peut être, objectivement ou idéalement, consommé qu'avec trois glaçons ; que si l'appelante fait encore valoir que le sigle # signifie "numéro" pour les anglophones, en particulier les américains, et que le numéro 34 correspond au pourcentage de la couleur jaune compris dans la couleur Pantone rouge caractérisant le mélange ricard/grenadine, et le numéro 56 au pourcentage de la couleur jaune compris dans la couleur Pantone verte caractérisant le mélange ricard/menthe, il relève là encore de l'évidence que le sigle # qui signifie "dièse" dans l'esprit du consommateur français, visé par la publicité, associé à un chiffre dont le sens est incompréhensible, pour ce même consommateur, n'ont d'autre objet que d'appeler son attention, et plus particulièrement celle d'un consommateur jeune, sensible aux nouvelles technologies ;
Que pour ces motifs, ces mentions ne peuvent être considérées comme des indications objectives sur les éléments limitativement énumérés par l'article L. 3323-4, et qu'elles ne satisfont pas aux prescriptions de la loi ;
Qu'en conséquence, l'ordonnance sera réformée, en ce qu'elle a considéré que seule était illicite, sur les affiches en cause, la formule Un ricard des rencontres ; que les affiches, dans l'intégralité de leurs composants, à l'exception de la bouteille de ricard, violent les dispositions de la loi et qu'il convient d'en ordonner le retrait, dans les conditions précisées au dispositif ;
Sur le film publicitaire :
Considérant que la société RICARD admet que "le film est une déclinaison des visuels" ;
Que ce film présente, sur fond de musique d'ambiance, des nuages de toutes les couleurs, qui bougent, rappelant les quatre affiches, et la formule Un ricard des rencontres ;
Considérant que les motifs précités relatifs à l'illicéité des affiches valent pour le film ; qu'en réalité, la contrariété du film aux dispositions légales est encore plus patente, dès lors que la combinaison des éléments illicites relevés pour les affiches magnifie ces éléments à travers une mise en scène, accentuée par la mobilité de l'image et une musique séductrice, l'ensemble aboutissant à une création esthétique destinée à donner à la boisson Ricard un caractère festif, incitatif à la consommation d'alcool ;
Que ce film, dans son ensemble, et non pas seulement en sa formule Un ricard des rencontres, est manifestement contraire aux exigences de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique ;
Qu'en conséquence, et pour ces seuls motifs, il sera ordonné le retrait de l'intégralité de ce film, de tout support, notamment du site internet [05] et des applications mobiles, dans les conditions précisées au dispositif, l'ordonnance devant être réformée en ce que, s'agissant du film publicitaire, elle a limité le retrait à la mention Un ricard des rencontres ;
Sur les applications :
Considérant, sur l'application Ricard Mix Codes, qu'il est constant et décrit par l'ANPAA (p 28) que, téléchargeable sur I Phone, par I Tunes depuis l'Appstore, cette application, qui nécessite un compte Facebook et dispose d'un système de géolocalisation, permet de visionner le film de la campagne publicitaire Un ricard des rencontres, et de collecter des codes, donnant accès à des cocktails à base de Ricard, que l'utilisateur peut partager sur son mur Facebook ;
Que l'appelante produit une attestation du 18 juillet 2011 de l'agence BETC Digital, qui est à l'origine de la campagne publicitaire, selon laquelle l'application Ricard Mix Codes est disponible uniquement pour les mobiles Iphones et ne fonctionne que par le biais d'une connexion internet ;
Que l'ANPAA soutient que cette application n'est pas un service de communication en ligne, ainsi qu'en atteste l'expert en informatique mandaté par elle, M. [U], qui a conclu que cette application, qu'il a reçue par courriel via le conseil de l'ANPAA, qui l'avait téléchargée sur son ordinateur, n'est pas uniquement téléchargeable sur Appstore, mais qu'elle a un fonctionnement autonome, ce qui est notamment démontré par le fait que l'application, qui a été téléchargée via I Tunes, avant l'ordonnance entreprise, fonctionne toujours, des messages étant encore envoyés par la société RICARD les 10 février 2012, 2 et 20 mars 2012 ;
Que cette expertise est contestée par la société RICARD, qui fait valoir que le premier juge a été saisi d'une application accessible au public, en l'espèce sur Appstore, et non de transferts de fichiers par le conseil de l'ANPAA, selon des manipulations complexes, qui ne sont pas à la portée de "l'utilisateur moyen" (décrites en pièce 58 de l'ANPAA) ;
