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02/05/2012 | FRANCE | N°09/15838

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 3, 02 mai 2012, 09/15838


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 3



ARRÊT DU 02 MAI 2012



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 09/15838



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Mai 2009 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2006082402





APPELANTS :



Maître [H] [L] ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de Madame [M],

[Adresse 6]

[Localité 1]>


représentée par Me François TEYTAUD, avoué à la Cour

assistés de Me Sophie WATTEL plaidant pour la SCP CHORUS CONSEIL (A.A.R.P.I)

et substituant Me Jean-Pascal CHAZAL, avocat au bar...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 3

ARRÊT DU 02 MAI 2012

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 09/15838

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Mai 2009 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2006082402

APPELANTS :

Maître [H] [L] ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de Madame [M],

[Adresse 6]

[Localité 1]

représentée par Me François TEYTAUD, avoué à la Cour

assistés de Me Sophie WATTEL plaidant pour la SCP CHORUS CONSEIL (A.A.R.P.I)

et substituant Me Jean-Pascal CHAZAL, avocat au barreau de VALENCE

Madame [I] [M]

Pharmacie Massena

[Adresse 7]

[Localité 2]

représentée par Me François TEYTAUD, avoué à la Cour

assistés de Me Sophie WATTEL plaidant pour la SCP CHORUS CONSEIL (A.A.R.P.I)

et substituant Me Jean-Pascal CHAZAL, avocat au barreau de VALENCE

La S.A. COVEA RISKS agissant poursuites et diligences du Président du Directoire

[Adresse 4]

[Localité 9]

représentée par la SCP ARNAUDY ET BAECHLIN, avoués à la Cour

assistée de Me Philippe BOCQUILLON, avocat au barreau de PARIS, toque : E 1085

INTIMÉES :

S.A.R.L. FIDUCIAIRE DE COMPTABILITE ET DE GESTION prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par la SCP BERNABE-CHARDIN-CHEVILLER, avoués à la Cour

assistée de Me Pierre QUEUDOT, avocat au barreau de PARIS, toque : C 1641

La SARL L'AGENCE CHANNELS prise en la personne de son gérant,

[Adresse 5]

[Localité 8]

représentée par la SCP ARNAUDY ET BAECHLIN, avoués à la Cour

assistée de Me Anne-france DE HARTINGH, avocat au barreau de PARIS, toque : R 1861

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 mars 2011, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame IMBAUD-CONTENT, Conseillère et Madame DEGRELLE-CROISSANT, Conseillère chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame BARTHOLIN, Présidente

Madame IMBAUD-CONTENT, Conseillère

Madame DEGRELLE-CROISSANT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame BASTIN.

ARRÊT :

- contradictoire,

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

-signé par Madame Chantal BARTHOLIN, Présidente, et par Madame Alexia LUBRANO, greffier stagiaire en pré-affectation, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * *

EXPOSE DU LITIGE

Faits et procédure :

Mme [M] exerçant la profession de pharmacienne dans le Jura , a confié, par acte du 27 septembre 2002, à la société Channels's un mandat de recherche en vue de l'acquisition d'une officine de pharmacie dans les départements 06 ou 26.

Parallèlement, Mme [V] [U] a également confiée à la Société Channel's un mandat aux fins de recherche d'un acheteur pour son officine située [Adresse 7].

La société Channel's a mis les deux parties en relations et a fait régulariser le 30 septembre 2002, une offre d'achat par Mme [M], la vente étant signée le 28 mars 2003 au profit de cette dernière.

Soutenant qu'elle s'était rapidement aperçue que le niveau de rentabilité présentée apparaissait irréalisable, que le chiffre d'affaire et les bénéfices escomptés n'étaient pas au rendez-vous, Madame [M] a donné mission à M. [K], expert comptable, qui, après avoir pris connaissance de la comptabilité auprès de Madame [V] [U] et de la sarl Fiduciaire de comptabilité et de gestion, a estimé que la comptabilité présentait de graves irrégularités et avait eu un impact sur le prix par majoration fictive de la marge sur les résultats nets prévisionnels de l'officine en 2003, dans une proportion de 38%.

Mme [M] a alors diligenté, le 6 février 2004, une première procédure, parallèle à la présente, devant le Tribunal de Commerce de Nice aux fins d'obtenir une diminution du prix de vente .

Dans une décision du 15 décembre 2004, le Tribunal de commerce de Nice a débouté Mme [M] de ses demandes et, cette dernière ayant interjeté appel, par un arrêt du 18 janvier 2007, la Cour d'Appel d'Aix en Provence a réformé le jugement, après avoir relevé que la comptabilité de Mme [V] [U] n'était pas probante et dit qu'il y avait lieu à réfaction du prix en application des articles L. 141 - 3 du code de commerce et 1640 du Code civil et ordonné une expertise par deux experts.

Saisie d'un pourvoi, la Cour de Cassation, par un arrêt du 6 mai 2008, au motif qu'il n'avait pas « recherché si les inexactitudes relevées avaient déterminé l'acquéreur à accepter le prix auquel il a contracté », a cassé et annulé l'arrêt mais seulement en ce qu'il a dit que Madame [V] [U] devra restituer une partie du prix de vente du fonds de commerce et ordonné une expertise, et renvoyé l'affaire devant la Cour d'Appel d'Aix en Provence autrement composée.

Par ailleurs, Mme [M] qui n' a pu faire face à la charge des emprunts eu égard aux faibles résultats nets générés par l'officine, a été déclarée en redressement judiciaire par décision du Tribunal de Commerce de Nice le 27 avril 2006 ; un plan de continuation a été homologué par ce même Tribunal le 29 janvier 2008 et M. [L] a été désigné es-qualité de commissaire à son exécution.

Mme [M] a alors diligenté le 29 novembre 2006, une seconde procédure dont cette Cour se trouve actuellement saisie, devant le Tribunal de Commerce de Paris afin d'obtenir la réparation de son préjudice auprès de la société Channel's qu'elle avait chargée du mandat de recherche de l'officine en soutenant que cette dernière avait failli à son obligation d'information et de conseil.

Le 28 septembre 2007, la Société Covea Risk , assureur de la sarl Channel's est intervenue volontairement à l'instance et a attrait à la cause la sarl Fiduciaire de comptabilité et de gestion, expert comptable de Mme [V] [U] ; les deux procédures ont été jointes.

Dans son jugement du 28 mai 2009, Tribunal de Commerce de Paris, a considéré que si la société Channel's était bien débitrice d'une obligation d'information et de conseil au bénéfice de Mme [M], la preuve n'était pas rapportée qu'elle avait failli à cette obligation lors de l'acquisition du fonds de commerce en constituant le plan de financement prévisionnel d'exploitation ayant servi de base à la négociation et au financement de l'opération mais qui n'avait pas été déterminant dans l' intention d'acquérir et que par ailleurs Madame [M] avait été informée des travaux concernant le tracé du tramway, vu leur importance et leur implication sur la vie de la cité, de sorte que le tribunal a rendu la décision aujourd'hui déférée qui a :

-joint les causes enrôlées sous les numéros RG 2006/082402 et RG 2007/065757,

-mis hors de cause la Société FCG- Fiduciaire de comptabilité et de gestion,

-débouté Mme [I] [M] de l'ensemble de ses demandes,

-condamné Mme [I] [M] à payer à 1' agence Channel's la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné la société Covea Risks à payer à la société FCG-Fidiciaire de comptabilité et de gestion la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-fait masse des dépens dont la charge est partagée par moitié entre Mme [I] [M] et la société Covea Risks,

Le 13 juillet 2009, Me [H] [L] es qualités et Mme [I] [M] ont interjeté appel de cette décision. La société Covea Risks a également interjeté appel de ce jugement. Les deux procédures ont été jointes devant la cour.

Dans leurs dernières conclusions déposées et signifiées le 6 octobre 2010, Mme [I] [M] et Me [H] [L] es qualités demandent à la cour au visa des articles 1146 et suivants du code civil de :

-dire et juger recevable et bien fondée l'appel interjeté par Mme [M],

-confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la société Channel's était débitrice à l'égard de Mme [M] d'une obligation d'information et de conseil,

Le réformer pour le surplus,

Statuant à nouveau,

-dire et juger de la société Channel's a commis des fautes contractuelles au préjudice de Mme [M],

-débouter la société Channel's de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles,

-condamner la société Channel's à payer à Mme [M] la somme de 1 306 981 € à titre de dommages- intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure et ce, avec capitalisation,

-condamner la société Channel's à payer la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont le montant pourra être recouvré directement, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 23 avril 2010, la société Covea Risks, appelante, demande à la cour de :

Vu l'arrêt de la cour de cassation du 6 mai 2008,

-la recevoir en son appel et la déclarer bien fondée,

-confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 28 mai 2009 en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de Mme [M] à l'encontre de la société Covea Risks,

Ce faisant,

-dire et juger Mme [M], Me [E] et Me [A] es qualités de plus fort mal fondés en toutes leurs demandes vis-à-vis de la société Covea Risks, les en débouter,

-réformer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 28 mai 2009 en ce qu'il a condamné la société Covea Risks à payer à la société Fidiciaire de comptabilité et de gestion la somme de 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre la moitié des dépens de l'instance avec Mme [M],

Subsidiairement,

Pour le cas où par impossible, la responsabilité de la société Channel's venait à être recherchée pour les éléments de comptabilité introduits ou figurant au dossier de cession de la société Covea Risks condamnée au titre de sa garantie,

-dire que la société Fiduciaire de comptabilité et de gestion devra garantir et relever indemne de toute condamnation la société Covea Risks tant en principal qu'en intérêts et frais,

-condamner solidairement Mme [M], la société Fiduciaire de comptabilité et de gestion et toute partie succombant, à payer à la société Covea Riks, en sa qualité d'assureur de la société Channel's, une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner solidairement Mme [M], la société Fiduciaire de comptabilité et de gestion et toute partie succombante, aux entiers dépens,

Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 23 avril 2010, la société agence Channel's, intimée, demande à la cour au visa de l'article 378 du code de procédure civile et des articles 1134 et suivants du Code civil,

-ordonner la jonction des affaires enrôlées sous les numéros RG 2006/082 402 et 2007/06 5757,

-dire et juger la société Channel's recevable et bien fondée dans ses écritures,

Y faisant droit,

-confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 28 mai 2009 en toutes ces dispositions,

-débouter Mme [M] et Me [L] es qualités de l'intégralité de leurs demandes, moyens et conclusions,

Subsidiairement,

-ordonner à Mme [M] et Me [L] es qualités de produire sous astreinte de 100 € par jour de retard l'ensemble des prévisionnels d'exploitation établis par la Société Générale, la Banque Nationale de Paris et la société Interfimo dans le cadre des prêts sollicités par Mme [M] en vue d'acquérir l'officine de Mme [V] [U],

-dire et juger que si une condamnation quelconque devait intervenir en l'encontre de la société Channel's, son assureur, la société Covea Riks serait tenue de la garantir et la relever indemne et, le cas échéant, dire et juger que la société Covea Risks sera elle-même garantie par la société Fiduciaire de comptabilité et de gestion, celle-ci reconnaissant que l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 18 janvier 2007 a retenu à sa charge des « anomalies comptables »,

Plus subsidiairement,

-ordonner un sursis à statuer dans l'attente de la décision définitive devant être rendu dans le cadre de la procédure pendante devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence statuant sur renvoi après cassation opposant Mme [M] à Mme [V] [U],

En toute hypothèse,

-condamner Mme [M] et Me [L] ès qualités à régler à la société Channel's la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, et la somme de 4000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner Mme [M] et Me [L] ès qualités aux entiers dépens

Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées les 24 et 25 janvier 2011, la sarl Fiduciaire de comptabilité et de gestion, intimée, prie la Cour au visa des articles 1315, 1382 du Code civil, 378 du code de procédure civile, 699 et 700 du code de procédure civile, de :

-la recevoir en ses conclusions et demandes, l'y dire bien fonder et y faire droit,

-débouter les sociétés Covea Risks Channel's, Mme [M] et Me [L] ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de Mme [M], de toutes leurs demandes, fins et conclusions contraires,

Ce faisant,

-confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions concernant la société Fidiciaire de comptabilité et de gestion,

Statuant à nouveau,

-dire et juger la société Fiduciaire de comptabilité et de gestion purement et simplement hors de cause,

-condamner la société Covea Risks à verser à la société Fiduciaire de comptabilité et de gestion la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts pour appel abusif,

-condamner la société Covea Risks à verser à la société Fiduciaire de comptabilité et de gestion la somme de 6000 €au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner la société Covea Risks aux entiers dépens d'appel

A titre subsidiaire,

-ordonner le sursis à statuer dans l'attente du résultat de la procédure actuellement pendante devant la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence statuant sur renvoi après cassation entre Mme [V] [U] et Mme [M],

SUR CE,

Critiquant le jugement déféré sur ce point, la société Channel's fait valoir que le mandat confié par Mme [M] se limitait à la recherche d'une officine réalisant un chiffre d'affaires compris entre 1 219 000€ et 1524 000€ située dans les départements 06 ou 26 , qu'elle a rempli son mandat puisque la vente a été réalisée moyennant un prix de 1 196 000€ moindre que l'application d'un pourcentage de 100 % du chiffre d'affaires habituellement pratiqué, que son engagement ne s'étendait pas à la constitution d'un dossier comprenant un prévisionnel d'exploitation qu'elle a réalisé sur la base d' éléments comptables d'ailleurs fournis par Mme [M], à titre purement gracieux, pour permettre à celle-ci d'obtenir un financement auprès des banques lesquelles ont procédé à leur tour à une étude détaillée des éléments comptables, la faisabilité de l'opération étant attestée par l'octroi d'un concours bancaire suffisant allant même au-delà des prévisions de l'agence,

Or si le mandat écrit signé entre Mme [M] et la société Channel's ne comporte que la recherche d'une officine réalisant un certain chiffre d'affaires dans les départements 06 et 26, la société Channel's a non seulement recherché une officine répondant aux critères du mandat mais également réalisé un dossier comportant des éléments comptables fournis par le vendeur ainsi qu' un prévisionnel d'exploitation destiné aux banques dans le but de permettre le financement de l'opération .

Elle soutient vainement que la constitution d'un tel dossier n'entrait pas dans son mandat alors que la finalité de celui-ci est de parvenir à la réalisation d'une transaction, condition du paiement de la commission qui n'est exigible qu'une fois l'achat réalisé;

La société Channel's qui vante d'ailleurs dans ses plaquettes publicitaires son expertise dans le domaine des acquisitions ou transformations d'entreprises ainsi que son professionnalisme et son expérience pour permettre de traiter les dossiers 'en profondeur' est donc débitrice d'une obligation d'information et de conseil, auprès de ses clients et en l'espèce auprès de sa mandante Mme [M], allant jusqu'à l'établissement d'un dossier destiné à permettre le financement de la transaction comme l'a jugé le tribunal .

Critiquant le jugement déféré, Mme [M] et Monsieur [L] es qualités font valoir que la société Channel's a cependant failli à son obligation d'information et de conseil :

-en établissant un prévisionnel d'exploitation irréaliste, incompatible avec les chiffres avancés par Madame [V] [U] et son expert comptable qui étaient eux mêmes incohérents,

-en ne l'informant pas sur les travaux devant être entrepris sur la voie publique et qui ont eu un impact sur le chiffre d 'affaires,

-en ne l'avisant pas de ce que Madame [V] [U] faisait l'objet d'une interdiction d'exercer dans le cadre d'une information judiciaire ouverte à son encontre,

et que ces fautes ont été déterminantes dans son engagement d'acquérir et lui ont causé un préjudice direct .

Or Mme [M] n'établit pas en quoi la société Channel's aurait du être alertée par les chiffres d'affaires réalisés par Mme [V] [U] alors que ceux ci résultent de bilans établis par son expert comptable et certifiés et que l'expert comptable dont Mme [M] était elle-même assistée n' a décelé aucune anomalie à leur examen.

L'allégation contenue dans l'expertise [K] que Mme [M] a fait diligenter, que ces bilans comportent des incohérences, que la comptabilité établie par Madame [V] [U] est non seulement irrégulière en la forme mais non probante en raison des anomalies constatées dans l'enregistrement des recettes réalisées tant en espèces que par tiers payants, ce qui aurait eu une influence sur la marge brute réalisée, n'a pas été à ce stade confirmée par une expertise contradictoire dans l'action distincte diligentée par Mme [M] en diminution du prix de vente ;

A supposer du reste que les chiffres d'affaires réalisés et communiqués par Mme [V] [U] aient été intentionnellement gonflés dans le but de parvenir à un prix de vente plus avantageux, ce qui n'est ni véritablement soutenu ni en tout cas parfaitement démontré, de telles manoeuvres, pouvant être qualifiées de dolosives, seraient de nature à exonérer la société Channel's de toute responsabilité dans la mesure ou il n'est nullement démontré qu'elles étaient décelables par un intermédiaire qui n'a pas la qualité d'expert- comptable ;

A partir du dernier chiffre d'affaires connu communiqué par le vendeur et réputé alors sincère, la société Channel's a établi un prévisionnel d'exploitation tenant compte d'une augmentation du chiffre d'affaires de 6 % les deux premières années, ce qu'elle estime conforme aux investissements devant être réalisés comportant une augmentation de la surface de vente et la présence d'un robot destiné, selon elle, à compenser l'impact des travaux du tramway dont l'annonce publique était largement antérieure à l'acquisition, cette hausse étant conforme aux études du Crédit Lyonnais et du conseil de l'Ordre des pharmaciens et limitée pour les années suivantes à 5, 4% puis 3% .

Or il ne résulte d'aucun document probant que Mme [M] ait été informée de quelque manière que ce soit sur l'importance des travaux concernant l'implantation du tramway et leurs conséquences éventuelles sur la commercialité du secteur alors que la mise en place par la communauté Nice Cote d'Azur d'une commission destinée à indemniser les entreprises ayant pu être gênées par les travaux atteste de la réalité des perturbations subies par les riverains du chantier.

Le fait allégué par la société Channel's que l'ouverture d'un tel chantier était notoirement connu dans la ville de Nice , que des enquêtes publiques ayant fait l'objet d'affichages en mairie et dont la presse s'est faite l'écho ont été diligentées, que la banque Société Générale qui a réalisé le prêt est voisine du commerce considéré et a du informer Mme [M] de l'importance desdits travaux ne saurait exonérer la société Channel's de sa propre obligation d'information dont elle est débitrice à l'égard de sa mandante d'autant que Mme [M] résidait jusqu'à l'acquisition du fonds à Chamolles dans le Jura, à distance de la ville de Nice, que la lettre émanant de la préfecture des Alpes maritimes du 13 mars 2003 adressée au président de la communauté d'agglomération Nice Cote d'azur contenant ampliation de l'arrêté déclarant d'utilité publique le projet de transport collectif en site propre niçois - phase 1 - n'a pas été adressé à Madame [M] personnellement et que l'acte de cession qui lui est immédiatement postérieur puisque daté du 28 mars 2003 ne fait aucune mention dudit arrêté .

La circonstance que Mme [M] avait visité les lieux en septembre 2002 , qu'elle y était revenue seule le week-end suivant est à cet égard inopérante d'autant que les travaux n'ont débuté qu'en février 2004 de sorte que la visite des lieux ne pouvait apporter aucune information à Mme [M] sur l'importance des travaux projetés .

L'attestation du négociateur Mr [T] suivant laquelle il a donné à Mme [M] toutes informations à cet égard est elle-même insuffisante à faire la preuve que la société Channel's a rempli son obligation dans la mesure ou cette affirmation du négociateur de l'agence qui, indépendamment de sa qualité de travailleur indépendant, est dans une communauté d'intérêts avec la société Channel's, n'est confortée par aucun autre document ; il n'est produit en effet aucun courrier échangé entre les parties au sujet du projet d'implantation du tramway qui n'est pas davantage mentionné dans la promesse de cession.

Il importe peu que cette information, si elle avait été connue de Mme [M], l'aurait ou non conduite à ne pas acquérir le fonds dés lors qu'est démontré que ce défaut d'information a pesé sur les conditions de la vente ;

Ainsi, le fait pour la société Channel's d'avoir établi un prévisionnel d'exploitation déconnecté de la réalité commerciale du secteur où est implanté l'officine, l'a amenée à prendre en compte une augmentation exponentielle du chiffre d 'affaires qui n'a pas trouvé à se réaliser ;

Peu importe que d'autres personnes aient pu concourir à la prise d'engagement excessif par rapport au chiffre d'affaires effectivement réalisé ensuite, la société Channel's devait elle-même attiré l'attention de sa mandante sur les perturbations éventuelles liées à la réalisation des travaux d'aménagement du tramway et en tenir compte dans la réalisation du prévisionnel d'exploitation des trois premières années d'exploitation ;

Le fait que Madame [M] ait réalisé au cours de la première année d'exploitation, à une période ou le chantier n'avait pas encore débuté, un chiffre d'affaires inférieur à celui réalisé par Madame [V] [U] qui était vraisemblablement augmenté artificiellement, a donc été renforcé au cours des années suivantes par l'existence d'un environnement commercial défavorable en raison des nuisances inévitables d'un vaste chantier public.

Ce manquement de la société Channel's à son obligation d'information et de conseil a causé à Mme [M] un préjudice qui n'est constitué ni par la perte des revenus qui lui auraient été procurés par l'officine qu'elle a elle-même vendue ni par la perte de valeur patrimoniale, Mme [M] étant taisante sur les revenus actuels procurés par l'officine depuis la fin des travaux et sur la valeur du fonds, mais par la perte de chance d'avoir contracté un prêt bancaire mieux adapté à la situation du commerce considéré, au moins au cours des trois premières années.

Ce préjudice qui résulte d'une faute reprochée à la société Channel's est distinct de la diminution du prix de vente demandée par Mme [M] à Mme [V] [U] et peut être évalué sans attendre le résultat de l'autre action diligentée à la somme de 120 000 €, rendant sans objet la demande de sursis à statuer.

Le fait au surplus que Mme [V] [U] ait fait l'objet d'une interdiction d'exploiter suivant décision prise par un juge d'instruction au cours d' une information judiciaire ouverte à son encontre mais dont le conseil de l'Ordre des pharmaciens des Alpes maritimes indique n'avoir pas été destinataire est sans portée au regard des fautes reprochées à la société Channel's qui ne pouvait du reste bénéficier de plus d'information que le conseil de l'Ordre des pharmaciens.

Sur les autres demandes :

Les manquements reprochés à la société Channel's étant sans lien avec l'établissement de la comptabilité de l'officine exploité par Mme [V] [U] , la société Covea Riks assureur de la société Channel's condamnée à garantir la société Channel's de toutes les condamnations prononcées à son encontre sera déboutée de sa propre action en garantie à l'encontre de la société Fiduciaire de comptabilité et de gestion .

La société Channel's sera elle-même déboutée de sa demande reconventionnelle en dommages intérêts .

La société Fiduciaire de comptabilité et de gestion n'établit pas en quoi sa mise en cause en sa qualité d'expert comptable de l'officine de Mme [V] [U] par la société Covea Risks serait abusive alors que cette dernière avait un intérêt manifeste à l'appeler en garantie. Elle sera déboutée de sa demande en dommages- intérêts ainsi que des frais irrépétibles qu'elle a du exposer .

La société Channel's supportera les entiers dépens et paiera à Mme [M] une somme de 5000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .

PAR CES MOTIFS

Reformant le jugement déféré,

Condamne la société Channel's à payer à Mme [M] la somme de 120 000€ à titre de dommages- intérêts au titre du préjudice causé par le manquement à son obligation d'information et de conseil,

Dit que la société Covea Risks, assureur, devra garantir son assurée la société Channel's de toutes les condamnations prononcées à son encontre.

Déboute la société Covea Risks de sa demande en garantie contre la société Fiduciaire de comptabilité et de gestion et fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société Fiduciaire de comptabilité et de gestion de ses demandes en dommages intérêts et fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société Channel's de sa demande reconventionnelle en dommages- intérêts et fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Channel's aux entiers dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile et la condamne à payer à Mme [M] une somme de 5000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 09/15838
Date de la décision : 02/05/2012

Références :

Cour d'appel de Paris I3, arrêt n°09/15838 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-05-02;09.15838 ?
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