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12/04/2012 | FRANCE | N°10/03381

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 12 avril 2012, 10/03381


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 12 Avril 2012



(n° 7, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/03381



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Février 2010 par le conseil de prud'hommes de Paris RG n° 08/00419





APPELANT

Monsieur [M] [D]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Emilie GASTE, avocat au barreau de PARIS, toqu

e : C 2143







INTIMÉE

SA ERAMET

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Xavier NORMAND BODARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141





COMPOSITION DE LA COUR :



En a...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 12 Avril 2012

(n° 7, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/03381

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Février 2010 par le conseil de prud'hommes de Paris RG n° 08/00419

APPELANT

Monsieur [M] [D]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Emilie GASTE, avocat au barreau de PARIS, toque : C 2143

INTIMÉE

SA ERAMET

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Xavier NORMAND BODARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Février 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président

Madame Evelyne GIL, Conseillère

Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère

GREFFIÈRE : Mademoiselle Céline MASBOU, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président et par Mademoiselle Céline MASBOU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA COUR,

Vu l'appel régulièrement interjeté par M. [M] [D] à l'encontre d'un jugement prononcé le 19 février 2010 par le conseil de prud'hommes de Paris ayant statué sur le litige qui l'oppose à la société ERAMET sur ses demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail.

Vu le jugement déféré qui :

- a condamné la société ERAMET à payer à M. [D] la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral né de la discrimination syndicale, outre la somme de 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- a débouté M. [D] du surplus de sa demande

- et a condamné la société ERAMET aux dépens.

Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles :

M. [M] [D], appelant, poursuivant l'infirmation partielle du jugement déféré, demande à la cour :

- de condamner la société ERAMET à lui payer les sommes suivantes :

- avec intérêts au taux légal à compter de la date d'exigibilité des rémunérations et indemnités dont il a été abusivement privé, soit au terme de l'année civile pour laquelle elles sont dues s'agissant des salaires et le 31 décembre 2010 pour l'indemnité de mise à la retraite,

- 172 963,99 € bruts à titre de rappel de salaire d'août 2004 à janvier 2010 correspondant à la position III B de la classification conventionnelle,

- 17 296,39 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 37 745,64 € à titre de rappel d'allocation de mise à la retraite,

- avec, compte tenu de l'ancienneté et de la persistance du préjudice, des intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil de prud'hommes, soit le 14 janvier 2008,

- 750 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel, professionnel et moral résultant de la discrimination syndicale dont il a fait l'objet,

- d'ordonner la remise de bulletins de paie conformes à la décision à intervenir pour la période d'août 2004 à janvier 2010,

- d'ordonner la capitalisation de tous les intérêts attachés aux condamnations,

- de condamner la société ERAMET à lui payer la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société ERAMET, intimée, conclut

- à titre principal, à l'infirmation du jugement, au débouté de M. [D] de l'ensemble de ses demandes et à sa condamnation au paiement d'une somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- subsidiairement, à la confirmation du jugement entrepris.

CELA ÉTANT EXPOSÉ

M. [D], titulaire d'un diplôme de l'[4], a été embauché par la société LE NICKEL (SLN) à compter du 16 juin 1969 en qualité de cadre comptable, position I de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie, et a été rattaché aux services comptables au siège de la société à [Localité 11].

La société LE NICKEL (SLN), qui deviendra ERAMET, est un des leaders mondiaux de l'extraction et de la transformation de ferronickel.

Après un an passé au siège de la société à [Localité 11], M. [D] a effectué une mission de 9 mois auprès des services comptables de la succursale de [Localité 10] avant d'être affecté à son retour en métropole au service du contrôle financier des filiales et administrations de la direction financière et administrative au siège à [Localité 11] où il a exercé les fonctions de cadre financier, position II.

En 1975, M. [D] a été désigné délégué syndical auprès de la SLN par le syndicat national des mines, de la transformation, du commerce des métaux non ferreux des industries et commerces annexes "S.Y.M.E.N.O.F." affilié à la CGC.

Depuis lors, M. [D] a exercé, outre son mandat syndical, différents mandats électifs.

En 1981, M. [D] a été rattaché au service du contrôle de gestion, restant au sein de la direction financière et administrative.

En 1986, M. [D] a obtenu le diplôme supérieur (DES) de l'Institut des techniques de banque.