Considérant que cette expertise, non contradictoire, et réalisée dans les conditions précitées, ne permet pas au juge des référés d'en déduire, avec l'évidence requise, que l'application litigieuse ne nécessiterait pas de connexion internet et ne pourrait donc pas être qualifiée de "service de communication en ligne" ;
Considérant, en revanche, que selon l'article L. 3323-2 du code de la santé publique, la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques, autorisée exclusivement sur les services de communication en ligne, ne doit pas, par son caractère, sa présentation ou son objet, apparaître comme principalement destiné à la jeunesse, ni revêtir un caractère intrusif ;
Que si l'ANPAA soutient que Facebook est principalement utilisé par la jeunesse, et s'il résulte des pièces produites par l'ANPAA que les réseaux sociaux sont utilisés, à 70%, par des enfants de 12 à 17 ans dont 48% sur Facebook, l'intimée n'a pas contesté devant le premier juge les conclusions d'une étude produite par la société RICARD, datée du 16 février 2010, selon laquelle les possesseurs d'IPhone étaient constitués à 64% d'hommes âgés de 25 à 44 ans ; que la société RICARD produit, par ailleurs, en cause d'appel, des éléments (pièces 11, 28, 29) dont il résulte qu'en France, qu'au moins 58 % des utilisateurs de Facebook sont âgés de 25 ans ou plus ; qu'il est constant que la société RICARD a mis en place un filtre d'âge, pour l'accès à l'application en cause, même si elle ne saurait nier que les systèmes de vérification de l'âge sont peu fiables ;
Qu'en conséquence, l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a retenu que l'application n'était pas principalement destinée à la jeunesse ;
Que de même, c'est à juste titre que le premier juge a considéré que ce mode de publicité était intrusif ;
Qu'en effet, la société RICARD ne dément pas le fait que "une fois l'application téléchargée par l'utilisateur, ce dernier est en droit de partager ou non des informations sur les recettes qu'il a téléchargées avec d'autres internautes" (lettre BETC du 25 août 2011), non plus le fait, démontré par ailleurs par les pièces produites par l'ANPAA (59 à 61), que si ce dernier souhaite "partager avec son réseau d'amis Facebook" une recette, en cliquant sur le bouton "partager sur mon mur", apparaît sur son profil le message suivant : "J'ai découvert la Rencontre # 20 ATOMIC RICARD (ou # 92 RICARD MANGO ou autre). Vous aussi récupérez les Ricard Mix avec l'application Ricard Mix Codes. Disponible sur l'Appstore." ;
Que l'accord de l'utilisateur d'accès à ses données personnelles et l'autorisation donnée à RICARD, de publication sur Facebook en son nom, ne constituent pas un accord pour recevoir ou diffuser des messages au contenu dont il n'a pas préalablement connaissance et qu'il ne maîtrise pas ; que ces messages, à caractère intempestif, ne sauraient être assimilés à des correspondances privées ;
Que le texte de ces messages, adressés par RICARD sur le mur de l'utilisateur, consultables par ses "amis", et qui incite clairement à télécharger l'application Ricard Mix Codes, apparaît de manière inopinée et systématique, revêtant ainsi un caractère intrusif ;
Que ce message, présenté sur un réseau social de convivialité est, en outre, clairement de nature à inciter le consommateur à absorber le cocktail "découvert" par un "ami" Facebook et, étant suivi de l'indication "Tout sur la société Ricard - Société, marques, saga, métiers...[05]', tout autre alcool commercialisé par cette société ; que, diffusé sans la mention sanitaire légale, il contrevient également, de ce fait, aux prescriptions de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique ;
Que pour ces motifs, substitués en tant que de besoin à ceux du premier juge, l'ordonnance sera, dès lors, confirmée en ce qu'elle a jugé illicite l'application Ricard Mix Codes ;
Considérant, sur l'application Ricard 3 D, que cette application téléchargeable pour IPhone ou compatible sur iTunes, permet de découvrir une bouteille Ricard en 3D, sans passer par le réseau Facebook, ce que l'ANPAA ne conteste pas ;
Qu'il importe peu, pour l'appréciation de sa licéité, qu'il n'ait pas fait partie de la campagne Un ricard des rencontres, dès lors que le premier juge, et la Cour, par l'effet dévolutif, en ont été saisis ;
Considérant que, pour les motifs précités relatifs à l'application Ricard Mix Codes, tenant notamment au caractère non contradictoire des constatations faites dans l'expertise produite par l'ANPAA, indépendantes de la nécessité de passer par Facebook, il n'est pas démontré que, après téléchargement nécessitant une connexion internet, cette application puisse s'exécuter de manière autonome, sans cette connexion ; qu'il sera, donc, retenu que cette application est, pour le juge de l'évidence, un service de communication en ligne ;
Considérant que cette application permet de visionner la bouteille de Ricard, en relief ; que cette présentation, attractive, utilisant une forme d'image très en vogue, visant à promouvoir cette boisson alcoolique, et non accompagnée de mention sanitaire, tombe, dès lors, à ce double titre, sous le coup des interdictions légales ;
Que la société RICARD en avait, de toute évidence, parfaitement conscience, puisqu'elle expose avoir retiré cette application de l'Appstore, dès le 9 août 2011 ;
Que l'appelante ne conteste pas sérieusement le rapport de l'expert informatique mandaté par l'ANPAA, selon lequel cette application "est aujourd'hui encore disponible sur le site "https://market. android.com", mais entend réduire la portée des constations faites par cet expert, en produisant un constat d'huissier du 15 mars 2012, dont elle déduit que "si l'application Ricard 3 D était bien présente sur Androïd Market, il n'était pas possible de la mettre en oeuvre, un message d'erreur apparaissant" ;
Qu'il convient, pour ces motifs, pour prévenir tout dommage imminent, et empêcher le renouvellement du trouble manifestement illicite, de confirmer également l'ordonnance entreprise, en ce qu'elle a ordonné le retrait et la suppression de l'application Ricard 3 D ;
Sur les autres demandes :
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'ANPAA les frais irrépétibles qu'elle a exposés pour la présente instance ;
Considérant que la société RICARD, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance, comprenant les frais du constat d'huissier de la SCP SIMONIN LE MAREC GUERRIER du 7 juillet 2011 d'un montant de 905, 22 euros TTC, outre les dépens d'appel, l'intimée ne demandant pas le bénéfice des dispositions de l'article 699 du CPC ;
PAR CES MOTIFS
CONFIRME l'ordonnance entreprise, en ce qu'elle a :
- ordonné le retrait et la suppression des applications intitulées Ricard 3 D et Ricard Mix Codes sur tout support, et notamment sur l'Appstore et I Tunes, sous astreinte de 1 000 euros par jour et par infraction, passé le délai d'un mois à compter de la signification de la décision,
- condamné la SA RICARD à payer à l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie -ANPAA- la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
- condamné la SA RICARD aux dépens de première instance,
LA RÉFORME, en ce qu'elle a :
- ordonné le seul retrait de la mention Un ricard des rencontres, des quatre affiches publicitaires litigieuses, quel que soit leur support, sous astreinte de 1 000 euros par jour et par infraction, à partir du troisième jour ouvrable suivant la signification de l'ordonnance,
- ordonné le seul retrait de la mention Un ricard des rencontres figurant dans le film publicitaire, quel que soit le support de diffusion de ce film, et notamment sur les sites internet, dont [05] et sur les applications mobiles, sous astreinte de 1 000 euros par jour et par infraction, à partir du troisième jour ouvrable suivant la signification de l'ordonnance,
Statuant à nouveau sur ces points,
ORDONNE le retrait de la mention des rencontres associée au nom de un ricard, ainsi que des nuages de couleur grise, jaune, rouge, verte, du signe # suivi d'un numéro, sur tout support, quel qu'il soit, et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et par infraction constatée, à compter de la signification du présent arrêt,
ORDONNE le retrait du film publicitaire en faveur de la boisson alcoolique Ricard, intitulé Un ricard des rencontres, quel que soit le support de diffusion de ce film, et notamment sur les sites internet, dont [05] et sur les applications mobiles, et ce sous astreinte de
10 000 euros par jour de retard et par infraction constatée, à compter de la signification du présent arrêt,
Y ajoutant,
DIT que l'astreinte assortissant l'injonction de retrait et suppression de tout support des applications intitulées Ricard 3 D et Ricard Mix Codes sera de 10 000 euros par jour de retard et par infraction constatée, à compter de la signification du présent arrêt,
DIT que les dépens de première instance comprennent les frais du constat d'huissier de la SCP SIMONIN LE MAREC GUERRIER du 7 juillet 2011 d'un montant de 905, 22 euros TTC,
CONDAMNE la SA RICARD à payer à l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie -ANPAA- la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
CONDAMNE la SA RICARD aux dépens d'appel.
LE GREFFIER,
LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENT ,