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10/04/2012 | FRANCE | N°11/00893

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 10 avril 2012, 11/00893


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2- Chambre 1

ARRET DU 10 AVRIL 2012

(no 125, 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 00893

Décision déférée à la Cour :
jugement du 15 décembre 2010- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 10/ 01455

APPELANTE

SARL AGHA agissant en la personne de son gérant
135 Avenue Gabriel Péri
93400 SAINT-OUEN
représentée par la SCP NABOUDET-HATET (Me Caroline HATET-SAUVAL) (avoc

ats au barreau de PARIS, toque : L0046)
assistée de la SEP BASTIAN MANCIET ET ASSOCIES (Me Marc MANCIET) (avocats au barreau d...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2- Chambre 1

ARRET DU 10 AVRIL 2012

(no 125, 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 00893

Décision déférée à la Cour :
jugement du 15 décembre 2010- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 10/ 01455

APPELANTE

SARL AGHA agissant en la personne de son gérant
135 Avenue Gabriel Péri
93400 SAINT-OUEN
représentée par la SCP NABOUDET-HATET (Me Caroline HATET-SAUVAL) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0046)
assistée de la SEP BASTIAN MANCIET ET ASSOCIES (Me Marc MANCIET) (avocats au barreau de PARIS, toque : W02)

INTIMES

Maître Michel Z...
...
75018 PARIS

Maître Gilles A...
...
94100 SAINT MAUR DES FOSSES

Société COVEA RISKS prise en la personne de ses représentants légaux
19/ 21 Allée de L'Europe
92110 CLICHY

représentés par la SCP BOMMART FORSTER-FROMANTIN (Me Edmond FROMANTIN) (avocats au barreau de PARIS, toque : J151)
assistés de la SELARL CABINET SCHMITT et ASSOCIES (Me Dominique SCHMITT) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0021)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 mars 2012, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :

Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre
Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN

ARRET :

- contradictoire
-rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

******************

Par acte sous seing privé en date à Paris du 19 juin 2006, la société Agha a fait l'acquisition, au prix de 22 000 €, d'un droit au bail d'un local commercial sis au ...à 93400- Saint-Ouen, dans lequel elle a développé, à compter de juillet 2006, une activité de restauration, pizzeria, sandwicherie, crêperie.

Dans le cadre d'une opération de restructuration de la ZAC " Porte de Saint-Ouen ", la société Agha a fait l'objet d'une mesure d'expropriation, la société d'économie mixte de construction et de rénovation de la ville de Saint-Ouen, autorité expropriante, étant envoyée en possession par décision du 17 mars 2008 du juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Bobigny de divers immeubles, dont celui dans lequel la société Agha a exploité son activité.

La société Agha a saisi le même juge de l'expropriation, lequel, par jugement du 11 février 2009, a fixé l'indemnité d'expropriation lui revenant à la somme de 53 640, 23 € et interjetant appel, elle a mandaté à cette fin M. Michel Z..., avocat, lequel n'a pas déposé son mémoire au greffe de la cour d'appel de Paris dans le délai de deux mois de la déclaration d'appel comme le prescrit l'article R 13-49 du code de l'expropriation et par arrêt en date du 10 décembre 2009, la cour d'appel de Paris a déclaré la société Agha irrecevable en son appel en raison de la tardiveté du dépôt de son mémoire.

C'est dans ces conditions que la Société Agha, reprochant à son avocat la faute par lui commise lui ayant fait perdre une chance sérieuse d'obtenir de la cour d'appel de Paris une décision différente et l'indemnisation de 539 994, 01 € qu'elle sollicitait pour la perte de son fonds de commerce sur la base du chiffre d'affaires de l'année 2009, a recherché la responsabilité civile professionnelle de ce dernier devant le tribunal de grande instance de Paris, en assignant M. Michel Z..., M. Gilles A..., désigné en qualité de mandataire au règlement judiciaire de M. Z...prononcé le 22 mars 2010, la société Covea Risks, assureur étant intervenue volontairement à l'instance, pour voir fixer sa créance par elle produite au passif de M. Z...à la somme de 486 353, 78 €, montant de son préjudice correspondant à la différence entre la somme sollicitée et celle fixée par le juge de l'expropriation et condamner les défendeurs à lui payer ladite somme avec intérêts à compter de l'assignation ainsi qu'une indemnité de procédure.

Par jugement en date du 15 décembre 2010, le tribunal a, recevant la société Covea Risks en son intervention volontaire, débouté la société Agha de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens, rejetant les demandes formées par les parties défenderesses fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

CELA ETANT EXPOSE, la COUR :

Vu l'appel interjeté le 17 janvier 2011 par la Sarl Agha,

Vu les conclusions déposées le 30 septembre 2011 par l'appelante qui demande d'infirmer le jugement, statuant à nouveau, au constat de la faute susrappelée commise par M. Z...engageant sa responsabilité civile professionnelle, de dire que l'indemnité d'éviction principale à laquelle la concluante pouvait prétendre, évaluée en fonction de la valeur de son fonds de commerce et calculée sur la base de 235 fois sa recette journalière, devait s'établir à la somme de 539 994, 01 €, de fixer sa créance au passif de M. Z...à la somme de 486 353, 78 €, de condamner la société Covea Risks à lui payer ladite somme avec intérêts à compter de l'assignation, de condamner tout contestant à lui payer la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à payer tous les dépens,

Vu les conclusions déposées le 19 octobre 2011 par M. Z..., M. A...et la société Covea Risks, intimés, qui demandent, au visa des articles L 11-1, L 13-14 et L 13-15 du code de l'expropriation, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter la société Agha de toutes ses demandes, de condamner la société Agha à lui payer la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à payer tous les dépens.

SUR CE :

Considérant que la faute commise par M. Z..., intimé, n'est pas contestée par ce dernier, lequel soutient qu'elle n'a toutefois eu aucune conséquence et n'a pas entraîné de préjudice, en terme de perte de chance, pour la Sarl Agha ;

Considérant que l'appelante soutient que si la cour d'appel avait été utilement saisie, elle aurait nécessairement infirmé la décision des premiers juges ; qu'elle fait valoir qu'elle pouvait prétendre, dès lors qu'en trois années, le chiffre d'affaires de son commerce est passé de 269 736 € à 423 304 €, à une indemnité bien supérieure, qui lui aurait été attribuée, non pas, comme l'a fait le juge de l'expropriation, pour la perte de son droit au bail mais pour la perte de son fonds de commerce ; qu'elle observe que l'intimée, qui était son avocat, dans son mémoire, avait d'ailleurs demandé une indemnité de dépossession du fonds de commerce d'un montant de 539 994 €, en fonction de la perte calculée à partir de la méthode d'évaluation, des frais de licenciement du personnel et des frais de transfert ; qu'elle critique le jugement déféré en ce qu'elle estime qu'il a renversé la charge de la preuve en exigeant qu'elle justifie de l'impossibilité de se réinstaller à proximité du local perdu, motivation qu'elle conteste dès lors qu'il incombait à l'expropriant de rapporter cette preuve et que faute par lui de le faire, l'indemnité due devait correspondre à la valeur du fonds perdu ; qu'elle rappelle qu'en matière d'éviction d'un locataire commerçant, l'indemnité principale est égale à la valeur du fonds de commerce, sauf si le débiteur de l'indemnité peut établir que le préjudice du commerçant est moindre, ce en application de l'article L 145-14 du code de commerce ;

Considérant que l'appelante ajoute que la position des défendeurs, qui lui opposent que l'indemnité d'éviction doit être fixée en fonction de la situation de la société au 9 mai 2004, date de la délibération du conseil municipal ayant sollicité l'ouverture de l'enquête publique et qui indiquent qu'à cette date, le fonds n'existait pas, consiste en une interprétation erronée de l'article L 13-15-1 du code de l'expropriation, sans prendre en compte que ce texte vise la dépossession de biens immobiliers, alors qu'il s'agit de biens mobiliers et qu'il ne vise que les cas de changement d'affectation, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce, puisque la société a acquis le droit au bail d'un local qui était déjà affecté à l'usage de restauration au mois d'avril 2004, étant ajouté que le gérant de la société Agha n'avait pas été informé de la procédure d'expropriation en cours ;

Considérant que l'appelante soutient enfin que la décision de première instance devant être réformée, c'est à la date à laquelle la cour d'appel devait statuer que l'indemnité devait être évaluée ;

Considérant que les intimés font valoir que l'acquisition du droit au bail, réalisée le 19 juin 2006, l'acte ayant date certaine au 26 juin 2006, lors de son enregistrement, et la création du fonds de commerce de restauration qui s'en est suivie à compter de mi-juillet 2006 et son développement rapide, ont eu lieu en fraude des droits de l'autorité expropriante ; qu'ils se fondent à cet égard sur les dispositions applicables du code de l'expropriation, en ses articles 13-14 et 13-15 en son alinéa 1er, en les rapprochant du calendrier des opérations d'expropriation de la ZAC " Porte de Saint-Ouen ", pour constater que la situation se trouve en l'espèce figée au 18 octobre 2004, soit antérieurement à l'acquisition du droit au bail par la société Agha ; qu'ils constatent que c'est la date qui a été justement retenue par le juge de l'expropriation, se situant entre le 9 mai 2004 et le 15 mai 2005, date d'approbation du Plan Local d'Urbanisme (PLU), c'est à dire le moment auquel devient opposable aux tiers le plus récent des actes approuvant, révisant ou modifiant le Plan d'Occupation des Sols (POS) et délimitant la zone dans laquelle le bien est situé ; qu'à cette date, seule la valeur d'un droit au bail est indemnisable, la Sarl Agha n'ayant acheté que ce droit au bail et non pas un fonds de commerce de restauration, lequel a été créé en toute connaissance de la situation d'expropriation ;

Considérant que les textes visés pertinemment par les intimés et applicables en la matière sont l'article 13-14 du code de l'expropriation, lequel dispose :
" La juridiction fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété.
Toutefois, les améliorations de toute nature, telles que constructions, (...) qui auraient été faites à l'immeuble, à l'industrie ou au fonds de commerce, même antérieurement à l'ordonnance d'expropriation, ne donnent lieu à aucune indemnité si, en raison de l'époque à laquelle ces améliorations ont eu lieu, ou de toutes autres circonstances, il apparaît qu'elles ont été faites dans le but d'obtenir une indemnité plus élevée. Sont présumées faites dans ce but, sauf preuve contraire, les améliorations postérieures à l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L 11-1. (...) " et l'article L 13-15 en son alinéa 1er dudit code, aux termes duquel :
" Les biens sont estimés à la date de la décision de première instance ; toutefois, (...) sera seul pris en considération l'usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article 11-1 ou, dans le cas visé à l'article L 11-3, un an avant la déclaration d'utilité publique ou (...) au jour de la mise à disposition du public du dossier de ce débat. (...) " ;

Considérant qu'en l'espèce, par des motifs pertinents que la cour approuve, les premiers juges se sont reportés au calendrier des opérations d'expropriation de la ZAC " Porte de Saint Ouen " ; qu'ils ont ainsi constaté que par délibération du 24 mai 2004, le conseil municipal de la commune de Saint Ouen a sollicité l'ouverture de l'enquête préalable, que par délibération du 14 février 2005, le conseil municipal a approuvé le dossier de réalisation de la ZAC, que par ordonnance du 26 avril 2005, le président du Tribunal administratif de Paris a désigné M. D...en qualité de commissaire enquêteur et que par arrêté du 9 mai 2005, M. le Préfet de la Seine Saint-Denis a défini les modalités d'organisation des enquêtes préalables à la déclaration d'utilité publique (DUP) et parcellaire ; que l'enquête préalable a eu lieu du 15 juin au 16 juillet 2005, M. D...ayant déposé son rapport le 16 septembre 2005 ; qu'enfin, par arrêté du 15 mai 2006, M. Le Préfet de la Seine Saint Denis a déclaré d'utilité publique, au profit de la Semiso, l'acquisition des parcelles de terrain, à l'amiable ou par voie d'expropriation, nécessaire au programme de restructuration urbaine projeté dans le périmètre de la ZAC " Porte de Saint Ouen " ;

Considérant que selon les textes sus-rappelés, deux dates permettent de déterminer l'indemnisation de l'actif exproprié, celle de la constatation de la consistance du bien à exproprier, au plus tard un an avant la déclaration d'utilité publique et celle de l'évaluation de l'actif correspondant à cette consistance qui se situe à la date du jugement d'expropriation, et ce même en cas d'appel ; que c'est donc de manière erronée que l'appelante entend voir déterminer la consistance de l'actif exproprié, soit en référence à des dispositions inapplicables, telles celles résultant de l'article L 145-14 du code de commerce, relatives à l'indemnité d'éviction d'un locataire commerçant, soit en invoquant la perte d'un fonds de commerce, alors que la consistance du bien à exproprier, figée dans sa nature et ses contours dès avant l'acquisition du droit au bail par la société Agha, était en tout état limitée à un droit au bail d'un local commercial ; que toutefois l'appelante fait observer pertinemment que les premiers juges ne pouvaient lui opposer pour la débouter un motif tiré du fait qu'elle ne justifiait pas d'une impossibilité de se réinstaller à proximité du local perdu, ce qui est étranger au litige ; que toutefois, il s'agit dans la décision déférée d'une motivation surabondante et que le jugement entrepris doit néanmoins être approuvé en ce qu'il rappelle que le juge de l'expropriation a donc exactement retenu que suivant les articles L 13-15 et L 213-4 et 213-6 du code de l'urbanisme, la date à prendre en considération en matière d'expropriation, s'agissant d'un secteur soumis au droit de préemption urbain est la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes approuvant, révisant ou modifiant le POS et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien et qu'en l'espèce il s'agissait du PLU approuvé le 18 octobre 2004 ; qu'il en résulte que la Sarl Agha n'avait aucune chance sérieuse d'obtenir de la cour d'appel une réformation de ce jugement ; qu'en conséquence, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que la faute de l'avocat étant retenue, les intimés supporteront les dépens d'appel ;

Considérant que l'appelante qui succombe sera déboutée de la demande par elle formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; que l'équité ne commande pas de faire application de ces mêmes dispositions au profit des intimés.

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. Z..., M. Gilles A...ès qualités de mandataire judiciaire de M. Z...et la société Covea Risks à payer les dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 11/00893
Date de la décision : 10/04/2012
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2012-04-10;11.00893 ?
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