La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/03/2012 | FRANCE | N°09/04799

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 29 mars 2012, 09/04799


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRET DU 29 Mars 2012

(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/04799



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Novembre 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS section Encadrement RG n° 07/05450





APPELANT

Monsieur [J] [J]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne

assisté de Me Patrick VIDELAINE, av

ocat au barreau de PARIS, toque : P0586





INTIMEE

SA KEOLIS

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Pascal GEOFFRION, avocat au barreau de PARIS, toque : L0027





COMPOSITION DE...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRET DU 29 Mars 2012

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/04799

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Novembre 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS section Encadrement RG n° 07/05450

APPELANT

Monsieur [J] [J]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne

assisté de Me Patrick VIDELAINE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0586

INTIMEE

SA KEOLIS

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Pascal GEOFFRION, avocat au barreau de PARIS, toque : L0027

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 Février 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-Marc DAUGE, Président

Monsieur Bruno BLANC, Conseiller

Madame Laurence GUIBERT, Vice-Présidente placée sur ordonnance du Premier Président en date du 20 janvier 2012

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Laëtitia CAPARROS, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Jean-Marc DAUGE, Président, et par Melle Laëtitia CAPARROS, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA COUR,

Monsieur [J] [J], cadre de la SNCF, a été détaché, en 1990, au sein de la société CARIANE, filiale de la société SNCF Participations, elle-même filiale de la SNCF.

En fin d'année 2000, la société VIA GTI SA est devenue filiale de la société SNCF Participations, qui lui a cédé la société CARIANE SA, après autorisation par décret n°2000-1314 du 26 décembre 2000.

Par délibération de l'assemblée générale extraordinaire du 24 avril 2001, la société VIA GTI SA a changé de dénomination sociale pour prendre le nom de société KEOLIS SA. Aux termes d'une décision de l'associé unique du 26 septembre 2007, la société KEOLIS SA a décidé de procéder à la dissolution de la société CARIANE SA.

En septembre 2004, Monsieur [J] a conclu un contrat à durée déterminée avec la SA KEOLIS, à effet du 1er octobre 2004 jusqu'au 31 octobre 2004, pour un surcroît d'activité liée à la 'réorganisation du groupe KEOLIS à [Localité 5]'.

Le 9 octobre 2004, Monsieur [J] a été embauché par la SNC LAVALIN, aux termes d'un contrat à durée indéterminée, avec prise d'effet au 1er novembre 2004.

Parallèlement, Monsieur [J] a sollicité auprès de son employeur, la SNCF, un congé de disponibilité pour convenance personnelle, par courrier du 12 octobre 2004.

Il a été licencié le 24 août 2006 par la SNC LAVALIN, soumise au droit québécois.

De retour en France, Monsieur [J] a conclu un contrat à durée déterminée avec la SA KEOLIS, à effet du 10 novembre 2006 jusqu'au 1er décembre 2006.

Monsieur [J] a fait liquider ses droits à la retraite auprès de la SNCF, percevant une pension à compter du 13 avril 2006.

Invoquant le non respect par la SA KEOLIS de son engagement de le réintégrer à un poste équivalent à celui qu'il occupait avant son détachement, Monsieur [J] a saisi, le 15 mai 2007, le conseil de prud'hommes de Paris à l'effet d'obtenir le paiement de diverses indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La Cour statue sur l'appel interjeté le 26 mai 2009 par Monsieur [J], du jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Paris, section encadrement, le 28 novembre 2008, notifié par lettre datée du 7 mai 2009, qui a débouté Monsieur [J] de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné aux dépens.

Vu les conclusions du 16 février 2012, au soutien de ses observations orales par lesquelles Monsieur [J] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- condamner la SA KEOLIS à lui payer les sommes suivantes :

' 23 100 € bruts à titre d'indemnité de préavis,

' 2 310 € bruts au titre des congés payés y afférents,

' 1 925 € bruts à titre de rappel de 13ème mois sur indemnité de préavis,

' 192,50 € bruts à titre de congés payés afférents,

' 125 125 € à titre d'indemnité de licenciement selon la charte des cadres KEOLIS,

- assortir ces sommes allouées des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

' 7 700 € sur le fondement des articles L 1245-1 et L 1245-2 du code du travail,

' 100 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' subsidiairement, 7 700 € à titre d'indemnité pour procédure irrégulière,

' 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner la SA KEOLIS aux dépens,

Vu les conclusions du 16 février 2012, au soutien de ses observations orales par lesquelles la SA KEOLIS demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris en toutes ses dispositions,

en conséquence,

- dire et juger réguliers les recours aux contrats à durée déterminée par la SA KEOLIS,

- constater que la lettre de la SA KEOLIS en date du 13 octobre 2004 ne constitue pas une promesse d'embauche,

- constater que les conditions cumulatives de l'application de l'article L 1231-5 du code du travail relatives aux salariés détachés à l'étranger ne sont pas remplies faute pour Monsieur [J] d'établir que la société SNC LAVALIN, entité de droit canadien, est une filiale de la SA KEOLIS,

- constater qu'une éventuelle intégration dans le groupe KEOLIS était subordonnée à la fin prématurée de sa mission au sein de la société SNC LAVALIN alors qu'au contraire sa mission s'est prolongée très au-delà de son terme initial (fixé au 4 février 2006) jusqu'au 6 septembre 2006,

- constater, en toute hypothèse, que Monsieur [J] a été engagé à compter du 10 novembre 2006 par la SA KEOLIS par contrat à durée déterminée dans des conditions analogues à celles qu'il avait connues lors de son premier contrat à durée déterminée au sein de la SA KEOLIS,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en date du 28 novembre 2008 en toutes ses dispositions,

- débouter Monsieur [J] de l'ensemble de ses demandes,

subsidiairement,

- constater que Monsieur [J], retraité de la SNCF depuis le 14 avril 2006, ne démontre pas le moindre préjudice consécutif à la rupture des contrats de travail qu'il invoque,

- débouter Monsieur [J] de sa demande sur le fondement de l'article L 1235-5 du code du travail faute pour ce dernier de démontrer le préjudice qu'il prétend avoir subi,

- constater que Monsieur [J] ne démontre nullement son préjudice consécutif au prétendu non-respect d'une promesse d'embauche qui lui aurait été faite par lettre de la SA KEOLIS du 13 octobre 2004,

A titre infiniment subsidiaire, si la cour retenait l'ancienneté acquise au sein de la société de droit canadien SNC LAVALIN,

- constater que Monsieur [J] percevait un salaire de base de 7 700 euros bruts,

- constater que Monsieur [J] n'apporte pas la preuve d'un préjudice supérieur au minimum légal fixé par l'article L 1235-3 du code du travail,

- limiter la condamnation de la SA KEOLIS à la somme de 46 200 € correspondant au minimum légal de 6 mois de salaire visé à l'article L 1235-3 du code du travail et débouter Monsieur [J] du surplus de sa demande,

- limiter la condamnation de la SA KEOLIS à la somme de 1 668,33 € à titre d'indemnité de licenciement et débouter Monsieur [J] du surplus de sa demande,

- condamner Monsieur [J] à lui verser la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

SUR CE

Considérant qu'à titre liminaire, il conviendra d'indiquer que les faits évoqués sont intervenus dans le courant de l'année 2006 ; qu'il sera fait application des dispositions du code du travail en vigueur avant le 1er mai 2008 ;

Sur la qualité de salarié de Monsieur [J]

Considérant qu'en septembre 2004, Monsieur [J] a été engagé, par contrat à durée déterminée, par la SA KEOLIS pour une durée d'un mois (du 1er au 31 octobre 2004) ;

Que par contrat de travail de droit québécois, en date du 9 octobre 2004, Monsieur [J] a été embauché par la société SNC LAVALIN, à compter du 1er novembre 2004, étant contraint de déménager au Canada ([Localité 5]), la société LAVALIN ayant créé, en partenariat avec la SA KEOLIS, une filiale commune la société SLIVIA ;

Qu'en effet, un contrat de gestion de la maintenance de véhicules entre la société de Transport de [Localité 5] (ci-après STM) en charge du transport urbain de la ville de [Localité 5] et la société de droit québécois SLIVIA devait être signé, ledit contrat initialement prévu pour une durée de 2 ans à compter du 20 février 2002 ayant été renouvelé à plusieurs reprises jusqu'au 4 février 2006 ;

Que par courrier en date du 24 août 2006, la SNC LAVALIN a procédé au licenciement de Monsieur [J], ses fonctions de directeur de l'entretien devant prendre fin le 7 septembre 2006 ;

Que le 8 novembre 2006, Monsieur [J] a signé un contrat à durée déterminée du 10 novembre 2006 au 1er décembre 2006 avec la SA KEOLIS, pour un emploi de chargé de mission ; qu'à l'issue de ce contrat, Monsieur [J] a quitté définitivement la SA KEOLIS ;

Considérant que Monsieur [J] soutient en substance que la SA KEOLIS a toujours été son employeur ; qu'il est resté constamment sous la subordination de la SA KEOLIS, même durant son séjour au Canada ; qu'ainsi, la SA KEOLIS a mis fin, de manière abusive à son contrat, le 7 septembre 2006 lors de son retour en France ; qu'en réalité, bénéficiant d'un détachement au Canada auprès de la société LAVALIN, il aurait dû réintégrer, comme les autres salariés expatriés, le groupe KEOLIS ;

Considérant que la SA KEOLIS fait valoir en substance que Monsieur [J] n'était pas un salarié détaché au sein de la société LAVALIN ; qu'en effet, il a signé un contrat de travail avec cette entreprise ; qu'en tout état de cause, le détachement implique la persistance d'un lien juridique entre la société qui procède au détachement dans la filiale et le salarié lui même ;

Considérant que le départ de Monsieur [J] pour le Canada, et la conclusion d'un contrat de travail avec la société LAVALIN, s'inscrit dans le cadre général de la gestion du contrat avec la STM, les sociétés LAVALIN et KEOLIS ayant spécialement constitué une filiale commune pour mener à bien ce projet ; qu'ainsi, le contrat à durée déterminée, en date du 17 septembre 2004, a été signé par Monsieur [J] et la SA KEOLIS pour le motif suivant :

'Le présent contrat a pour motif un surcroît d'activité lié à la réorganisation de l'activité du groupe Keolis à [Localité 5]. Il est conclu du 1er au 31 octobre 2004 et pourra être prolongé selon les dispositions légales en vigueur.

A compter du 1er octobre 2004, vous assurerez la fonction de directeur de l'entretien et serez détaché auprès de notre filiale SLIVIA au Canada.

(...) Votre fonction vous a été définie lors des entretiens que vous avez eus et recouvre à titre principal les missions suivantes temporaires liées à la gestion du contrat avec la STM et ses représentants, pour le compte de SLIVIA. (...)

Nous vous précisons que :

L'exercice de vos responsabilités vous oblige à réserver l'exclusivité de vos services à notre société, sauf accord préalable de la Direction Générale.

Tous travaux et améliorations techniques effectués par vous-même ou sous votre contrôle, ainsi que tous documents s'y rapportant, seront propriété de notre société'.

Que dans un courrier du 13 octobre 2004 adressé à Monsieur [J], la SA KEOLIS précise :

'Dans le cadre de votre mobilité, vous êtes nommé chez SLIVIA à [Localité 5] à compter du 1er novembre 2004.

Nous tenons à vous confirmer les points suivants :

- vous percevrez de la part de KEOLIS SA une prime de mobilité liée à votre départ de 7000 €,

- vos déménagements aller et retour vous seront remboursés sur la base de leur coût réel et sur présentation de trois devis,

- deux aller-retours par année civile pour vous-même, votre conjoint et votre enfant résidant à [Localité 5] en classe économique seront pris en charge par Keolis,

- Keolis vous prendra une assurance rapatriement,

- Dans le cas où votre mission serait interrompue avant son terme normal, vous aurez la possibilité d'intégrer le groupe Keolis dans une fonction équivalente, tant sur le plan de la mission que sur le plan de la rémunération à celle que vous occupiez avant le 1er novembre 2004.

- les frais de scolarité de vos enfants résidant au Québec seront pris en charge pendant la durée de votre détachement (...)

- vous percevrez une indemnité mensuelle au titre de votre logement d'un montant net mensuel de 1 250 € soit 2 000 ' CAD,

- les frais de location d'un véhicule seront pris en charge pendant la durée de votre détachement à [Localité 5].

- vous bénéficierez d'une indemnité d'un montant de 15 000 € liés à la formation de votre épouse correspondant aux mesures d'accompagnement prévues afin de faciliter la recherche d'emploi du conjoint'

Que dans le courrier du 24 août 2006, dans lequel la société LAVALIN mettait fin au contrat de travail de Monsieur [J], cette dernière indiquait que 'nous vous souhaitons bonne chance dans votre retour en France chez Keolis' ;

Considérant qu'il ressort de la lecture du courrier du 13 octobre 2004 que la SA KEOLIS, qui emploie à deux reprises le terme de 'détachement', n'a jamais entendu se séparer de son salarié ; qu'en effet, en l'absence d'explications de la part de la SA KEOLIS, la prise en charge des frais de scolarité des enfants de Monsieur [J], de son logement et des frais de location de son véhicule durant toute la durée de son séjour au Canada est incompatible avec la prétendue rupture définitive du lien contractuel depuis le 31 octobre 2004, ces remboursements intervenant jusqu'en août 2006 selon les justificatifs fournis ; qu'ainsi, la seule raison de cette prise en charge financière totale tient au maintien des relations entre les parties ;

Qu'au surplus, l'examen des pièces fournies aux débats fait apparaître que Monsieur [J] intervenait au nom de la SA KEOLIS dans des réunions tenues après la fin de son contrat à durée déterminée, le 31 octobre 2004 (courriel du 17 novembre 2004, pièce n°11), pour le compte de cette société dans des notes internes (RAO STM pièce n°19), dans le cadre de relations commerciales pour promouvoir l'action de la SA KEOLIS (courriels de juillet 2005 et juin 2006, pièces n°43 et 45, télécopie du 10 mars 2006, pièce n°44) ; que le nom de Monsieur [J] apparaît également dans l'annuaire de la SA KEOLIS, édition novembre 2005, en qualité de contact local au sein de la société SLIVIA ; que l'entretien annuel d'évaluation de Monsieur [J], en date du 6 avril 2006, a été effectué par la SA KEOLIS ;

Que dans une attestation, Monsieur [I], ancien supérieur hiérarchique de Monsieur [J], atteste que 'durant son détachement à [Localité 5], je me suis entretenu de manière permanente avec [J] [J] qui, pour le compte de Keolis, me rendait compte de l'avancée des dossiers et des relations avec notre partenaire SNC-LAVALIN ainsi que du développement éventuel de projets sur place susceptibles d'intéresser Keolis' ;

Que le statut de détaché de Monsieur [J] est confirmé par l'attestation de Monsieur [C], ancien directeur international Keolis ;

Que Monsieur [N], pour lequel la SA KEOLIS reconnaît qu'il était un de ses salariés détachés au Canada, témoigne dans une attestation que 'durant toute cette période de détachement à [Localité 5] j'ai été sous la subordination de M. [J] représentant Keolis au sein de SLIVIA. C'est avec lui que ce sont déroulés mes entretiens annuels individuels' ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en réalité, l'engagement de Monsieur [J] par la société LAVALIN n'était que le prolongement de son contrat initial signé avec la SA KEOLIS ; que les pièces fournies aux débats établissent, sans aucune équivoque, que la SA KEOLIS est intervenue de manière concrète dans le service du salarié et dans ses relations de travail ; que Monsieur [J] a continué à servir les intérêts de la SA KEOLIS dans la conduite de projets pouvant intéresser celle-ci et en assurant des missions d'encadrement de certains salariés de la SA KEOLIS détachés au Canada ; qu'ainsi, le critère juridique du lien de subordination, tel que démontré, est suffisant pour caractériser le co-emploi, le jugement déféré étant infirmé sur ce chef ;

Sur la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

Considérant que selon l'article L 122-1 du code du travail, le contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; que sous réserve des dispositions de l'article L 122-2, il ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas énumérés à l'article L 122-1-1 ;

Que l'article L 122-1-1 du code précité, le contrat de travail peut être conclu pour une durée déterminée notamment en cas d'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ;

Que l'article L 122-3-1 du code du travail prévoit que le contrat de travail à durée déterminée doit être établi par écrit et comporter la définition précise de son motif ; à défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée ;

Considérant qu'aux termes du contrat de travail en date du 17 septembre 2004, Monsieur [J] a été engagé par la SA KEOLIS au motif qu'il existait 'un surcroît lié à la réorganisation de l'activité du groupe Keolis à [Localité 5]' ;

Considérant que Monsieur [C] indique :

'à ce nouveau poste, KEOLIS ayant décidé du rapatriement de Monsieur [H] [H], cadre KEOLIS, détaché à [Localité 5] depuis 2001 chargé d'une nouvelle mission en France, il (Monsieur [J]) assurait son remplacement. J'ai proposé ce poste mi-juillet 2004 à [J] [J]. Sa candidature fut agréée par notre partenaire SNC-LAVALIN et par le client fin juillet 2004"

Que de surcroît, sa mission s'inscrivait dans le cadre de la mise en oeuvre d'un nouveau contrat de gestion de maintenance des véhicules du réseau de transport de [Localité 5] confié à la société SLIVIA avec une prise d'effet au 4 février 2002 pour une durée de 2 ans, ledit contrat ayant été renouvelé à cinq reprises jusqu'au 6 septembre 2006 ; qu'à cet égard, la SA KEOLIS est mal fondée à soutenir que ce projet était limité dans le temps puisqu'il était destiné à donner naissance à un contrat de 5 ans, un contrat d'une telle durée ne pouvant donner lieu à un contrat à durée déterminée pour surcroît d'activité ;

Qu'il s'ensuit que Monsieur [J] a été assigné à des fonctions relevant d'un emploi permanent, le salarié déjà en place ayant été rappelé en France pour exercer une autre mission ; que dès lors, il conviendra de faire droit à la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et d'infirmer ainsi le jugement querellé ;

Considérant qu'en vertu de l'article L 122-3-13 du code du travail, l'indemnité allouée à ce titre ne peut être inférieure à un mois de salaire ; que, dans ces conditions, il y aura lieu de condamner l'employeur à verser la somme de 7 700 € brut réclamée par Monsieur [J] ;

Sur le licenciement et les demandes indemnitaires

Considérant qu'il ne peut être valablement contesté que la SA KEOLIS n'a pas mis en oeuvre une procédure de licenciement pour mettre fin à la relation contractuelle soumise aux dispositions régissant le contrat à durée indéterminée, suite à la requalification du contrat à durée déterminée ;

Que se prévalant de l'absence de lettre de licenciement et d'un motif réel et sérieux, Monsieur [J] réclame le paiement des indemnités suivantes ;

' sur l'indemnité compensatrice de préavis et la prime de 13ème mois

Considérant que la SA KEOLIS n'articule aucun moyen de droit ou de fait pour contester les sommes réclamées par son salarié ; que dès lors, elle sera condamnée à lui verser les sommes de 23 100 € bruts au titre de l'indemnité de préavis (3 mois) et de 1 925 € bruts pour la prime de 13ème mois sur l'indemnité de préavis ;

Que l'employeur sera également condamné à payer les congés payés y afférents, soit les sommes de 2 310 € bruts et de 192,50 € bruts ;

' sur l'indemnité de licenciement conventionnelle

Considérant que Monsieur [J] soutient que la SA KEOLIS est son employeur depuis 1990, date de son détachement ; qu'il existait un lien de subordination avec la SA KEOLIS, le fait qu'il soit un fonctionnaire détaché ne faisant pas obstacle à la reconnaissance de ce lien et ce quand bien même le fonctionnaire percevrait son traitement de la part de son administration ; qu'en tout état de cause, le détachement de longue durée ne peut excéder 5 ans, sauf à être renouvelé ; que la SA KEOLIS s'est affranchie des dispositions du décret 85-986 du 16 septembre 1985 ;

Considérant que la SA KEOLIS fait valoir que lorsqu'un détachement de fonctionnaire ait effectué dans une entreprise privée, la cessation de la période de détachement ne peut donner lieu à aucune indemnité de licenciement, conformément aux dispositions de l'article 45 alinéa 2 de la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 ; qu'en tout état de cause, disposant d'une ancienneté inférieure à 2 ans, il ne peut prétendre au bénéfice de la somme réclamée ;

Considérant qu'il résulte des écritures des parties que Monsieur [J] a été détaché, à compter de 1990, au sein de la société CARIANE SA, devenue filiale de la SA KEOLIS à partir de janvier 2001 ; qu'il obtiendra sa mise en disponibilité à compter du 1er novembre 2004, puis sa retraite à compter du 13 avril 2006 ;

Considérant qu'il est constant que le fonctionnaire détaché auprès d'un organisme de droit privé et qui accomplit un travail pour le compte de celui-ci, dans un rapport de subordination, se trouve lié à cet organisme par un contrat de travail ;

Qu'il n'est pas discuté par la SA KEOLIS que Monsieur [J] aurait accompli un travail, au sein de la société CARIANE, dans un rapport de subordination ; qu'à cet égard, Monsieur [J] produit aux débats le compte-rendu de ses entretiens individuels tenus en 1993, 1996 par la société CARIANE et par la SA KEOLIS à compter de 2001, un document faisant état de l'attribution de stock options en 1998 et de deux courriers de mutation au sein du groupe CARIANE en date des 25 janvier 1992 et 19 mars 1993 ;

Qu'en outre, l'employeur, détenteur des éléments afférents à l'opération de cession par la société SNCF Participations de la société CARIANE SA à la société VIA GTI, intervenue par décret n°2000-1314 du 26 décembre 2000, ne démontre pas que cette dernière, nouvellement dénommée KEOLIS, n'aurait pas repris l'ancienneté de Monsieur [J], acquise précédemment au sein de la société CARIANE ;

Que les moyens tirés de l'article 45 alinéa 2 de la loi n°84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat qui écarte les dispositions prévoyant le versement d'indemnités de licenciement ou de fin de carrière, sont inopérants puisqu'en septembre 2006, Monsieur [J] était en retraite, après avoir été placé en position de disponibilité ;

Considérant que selon la charte des cadres du 14 février 2002, le versement d'une indemnité de licenciement suppose d'avoir au minimum 5 ans d'ancienneté ; que Monsieur [J] est donc éligible à la perception de cette indemnité ;

Qu'aux termes de l'article 16 de la charte, la SA KEOLIS verse une indemnité de licenciement d'un mois de rémunération par année d'ancienneté dans l'entreprise, l'indemnité étant plafonnée à 24 mois ; qu'ainsi, Monsieur [J] est fondé à réclamer le paiement de la somme de 125 125 € correspondant à 16 ans et 3 mois d'ancienneté ;

' sur l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

Considérant que Monsieur [J] peut prétendre à une indemnité minimale égale à 6 mois de salaire, conformément aux dispositions de l'article L 122-14-4 du code du travail, étant rappelé que compte tenu de son ancienneté supérieure à 2 ans, il ne pourra obtenir le cumul des sanctions au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement et de l'absence de cause réelle et sérieuse ;

Considérant que Monsieur [J] sollicite la somme de 100 000 €, faisant valoir son âge au moment de la rupture qui rendait peu plausible toute possibilité de retrouver un travail et son préjudice de carrière au sein de la SA KEOLIS ; qu'il fait également valoir qu'il a subi un préjudice financier au titre de son droit à pension de retraite SNCF qui n'est pas à taux complet car calculé sur des bases minorées ; qu'en effet, il aurait pu poursuivre son activité jusqu'à 62 ans au sein de la SNCF ; qu'enfin, cette situation est à l'origine de la dégradation de son état de santé ;

Considérant que Monsieur [J] a volontairement opté pour un détachement puis une mise en disponibilité ; que dès lors, il est mal fondé à évoquer un préjudice financier lié à une pension de retraite SNCF inférieure à celle à laquelle il aurait pu prétendre ; qu'en outre, en septembre 2006, il avait procédé à la liquidation de ses droits à la retraite, percevant la somme mensuelle de 5 364,15 € ; que s'agissant de son état de santé, il ne produit aucun justificatif sur son état de santé, étant souligné qu'en toute hypothèse, il n'est démontré pas l'existence d'un lien direct de causalité entre sa situation professionnelle et sa maladie ;

Que dès lors, Monsieur [J], âgé de 55 ans lors de son licenciement, est fondé à obtenir la somme de 46 200 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts

Considérant que les sommes accordées au titre de l'exécution du contrat de travail seront assorties des intérêts à compter de la date de la saisine du conseil de prud'hommes, soit le 15 mai 2007 ;

Que s'agissant des sommes accordées à titre indemnitaire, elles seront assorties des intérêts à compter de la date de la présente décision qui a déterminé leur montant ;

Qu'il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts, selon les conditions édictées à l'article 1154 du code civil ;

Sur les frais irrépétibles

Considérant que la SA KEOLIS, qui succombe, sera condamnée à payer à Monsieur [J] la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens exposés en cause d'appel étant mis également à sa charge ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant, contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

STATUANT à nouveau et y ajoutant,

REQUALIFIE le contrat de travail à durée déterminée de Monsieur [J], signé le 17 septembre 2004, en contrat de travail à durée indéterminée,

DIT que le licenciement de Monsieur [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la SA KEOLIS à payer à Monsieur [J] les sommes suivantes :

' 23 100 € bruts au titre de l'indemnité de préavis,

' 2 310 € bruts au titre des congés payés y afférents,

' 1 925 € bruts pour la prime de 13ème mois,

' 192,50 € bruts au titre des congés payés y afférents,

avec intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2007,

CONDAMNE la SA KEOLIS à payer à Monsieur [J] les sommes suivantes :

' 7 700 € bruts au titre de l'indemnité de requalification,

' 46 200 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' 125 125 € à titre d'indemnité de licenciement selon la charte des cadres KEOLIS,

ORDONNE la capitalisation des intérêts,

REJETTE toutes autres demandes des parties,

CONDAMNE la SA KEOLIS à payer à Monsieur [J] la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SA KEOLIS aux dépens,

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 09/04799
Date de la décision : 29/03/2012

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°09/04799 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-03-29;09.04799 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award