RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 6
ARRET DU 04 Avril 2012
(n° 1 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/10327-CR
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Novembre 2009 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY section Commerce RG n° 05/03331
APPELANTE
UNEDIC AGS CGEA IDF OUEST
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS, toque : T10 substitué par Me Sabine NIVOIT, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS
Messieurs [R] [T] et [P] [T]- co-curateurs de la faillite de la SA NOVA ELECTRO INTERNATIONAL
[Adresse 7]
[Localité 2]
représenté par Me Jean-Paul PETRESCHI, avocat au barreau de PARIS, toque : K0079
Monsieur [O] [K]
[Adresse 3]
[Localité 5]
comparant en personne, assisté de Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 Février 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Patrice MORTUREUX DE FAUDOAS, Président
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Conseillère
Madame Claudine ROYER, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Evelyne MUDRY, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Conseillère suite à l'empêchement du Président et par Evelyne MUDRY, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Par jugement de départage du 06 novembre 2009 auquel la Cour se réfère pour l'exposé des faits, de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de BOBIGNY :
- s'est déclaré territorialement compétent pour examiner les demandes de Monsieur [O] [K],
- a constaté la recevabilité des demandes de Monsieur [O] [K],
- a fixé le montant des créances de Monsieur [O] [K] au passif de la SA NOVA ELECTRO INTERNATIONAL, représentée par Messieurs [T], curateurs de la faillite, à hauteur des sommes suivantes :
* 15000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
* 2097,24 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
-dit que le jugement était opposable à l'AGS CGEA IDF EST dans la limite du plafond légal,
- dit que l'AGS CGEA IDF EST devait garantir les créances salariales de Monsieur [O] [K] sur la SA NOVA ELECTRO INTERNATIONAL, représentée par Messieurs [T], curateurs de la faillite en Belgique, à hauteur de 14983,76 euros, somme à parfaire au vu des sommes déjà garanties par le Fonds d'Indemnisation belge,
- condamné en outre la SA NOVA ELECTRO INTERNATIONAL, représentée par Messieurs [T], curateurs de la faillite, à payer à Monsieur [O] [K] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté les autres demandes des parties,
- dit que les dépens seront inscrits au passif de la SA NOVA ELECTRO INTERNATIONAL, représentée par Messieurs [T], curateurs de la faillite en Belgique.
L'UNEDIC ' AGS CGEA IDF EST a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 8 décembre 2009.
Vu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile et les conclusions des parties régulièrement communiquées, oralement soutenues et visées par le greffe à l'audience du 14 février 2012, conclusions auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé de leurs demandes, moyens et arguments ;
* * *
Il résulte des pièces et des écritures des parties les faits constants suivants :
Suivant contrat verbal du 1er septembre 1980, la SA NOVA ELECTRO INTERNATIONAL, dont le siège social était à TONGRES en Belgique, a embauché Monsieur [O] [K] en qualité de magasinier - statut agent de maîtrise - pour travailler dans sa succursale située à [Localité 6] (Seine Saint Denis). Ce contrat de travail était régi par la convention collective du groupe des industries métallurgiques de [Localité 8].
Par jugement du 8 janvier 1997, le Tribunal de Commerce de TONGRES (Belgique) a ouvert une procédure de faillite à l'égard de la SA NOVA ELECTRO INTERNATIONAL et désigné Messieurs [R] et [P] [T], avocats, en qualité de co-curateurs de faillite pour l'entreprise. Ce jugement a fixé la date de déclaration des créances au 22 janvier 1997 au plus tard, les curateurs étant autorisés à congédier les membres du personnel.
C'est ainsi que le 17 janvier 1997, les salariés ont été avisés par les curateurs de la résiliation de leur contrat de travail.
Par courrier du 20 janvier 1997, neuf salariés d'[Localité 6] ont contesté auprès du curateur la procédure suivie, avec copie à l'inspection du travail de Seine Saint Denis, ceux-ci estimant qu'il fallait appliquer la législation française et que les créances devaient être garanties par l'AGS en France.
Monsieur [K] a quant à lui déclaré le 25 janvier 1997 une créance de 1 093 969 francs belges, soit 166223 francs français (25340,53 euros). Puis le 21 février 1997, il a adhéré à une convention de conversion signée par l'entreprise et ses curateurs.
Le 5 mars 1997, l'AGS a informé les salariés d'[Localité 6] sous bois qu'elle ne garantissait pas les créances nées d'une procédure de liquidation judiciaire effectuée en Belgique.
En mai 1998, Monsieur [K] a perçu du Fonds Belge d'indemnisation des travailleurs la somme de 8687 euros.
Le 15 septembre 2005, Monsieur [O] [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny à l'effet de voir prononcer la nullité du licenciement pour défaut de plan, obtenir le paiement une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 40000 euros, l'opposabilité à l'AGS à hauteur de 14983,76 euros, d'une indemnité de 2097,24 euros pour non respect de la procédure et 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le tout avec le bénéfice de l'exécution provisoire.
C'est dans ces circonstances qu'est intervenu l'arrêt déféré, faisant partiellement droit aux demandes du salarié.
* * *
MOTIFS
Sur la compétence
Messieurs [R] et [P] [T], curateurs de la faillite de la SA NOVA ELECTRO INTERNATIONAL et la DELEGATION UNEDIC AGS CGEA FAILLITE TRANSNATIONALE demandent à la cour d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny en ce s'est déclaré compétent territorialement, et a constaté la recevabilité des demandes de Monsieur [O] [K].
Ils demandent à la Cour de se déclarer incompétente pour statuer sur les demandes de Monsieur [K] au profit du Tribunal de Commerce de TONGRES et subsidiairement de déclarer irrecevables les demandes du salarié en raison de la prescription.
L'UNEDIC et les curateurs soutiennent essentiellement que seule les lois de faillite et d'indemnisation belges étaient applicable à la procédure ouverte en Belgique ; que les dispositions sur lesquelles le conseil de prud'hommes de Bobigny s'est fondé pour retenir sa compétence n'étaient pas en vigueur au moment de l'ouverture de la procédure collective de la société NOVA ELECTRO INTERNATIONAL ; que la production de créance ne pouvait donc se faire en l'espèce que selon la loi belge laquelle comportait une prescription de trois ans
Monsieur [K] demande au contraire la confirmation du jugement déféré en ce qu'il s'est prononcé sur l'application de la loi française et la compétence des juridictions françaises, a statué sur la garantie de l'AGS au titre du solde de tout compte et sur le caractère sans cause réelle et sérieuse du licenciement.
Le salarié soutient en substance que la loi applicable est celle du lieu où il accomplissait habituellement son travail, c'est à dire la France ; que les directives européennes et notamment la directive 80 /987/CEE du 20 octobre 1980 ont mis en place le rapprochement des législations des états membres relatives à la protection des salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur ; que c'est le critère du lieu d'exécution de la prestation de travail qui a été retenu dans le nouvel article 8 bis de la directive européenne 2002/74/CE du 23 septembre 2002 ; que la procédure de faillite a été ouverte en Belgique et fait l'objet d'une décision d'exequatur prononcée par le Tribunal de Grande Instance de PARIS ; que l'AGS est compétente pour garantir le paiement des créances des salariés ayant travaillé dans un établissement en France et fermé à la suite d'une décision de faillite prononcée par le tribunal d'un autre Etat membre de l'union européenne ; qu'il est bien habilité à saisir les tribunaux français de la contestation de son licenciement et des demandes qui en découlent.
Il n'est pas contesté qu'en vertu de la directive 80 /987/CEE du 20 octobre 1980, des dispositions de rapprochement des législations ont été préconisées dans tous les états membres de la communauté européenne pour protéger les salariés victimes de l'insolvabilité de leur employeur en leur garantissant le paiement de leurs créances impayées, directive qui a été transposée en droit français dans les dispositions de l'article L 143-11-1 (devenu L 3253-6 et L 3253-8) du code du travail, prévoyant que tout employeur de droit privé doit assurer ses salariés contre le risque de non paiement des sommes qui leurs sont dues en exécution du contrat de travail en cas de procédure de sauvegarde de redressement ou de liquidation judiciaire, et notamment des créances résultant de la rupture du contrat de travail.
Il n'est pas contesté non plus que depuis les règlements CE N° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 diverses dispositions ont été adoptées relativement aux procédures d'insolvabilité dans les états membres de la communauté européenne pour favoriser notamment l'ouverture et le règlement des procédures d'insolvabilité dans l'Etat Membre où se situent les intérêts des débiteurs.
Enfin par une directive 2002/74/CE du 23 septembre 2002 concernant les situations transnationales, des règles ont été prévues sur l'institution compétente et une meilleure coopération administrative entre les membres de l'Union. Entérinant une jurisprudence de la la CJCE du 16 décembre 1999 (Everson c.Bell) cette directive 2002/74/CE désigne en effet l'institution compétente comme étant celle de l'état membre sur le territoire duquel les travailleurs exercent ou exerçaient habituellement leur travail. Son article 8 bis prévoit que dans le cas d'entreprises implantées dans plusieurs Etats-membres, c'est le droit du territoire sur lequel est situé le lieu de travail qui prévaut. Cette directive permet ainsi d'envisager que lorsqu'une entreprise est en liquidation dans un autre état membre, les créances des salariés qui y exercent leur activité sont garanties par les institutions du lieu de l'activité, et que la garantie de l'AGS peut être accordée aux salariés qui exerçaient leur activité en France.
La question qui se pose toutefois en l'espèce est de savoir si ces dispositions sont applicables à Monsieur [K] compte tenu de la date à laquelle a été ouverte la procédure de faillite de la société NOVA ELECTRO INTERNATIONAL et du fait que le salarié a déjà été partiellement indemnisé pour partie des salaires et indemnités résultant de la rupture de son contrat de travail.
Il ressort en effet des pièces versées aux débats qu'une procédure de faillite à l'encontre de la société NOVA ELECTRO INTERNATIONAL a été ouverte en Belgique par jugement du Tribunal de commerce de TONGRES du 8 janvier 1997 ; que le 27 janvier 1997, Monsieur [O] [K] a déclaré sa créance au passif de la procédure de faillite belge pour un montant de 25340,53 euros correspondant à un arriéré de rémunération (455,82 €) , une prime de fin d'année (37,96 €), une indemnité de rupture (15136,05 €), une prime de licenciement (6816,30 €) et des congés payés (2894,40 €) ; que sa créance a été admise et prise en charge le 7 novembre 1997 par le fonds belge d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprise à hauteur de 8913,33 euros ; qu'il a reçu ultérieurement une somme complémentaire de 1622,28 euros le 28 septembre 2005, et deux autres sommes de 1622,28 euros les 24 août 2007 et 25 juin 2009.
Il convient d'observer qu'à la date à laquelle la procédure de faillite a été ouverte à l'encontre de la société NOVA ELECTRO INTERNATIONAL (8 janvier 1997), ni le règlement CE du 29 mai 2000, ni la directive 2002/74/CE du 23 septembre 2002 n'étaient entrés en vigueur, et ne pouvaient compte tenu des dispositions transitoires, être appliqués à des procédures d'insolvabilité ouvertes antérieurement à leur entrée en vigueur. Il en résulte que les actes accomplis par le salarié avant l'entrée en vigueur de ces textes devaient continuer à être régis par la loi qui leur était applicable au moment où ils ont été accomplis.
Dans le cas d'espèce, et bien que le salarié justifie d'un jugement d'exéquatur du TGI de Paris du 1er décembre 2011 ayant déclaré exécutoire en France le jugement rendu le 8 janvier 1997 par le Tribunal de TONGRES en Belgique ayant prononcé la faillite de la société NOVA ELECTRO INTERNATIONAL, la législation en vigueur applicable à la situation de Monsieur [K] en 1997était bien la loi belge. L'AGS réservait à cette époque l'intervention du régime de garantie des salaires découlant de l'article L 143-11-1 (devenu L 3253-6 et L 3253-8) du code du travail aux seules procédures de redressement ou de liquidation judiciaires ouvertes par des juridictions appartenant à l'ordre judiciaire français. Et de fait, Monsieur [K] avait déclaré sa créance au passif de la procédure de faillite belge, créance en partie prise en charge par le fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprise. Cette prise en charge est d'ailleurs toujours en cours et n'est pas encore clôturée ainsi que le révèlent les règlements qui continuent encore ponctuellement à être versés au salarié.
C'est donc à juste titre que tant les curateurs de la faillite de la société NOVA ELECTRO INTERNATIONAL que la délégation UNEDIC AGS ont pu soulever l'incompétence territoriale du conseil de prud'hommes de Bobigny pour connaître des demandes de Monsieur [K] au profit de la juridiction belge compétente.
Il y a donc lieu d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré en ce qu'il a retenu sa compétence et statué sur les demandes de Monsieur [K] . Ce dernier sera renvoyé à mieux se pourvoir ainsi que le prévoient les dispositions de l'article 96 du code de procédure civile.
L'équité n'exige pas en l'espèce que Messieurs [R] et [P] [T] soient indemnisés des frais irrépétibles exposés à l'occasion de cette instance. Leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera donc rejetée.
Monsieur [O] [K] qui succombe supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Dit que la juridiction prud'homale française était incompétente pour statuer sur les demandes de Monsieur [O] [K],
Renvoie Monsieur [O] [K] à mieux se pourvoir,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
Condamne Monsieur [O] [K] aux entiers dépens.
LE GREFFIER, POUR LE PRESIDENT,