RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 05 Avril 2012
(n° 7, 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/02997
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Mars 2010 par le conseil de prud'hommes de Meaux RG n° 09/00314
APPELANTE
Madame [R] [T]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 2]
comparant en personne, assistée de Me Annie GULMEZ, avocat au barreau de MEAUX
INTIMÉE
ASSOCIATION OGEC SAINT LAURENT LA PAIX NOTRE DAME
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Guillaume LE MAIGNAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0163
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Février 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président
Madame Evelyne GIL, Conseillère
Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère
GREFFIÈRE : Mademoiselle Céline MASBOU, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président et par Mademoiselle Céline MASBOU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA COUR,
Vu l'appel régulièrement interjeté par Madame [R] [T] à l'encontre d'un jugement prononcé le 22 mars 2010 par le conseil de prud'hommes de MEAUX ayant statué dans le litige qui l'oppose à l'OGEC SAINT LAURENT LA PAIX NOTRE-DAME sur ses demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.
Vu le jugement déféré qui a débouté Madame [R] [T] de toutes ses demandes.
Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles :
Madame [R] [T], appelante, poursuit l'infirmation du jugement déféré et sollicite la condamnation de l'OGEC SAINT LAURENT LA PAIX NOTRE-DAME au paiement des sommes suivantes :
- 17 591,42 € à titre de dommages-intérêts pour perte de salaire,
- 1 759,14 au titre des congés payés afférents,
- 90 702,78 € à titre de dommages-intérêts pour perte de l'emploi,
- 81 000 € à titre de dommages-intérêts pour perte de points de retraite,
- 90 702,78 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement et discrimination,
- 4 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
avec remise sous astreinte d'une attestation POLE EMPLOI, d'un certificat de travail et de bulletins de paie conformes à la décision.
L'OGEC SAINT LAURENT LA PAIX NOTRE-DAME, intimé, conclut à la confirmation du jugement.
CELA ÉTANT EXPOSÉ
Par contrat écrit à durée déterminée à temps partiel en date du 25 septembre 1989, Madame [R] [T] a été engagée par l'OGEC SAINT LAURENT LA PAIX NOTRE-DAME en qualité de surveillante.
Ultérieurement, la relation de travail s'est poursuivie pour une durée indéterminée et en dernier lieu, Madame [R] [T] exerçait les fonctions de comptable moyennant une rémunération mensuelle fixée à la somme de 2 510 €.
Le 18 mars 2009, Madame [R] [T] a saisi le conseil de prud'hommes en résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Le 3 août 2010, elle a été licenciée pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de reclassement.
SUR CE
Sur le harcèlement et la discrimination.
Dans une lettre du 15 novembre 2008 adressée au président de l'OGEC, Madame [R] [T] énumère de façon précise et détaillée les attributions qui lui étaient confiées au service comptabilité de l'association à compter d'octobre 1997 et qui font apparaître que, sous l'autorité d'un économe ou d'un responsable administratif et financier, elle assurait la gestion de l'ensemble de la comptabilité de l'établissement dans ses aspects les plus larges, y compris la gestion sociale et financière du personnel.
Ses affirmations sont corroborées par les nombreuses attestations qu'elle verse aux débats et qui décrivent de manière concordante le rôle important tenu par elle au sein de la structure, la qualité et la diversité des témoins, membres du personnel ou parents d'élève, ne permettant pas de retenir l'objection soulevée par l'OGEC SAINT LAURENT LA PAIX NOTRE-DAME faisant valoir que ces tiers ne perçoivent qu'une apparence ne coïncidant pas avec la réalité des faits.
Au demeurant, l'OGEC SAINT LAURENT LA PAIX NOTRE-DAME ne conteste pas sérieusement les énonciations de la lettre du 15 novembre 2008 et ne produit aucun document propre à en démentir les énonciations.
Sans en avoir le titre, Madame [R] [T] exerçait ainsi des fonctions de responsable de la comptabilité et a été assistée au fil du temps de personnes qui, pour avoir la même qualification théorique, se trouvaient placées de fait sous son autorité. C'est notamment le cas de Monsieur [P] [C], recruté comme comptable le 16 mai 2002.
Or, après une mise à l'écart progressive de Madame [R] [T], dont plusieurs témoins attestent, il lui a été notifié par lettre du 15 septembre 2008 ses nouvelles attributions à compter du 1er septembre 2008, restreignant considérablement son champ d'intervention, puisque celui-ci se limitait désormais aux différentes tâches relatives à la gestion des fournisseurs, outre la participation aux différents enregistrements de la comptabilité générale, le tout sous l'autorité, deux fois affirmée, de Monsieur [C], entre-temps élevé au statut cadre et désigné comme responsable du service de la comptabilité.
Par ailleurs la partie gestion sociale du personnel était reprise par Mademoiselle [E] [N] initialement recrutée comme secrétaire assistante de direction (le 4 janvier 2006) et rapidement admise au statut cadre également.
Cette modification considérable des attributions de Madame [R] [T] excède ce à quoi l'employeur pouvait procéder dans le cadre d'un exercice légitime de son pouvoir de direction et d'organisation des services. L'OGEC ne saurait en effet utilement soutenir que les fonctions nouvelles de la salariée rentrent dans les attributions d'un comptable définies par la convention collective sans que soit pris en considération le contenu réel des fonctions qui lui étaient antérieurement et continûment confiées, entrées dès lors dans le champ contractuel.
Cette modification abusive laisse présumer une entreprise de harcèlement et une discrimination, présomption que l'OGEC SAINT LAURENT LA PAIX NOTRE-DAME ne combat pas utilement. En effet, il lui appartiendrait en premier lieu de justifier de manière objective le passage de Monsieur [C] d'un statut de collaborateur de Madame [R] [T] à celui de supérieur hiérarchique, point sur lequel est simplement produit le BTS de l'intéressé. Une observation similaire peut être faite concernant Mademoiselle [N].
Il s'avère donc que l'appauvrissement des fonctions de Madame [R] [T], d'abord insidieux puis brutalement affirmé dans le courrier de novembre 2008, n'est justifié par aucune circonstance objective admissible et la salariée est en droit de soutenir qu'elle est due à son âge et à son état de santé et qu'elle a été victime d'une "mise au placard" qui l'a gravement affectée et a conduit jusqu'à la perte de son emploi.
Sur les incidences financières.
Le licenciement a été autorisé par l'inspection du travail, Madame [R] [T] étant salariée protégée. Cette dernière a dès lors abandonné sa demande initiale de résiliation judiciaire. Elle établit toutefois que son inaptitude médicale est la conséquence d'un comportement inapproprié de l'employeur que l'autorité administrative n'a pas eu à analyser. Elle peut dès lors demander réparation du chef de la perte de son emploi. Au vu des éléments du dossier, les dommages-intérêts assurant l'indemnisation du préjudice subi, qui inclut l'incidence sur les droits à pension de retraite, laquelle ne peut s'analyser qu'en terme de perte de chance, doivent être fixés à la somme de 100 000 €.
Le comportement harcelant et discriminatoire de l'employeur a provoqué pour Madame [R] [T] un préjudice distinct qui sera réparé par l'allocation de dommages-intérêts d'un montant de 35 000 €.
En raison d'arrêts maladie répétés dus à sa mise à l'écart injustifiée au sein de l'entreprise, Madame [R] [T] a perdu une chance d'être rémunérée à 100 % de son salaire, ce qui lui a occasionné un autre préjudice pour lequel l'OGEC SAINT LAURENT LA PAIX NOTRE-DAME l'indemnisera par une somme de 10 000 €, laquelle ayant une nature indemnitaire n'implique pas l'octroi de congés payés afférents.
Les sommes ainsi allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Sur la demande de Madame [R] [T], et en l'absence de toute cause de retard de paiement due à son fait, il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts dans les formes et conditions prévues à l'article 1154 du code civil.
Sur la remise de documents.
Les décisions prises dans le présent arrêt ne sont pas de nature à modifier les documents sociaux établis au moment du licenciement. Il n'y a donc pas lieu à la remise sollicitée.
Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens.
Succombant au principal, l'OGEC SAINT LAURENT LA PAIX NOTRE-DAME sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.
La somme qui doit être mise à la charge de l'OGEC SAINT LAURENT LA PAIX NOTRE-DAME au titre des frais non compris dans les dépens exposés par Madame [R] [T] peut être équitablement fixée à 2 000 €.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement déféré.
Condamne l'OGEC SAINT LAURENT LA PAIX NOTRE-DAME à payer à Madame [R] [T] les sommes suivantes :
- 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour perte de salaire,
- 100 000 € à titre de dommages-intérêts pour perte de l'emploi et incidence sur la retraite,
- 35 000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement et discrimination.
Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter la présente décision et que les intérêts échus sur le capital pour une année entière produiront eux-mêmes des intérêts.
Condamne l'OGEC SAINT LAURENT LA PAIX NOTRE-DAME aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à Madame [R] [T] la somme de 2 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT