RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 12 Avril 2012
(n° 4 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/06633
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Juillet 2010 par le conseil de prud'hommes de VILLENEUVE SAINT GEORGES RG n° 09/00282
APPELANTE
SCM SERVICE DE RADIOLOGIE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Julien DUFFOUR, avocat au barreau de PARIS, toque : P0470 substitué par Me Valérie BATIFOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : P 470
INTIMEE
Madame [K] [T] épouse [O]
[Adresse 1]
[Localité 4]
comparante en personne, assistée de Me Yves SÈBE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0153
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mars 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Renaud BLANQUART, Président
Madame Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU, Conseillère
Madame Anne DESMURE, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Renaud BLANQUART, Président et par Mr Franck TASSET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure
Mme [K] [T] a été engagée, à compter du 1er mars 1991, par la SCM Service de radiologie , qui est un cabinet de radiologie, selon un contrat à durée indéterminée, en qualité de secrétaire médicale. Son salaire brut mensuel moyen s'est élevé à 1 843,32 €.
L'entreprise emploie moins de 10 salariés.
La relation de travail est régie par les dispositions de la convention collective des personnels des cabinets médicaux.
Par lettre du 9 février 2009, remise en main propre, Mme [T] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 24 février suivant et mise à pied. Elle a été licenciée pour faute grave par courrier du 3 mars 2009.
Contestant son licenciement, Mme [T] a saisi le conseil des Prud'Hommes de Villeneuve-Saint-Georges d'une demande tendant, en dernier lieu, à obtenir le paiement des indemnités de rupture, d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'un rappel de salaire afférent à la mise à pied, des dommages et intérêts pour violation de la procédure de licenciement, des dommages et intérêts pour violation des lois d'amnistie, outre la remise des documents sociaux conformes et le paiement d'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile. A titre reconventionnel, la SCM Service de radiologie a réclamé la somme de 2 000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par décision en date du 7 juillet 2010, le conseil des Prud'Hommes a jugé le licenciement de Mme [T] dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la SCM Service de radiologie à payer à Mme [T] les sommes suivantes, augmentées des intérêts au taux légal, sans anatoscisme :
- 1 000,53 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied
- 100,53 € au titre des congés payés afférents
- 3 775,64 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 377,56 € au titre des congés payés afférents
- 5 789,31 € à titre d'indemnité de licenciement
- 1 887,82 € à titre d'indemnité pour non respect de la procédure
- 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le conseil des Prud'Hommes a, en outre, ordonné la remise des documents sociaux conformes, condamné la SCM Service de radiologie à payer à Mme [T] la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et débouté Mme [T] pour le surplus et la SCM Service de radiologie de sa demande reconventionnelle.
la SCM Service de radiologie a fait appel de cette décision, dont elle sollicite l'infirmation. Elle demande à la cour de juger bien fondé le licenciement prononcé pour faute grave , subsidiairement, pour cause réelle et sérieuse. Elle conclut au débouté de Mme [T] dont elle estime, subsidiairement, et faisant valoir qu'elle compte moins de 10 salariés, qu'elle n'établit pas la réalité du préjudice allégué. Elle réclame, enfin, la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [T] conclut à la confirmation partielle du jugement déféré. Elle demande à la cour de juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la SCM Service de radiologie à lui payer les sommes suivantes :
- 1 000,53 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied
- 100,53 € au titre des congés payés afférents
- 3 775,64 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 377,56 € au titre des congés payés afférents
- 5 789,31 € à titre d'indemnité de licenciement
- 1 887,82 € à titre d'indemnité pour non respect de la procédure
- 40 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour violation des lois d'amnistie
Elle réclame, en outre, la remise des documents sociaux conformes, ainsi que le paiement de la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier le 6 mars 2012, reprises et complétées lors de l'audience.
Motivation
- Sur le licenciement
Tout licenciement doit avoir une cause réelle et sérieuse (art L 1232-1 du code du travail). La faute grave est définie comme un manquement du salarié à ses obligations tel que la rupture immédiate du contrat est justifiée. Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la faute grave qu'il invoque.
Les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables. En outre, en application de l'article L 1232-4 du code du travail , aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuite pénale. Enfin, un même fait fautif ne peut donner lieu à double sanction.
En application de l'article L 1232-6 du code du travail , la motivation de la lettre de licenciement fixe les limites du litige.
En l'espèce, aux termes de la lettre de licenciement du 3 mars 2009, il est reproché à Mme [T] , au motif qu'il n'y avait plus de place, d'avoir le 6 février 2009, fixé d'office un rendez-vous à un enfant, le lendemain, pour un examen prescrit en urgence par le médecin traitant suspectant une appendicite, sans avoir préalablement informé de cette demande le médecin présent au cabinet.
Mme [T] qui explique que l'ordonnance de prescription a été remise à sa collègue présente également à l'accueil, et qu'elle en ignorait le caractère urgent, conteste que la faute reprochée puisse lui être imputée. Elle ajoute que sa collègue, Mme [M], qui en est à l'origine, n'a pas été licenciée, de sorte qu'en tout état de cause, elle ne saurait subir un sort plus sévère.
Il ressort des explications des parties et des éléments produits aux débats, notamment de l'attestation, non contestée par les parties, de Mme [I], mère de l'enfant concerné par l'ordonnance en cause, que se présentant au cabinet de radiologie, elle a été accueillie par deux secrétaires identifiées comme étant Mmes [M] et Mme [T] . Elle précise : 'quand vint mon tour, j'ai présenté mon ordonnance, une dame aux yeux bleus (Mme [T] ) était assise et l'autre qui était debout (Mme [M]) a pris mon ordonnance et m'a dit qu'il n'y avait pas de place, elle a essayé d'appeler [5] (un autre cabinet) mais la dame aux yeux bleus lui a dit que c'était complet. J'ai quand même signalé que c'était une urgence à la dame qui a pris l'ordonnance malgré ça pas de place. La dame aux yeux bleus a proposé que je vienne le samedi 7 à 8h30 ce que j'ai fait.....'
Il ressort de ces éléments que les deux secrétaires Mmes [M] et [O], ont traité ensemble le rendez-vous de Mme [I], laquelle a signalé expressément le caractère urgent de l'examen à pratiquer, de sorte qu'aucune des deux secrétaires n'ait pu l'ignorer.
Il n'est pas contesté par Mme [T] qu'en cas de demande de rendez-vous marquée par l'urgence, elle doit en référé aux médecins du cabinet.
Il s'ensuit qu'en se dispensant d'en référer au médecin, seul habilité à apprécier la caractère urgent de l'examen à pratiquer, Mme [T] a commis une faute qui lui est bien imputable, contrairement à ce qu'elle soutient. Compte-tenu de ce qu'en matière médicale, négliger une urgence peut avoir des conséquences d'une extrême gravité sur la santé des patients, c'est à juste titre que l'employeur, estimant impossible le maintien de la relation contractuelle même pendant le préavis, a reproché à Mme [T] une faute grave.
Au surplus, le pouvoir d'individualisation de la sanction que détient l'employeur l'autorise à ne pas sanctionner tous les salariés auteurs d'une même faute, dès lors, notamment, que ceux-ci reconnaissant leurs torts, présentent des garanties de non renouvellement de leur comportement fautif.
Tel a été le cas en l'espèce, où bien qu'ayant participé pleinement à la commission de la faute, Mme [T] l'a vivement, et à tort, contestée, la rejetant, en outre, sur sa seule collègue, tandis que Mme [M] l'ayant, au contraire, reconnue ainsi que sa gravité, s'est amendée, ce qui a justifié, de la part de l'employeur en tenant compte, le prononcé d'une mise à pied disciplinaire du 18 février 2009 au 5 mars 2009, sanction moins sévère que celle infligée à Mme [T] .
En conséquence, Mme [T] ne peut qu'être déboutée de ses demandes au titre du licenciement pour faute grave prononcé à juste titre.