En octobre 2001, M. [D] a été rattaché à la direction des ressources humaines pour y assurer une mission d'audit des dépenses de déplacement de la société ERAMET à [Localité 11].

En 2005, M. [D] s'est vu attribuer la position conventionnelle III A.

Le 14 janvier 2008, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes qui a rendu le jugement déféré.

Le 31 janvier 2010, il a quitté la société pour prendre sa retraite.

SUR CE

Sur la discrimination syndicale

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'action, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses activités syndicales.

L'article L.2141-5 du code du travail interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.

Selon l'article L.1134-1 du code du travail, en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, M. [D] soutient que le déroulement de sa carrière a été entravé par l'exercice de ses fonctions syndicales et électives ; que la SA ERAMET, au mépris de ses obligations légales et conventionnelles, s'est désintéressée de sa situation, le privant de toute perspective d'évolution, tant fonctionnelle que salariale ; qu'il est ainsi resté cantonné à la position II de la grille de classification des cadres pendant trente ans ; qu'aucun objectif ne lui a été fixé et qu'il a été privé de toute évaluation pendant plus de deux décennies ; que l'attribution tardive de la position III A en 2005 ne lui a pas permis de rattraper son retard salarial de sorte que sa rémunération se situe dans le quart inférieur des salaires pratiqués pour les cadres de position III A, très loin du salaire moyen et plus loin encore du salaire dont il aurait dû bénéficier si l'évolution de sa classification et de ses responsabilités avait été normalement assurée ; qu'en fin de carrière, on lui a imposé un rattachement à la direction des ressources humaines sans attribution opérationnelle, responsabilité ni équipe ; que contrairement à ce qu'affirme la société, la comparaison de sa situation avec celle d'autres cadres financiers des services de contrôle de gestion est pertinente et révélatrice de la discrimination et de la disparité des situations ; que contrairement à ce qu'affirme l'employeur, il s'est plaint de cette situation dès 1983.

Au vu des pièces produites par M. [D] pour étayer ses affirmations, il apparaît notamment que :

- au cours de toute sa carrière au sein de la société ERAMET, il a été évalué à deux reprises seulement, en 1984 et 1986, l'évaluateur estimant en 1984 que 'Rappel du cas particulier de M. [D] : ses activités syndicales et électives entraînent de sa part une disponibilité réduite, gênante pour le bon déroulement des travaux qui lui sont confiés' et en 1986 que 'les activités syndicales et électives entraînent de sa part une disponibilité réduite. Les tâches qui lui sont confiées sont généralement bien faites. Mais les délais d'accomplissement du travail sont beaucoup trop longs. Cela interdit en particulier de donner à M. [D] des tâches liées au respect d'un planning et limite le nombre de travaux à confier';

- la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie applicable prévoit que les 'entreprises développeront la pratique d'entretiens entre les intéressés et leurs supérieurs hiérarchiques directs pour faire périodiquement le point' afin de favoriser 'les développements de carrière' ; l'accord d'entreprise signé le 10 janvier 2001, relatif à l'évolution de carrière des représentants du personnel dans les sociétés du groupe ERAMET, a pour objectif 'de garantir que (...) les salariés titulaires d'un mandat syndical ou électif bénéficieront d'une évolution de leur carrière et de leur rémunération cohérente par rapport à celle de leur environnement professionnel, et ne se verront pas pénalisés par l'exercice de leur mandat' et prévoit notamment une évaluation et un bilan individuel des qualités professionnelles pour déterminer l'évolution salariale et professionnelle des représentants du personnel ;

- que M. [D], après être resté en position II pendant environ 34 ans, a été élevé à la position III A en 2005 alors que ses huit collègues du service contrôle de gestion avaient accédé à cette position ou à des positions plus élevées (III B, III C ou HP) avec des anciennetés moindres ou bien moindres (M. [F], III C après 9 ans d'ancienneté ; Mme [Z], III A après 5 ans d'ancienneté ; M. [Y], HP après 13 ans d'ancienneté ; M. [X], III A après 5 ans d'ancienneté ; M. [A], III C après 5 ans d'ancienneté ; M. [J], III B après 33 ans d'ancienneté ; Mme [T], III A après 6 ans d'ancienneté ; M. [B], III A après 5 ans d'ancienneté).

M. [D] établit ainsi l'existence matérielle de faits pouvant laisser présumer l'existence d'une discrimination à son encontre en raison de ses mandats syndicaux et électifs.

L'employeur conteste la discrimination en faisant valoir notamment que les évaluations de M. [D] sont exemptes de toute appréciation négative quant à ses activités syndicales et électives ; qu'affecté au service du contrôle de gestion, M. [D] ne s'est pas plaint d'une discrimination syndicale, ni formulé de demande d'évolution ou d'affectation pour un poste différent, étant particulièrement satisfait des conditions qui lui étaient faites par l'entreprise pour l'exercice de ses fonctions syndicales et électives dans lesquelles il était devenu un quasi-permanent et auxquelles il consacrait la quasi-totalité de son activité ; que son salaire a continué à progresser de manière appréciable ; qu'au sein de la direction des relations humaines, où il s'est vu confier des attributions précises, il est passé en position III A, sans jamais revendiquer la position III B à laquelle il prétend aujourd'hui ; que son salaire a continué à augmenter (de plus de 16 % entre 2001 et 2008) ; que ce n'est qu'à l'approche de la retraite qu'il a, pour la première fois, invoqué un préjudice dans l'évolution de sa carrière en raison de ses activités syndicales. La société ERAMETfait encore valoir, en ce qui concerne la classification, que la situation des huit cadres cités par M. [D] n'est absolument pas comparable à la sienne, eu égard à leur formation, leur expérience passée, leur mobilité, le contenu de leurs fonctions et de leurs responsabilités ; elle cite, en outre, le cas de M. [U], entré au sein de la société en 1999 en qualité de responsable paie, position II, et qui est demeuré dans cette position et celui de Mme [I], entrée en 1969 et promue cadre au contrôle de gestion en 1994 après avoir obtenu le diplôme de l'[6] et qui est restée en position II jusqu'à son départ à la retraite en 2007. En ce qui concerne la rémunération, la société ERAMETsoutient que M. [D] a toujours bénéficié d'un salaire très sensiblement supérieur au salaire minimum garanti par l'accord national pour la position II puis la position III A dans lesquelles il a été successivement classé, et au salaire minimum versé à des cadres dans cette position au sein de l'entreprise ; qu'à partir de 2000, sa rémunération est même supérieure ou égale au minimum garanti pour la position III B.

Mais comme l'a retenu à juste raison le conseil de prud'hommes, l'existence de deux évaluation seulement de l'activité de M. [D] en quarante années de vie professionnelle au sein de la société, révèle que l'employeur, en violation de ses obligations contractuelles, n'avait pas le souci de la carrière de son salarié. Les appréciations figurant sur ces deux évaluations montrent par ailleurs que l'employeur estimait que l'exercice par M. [D] de ses activités syndicales et électives nuisaient à son activité professionnelle.

Il apparaît que M. [D] n'est pas resté passif dans son évolution professionnelle puisqu'il est constant qu'à son initiative, il a préparé au conservatoire national des arts et métiers et obtenu, en 1986, le diplôme d'études supérieures de l'[7], formation qui n'a cependant donné lieu à aucune progression de sa carrière au sein de l'entreprise. En outre, en 1986, dans le cadre de sa seconde évaluation, il indiquait qu'il était volontaire pour envisager une nouvelle formation 'qui répondrait aux voeux de [sa] hiérarchie en vue d'un élargissement de fonction', demande à laquelle l'employeur n'a pas donné suite.

Les objectifs fixés à M. [D] à l'occasion de ses deux seules évaluations sont des plus vagues puisqu'en 1984 il est indiqué 'Evolution liée à la nouvelle organisation du service' et qu'en 1986, le chef de service note'L'évolution de M. [D] dépend plus de lui même que de sa hiérarchie. Il devrait profiter de l'arrivée de nouveaux supérieurs hiérarchiques pour essayer de se mettre en valeur à l'intérieur d'une organisation qui reste à définir', ce qui conduit M. [D] à relever ironiquement 'pour ma part je ne sous estime pas le rôle de la hiérarchie au point de penser que mon évolution ne dépend que de moi'.

Il sera relevé que M. [D] n'a pas fait l'objet de reproches dans l'exercice de ses fonctions, les réserves émises dans ses évaluations de 1984 et 1985 quant à sa lenteur et son manque d'ordre ne pouvant à elles seules expliquer son parcours professionnel au sein de l'entreprise.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société ERAMET, M. [D] a exprimé dès 1983, à l'occasion de sa première évaluation, ses préoccupations quant à la compatibilité de ses fonctions syndicales avec l'évolution de sa carrière ('La qualifciation du poste tenu jusqu'à présent a continué d'être sous estimée. De plus malgré ce que j'avais été amené à croire à différentes époques, mon salaire n'a évolué qu'en fonction des salaires minima conventionnels. La raison me semble en être, qu'au delà du peu d'intérêt que semble porter la société au secteur des filiales, mon indisponibilité partielle a un effet négatif. En effet, si aucune entrave n'est mise à l'exercice de mes fonctions syndicales, la disponibilité partielle qu'il implique pour le service, la relative liberté qu'il donne à l'intéressé, font que ma collaboration dans l'optique restreinte d'un service ne mérite ni d'être fidélisée, incitée ou récompensée. Les responsables de la société ne faisant intervenir aucun correctif, le retard accumulé devient lui même l'obstacle majeur à une évolution normale des responsabilités et du salaire'). Comme le reconnaît l'employeur, M. [D] a en outre exprimé une demande de réparation de son préjudice et son souhait de parvenir à une solution amiable - solution qui semble avoir été envisagée par l'entreprise à l'époque - à compter de 2007 (son courriel du 3 avril 2007 et son courrier du 14 janvier 2008 au directeur des relations humaines).

C'est vainement que la société ERAMETconteste la pertinence des comparaisons avancées par M. [D] pour démontrer la discrimination alléguée. Il est constant que M. [D], né en 1944, est titulaire d'un diplôme de l'[4] et d'un DES obtenu en 1986 délivré par l'[7], qu'il maîtrise deux langues étrangères - l'anglais et l'allemand -, qu'il avait, au moment de son entrée chez ERAMET une expérience professionnelle de 9 années et qu'il a accepté une mobilité géographique et sectorielle. Si les profils et les parcours des cadres du service de contrôle de gestion sont différents, ces différences sont en grande partie inhérentes au fait que la plupart de ces personnes sont d'âges, voire de générations, différents - M. [F] étant né en 1959, M. [Y] en 1967, Mmes [Z] en 1968, Mme [T] en 1970, M. [X] et [A] en 1971, M. [B] en 1977. Ainsi, si les diplômes dont certains sont titulaires ([3] pour M. [Y], [5] pour MM. [A] et [B], HEC pour Mme [T]) peuvent être considérés comme plus prestigieux que celui détenu par M. [D], ce dernier peut néanmoins revendiquer une formation comparable à celle de M. [F] (ESC de [Localité 9]), de Mme [Z] (MBA), M. [X] (EDHEC de [Localité 8]), M. [J] (ESC de [Localité 8]) et une expérience à l'embauche et une mobilité comparables, voire supérieures, à celles de la plupart de ses collègues et, en toute hypothèse, une ancienneté dans l'entreprise beaucoup plus importante (à l'exception de M. [J], entré en 1976) qui aurait dû atténuer les effets des différences mises en avant par l'employeur. Quant aux deux cas excipés par ce dernier, ceux de M. [U] et de Mme [I], M. [D] relève à juste titre qu'ils n'étaient pas titulaires d'un diplôme comparable au sien à leur entrée dans l'entreprise, que M. [U], titulaire d'un BTS comptabilité, puis d'un diplôme [5]-IMD obtenu en 1991, était engagé au service de la paie et que Mme [I] n'est devenue cadre qu'en 1994 alors que lui même l'était dès son embauche.

Si la rémunération de M. [D] a régulièrement augmenté au cours de sa présence dans l'entreprise et était supérieure aux minima conventionnels garantis, M. [D] démontre cependant que lorsqu'il était dans la position II, sa rémunération, au cours des années 2000 à 2004, n'atteignait pas le niveau médian de cette position et que, placé en position III A en 2005, sa rémunération est restée très en deça de la rémunération moyenne observée dans cette classification.

Il n'est pas contesté qu'hormis, en 2001, une affectation à la direction des ressources humaines dans des conditions aujourd'hui critiquées par le salarié, l'employeur n'a jamais proposé de poste à M. [D]. L'employeur argue vainement du fait que M. [D] n'a pas postulé pour les postes proposés par la bourse d'emploi ERAJOB à partir de sa création - 2007 selon l'employeur, 2010 selon le salarié -, la mise en place de cet outil étant en toute hypothèse tardive eu égard au temps de présence de M. [D] dans l'entreprise.

Compte tenu de tous ces éléments, la cour reprend à son compte l'appréciation des premiers juges qui ont retenu que si M. [D] s'est en partie accommodé de la situation de discrimination syndicale, en prenant de plus en plus de mandats syndicaux et électifs, il était néanmoins de la responsabilité de l'employeur de se préoccuper de sa carrière en lui fixant des objectifs, en organisant des entretiens annuels d'évaluation, en lui adressant des propositions d'évolution, au lieu de 'pratiquer une politique d'abstention qui devait conduire Monsieur [M] [D] à ne trouver d'évolution que dans ses mandats syndicaux et électifs'.

En conclusion, il apparaît que la stagnation professionnelle de M. [D] chez ERAMET est due à l'exercice de ses fonctions syndicales et électives. L'employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par M. [D] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La discrimination est établie.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la réparation

M. [D] soutient qu'il doit être reclassé au sein de la position qui aurait dû être la sienne s'il n'avait pas fait l'objet d'une discrimination, soit a minima la position III B correspondant à la classification minimum des cadres des services de contrôle de gestion ayant une ancienneté supérieure à dix ans, et que les rappels de salaire correspondant doivent lui être alloués dans le cadre de la prescription de cinq ans, outre les congés payés afférents et un rappel d'indemnité de mise à la retraite ; qu'en outre, il a subi, pendant trois décennies, un préjudice financier (560 000 € pour la perte de rémunération induite par la discrimination ; 160 000 € pour le retard sur ses droits à la retraite), professionnel et moral qui doit être réparé dans son intégralité sans que puisse lui être opposée la prescription quinquennale résultant de la loi du 17 juin 2008.

En ce qui concerne le rappel de salaires

La société ERAMET répond notamment que la classification III B n'est pas la classification habituelle et normale des cadres des services de contrôle de gestion même après ancienneté (cas de Mme [Z] et de M. [X] classés en position III A) ; que le classement en position supérieure n'est pas automatique en fonction de l'ancienneté ; que la revendication de la position III B par M. [D] n'est pas non plus justifiée au regard de sa définition dans la convention collective ; que la demande du salarié tendant à obtenir le salaire moyen des cadres occupant la position III B est injustifiée d'autant qu'il a déjà bénéficié d'un salaire correspondant au salaire minimum de cette position III B depuis l'année 2000 et qu'auparavant et depuis 1975, il a toujours bénéficié d'un salaire supérieur au minimum garanti pour la position III A dès avant d'y être classé en 2005.

Aux termes de la convention collective, la position III B correspond à celle d'un ingénieur ou cadre exerçant des fonctions dans lesquelles il met en oeuvre des connaissances théoriques et une expérience étendue dépassant le cadre de la spécialisation ou conduisant à une haute spécialisation. Sa place dans la hiérarchie lui donne le commandement sur un ou plusieurs ingénieurs ou cadres des positions précédentes dont il oriente et contrôle les activités, ou bien, comporte dans les domaines scientifique, technique, commercial, administratif ou de gestion des responsabilités exigeant une très large autonomie de jugement et d'initiative.

Cette définition ne paraît pas sans rapport avec les fonctions confiées à M. [D] à compter de 2001 au sein de la direction des relations humaines ainsi qu'en témoignent les notes d'information diffusées au sein de l'entreprise à cette occasion qui révèlent que M. [D], détaché pour l'occasion par la direction du contrôle de gestion, s'est vu confier 'une mission d'audit des dépenses de déplacement d'Eramet [Localité 11], qui comprend l'examen de la situation actuelle et la proposition, la mise en place et le suivi d'actions permettant de réduire ce poste de frais', précision étant apportée que M. [D] rapporterait directement dans le cadre de sa mission à M. [V], directeur des relations humaines.

Compte tenu des situations et des positions des huit collègues précités de M. [D] au sein du service contrôle de gestion du siège - aucun cadre de plus de dix ans d'ancienneté ne se trouvant positionné en dessous de la classification III B -, de l'ancienneté de M. [D], de son expérience, de ses qualifications professionnelles et de ses qualités professionnelles qui n'ont jamais été remises en cause, de la mission qui lui a été confiée en 2001 au sein de la direction des relations humaines, la demande tendant à un rappel de salaires pour les années 2004 (août à décembre) à janvier 2010, période non prescrite, sur la base d'un salaire de référence fixé au niveau du salaire moyen de la position III B pratiqué au sein de l'entreprise, apparaît fondée.

Au vu du décompte de M. [D] (page 24 de son mémoire), non contesté dans ses montants, il y a donc lieu de faire droit à la demande et de condamner la société ERAMETà payer à M. [D] la somme de 172 963,99 € bruts à titre de rappel de salaires d'août 2004 à janvier 2010, outre celle de 17 296,39 € bruts au titre des congés payés afférents.

En outre, M. [D] est bien fondé à réclamer la somme, non contestée dans son montant, de 37 745,64 € à titre de rappel d'allocation de mise à la retraite, l'indemnité prévue par la convention collective qui lui a été versée à son départ à la retraite n'ayant pas été calculée sur la base du salaire correspondant à la position III B.

Le jugement sera infirmé sur ces points.

En ce qui concerne la demande au titre du préjudice moral, financier et professionnel

La société ERAMET soutient que la demande de M. [D], qui recouvre en réalité une demande de rappel de salaires, se heurte à la prescription quinquennale ; qu'en toute hypothèse, la demande excède même la prescription trentenaire, prenant en compte les années 1975 à 1977 ; qu'en outre, M. [D] prétend voir appliquer rétroactivement à la période 1975/2004 un salaire de référence correspondant à un salaire de 2007 de sorte que ses calculs figurant dans ses pièces 31 et 37 sont erronés ; que de surcroît, la méthode de M. [D] consistant à réévaluer les salaires perçus en 'euros de 2007" par application d'un coefficient INSEE ne tient pas compte des évolutions d'un salaire sur une période de trente ans.

M. [D] ne peut prétendre à réparation pour une période (1974 à 1977) excédant la prescription trentenaire. De plus, les critiques de la société ERAMETrelatives aux calculs proposés par M. [D] ne sont pas sans fondement. De fait, comme l'ont retenu les premiers juges, les preuves du préjudice financier apportées par M. [D] sont fragiles, tant il est difficile de reconstituer une carrière théorique sur trois décennies. Pour autant, au-delà du non versement du salaire auquel il aurait pu prétendre au cours des cinq dernières années, le préjudice tant matériel que moral subi par M. [D] du fait de la discrimination, est réel.

Dans ces conditions, compte tenu des circonstances de la discrimination subie, de sa durée, et des conséquences dommageables qu'elle a eues pour M. [D] telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies, le préjudice en résultant pour M. [D] doit être réparé par l'allocation de la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts.

Le jugement sera également infirmé sur ce point.

Sur les intérêts et la capitalisation

Les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société ERAMET de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les dommages-intérêts, dans leur intégralité, à compter du jugement de première instance.

A la demande de M. [D], le rappel d'indemnité de mise à la retraite ne portera intérêts qu'à compter du 31 janvier 2010, date à laquelle l'indemnité était due.

Sur la demande de M. [D], et en l'absence de toute cause de retard de paiement due à son fait, il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1154 du code civil.

Sur la remise des documents sociaux

Il y a lieu d'ordonner à la société ERAMET de remettre à M. [D] les documents sociaux demandés conformes au présent arrêt.

Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Restant débitrice du salarié, la société ERAMET sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente procédure, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de la société ERAMET au titre des frais non compris dans les dépens exposés par M. [D] peut être équitablement fixée à 3 500 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement déféré en ses dispositions relatives à l'existence de la discrimination syndicale, aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société ERAMET à payer à M. [D] les sommes suivantes,

- avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société ERAMET de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes :

. 172 963,99 € bruts à titre de rappel de salaires pour la période août 2004 à janvier 2010,

. 17 296,39 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 37 745,64 € à titre de rappel d'allocation de mise à la retraite, avec intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2010,

- 100 000 € au titre des dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement du conseil de prud'hommes,

Dit que les intérêts échus se capitaliseront dans les conditions prévues à l'article 1154 du code civil,

Dit que la société ERAMET remettra à M. [D] les bulletins de paie conformes à la présente décision pour la période d'août 2004 à janvier 2010,

Condamne la société ERAMET aux dépens d'appel et au paiement à M. [D] de la somme de 3 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 10/03381
Date de la décision : 12/04/2012

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°10/03381 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-04-12;10.03381 ?
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