- Sur le non respect de la procédure de licenciement
Mme [T] fait grief à son employeur de l'avoir reçue lors de l'entretien préalable en présence de trois médecins, en sachant, au surplus, que les 6 faisant partie du cabinet avaient été convoqués.
la SCM Service de radiologie conteste l'irrégularité reprochée en faisant valoir que les 6 médecins composent une SCP et qu'à ce titre, il était légitime que chacun, également informé, se forge sa propre idée quant à la suite à réserver au comportement de Mme [T] .
Il ressort des débats et en particulier des statuts du cabinet monté en la forme d'une SCP que les six médecins membres sont également cogérants. Il s'ensuit qu'était appropriée la présence de chacun d'eux à l'entretien préalable devant déboucher sur une décision importante, impliquant chacun d'eux, quant au devenir professionnel de la salariée, alors au demeurant, que cette situation ne privait pas Mme [T], elle-même, de son droit de se faire assister.
Il s'ensuit que la procédure est régulière et que Mme [T] ne peut qu'être déboutée de sa demande de ce chef.
- Sur la violation des lois d'amnistie
Aux termes de l'article L 1331-1 du code du travail, 'constitue une sanction, toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération'.
Mme [T] se prévaut de la violation des lois d'amnistie et notamment les lois n° 95-884 du 3 août 1995 et n° 2002-1062 du 6 août 2002 par l'employeur qui invoque une sanction disciplinaire infligée le 12 décembre 1994 et un document porté au dossier professionnel de Mme [T] concernant le mauvais accueil qu'aurait réservé celle-ci à une patiente le 19 juin 1995 (pièces adverses 7,8 et 9).
la SCM Service de radiologie soutient que les pièces produites 7,8 et 9 aux débats qui ne correspondent pas à des sanctions disciplinaires au sens de l'article L 1331-1 du code du travail, ne sont pas concernées par les lois d'amnistie invoquées par la salariée.
Aux termes des lois d'amnistie visées par Mme [T] , sont amnistiés les faits retenus ou susceptibles d'être retenus comme motifs de sanctions prononcées par un employeur, commis respectivement avant le 18 mai 1995 et avant le 17 mai 2002. Les sanctions disciplinaires prononcées à la date d'entrée en vigueur de ces textes doivent être effacées et ne peuvent plus être invoquées, notamment pour appuyer une sanction plus grave.
En l'espèce, il ressort des débats que par courrier en date du 12 décembre 1994 Mme [T] a fait l'objet de 'remarques' écrites de la part de son employeur concernant son attitude à l'égard d'une patiente, adoptée le matin même. Le documents du 19 juin 1995 constitue une plainte d'une cliente à l'encontre du cabinet concernant le mauvais accueil des patients, qui n'est pas nommément dirigée contre Mme [T] en particulier, mais que l'employeur identifie comme étant Mme [T], avec pour conséquence l'établissement d'un rapport fait de cet événement par l'employeur gardé au dossier de Mme [T] selon la mention expresse portée sur le document. Il résulte de la lecture de ces courriers que l'employeur n'a pas entendu sanctionner les agissements relevés et considérés par lui comme fautifs, ce qui est, d'ailleurs, corroboré par le fait qu'il n'a été donné aucune suite à ces divers éléments retenus contre Mme [T] , que sa carrière ne s'en est pas trouvée entravée, ni au plan des responsabilités exercées, ni au plan de la rémunération.
Il s'ensuit que les éléments en cause ne comportent aucune injonction à l'égard de Mme [T] , y compris le courrier du 12 décembre 1994 aux termes duquel l'employeur 'espère qu'à l'avenir, vous tiendrez compte de mes remarques'.
Mme [T] ne peut, en conséquence, qu'être déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Le jugement déféré est, en conséquence, partiellement confirmé.
Par ces motifs, la cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [K] [T] en sa demande fondée sur la violation des lois d'amnistie,
L'infirme pour le surplus.
Statuant à nouveau :
Dit que le licenciement de Mme [T] est fondé sur une faute grave,
Déboute Mme [T] de toutes ses demandes,
La condamne aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
Condamne Mme [T] au dépens d'appel,
Vu l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [T] à payer à la SCM Service de radiologie la somme de
1 000 €,
Déboute Mme [T] de sa demande, de ce chef.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT